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Date : 20001206

Dossier : T-2054-00

Entre :

                                    PREMIÈRE NATION DU LAC PÉLICAN

                                                         (ci-après la bande)

                                                                                                                        demanderesse

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE

                                    DU CHEF DU CANADA et son mandataire

                                 LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

                                                 ET DU NORD CANADIEN

                                                       (ci-après le Ministre)

                                                                                                                              défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                La présente requête dans l'action a été présentée en vertu de la Règle 220(1)a)[1] des Règles de la Cour fédérale pour que la Cour réponde à deux questions de droit.


[2]                Les questions auxquelles il faut répondre concernent l'élection du chef et du conseil de la bande du Lac Pélican, élection qui s'est tenue le 4 avril 2000. Les faits se rapportant à l'élection ont été convenus entre les parties, et sont joints en annexe aux présents motifs.

[3]                La première question à laquelle il faut répondre est la suivante : l'arrêté ministériel du 4 mars 1997 pris en vertu du paragraphe 74(1)[2] de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, et ses modifications, était-il en vigueur le 14 avril 2000?


[4]                Les parties reconnaissent que la révocation que l'arrêté ministériel du 4 mars 1997 qui a été prononcé le 14 avril 2000, est un « règlement » au sens de la Loi sur les textes réglementaires[3], 1970-71-72, ch. 38, art.1, et de ce fait, aux termes du paragraphe 5(1) et de l'alinéa 9(1)a)[4], l'arrêté de révocation du 14 avril 2000 doit être transmis aux fins d'enregistrement dans les sept jours suivant sa prise et il n'entre pas en vigueur à moins qu'il ait ainsi été transmis et ensuite enregistré. Les parties conviennent également que la transmission et l'enregistrement de l'arrêté de révocation ne se sont pas faits comme prévu.

[5]                Par conséquent, je conclus qu'il faut répondre par l'affirmative à la première question.


[6]                La deuxième question à laquelle il faut répondre est la suivante : La « loi électorale » coutumière de la bande était-elle en vigueur le 14 avril 2000? La réponse donnée à la première question m'oblige à répondre par la négative à la deuxième question.

[7]                Par conséquent, à mon avis, étant donné que l'élection du 14 avril 2000 s'est tenue conformément à la « loi électorale » , les résultats de cette élection ne sont pas conformes à la loi.

[8]                Je réserve ma décision concernant la question des dépens en attendant qu'une requête soit présentée par l'une ou l'autre des parties.

« Douglas Campbell »

      Juge

le 6 décembre 2000

Vancouver (C.-B.)

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


                                                                ANNEXE

                                          Énoncé conjoint des faits

1.         La demanderesse, la Première nation du Lac Pélican, aussi connue sous le nom de bande indienne du Lac Pélican, est une « bande » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

2.         Jusqu'au 25 novembre 2000, le nom de la demanderesse figurait au point 26 de la Partie III - Saskatchewan, à l'annexe I de l'Arrêté sur l'élection du conseil de bandes indiennes, DORS/97-138 (l'arrêté). L'arrêté est entré en vigueur le 4 mars 1997 et avait été pris sous le régime du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, et ses modifications. Cet arrêté a été abrogé par l'arrêté en date du 24 novembre 2000 (DORS/2000-409), qui est entré en vigueur le 25 novembre 2000.

3.         En juillet 1999, la demanderesse a choisi d'abandonner la procédure d'élection d'un conseil de bande prévue aux articles 74 à 80 de la Loi sur les Indiens pour adopter un système électoral coutumier.

4.         Le 29 juin 1999, la demanderesse a donné instruction au cabinet d'avocats Pandila Morin Nahachewsky de préparer une version préliminaire d'une loi électorale qui serait utilisée par la Première nation du Lac Pélican.


5.         Après la rédaction de la « loi électorale de la Première nation du Lac Pélican » (ci-après la « loi électorale » ), plusieurs assemblées publiques ont eu lieu pour donner aux membres de la Première nation du Lac Pélican l'occasion de discuter des aspects procéduraux et de fond du projet de loi électorale rédigé en langue crie et en anglais. Les avocats et les aînés étaient présents à chaque assemblée et les avocats se sont adressés aux participants en langue crie et en anglais. Une première réunion avec les aînés a eu lieu en juillet 1999 et par la suite, d'autres réunions ont eu lieu le 1er novembre, le 29 novembre et 13 décembre 1999. Quelques révisions ont été apportées après chacune des première et deuxième réunions pour tenir compte des changements demandés par le consensus des membres de la bande qui assistaient aux réunions.

