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     Date: 20010108

     Dossier: T-194-98


MONTRÉAL (QUÉBEC), CE 8e JOUR DE JANVIER 2001

PRÉSENT: ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE



Entre:

     LES ÉQUIPEMENTS D'ÉRABLIÈRE CDL INC.

     Demanderesse et

     défenderesse reconventionnelle

     ET

     ÉRATUBE INC. et

     RAYNALD DÉSORCY

     Défendeurs et

     demandeurs reconventionnels




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:




[1]          La Cour est saisie d'une requête des défendeurs et demandeurs reconventionnels (les défendeurs) afin que soient tranchées en leur faveur certaines objections formulées par les procureurs de la demanderesse et défenderesse reconventionnelle (la demanderesse) lors de l'interrogatoire au préalable du représentant de la demanderesse et des co-inventeurs de l'invention visée par le brevet en litige.




[2]          Les défendeurs demandent, de plus, à ce qu'il soit ordonné aux dites personnes de comparaître de nouveau à leurs frais pour répondre aux questions ayant fait l'objet des objections ainsi qu'à toute question additionnelle découlant de celles-ci.




[3]          Les parties ayant regroupé les quelque cent questions en différentes catégories et sous-catégories, la Cour entend suivre cette catégorisation pour les fins de son adjudication.


CONTEXTE



[4]          La présente requête s'inscrit dans le cadre d'un litige institué par voie de déclaration et alléguant que les défendeurs ont contrefait le brevet canadien 1,321,806. Le brevet est relatif à un « connecteur pour système de collecte de la sève » .




[5]          Dans leur défense, les défendeurs nient qu'il y ait eu contrefaçon du brevet en litige et, se portant demandeurs reconventionnels, allèguent que chacune des dix (10) revendications du brevet est invalide.


ANALYSE



[6]          On doit mentionner au départ qu'une question mérite réponse en interrogatoire au préalable si elle est pertinente aux points qui sont en litige entre les parties, c'est-à-dire si elle est susceptible d'aider, directement ou indirectement, la cause de l'une des parties ou de nuire à la cause de l'autre (voir Sydney Steel Corp. v. The Ship Omisalj (Le), [1992] 2 C.F. 193, 197-8).


Catégorie I: Invalidité du brevet en litige

     a)      Éléments essentiels du brevet en cause

[7]          Bien que les défendeurs aient inclus sous cette sous-catégorie les questions 2 à 8, ces dernières portent sur les avantages de l'invention par rapport à l'art antérieur. Or, la question du caractère innovateur d'une invention, et donc sa brevetabilité, en est une qu'il appartient au tribunal de déterminer à la lumière des témoignages et de l'opinion des experts en la matière sur les connaissances générales et l'art antérieur au moment pertinent. [Voir Cabot Safety Intermediate Corp. c. Arkon Safety Equipment Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 490 à 498 (C.F., 1re inst.); Jackmorr Manufacturing Ltd. c. Waterloo Metal Stampings Ltd. (1985), 8 C.P.R. (3d) 271 à 275 (C.F., 1re inst.).]



[8]          Partant, ces questions n'auront pas à être répondues.



[9]          Les questions 13 à 38 portent sur les éléments essentiels du brevet en litige. Bien que l'on puisse soutenir qu'il y a plus d'une école de pensée sur la permissibilité des questions portant sur ces éléments, donc sur la substance d'une invention, la Cour s'est déjà prononcée dans l'arrêt Nolan v. Silex International Chemical Systems Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 212, en faveur de telles questions puisqu'elles doivent être vues avant tout comme des questions de faits. Cette décision reconnaît également - et cela rejoint l'aspect plaidé par la demanderesse en l'espèce - que c'est toutefois en bout de course au tribunal de juger ultimement ce qui constitue la substance d'une invention. Dans l'affaire Nolan, la Cour fut appelée à considérer la pertinence de la question suivante au sujet de la substance de la présumée invention:

Question 486 - If the Defendant's process or method did not involve - and I say "if" - did not involve the steps of securing the end caps against radial displacement with respect to said glass envelope as a first step, would the Plaintiff's position be that the Claim would be infringed?


