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Date : 20060504

Dossier : IMM-4637-05

Référence : 2006 CF 563

Ottawa (Ontario), le 4 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

SALI Mulliqi

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Sali Mulliqi, le demandeur, est un musulman d’ethnie albanaise de la région du Kosovo de la Serbie-et-Monténégro. Dans sa demande d’asile, le demandeur a allégué craindre avec raison d’être persécuté du fait de ses opinions politiques, soit du fait qu’il est membre du parti politique LDK et que sa famille et lui sont perçus, par leur communauté, comme des déserteurs du mouvement de résistance contre l’invasion de la Serbie. Le 21 mars 2004, le demandeur a fui le Kosovo pour la France. Le 25 mai 2004, il a quitté la France par avion à destination du Canada, muni d’un faux passeport, et a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport Pearson.

 

[2]        Dans une décision en date du 4 juillet 2005, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître au demandeur la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. La Commission a tiré deux conclusions importantes : i) ni le demandeur ni ses allégations n’étaient crédibles, ii) le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État au Kosovo. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Questions en litige

[3]        Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

  1. Les agissements de la Commission au cours du processus ayant mené à l’audience et lors de l’audience donnent-ils raisonnablement lieu de craindre que la Commission avait un parti pris contre le demandeur?

 

  1. La Commission a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables sur la crédibilité?

 

  1. La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité envers le demandeur en suivant l’ordre des interrogatoires indiqué dans les « Directives no7 – Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés » (Directives no7)?

 

Analyse

Norme de preuve applicable

Question #1 : Les agissements de la Commission suscitent-ils une crainte raisonnable de partialité?

[4]        L’audition de la demande du demandeur a suivi un parcours plutôt inhabituel. Voici, énumérés de façon séquentielle, les événements clés du traitement de sa demande d’asile :

 

  1. À son arrivée au point d’entrée du Canada, dans un processus qui s’est étendu sur six heures, le demandeur a été interrogé par deux agents d’immigration, un premier agent qu’il a décrit comme étant querelleur, agressif et verbalement violent envers lui, et un second qu’il a estimé poli et amical.

 

  1. Les deux agents d’immigration ont chacun rédigé un rapport d’entrevue. Le premier agent y a pour sa part indiqué que le demandeur était peu coopératif.

 

  1. Avant la tenue de l’audience, le demandeur a été informé que l’agent de protection des réfugiés (APR) Adamidis avait l’intention de faire comparaître le premier agent d’immigration comme témoin. Le conseil du demandeur a alors demandé à ce que le second agent d’immigration soit également cité à comparaître.

 

  1. Lors de la première audience tenue le 6 décembre 2004, le conseil du demandeur a soutenu que l’APR Adamidis, qui était un ancien collègue du premier agent d’immigration, avait un parti pris en faveur de cet agent et l’avait influencé comme témoin en communiquant avec lui. Le conseil a demandé que le premier agent ne soit pas autorisé à témoigner, que les notes prises au point d’entrée (PE) soient exclues, que l’APR soit congédié et que le président du tribunal se récuse. L’audience a été suspendue sur requête de la Commission.

 

  1. Après la première audience, l’APR Adamidis a présenté un compte-rendu écrit des communications qui avaient été échangées entre l’agent d’immigration et lui. Le conseil du demandeur a répondu par écrit à la Commission et a déposé une plainte contre l’APR. La Commission a mené une enquête sur la conduite de l’APR Adamidis et a conclu que la plainte n’était pas fondée.

 

  1. La deuxième audience a été tenue le 26 avril 2005. Un nouvel APR a été désigné pour l’audience. La Commission a déterminé qu’elle n’entendrait pas le témoignage des agents d’immigration, mais que les notes prises au PE n’avaient pas à être exclues. Le commissaire a décidé qu’il n’avait pas à se récuser, aucun des incidents susmentionnés n’ayant entaché sa neutralité.