6.         Après la deuxième assemblée publique, une copie du projet de loi électorale a été examinée par la défenderesse et, sur son conseil, quelques révisions mineures ont été apportées à la loi proposée. Cette loi a finalement été présentée en version définitive à la dernière assemblée publique qui a eu lieu aux fins de l'examen et de la discussion le 13 décembre 1999. La défenderesse n'a à aucun moment avant le 14 avril 2000 mentionné que la loi électorale pouvait ne pas respecter la Charte canadienne des droits et libertés..

7.         La demanderesse était au courant que la défenderesse avait comme politique de ne pas révoquer un arrêté, aux termes du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, d'une façon qui puisse permettre à la demanderesse de tenir des élections en suivant sa propre procédure, à moins que l'adoption d'un code électoral coutumier ne suscite un degré d'appui comunautaire suffisant. La défenderesse a exigé des personnes qui proposaient l'adoption d'un code qu'elles obtiennent, par voie de référendum, l'appui de la majorité de tous les électeurs admissibles de la Première nation. La demanderesse croyait que le ministre devait signer la loi électorale pour que celle-ci devienne valide. En outre, la demanderesse croyait que la révocation ou l'approbation par le ministre de sa loi électorale était une simple formalité et les fonctionnaires de la défenderesse n'ont à aucun moment laissé entendre que le ministre n'exercerait pas son pouvoir discrétionnaire de prendre un arrêté.

8.         Un référendum a eu lieu pour adopter la version finale de la loi électorale le 26 janvier 2000. Les résultats du scrutin sont reproduits ci-dessous :

492 électeurs admissibles (317 personnes vivant sur la réserve et 175 à l'extérieur)


           124 électeurs ont voté (15.2 % des électeurs admissibles)

           - 116 personnes vivant sur la réserve et 8 à l'extérieur

113 personnes ont voté en faveur de la loi électorale (91 % des voies exprimées)

           11 personnes ont voté contre la loi électorale

9.         De l'avis de la défenderesse, puisque les personnes qui avaient proposé l'adoption du code n'avaient pas réussi à obtenir la majorité de tous les électeurs de la Première nation le 26 janvier 2000, un nouveau référendum devait avoir lieu avant que la défenderesse puisse envisager d'entamer le processus de révocation ou d'approbation. La défenderesse soutient qu'elle a informé la demanderesse que la loi électorale devait à tout le moins être approuvée par une majorité des électeurs admissibles sur la réserve. Toutefois, la demanderesse était d'avis qu'une simple majorité des personnes qui s'étaient prévalues de leur droit de vote était suffisante.

10.       Par conséquent, la demanderesse a tenu un deuxième référendum le 28 février 2000, et les résultats ont été les suivants :

           492 électeurs admissibles (317 personnes vivant sur la réserve et 175 à l'extérieur)

           186 personnes ont voté (37.8 % du total des électeurs admissibles)

                      - 173 personnes vivant sur la réserve (dont 5 votes rejetés), et 13 personnes à l'extérieur

149 personnes ont voté en faveur de la loi électorale (80 % des personnes qui se sont prévalues de leur droit de vote)

                      - 137 personnes sur la réserve en faveur (43.22 % des électeurs admissibles vivant sur la réserve)

                      - 12 personnes vivant à l'extérieur de la réserve en faveur


           32 personnes ont voté contre la loi électorale

                      - 31 personnes vivant sur la réserve et 1 seule vivant à l'extérieur

11.       Les résultats du deuxième référendum, accompagnés d'une copie de la loi électorale et d'autres documents à l'appui, ont été transférés à la défenderesse le 29 février 2000, de même qu'une résolution du conseil de bande également datée du 29 février 2000, adoptant la loi électorale, afin d'obtenir une révocation [la révocation] de l'arrêté.

