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Date : 20020225

Dossier : IMM-3595-00

Référence neutre : 2002 CFPI 202

Vancouver (Colombie-Britannique), le 25 février 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                        KHADIJA ISMAIL AHMADA

                                                                                                                                                  demanderesse

                                                                                   

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision en date du 12 juillet 1999 (motifs écrits) par laquelle un tribunal de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse demande une ordonnance de certiorari annulant la décision susmentionnée et renvoyant la question à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

Les faits à l'origine du litige

[3]                 La demanderesse est une citoyenne de la Tanzanie qui a demandé le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada en raison de ses opinions politiques.

[4]                 La demanderesse soutient avoir été ciblée par les autorités en raison du rôle qu'elle a joué au sein du parti appelé Front civique uni (FCU).

[5]                 La Commission a conclu à l'insuffisance d'éléments de preuve crédibles et fiables lui permettant de conclure que la demanderesse avait raison de craindre d'être persécutée en Tanzanie. La Commission avait de sérieux doutes concernant la crédibilité de l'exposé narratif de la demanderesse, le voyage que celle-ci a fait au Canada et l'omission de sa part de demander le statut de réfugié dans d'autres pays signataires de la Convention qu'elle a visités, soit le Royaume-Uni et les États-Unis, avant d'arriver au Canada. La Commission a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.


Arguments de la demanderesse

[6]                 La demanderesse a soutenu que la Commission s'était fondée sur une conclusion de fait erronée qu'elle a tirée de manière abusive ou arbitraire sans égard aux éléments dont elle était saisie. Selon la demanderesse, la Commission a commis une erreur en cherchant à relever des incohérences à l'appui d'une conclusion portant absence de crédibilité.

[7]                 La demanderesse allègue que la Commission n'a pas respecté les principes de justice naturelle et d'équité procédurale ou d'autres procédures qu'elle était tenue par la loi d'observer. Elle ajoute que la Commission a commis une erreur en formulant des conclusions fondées sur un manque apparent de crédibilité sans lui fournir une possibilité raisonnable de répondre aux préoccupations qu'elle avait.

[8]                 La demanderesse reproche à la Commission de n'avoir fourni aucun motif valable à l'appui de sa décision d'accorder une valeur probante minime à la carte d'adhésion du FCU.

[9]                 De l'avis de la demanderesse, la conclusion selon laquelle celle-ci n'a pu fournir de précisions au sujet de sa participation à la campagne électorale d'octobre 1995 ne tient pas compte de son témoignage, au cours duquel elle a fourni des détails importants.

[10]            La demanderesse ajoute que la suggestion selon laquelle sa destination était le Canada constitue une explication raisonnable du fait qu'elle n'a pas demandé le statut de réfugié pendant le voyage qui l'a menée au Canada.


[11]            De l'avis de la demanderesse, la Commission aurait dû lui faire part de ses doutes au sujet de la crédibilité au cours de l'audience afin de ne pas violer les principes de justice naturelle.

Arguments du défendeur

[12]            Le défendeur souligne qu'aucune valeur probante ne peut être accordée à l'affidavit de la demanderesse, parce que celui-ci n'a pas été traduit correctement en swahili et que la demanderesse ne parle pas l'anglais.

[13]            Le défendeur allègue que la Commission avait de bonnes raisons de mettre en doute la date à laquelle la demanderesse aurait appris l'existence du FCU et se serait jointe à ce parti. Compte tenu du grand rôle que celle-ci soutient avoir joué auprès de celui-ci, il était loisible à la Commission de se demander pourquoi la demanderesse a attendu trois ans après avoir appris l'existence du FCU avant d'en devenir membre.

[14]            Le défendeur ajoute que la Commission avait de bonnes raisons de douter de l'authenticité de la carte d'adhésion au FCU, étant donné que l'adresse mentionnée à l'égard de la demanderesse était différente de celle où elle soutenait avoir vécu et qu'elle n'a pu expliquer de façon satisfaisante comment elle a obtenu la carte. De plus, il s'agissait du seul document qui visait à établir un lien entre la demanderesse et le FCU et la Commission était donc justifiée de douter de l'authenticité de cette carte.

[15]            Le défendeur ajoute que la demanderesse n'a pu fournir suffisamment de détails au sujet de sa participation politique, de sorte que la Commission a eu raison de douter de cet aspect de la revendication.

[16]            De l'avis du défendeur, la Commission a tenu compte de l'explication de la demanderesse selon laquelle celle-ci n'a pas formulé de revendication du statut de réfugié au Royaume-Uni ou aux États-Unis parce qu'elle se dirigeait vers le Canada. Le défendeur soutient que la Commission n'a ignoré aucun élément de preuve à ce sujet, mais qu'elle avait de bonnes raisons de mettre en doute l'explication.

[17]            Le défendeur fait valoir que la Commission n'a pas violé les principes de justice naturelle et que la demanderesse n'a pas démontré que la décision concernant sa revendication comporte une erreur susceptible de révision.

Question en litige

[18]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision?