 

[5]        L’allégation de partialité du demandeur s’étend au-delà des agissements du commissaire siégeant dans cette affaire pour viser également les agissements de tous les agents qui sont intervenus dans son dossier. Il conteste l’ensemble des procédures relatives au traitement de sa demande d’asile. Le demandeur estime qu’il y a eu « collusion » et que cela l’a empêché d’obtenir une audition impartiale. À son avis, la collusion et donc le fondement de son allégation de partialité sont démontrées par les faits suivants :

 

  • une entrevue par un agent d’immigration au point d’entrée qui aurait été abusive;
  • les agissements de l’APR Adamidis qui a communiqué avec un témoin éventuel;
  • l’omission du superviseur de l’APR Adamidis de prendre des mesures disciplinaires prises contre lui;
  • les « cris » du deuxième APR durant l’audience;
  • les sourires « narquois » et les rires du commissaire durant l’audience;
  • le défaut par la Commission de déposer la transcription de la première journée d’audience au dossier certifié du tribunal.

 

[6]        Une crainte raisonnable de partialité « doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. » En l’espèce, la question consiste à déterminer à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, la Commission, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? C’est le critère qu’a établi le juge de Grandpré, dissident dans l’arrêt de principe Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, critère qui a par la suite été adopté universellement en jurisprudence canadienne comme étant le bon critère d’objectivité.

 

[7]        La question de la crainte de partialité doit concerner le décideur. Qui était le décideur en l’espèce? Il est manifeste que les agissements des agents d’immigration au point d’entrée ne sont pas pertinents quant à l’allégation de partialité; ces gens sont des employés de Citoyenneté et Immigration Canada et ne sont pas liés (sauf à titre de fonctionnaires fédéraux) à la Commission. Rien au dossier n’indique qu’ils ont influencé la Commission d’une quelconque manière. Le demandeur n’a pas indiqué d’éléments de preuve démontrant leur intervention dans le processus décisionnel en l’espèce.

 

[8]        En ce qui concerne la Section de la protection des réfugiés, le demandeur fait apparemment valoir que les membres de la Commission, l’APR et le personnel administratif devraient être considérés comme une seule entité décisionnelle. Cette allégation n’a été étayée ni par la preuve ni par la jurisprudence.

 

[9]        La Commission est un tribunal administratif indépendant dont les membres sont nommés par le gouverneur en conseil. Quant aux membres du personnel, ils sont les employés du Conseil du Trésor, qui est l’employeur ultime. Il est vrai que la Commission est appuyée dans son travail par le personnel administratif qui englobe les APR et leurs superviseurs. Toutefois, il ne s’ensuit pas que les agissements du personnel administratif soient réputés être ceux des commissaires.

 

[10]      En l’occurrence, le décideur est le commissaire qui a entendu et tranché la présente affaire. Je dois donc examiner en l’espèce les agissements de la Commission au regard de la norme établie par le critère de la crainte raisonnable de partialité. À ce sujet, le demandeur a exprimé trois préoccupations : (1) le traitement de l’APR Adamidis par la Commission; (2) l’absence de réaction de la Commission concernant la conduite du deuxième APR; (3) la conduite de la Commission pendant l’audience.

 

[11]      J’examine en premier lieu les agissements de la Commission avant le début de la deuxième journée d’audience. Précisément en raison des actions de l’APR Adamidis, le demandeur a demandé, après le premier jour d’audience, que le commissaire se récuse et continue à faire valoir, devant la Cour, que le commissaire aurait dû se récuser. En refusant de le faire, le membre a indiqué : [traduction] « À mon avis, il ne s’est rien passé avant aujourd’hui qui pourrait m’empêcher de rendre une décision neutre. » Je suis d’accord avec la Commission. Les communications qui concernaient le demandeur ont été échangées entre l’APR et l’agent d’immigration et la Commission n’y a pas pris part. De plus, lorsque la question concernant l’allégation de conduite déplacée de l’APR a été soulevée, la Commission a décidé d’ajourner l’audience en dépit du fait que les deux parties souhaitaient continuer. La Commission a accordé aux parties l’occasion de présenter des observations sur cette question et a déterminé en définitive que l’APR devait être remplacé. Elle a également décidé de ne pas entendre les témoignages des deux agents d’immigration ayant fait les entrevues au point d’entrée. J’estime que la Commission a pris des mesures démontrant qu’elle portait une grande attention à l’équité du processus. Rien n’indique que les agissements de l’APR Adamidis ont faussé la perception qu’avait le commissaire de cette affaire ou que ce dernier a pris part à ces agissements ou qu’il était de connivence avec l’APR. Aucun des agissements de la Commission en relation avec l’APR ne peut être considéré, quelle que soit la norme appliquée, comme soulevant une crainte raisonnable de partialité.