12.       Les résultats du deuxième référendum étaient encore insuffisants pour satisfaire à la condition de la défenderesse d'obtenir la majorité des électeurs admissibles. Les fonctionnaires de la défenderesse dans la région de la Saskatchewan ont néanmoins examiné les résultats et communiqué avec leurs homologues à l'administration centrale. Ensemble, ils ont décidé de recommander aux hauts fonctionnaires du ministère de considérer les résultats du référendum de la demanderesse comme suffisants pour recommander au ministre la révocation de l'arrêté. La recommandation du bureau régional a été envoyée pour approbation à l'administration du MAINC accompagnée des documents à l'appui le 7 mars 2000. Bien que les fonctionnaires de la défenderesse aient indiqué que la demanderesse avait de bonnes chances d'obtenir la révocation, ils n'ont à aucun moment donné à la demanderesse la garantie que la révocation serait accordée.

13.       La défenderesse était, à toutes les époques pertinentes pour les fins de la présente action, au courant du fait que la demanderesse tiendrait son élection d'avril 2000 en vertu de sa propre loi électorale.

14.       De même, la demanderesse était au courant du fait que la révocation demandée n'était pas encore en vigueur avant le 14 avril 2000. La demanderesse a poursuivi ses préparatifs en vertu de l'élection en l'absence de la révocation, ce dont la défenderesse était au courant.


15.       Le 1er mars 2000, la demanderesse a nommé un agent d'élection, savoir Osborne Turner, entamant ainsi la procédure électorale pour élire le chef et le conseil aux termes des dispositions de la loi électorale. La nomination de M. Turner n'avait pas été approuvée par le ministre en vertu de la Loi sur les Indiens, étant donné que les deux parties croyaient que l'élection allait se tenir en vertu de la loi électorale du Lac Pélican.

16.       La demanderesse ou ses mandataires ont eu des contacts fréquents avec la défenderesse et, à plusieurs reprises, ont demandé que la loi électorale soit signée dans les délais voulus.

17.       La défenderesse n'a donné aucune garantie que le ministre apposerait sa signature avant le 14 avril 2000, mais elle a informé la demanderesse qu'elle ferait tout en son possible pour obtenir les approbations nécessaires, ainsi que l'approbation du ministre et sa signature à cette date.

18.       Jusqu'au 14 avril 2000, les deux parties étaient d'avis que, pourvu que le ministre appose sa signature au plus tard le 14 avril 2000, une élection coutumière tenue ce jour-là serait valide. Par conséquent, la défenderesse n'a pas dit à la demanderesse de ne pas tenir cette élection.

19.       Plusieurs votes par anticipation ont eu lieu conformément aux dispositions de la loi électorale, avant que la signature du ministre soit apposée. Ces votes par anticipation se sont tenus les 11, 12 et 13 avril 2000, à Edmonton, Saskatoon et Prince Albert, respectivement.

20.       L'élection elle-même a eu lieu le 14 avril 2000, au Centre éducatif Chamakese dans la réserve indienne du Lac Pélican.


21.       La révocation a été prononcée le 14 avril 2000. La défenderesse croyait à tort qu'il n'était pas nécessaire d'enregistrer l'arrêté de révocation en vertu de la Loi sur les textes réglementaires, L.R.C. (1985), ch. S-22. Après s'être rendu compte de son erreur, le 6 novembre 2000, la révocation a été transmise au greffier du Conseil privé aux fins de l'enregistrement. Le greffier a refusé d'enregistrer la révocation au motif qu'elle lui avait été transmise en dehors du délai de sept jours prescrit aux fins d'enregistrement par l'article 5 de la Loi sur les textes réglementaires. Par conséquent, la révocation n'est jamais entrée en vigueur et n'a pas été abrogée avant le 25 novembre 2000 (DORS/2000-408).

22.       Aucun membre de la bande n'a interjeté appel en vertu des dispositions de la loi électorale ou de la Loi sur les Indiens. Toutefois, deux des candidats défaits aux élections du chef et du conseil, savoir Harvey Abbott et Edward Bill, ont demandé à leur avocat, M. Ron Cherkewich du cabinet Cherkewich Yost & Heffernan, de contester les résultats de l'élection en adressant une lettre au ministre au motif que l'arrêté ministériel n'avait pas été signé avant la nomination de l'agent d'élection ou avant la tenue du vote par anticipation.