[10]          En page 214, la Cour en vint à la conclusion suivante:

If we look at how this question is worded, it unquestionably refers to a hypothetical situation, and is, moreover, asking for an interpretation of the patent. For these reasons, the plaintiff does not have to answer it.
However, counsel for the defendants satisfied me in argument that apart from the wording of the question, what the defendants are really trying to do by asking it and by asking similar questions relating to the other claims in the patent is to have the plaintiff identify the essential elements of the invention, in short, the substance of the invention.
First, it must be noted that it is proper, at a preliminary stage in the proceedings, to require that a plaintiff specify what it considers to be the "substance" of its invention, even though ultimately, at the end of the road, it is up to the Court to draw a definitive conclusion on this point (Northern Telecom Ltd. v. Reliance Electric Co. (1986), 8 C.P.R. (3d) 224 (F.C.A.), at page 227).
This means looking for an answer to a question of fact. In Northern Telecom, supra, the Federal Court of Appeal stated the following on this point, at page 226:
What the "substance" of the invention is is obviously material as it is the taking of it of which the respondents complain. It is also a question of fact, not one of law. See McPhar Engineering Co. of Canada Ltd. v. Sharpe Instruments Ltd. et al. (1960) 35 C.P.R. 105 at pp. 170-1, 21 Fox Pat. C.1, [1956-60] Ex. C.R. 467 at p. 537, per Thorson P.:
     And since there is infringement if the substance of the invention is taken it becomes necessary to ascertain what the substance of the invention is and that question is one of fact.
I am aware that in principle, the Court should not interfere excessively in the proper wording of the questions to be asked. However, I do not believe that this would be the case, and that any real disservice would be done to the administration of justice, if I authorized the defendants to ask the plaintiff "whether he considers the steps referred to in question 486 to be an essential element of the invention".



[11]          Les questions 13 à 38 devront donc recevoir réponse.

     b)      Énonciation de l'art antérieur

[12]          La question 40 devra être répondue suivant le contexte identifié en Cour. La question 41 devra faire l'objet d'une lettre de la procureure de la demanderesse dans laquelle les documents seront plus avant identifiés.



[13]          La question 43 devra être répondue dans le contexte limité discuté en Cour.



[14]          Les questions 48 et 49 devront être répondues suivant les exigences des règles de cette Cour.

     c)      Anticipation/évidence

[15]          Quant à la question 50, il m'appert que le paragraphe 68 des représentations écrites de la demanderesse répond suffisamment à cette question.



[16]          Quant aux questions 51 à 55, par ces questions, les défendeurs demandent aux témoins d'indiquer ce que font certaines des composantes illustrées dans les dessins de ce brevet. Ces questions cherchent clairement à interpréter l'art antérieur et partant, elles n'auront pas à recevoir réponse.



[17]          Les questions 56 et 57 recherchent fondamentalement une expertise et, partant, elles n'auront pas à recevoir réponse.



[18]          La question 60 devra être répondue.

     d)      Le succès commercial

[19]          Dans cette sous-catégorie de la catégorie visant l'invalidité du brevet en litige, il ressort que les défendeurs cherchent à démontrer que l'adaptateur produit et commercialisé par la demanderesse ne correspond pas au produit breveté et que, de plus, le produit commercialisé n'a pas eu le succès escompté.



[20]          Pour arriver à leurs fins, les défendeurs cherchent dans un premier temps par les questions 12 et 61 à 64 à établir une comparaison entre le produit de la demanderesse et le brevet. Par ce jeu de comparaison, ces questions deviennent des questions d'interprétation qui sont du domaine des experts et elles n'auront donc pas à recevoir réponse (voir Kun Shoulder Rest Inc. v. Joseph Kun Violin and Bow Maker Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 488, page 497).



[21]          Dans un deuxième temps, par le biais des questions 66 à 70, les défendeurs cherchent à faire admettre aux témoins que le "joint d'étanchéité" que l'on retrouve au produit de la demanderesse constitue une version améliorée du produit breveté. Toutefois, le jugement dans l'affaire Edison and Swan Electric Light c. Holland, (1889) 6 R.P.C. 243, page 277, énonce clairement la non pertinence pour fins d'invalidité de questions posées sous le couvert d'un tel argument:

... a patent is not to be defeated simply because subsequent inventions improve the patented article, or because in consequence of subsequent improvements, no article was in fact made in accordance with the specification.
Voir également Riddell v. Patrick Harrison & Co. Ltd. (1957), 28 C.P.R. 85, page 115.


[22]          Quant à la question 76, elle est refusée pour les motifs exprimés par la demanderesse aux paragraphes 98 et 99 de ses représentations écrites.



[23]          En ce qui a trait à la question 65, la première partie de cette question est sans pertinence. Quant au reste de cette question, les défendeurs devront se guider suivant le paragraphe 104 des représentations écrites de la demanderesse.