 

[12]      La décision de la Commission de ne pas exclure les notes prises au point d’entrée n’était pas favorable au demandeur, puisque ces notes ont plus tard servi à cerner des contradictions dans son témoignage. Toutefois, je ne crois pas qu’un tiers impartial estimerait que la décision de la Commission était partiale. Les notes en soi constituaient des éléments de preuve importants et pertinents et rien n’indiquait qu’elles avaient été modifiées par l’APR Adamidis ou qu’elles avaient été entachées de quelque manière par les communications de celui-ci avec les agents d’immigration.

 

[13]      La deuxième préoccupation exprimée concerne la conduite du commissaire et du deuxième APR lors de l’audience. Aucun élément des transcriptions de la seconde audience n’indiquent la présence d’irrégularités graves. On retrouve, aux pages 255 à 259, les passages pertinents du dossier certifié du tribunal où le conseil du demandeur affirme que l’APR l’invectivait lui et le demandeur, et que le commissaire lui souriait et semblait sur le point de rire de lui. Aucune autre accusation de cette nature n’a été formulée par le conseil. Après examen de l’ensemble des transcriptions, je suis convaincue que cela semble avoir été un incident isolé. L’APR m’a semblé faire preuve de circonspection, de prudence et de sensibilité dans sa formulation des questions et son acceptation des réponses du demandeur. Selon mon interprétation, elle était sensible aux apparentes difficultés de traduction. De même, il ne m’a pas semblé que le commissaire ait mis de la pression sur le demandeur concernant une question particulière. L’APR et le membre ont tous deux répété ou reformulé leurs questions à plusieurs reprises, mais c’était manifestement en raison de problèmes de traduction ou des difficultés qu’éprouvait le demandeur à comprendre les questions.

 

[14]      Dans l’ensemble, la transcription de la deuxième audience n’étaie pas l’idée que le membre de la Commission ou l’APR ont mal traité le demandeur ou que le membre s’était déjà formé une opinion de l’affaire.

 

[15]      Pour conclure, j’estime, au vu du dossier qui m’a été soumis, qu’un observateur impartial raisonnable ne croirait pas que, selon toute vraisemblance, la Commission rendra une décision injuste. L’allégation de crainte de partialité n’est pas fondée.

 

Question #2: La Commission a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables sur la crédibilité?

[16]      Bien que la Commission ait mentionné la question de la protection de l’État, elle est arrivée à la conclusion évidente que le demandeur n’a pas présenté de preuve crédible ou digne de foi pour étayer sa demande, que ce soit comme réfugié au sens de la Convention ou comme personne à protéger. Le demandeur soutient que plusieurs conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables. Il conteste plus particulièrement les six conclusions suivantes :

 

  • la Commission a tiré une inférence négative du fait que [traduction] « lors de l’audience, le demandeur n’a pas admis avoir utilisé un [faux] document dans sa demande [de visa canadien de visiteur (VCV)] jusqu’à ce qu’il soit confronté à la réponse qu’il avait donnée aux bureaux de CIC. »

 

  • la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur [traduction] « modifiait son témoignage à mesure que l’audience avançait » en ce qui concerne le moment où les autres familles ont quitté son village.

 

  • la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur a indiqué deux dates différentes (1999 et 2000) à l’agent d’immigration au point d’entrée et lors de l’audience comme étant l’année à laquelle il s’est joint officiellement au LDK.

 

  • la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n’a pas mentionné dans son témoignage le harcèlement allégué par les soldats de l’Armée de libération du Kosovo (ALK).