Analyse


[19]            Le défendeur a soulevé une question préliminaire au sujet de l'affidavit de la demanderesse, dont le Formulaire de renseignements personnels (FRP) a été traduit en swahili pour elle par un interprète. À l'audience, la demanderesse a témoigné par l'entremise d'un interprète devant la Commission. Le défendeur a soutenu que la Règle 80(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) exigeait la production d'un certificat dans lequel l'interprète atteste qu'il a interprété l'affidavit à la déclarante dans la langue de celle-ci. Voici le libellé du paragraphe 80(2) des Règles :

80.(2) Lorsqu'un affidavit est fait par un handicapé visuel ou un analphabète, la personne qui reçoit le serment certifie que l'affidavit a été lu au déclarant et que ce dernier semblait en comprendre la teneur.

80.(2) Where an affidavit is made by a deponent who is blind or illiterate, the person before whom the affidavit is sworn shall certify that the affidavit was read to the deponent and that the deponent appeared to understand it.

  

[20]            Le paragraphe 332(4) des anciennes Règles de la Cour fédérale prévoyait ce qui suit :

  

332.(4) Lorsqu'un affidavit est fait en anglais par une personne qui ne parle pas anglais, ou en français par une personne qui ne parle pas français, l'affidavit doit être rédigé et lu au déposant par le truchement d'une personne préalablement assermentée pour assurer l'interprétation fidèle de l'affidavit (Formule 29).

332.(4) When an affidavit is made in English by a person who does not speak the English language, or in French by a person who does not speak the French language, the affidavit shall be taken down and read over to the deponent by interpretation of a person previously sworn faithfully to interpret the affidavit (Form 29).

  

Cette disposition ne fait pas partie de l'actuelle règle des Règles de la Cour fédérale (1998) concernant les affidavits. En conséquence, je ne suis pas disposé à déclarer que l'affidavit n'a aucune force probante. Étant donné que la demanderesse aurait dû faire traduire son FRP, qu'elle a témoigné à l'audience par l'entremise d'un interprète parce qu'elle ne pouvait témoigner en anglais et qu'il n'y a aucune explication au sujet de la façon dont elle a pu faire un affidavit en anglais, la valeur probante à accorder à l'affidavit est en cause.

[21]            Au cours de la révision d'une décision semblable à celle dont elle est saisie en l'espèce, la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle de la Commission, pourvu toutefois que la décision de celle-ci ne soit pas déraisonnable ni ne soit entachée d'une erreur de droit.

[22]            Les conclusions de la Commission qui, de l'avis de la demanderesse, seraient erronées comprennent les conclusions suivantes :

1.                    La demanderesse [TRADUCTION] « n'a pu fournir d'explication raisonnable au sujet du fait qu'elle n'a pas participé aux activités » du FCU avant l'élection générale de 1995.

2.                    La Commission a accordé une valeur probante minime à la carte d'adhésion au FCU.

3.                    La demanderesse n'a pu fournir de précisions au sujet du rôle qu'elle a joué dans la campagne électorale d'octobre 1995.

4.                    La demanderesse n'a pas revendiqué le statut de réfugié au Royaume-Uni ou aux États-Unis.


[23]            Il appert de la transcription de l'audience que la Commission a dit dès le départ que la crédibilité était en litige. Il semble également que la demanderesse a été interrogée au sujet des questions susmentionnées ainsi que des autres questions que la Commission a soulevées à l'audience. Il était tout à fait compréhensible que la Commission se demande pourquoi la carte d'adhésion du FCU n'a pas été mentionnée sur le FRP et pourquoi la demanderesse a indiqué dans sa demande qu'elle avait utilisé un passeport tanzanien établi en son nom (dossier du tribunal, à la page 94) alors qu'à l'audience, elle a mentionné que le passeport était fait au nom d'une autre personne.

[24]            La Commission a compétence pour tirer des conclusions concernant la crédibilité et, dans la mesure où elle indique les éléments de preuve constituant le fondement desdites conclusions et pose des questions à la demanderesse au sujet de cette preuve à l'audience (afin que celle-ci ait la possibilité de répondre aux préoccupations en question), la Cour ne devrait pas intervenir, à moins que la Commission n'ait tiré des conclusions déraisonnables.

[25]            À mon avis, la décision de la Commission n'était pas déraisonnable; par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]            Aucune des deux parties ne désirait soumettre une question grave de portée générale à mon attention.


ORDONNANCE

[27]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

  

                                                                                                                                     « John A. O'Keefe »             

                                                                                                                                                                 Juge                          

  

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 25 février 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-3595-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Khadija Ismail Ahmada

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le mardi 13 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :                        le 25 février 2002

COMPARUTIONS:

Michael Brodzky                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Michael Brodzky                                                  POUR LA DEMANDERESSE

69 Elm Street

Toronto (Ontario) M5G 1H2                              

Ministère de la Justice                              POUR LE DÉFENDEUR

Bureau régional de Toronto

2 First Canadian Place, bureau 304

Exchange Tower, C.P. 36

Toronto (Ontario) M5X 1K6                              

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