23.       Après avoir examiné de façon plus approfondie la loi électorale, la défenderesse a indiqué à la demanderesse que cette loi n'était pas conforme à l'article 15 de la Charte des droits et libertés et a fait savoir à la demanderesse que celle-ci n'avait d'autre choix que de tenir une élection en vertu de la Loi sur les Indiens. Toutefois, le 24 novembre 2000, malgré les questions de conformité à la Charte, le ministre a signé les arrêtés dont il est question au paragraphe 25 ci-dessous.

24.       À l'exception de la question de la validité légale du chef et du conseil élus, la défenderesse n'a aucune raison de mettre en doute la capacité des personnes, prétendument élues le 14 avril 2000, de gérer les affaires de la demanderesse. La défenderesse a donc proposé que ces personnes agissent à titre de tiers gestionnaires jusqu'à ce que cette question soit réglée.

25.       Le ministre a maintenant pris les deux arrêtés mentionnés ci-dessous :

           (i)         Une ordonnance en date du 24 novembre 2000 abrogeant la révocation initiale signée le 14 avril 2000 (DORS/2000-408); et


           (ii)        Comme il est indiqué au paragraphe 2 du présent énoncé conjoint des faits, un arrêté signé le 24 novembre 2000 (DORS/2000-409) révoquant l'application du paragraphe 74(1) de la Loi sur les Indiens, et modifiant l'Arrêté sur l'élection du conseil de bandes indiennes, DORS-97/138, concernant certaines bandes indiennes, y compris la bande de la demanderesse, permettant ainsi à cette dernière de tenir une élection en vertu de la loi électorale de la Première nation du Lac Pélican.

           Ces deux arrêtés ont été enregistrés auprès du greffier du Conseil privé conformément à la Loi sur les textes réglementaires le 25 novembre 2000 et sont entrés en vigueur le jour de l'enregistrement. Ils doivent être publiés dans la Gazette du Canada le 6 décembre 2000.

26.       Les parties demandent maintenant à cette honorable Cour de rendre une décision sur la question de la validité de l'élection du chef et du conseil de la Première nation du Lac Pélican qui a eu lieu le 14 avril 2000.


                                           COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                      SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 T-2054-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                     Première nation du Lac Pélican

c.

Sa Majesté la Reine et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        le 4 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE CAMPBELL

DATE :                                                                        le 6 décembre 2000

ONT COMPARU:

Gerry M. Morin, c.r.                                                      Pour la demanderesse

James Gunvaldsen-Klaasen                                            Pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Pandila, Morin, Nahachewski

Avocats et procureurs

Prince Albert (Saskatchewan)                            Pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                Pour la défenderesse



[1] La Règle 220 est rédigée dans les termes suivants :

220.(1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l'instruction, demander à la Cour de statuer sur :

a) tout point de droit qui peut être pertinent dans l'action;

[2] L'article 74 de la Loi sur les Indiens est rédigé dans les termes suivants :

74(1) - « Lorsqu'il le juge utile à la bonne administration d'une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu'à compter d'un jour qu'il désigne le conseil d'une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d'élections tenues selon la présente loi. »

[3] Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les textes réglementaires définit le terme « règlement » dans les termes suivants :

« règlement » Texte réglementaire :

a) soit pris dans l'exercice d'un pouvoir législatif conféré sous le régime d'une loi fédérale;

b) soit don't la violation est passible d'une pénalité, d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement sous le régime d'une loi fédérale.

Sont en outre visés par la présente définition les règlements, décrets, ordonnances, arrêtés ou règles régissant la pratique ou la procédure dans les instances engagées devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire constitué sous le régime d'une loi fédérale, de même que tout autre texte désigné comme règlement par une autre loi fédérale.

[4] Ces articles sont rédigés dans les termes suivants :

5.(1) Sous réserve des règlements d'application de l'alinéa 20b), l'autorité réglementante, dans les sept jours suivant la prise d'un règlement, en transmet des exemplaires, dans les deux langues officielles, au greffier du Conseil privé pour l'enregistrement prévu à l'article 6.

9.(1) L'entrée en vigueur d'un règlement ne peut précéder la date de son enregistrement sauf s'il s'agit :

a) d'un règlement comportant une disposition à cet effet et enregistré dans les sept jours suivant sa prise.

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