 

  • l’allégation portant que des membres du LDK étaient tués constituait « uniquement des conjectures du demandeur, celui-ci n’ayant pas présenté d’éléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer que des membres du LDK étaient tués par des membres d’autres partis politiques. »

 

  • la Commission a tiré une inférence négative du fait que le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile pendant son séjour de deux mois en France.

 

[17]      Les conclusions sur la crédibilité sont au cœur même du pouvoir discrétionnaire de la Commission et personne n’est en meilleure position pour jauger la crédibilité et tirer les inférences qui s’imposent (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable; la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision ne soit aucunement étayée en preuve ou qu’elle soit fondée sur une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission dispose (alinéa 18.1(4)d), Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7).

 

[18]      Je me suis penchée sur les erreurs alléguées dans le dossier dont je suis saisie et j’estime que ni ces conclusions ni la décision, vue dans son ensemble, ne sont manifestement déraisonnables.

 

[19]      Le demandeur fait valoir que certaines conclusions (concernant l’année à laquelle il s’est joint au LDK et l’allégation relative à son VCV) sont le résultat d’un examen à la loupe au sens de la décision Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.). Je ne suis pas d’accord. Bien que les deux conclusions mentionnées, considérées isolément, semblent de peu d’importance, elles constituent des conclusions sur la crédibilité qui sont appuyées par une multitude d’autres problèmes dans le témoignage du demandeur. En l’espèce, on ne saurait reprocher à la Commission de faire preuve de rigueur. Aussi, j’estime que la question du VCV du demandeur constitue, plus particulièrement, un aspect important de sa demande.

 

[20]      Le demandeur n’a pas fourni d’explications raisonnables pour les autres omissions ou contradictions. La Commission a le droit de rejeter les explications d’un demandeur si elle les estime déraisonnables (Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.); Huang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (2001), 213 F.T.R. 14, 2001 CFPI 1239). En l’espèce, la Commission a invoqué des motifs valables pour justifier le rejet des explications lorsque cela s’est avéré nécessaire.

 

[21]      Contrairement aux allégations du demandeur, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de tirer une inférence négative des réponses changeantes du demandeur quant à savoir si les familles ou les membres des familles s’étaient tous enfuis devant la menace des Serbes, si certains d’entre eux étaient demeurés sur place pour se battre ou encore si peu ou beaucoup d’entre eux étaient demeurés sur place. Il appartenait à la Commission de déterminer si le demandeur se contredisait et si, de façon générale, son témoignage était non crédible. Le demandeur soutient que la Commission passe à côté de la question parce que la seule question pertinente est de savoir comment sa famille et lui ont été perçus par la communauté à leur retour. J’estime que l’intérêt de la Commission dans ce témoignage était directement lié à cette question. L’étendue des connaissances du demandeur quant à savoir qui avait fui les Serbes et qui n’avait pas fui était pertinente pour déterminer a) s’il savait réellement combien de familles avaient laissé certains de leurs membres sur place pour combattre les Serbes et b) s’il était logique que le demandeur et sa famille soient ciblés comme étant la seule famille qui n’avait laissé personne derrière pour se battre.

 

[22]      En ce qui concerne le fait que le demandeur n’a pas présenté de demande d’asile en France, la Commission était en droit de conclure que ceci affaiblissait sa crainte de persécution, surtout que son séjour en France a duré deux mois. Le demandeur allègue que la Commission a ignoré l’explication qu’il a donnée lors de son témoignage et dans son FRP. Il a expliqué que son plan a toujours été d’immigrer au Canada, qu’il a dû séjourner en France en raison d’une interruption de ses projets de voyage; pour l’essentiel, qu’il n’était pas intéressé à demeurer en France, même s’il a été contraint d’y séjourner deux mois. Un principe fondamental de la protection des réfugiés est qu’une personne qui craint véritablement la persécution fait des efforts raisonnables pour présenter une demande d’asile dès qu’elle en a l’occasion. Ayant été retenu en France contre toute attente, pourquoi le demandeur n’a-t-il fait aucun effort pour présenter une demande d’asile dans ce pays, en dépit de son plan d’origine qui était de se rendre directement au Canada? En conséquence, même si le séjour du demandeur en France était imprévu, la Commission était en droit de tirer une inférence négative de son défaut de présenter une demande en France. À la lumière des autres préoccupations en matière de crédibilité, j’estime que la Commission n’a pas commis d’erreur.

