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     Date : 19980615

     Dossier : IMM-3576-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUIN 1998

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE

     ANDREI ABRAMOV,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée, et l'affaire renvoyée pour qu'un tribunal de composition différente procède à un nouvel examen.

                                 Danièle Tremblay-Lamer                                              JUGE

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     Date : 19980615

     Dossier : IMM-3576-97

ENTRE

     ANDREI ABRAMOV,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]          Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]          Le demandeur est un citoyen russe qui a fui son pays d'origine pour échapper au service militaire. Il a pour la première fois été requis de s'inscrire pour faire son service militaire en Tchétchénie en décembre 1994. S'opposant à l'intervention russe en Tchétchénie, il a choisi de ne pas tenir compte des sommations. En conséquence, il a été pris de force dans sa maison par des agents militaires, déclaré apte au service et on lui a ordonné de se présenter dans une semaine, ce qu'il n'a pas fait.

[3]          Deux autres sommations ont en fin de compte été envoyées au demandeur. Il les a méconnues, et il a encore une fois fait face à l'armée. Il a toutefois réussi, aux deux occasions, à éviter la conscription.

[4]          À l'appui de sa revendication du statut de réfugié, le demandeur prétend que s'il retournait en Russie, il serait persécuté pour avoir évité le service militaire, en étant forcé à servir dans l'armée et en étant harcelé par des officiers et soldats qui sauraient qu'il avait tenté d'échapper à la conscription.

[5]          La Commission n'était toutefois pas convaincue que tel serait le cas. S'appuyant sur un article de l'agence Tass dont la source était un général de l'armée russe, le tribunal a conclu que la preuve documentaire n'étayait pas la prétention que le demandeur serait forcé de servir dans l'armée. L'article indiquait plutôt que seulement un faible pourcentage d'insoumis avait fait face à des procédures pénales et, parmi ceux-ci, seulement quelques-uns avaient réellement été condamnés. La vaste majorité des insoumis se sont vu imposer des peines administratives.

[6]          De plus, la Commission a conclu que la propre expérience du demandeur s'accordait avec cette preuve documentaire. Selon la Commission, les autorités russes ne tenaient pas trop à ce que le demandeur termine son service militaire. Autrement elles ne l'auraient pas libéré après l'avoir détenu à plusieurs occasions. S'il avait véritablement été recherché par les autorités, il aurait été enrôlé à la première occasion possible. La Commission en a donc conclu que le demandeur craignait la poursuite plutôt que la persécution.

[7]          Le demandeur conteste la conclusion de la Commission selon laquelle il ne faisait pas face à la persécution pour avoir évité le service militaire. Il prétend que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve documentaire pertinente, en particulier la lettre de Lisa Schwartzman, une journaliste1. Mme Schwartzman, qui a fait des recherches sur les conditions dans l'armée, est d'avis que les agents de recrutement sont particulièrement brutaux envers les insoumis. Particulièrement, elle s'exprime en ces termes :

         [TRADUCTION] Pyotr Kaznacheyev, chef de l'organisation d'action de la jeunesse antifasciste de Moscou (qui participe activement au mouvement d'opposition à la guerre, organisant des manifestations et aidant les recrues à se dérober à la conscription) a dit dans une entrevue que parce que la situation dans l'armée russe était si chaotique que le problème de la fuite devant l'incorporation, qui paralysait l'armée, amène les agents de recrutement à être particulièrement brutaux envers les insoumis. Ainsi donc, des punitions arbitraires sont courantes pour faire des exemples en punissant des insoumis particuliers et envoyer un message à d'autres prétendus insoumis. Une fois qu'ils ont été trouvés, les insoumis s'attendent à être eux-mêmes harcelés, à ce que leur famille soit harcelée, à être brutalement battus, à recevoir des menaces, des châtiments illégaux et particulièrement à se voir imposer un dur service une fois qu'ils sont forcés à entrer dans l'armée2.

[8]          Je suis d'accord avec le demandeur. La Commission a effectivement commis une erreur susceptible de contrôle en méconnaissant la preuve importante qui contredisait sa conclusion.

[9]          Compte tenu de la jurisprudence qui reconnaît que la punition d'une proportion excessive imposée par l'État aux insoumis peut être considérée comme de la persécution3, la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle a attribué plus de poids au témoignage d'un général de l'armée russe, au lieu de la preuve provenant d'autres sources. La lettre de Mme Schwartzman et d'autres éléments de preuve documentaires dignes de foi qui décrivent la situation des recrues dans l'armée russe se rapportent directement à la question dont était saisi le tribunal et auraient dû être abordés dans sa décision.

Ainsi que l'a dit le juge Gibson dans l'affaire Atwal c. Canada (Secrétaire d'État)4 :

         Il va sans dire qu'un tribunal n'est pas tenu de parler, dans ses motifs de décision, de tous les éléments de preuve portés à sa connaissance. Le fait qu'un tribunal omette de le faire ne permet pas, dans des circonstances normales, de conclure qu'il n'a pas tenu compte de toute la preuve produite. J'arrive toutefois à la conclusion que ce principe ne s'applique pas au défaut de faire mention d'un document pertinent qui constitue une preuve directement applicable à la question fondamentale traitée dans la décision du Tribunal5.

[10]          Compte tenu de ce qui précède, je n'ai pas à examiner les autres arguments invoqués par le demandeur.

[11]          La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal de composition différente pour qu'il procède à un réexamen.

[12]          Ni l'un ni l'autre des avocats n'a proposé que soit certifiée une question en l'espèce. Il n'y aura donc pas lieu à

certification.

                             Danièle Tremblay-Lamer

                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-3576-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Andrei Abramov c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 11 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          Madame le juge Tremblay-Lamer

EN DATE DU                      15 juin 1998

ONT COMPARU :

    Harvey Savage                      pour le demandeur
                        
    Jeremiah Eastman                  pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Harvey Savage                      pour le demandeur
    Toronto (Ontario)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur

__________________

     1      Dossier du demandeur, onglet 7, à la page 373.

     2      Ibid. aux pages 373 et 374.

     3      Zolfagharkhani c. Canada (ministre de l'Emploi et l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.).

     4      (1995), 82 F.T.R.73 (C.F.1re inst.).

     5      Ibid. à la page 75.

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