[24]          La question 75 devra recevoir réponse.

     e)      Revendication trop large

[25]          Cette sous-catégorie vise les questions 81 à 84 et s'inscrit dans l'attaque des défendeurs à l'effet que la revendication du brevet en litige est invalide au motif qu'elle est plus large que la présumée invention produite par les inventeurs; cette attaque voulant se distinguer de l'attaque plus traditionnelle où une partie va soulever l'invalidité en raison que les revendications sont plus larges que l'invention décrite dans le mémoire descriptif du brevet.



[26]          Face aux représentations écrites soumises en supplément par les parties sur ce point, il m'apparaît qu'il y a suffisamment d'autorités soutenant le point de vue des défendeurs pour que la Cour accepte de considérer les questions soulevées par les défendeurs en autant, bien sûr, que ces questions ne soient pas pour un autre motif inadmissibles. Quant aux questions 81 à 83, elles visent à recueillir des observations qu'aurait pu effectuer l'un des inventeurs dans son travail de développement de la tourelle. Bien que les réponses à ces questions puissent arborer des éléments techniques, il ne m'apparaît pas dans les circonstances que l'élément d'opinion technique soit suffisant pour enlever aux questions posées leur caractère essentiellement factuel. (Voir Risi Stone Ltd. v. Groupe Permacon Inc. (1994), 56 C.P.R. (3d) 381, à la page 388.)



[27]          À titre de co-inventeur, M. Lesquir peut certes répondre à ces questions, et, partant, les questions 81 à 83 devront recevoir réponse.



[28]          Quant à la question 84, elle recherche carrément du témoin une comparaison entre le produit de la demanderesse et une pièce d'art antérieur. Cet exercice relève des compétences d'un expert. Cette dernière question n'aura pas à recevoir réponse.

Catégorie II: Absence de contrefaçon


[29]          Quant aux questions 93 à 98, 103 et 104, elles n'auront pas à recevoir réponse parce que bien que l'exercice recherché par les défendeurs leur apparaît peu compliqué, cet exercice en demeure un néanmoins qui est du domaine des experts. Les défendeurs devront donc aborder ces questions avec leurs propres experts.



[30]          La question 99 devra être répondue, ce qui entraîne, pour l'instant du moins, le retrait des questions 100 à 102.



[31]          La question 106 devra être répondue.

Catégorie III: Questions d'ordre général


[32]          Les questions 113 et 114 devront être répondues de façon précise.



[33]          Les questions 116 et 117 sont apparues au terme d'une discussion en Cour sans pertinence et de la nature d'une expédition de pêche. Elles n'auront pas à recevoir réponse.



[34]          Quant aux questions 128, 130 et 131, les échantillons recherchés devront être produits à moins qu'un seul exemplaire de chaque élément ne soit disponible. Dans un tel cas, la demanderesse devra produire un affidavit à cet effet.



[35]          En ce qui a trait aux questions 129 et 132, les défendeurs devront procéder suivant l'invitation lancée par la demanderesse au paragraphe 136 de ses représentations écrites.



[36]          Quant aux "réserves" formulées par la demanderesse à l'égard de diverses réponses fournies lors des interrogatoires, il apparaît suffisant à ce stade-ci que la Cour prenne note des représentations de la demanderesse aux paragraphes 10 à 15 de ses représentations écrites tout en reconnaissant, en plus, qu'il serait malaisé pour la demanderesse de vouloir restreindre ultérieurement l'utilisation d'une réponse fournie pour laquelle aucune objection n'aurait été formulée et maintenue par cette Cour.



[37]          Les parties devront dans les vingt (20) jours de la date de la présente ordonnance soumettre à la Cour de façon conjointe un échéancier qui visera les mesures à entreprendre subséquemment dans l'instance, y inclus la tenue d'un second tour d'interrogatoires de Messieurs Chabot, Lesquir et Landry et ce, aux frais de la demanderesse.



[38]          Comme le succès est partagé quant à la présente requête, il n'y aura pas d'adjudication de dépens.

Richard Morneau

     protonotaire

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-194-98

LES ÉQUIPEMENTS D'ÉRABLIÈRE CDL INC.

     Demanderesse et

     défenderesse reconventionnelle

ET

ÉRATUBE INC. et RAYNALD DÉSORCY

     Défendeurs et

     demandeurs reconventionnels




LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 6 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 8 janvier 2001


ONT COMPARU:


Me Marie Lafleur

pour la demanderesse et

défenderesse reconventionnelle

Me Daniel S. Drapeau

pour les défendeurs et

demandeurs reconventionnels

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Fasken Martineau DuMoulin

Montréal (Québec)

pour la demanderesse et

défenderesse reconventionnelle

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

pour les défendeurs et

demandeurs reconventionnels

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