 

[23]      Enfin, je souligne que la Commission a tiré environ 13 inférences négatives s’agissant de la crédibilité. Seulement six d’entre elles sont contestées. Même si le demandeur avait démontré que la Commission avait commis une erreur sur ces questions, les autres conclusions seraient suffisantes pour étayer une décision défavorable en ce qui touche la crédibilité.

 

Question #3: La Commission a-t-elle manqué à son obligation d’équité envers le demandeur en suivant les Directives no7?

[24]      Le demandeur fait valoir que, au début de la deuxième audience, le commissaire « a plongé » et a mené un interrogatoire principal sans prévenir son conseil qu’il agissait ainsi en application des Directives no7. Il souligne que, dans les décisions Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, et Jin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 57, la Cour a décidé que les Directives no7 entravent le pouvoir discrétionnaire de la Commission. Le demandeur concède cependant ne pas s’être opposé à l’application des directives lors de l’audience. Cette question n’a non plus été soulevée ni dans l’avis de demande ni dans le dossier du demandeur; ce n’est que dans l’exposé additionnel des arguments du demandeur qu’elle l’a été.

 

[25]      Même à supposer, comme le soutient le demandeur, que les Directives no7 entravent le pouvoir discrétionnaire de la Commission, la question soulevée dans la présente instance consiste à savoir si, en ne s’opposant pas à l’application des Directives no7 lors de l’audience, le demandeur a renoncé à son droit de soulever cette question à l’étape du contrôle judiciaire. Bien qu’elle n’ait pas été examinée par la Cour dans l’affaire Thamotharem, cette question l’a été par le juge Mosley dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461. Relativement à la question dont je suis saisie, le juge Mosley est arrivé à la conclusion suivante au paragraphe 237 :

 

Le principe de common law relatif à la renonciation exige qu’un demandeur soulève une allégation de partialité ou un manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion raisonnable. Si les avocats sont d’avis que l’application des Directives no 7 dans un cas particulier entraînerait pour leurs clients un déni du droit à une audience équitable, la première occasion de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se présentera avant chaque audience mise au rôle conformément aux Règles 43 et 44, ou de vive voix au cours de l’audience. Le fait de ne pas formuler d’objection au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles-mêmes.

 

[26]      Sur cette question, je souscris à l’analyse et à la conclusion du juge Mosley. Le fait que le demandeur n’ait pas soulevé le problème relatif aux Directives no7 lors de l’audience devant la Commission doit être interprété comme une renonciation implicite à invoquer toute atteinte à l’équité susceptibles de leur application.

 

[27]      De plus, je conviens de certifier les mêmes questions que le juge Mosley dans Benitez.

 

Conclusion

[28]      En conclusion, la décision de la Commission est confirmée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[29]      Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification concernant l’une ou l’autre des deux premières questions. Relativement aux Directives no7, des questions ont été certifiées dans Thamotharem et Benitez concernant directement la demande dont je suis saisie et que je certifierai de même dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. J’adopte les questions certifiées par le juge Mosley dans Benitez à titre de questions certifiées dans la présente demande.

 


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les questions graves de portée générale suivantes soient certifiées :

1.      Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

 

2.      L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

 

3.      L’application des Directives no 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

 

4.      Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie-t-elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

 

5.      Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne-t-il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

 

6.    Les Directives no 7 sont-elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

7.    Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l'application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

 

« Judith A. Snider »

                                                                                                ____________________________

                                                                                                                        Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christine Gendreau, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4637-05

 

INTITULÉ :                                       SALI MULLIQI c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 4 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Randal Montgomery

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Randal Montgomery, Toronto (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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