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Date : 20000826


Dossier : IMM-4821-99


ENTRE :



MIRMAHMUD Hasan

SYEDA Monirunnessa

KANIZ Murshida

MIR Quaif Hasan

SEYDA Marzana Mahi


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX :

INTRODUCTION

[1]      Mirmahmud Hasan est un citoyen du Bangladesh, un pays où il est une personnalité en raison de sa participation à la guerre d'indépendance menée en 1971 et de son rôle de commandant au sein de la Bangladesh Freedom Fighters Association (la BFFA), à laquelle il s'était joint en 1974.

[2]      Il s'est enfui du Bangladesh en compagnie de sa famille le 10 septembre 1996, après que la Awami League a remporté les élections générales de juin de cette année-là, élections à l'occasion desquelles il avait prononcé des discours en faveur du Bangladesh Nationalist Party (le BNP) et contre la Awami League, le parti qui a été appelé à former le nouveau gouvernement.

[3]      Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié en raison de sa crainte d'être persécuté par la Awami League. Il a soutenu qu'immédiatement après les élections générales du 12 juin 1996, des fiers-à-bras de la Awami League ont attaqué et pillé sa demeure afin de le punir pour avoir soutenu publiquement le BNP. Il a réussi à s'enfuir en compagnie des autres membres de sa famille, se réfugiant chez un parent. Il a dit qu'il avait porté plainte aux autorités policières, mais que personne n'avait été arrêté. Il a soutenu que les autorités policières ont fait une descente à sa demeure en juillet 1996 et qu'elles avaient l'intention de l'arrêter vu que son nom figurait sur une liste de terroristes.

[4]      Le 4 septembre 1999, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le Tribunal) a déterminé que le demandeur principal et les autres membres de sa famille n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. La présente demande de contrôle judiciaire conteste cette décision du Tribunal.

LA CONTESTATION DES DEMANDEURS

[5]      Les arguments de l'avocat des demandeurs portaient principalement sur trois points.

[6]      Premièrement, il a soutenu que le Tribunal a commis une erreur déterminante lorsqu'il a omis d'analyser et de mentionner trois éléments de preuve documentaire que le demandeur principal a produits et qui se rapportaient expressément à sa revendication; l'avocat a fait valoir que ces éléments contredisaient la conclusion du Tribunal, savoir que le revendicateur n'a pas produit suffisamment d'éléments de preuve pour étayer ses allégations selon lesquelles il avait une crainte fondée d'être persécuté en raison de ses opinions politiques et qu'en conséquence, il y avait moins qu'une simple possibilité qu'il serait persécuté s'il retournait au Bangladesh.

[7]      Deuxièmement, l'avocat des demandeurs a avancé que le Tribunal a omis de tenir compte de certains éléments de preuve ou qu'il les a mal interprétés. L'avocat s'est dit d'avis que le Tribunal a commis une erreur lorsqu'il a omis de considérer la raison fondamentale pour laquelle la Awami League chercherait à se venger et voudrait persécuter son client après les élections générales de juin 1996.

[8]      Les demandeurs ont dit qu'il ressortait de la preuve, non contredite, que la Awami League souhaitait que les Freedom Fighters se joignent à elle et que le demandeur principal s'était toujours opposé à l'idée que la Bangladesh Freedom Fighters Associations appuie un parti politique. De plus, en raison de sa notoriété, que le Tribunal a d'ailleurs reconnue, il avait prononcé des discours en public pendant la campagne électorale dans lesquels il s'opposait à la Awami League et la critiquait et demandait aux électeurs de se prononcer contre elle. Il incitait également les Freedom Fighters à ne pas travailler pour la Awami League.

[9]      Troisièmement, l'avocat des demandeurs a soutenu que le Tribunal s'est posé la mauvaise question. La question n'était pas de savoir s'il existait une relation privilégiée entre les Freedom Fighters et le gouvernement et la Awami League, mais plutôt de savoir si des éléments de preuve de fond pouvaient raisonnablement mener le Tribunal à conclure que la Awami League ne persécuterait pas le demandeur principal simplement parce qu'il avait été un Freedom Fighter.

[10]      L'avocat des demandeurs a fait valoir que le Tribunal avait omis de considérer, ou encore mal apprécié, la preuve selon laquelle la Awami League n'était pas en mesure de contrôler le district de la BBFA du demandeur principal en raison de la popularité et de la prise de position de ce dernier, mais que depuis qu'il a quitté son pays, elle contrôle effectivement ce district.

LA RÉPONSE DU DÉFENDEUR

[11]      L'argument fondamental de l'avocat du défendeur a comme point de départ la proposition selon laquelle le Tribunal a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité, c.-à-d. qu'il n'a pas cru le récit du demandeur principal, ayant conclu que ce récit était invraisemblable pour deux raisons : 1) sa conclusion que l'engagement politique du demandeur jusqu'aux élections générales avait été limité et que les activités politiques qu'il avait menées pour appuyer le candidat du BNP en juin 1996 n'étaient pas de nature à mettre sa vie en danger, et 2) la relation privilégiée qu'il y a entre les Freedom Fighters et la Awami League.

[12]      En ce qui concerne le premier point, savoir qu'il n'est pas un activiste politique, l'avocat du défendeur a souligné les trois paragraphes suivants, qui se trouvent à la page 4 de la décision du Tribunal :

[TRADUCTION]
     Le revendicateur soutient qu'il était un membre actif du BNP. Dans son récit, cependant, il décrit très peu d'activités politiques autres que certains événements connus de façon générale et auxquels plusieurs membres ont publiquement participé. La formation est d'avis que compte tenu du manque de renseignements au sujet des activités politiques que le revendicateur soutient avoir menées jusqu'à la tenue des élections générales de 1996, le revendicateur n'était pas une personnalité politique et il était mieux connu en tant que Freedom Fighter.
     Le revendicateur soutient qu'il est devenu un membre en bonne et due forme du BNP en janvier 1996. À cette époque, il a commencé à travailler pour son candidat local aux élections qui devaient avoir lieu le 12 juin. Le revendicateur dit dans son récit qu'il s'est servi de l'organisation des Freedom Fighters pour s'adresser aux gens afin de leur demander de ne pas voter pour le Jamaat-E-Islami ni la Awami League. C'est pour cette raison, soutient-il, qu'il est devenu la cible de la Awami League.
     À l'audition, le revendicateur a déclaré que chaque parti, sauf le Jamaat, comprenait des Freedom Fighters, bien qu'au sein de l'Association elle-même, ils ne représentaient pas l'un ou l'autre parti. La formation estime qu'on peut en dire autant du revendicateur. Il est clair qu'il était d'abord et avant tout un Freedom Fighter et non un activiste politique. La formation n'estime pas que sa brève appartenance au BNP et les activités qu'il a menées pour appuyer le candidat du BNP en juin 1996 étaient telles que ses activités politiques auraient mis sa vie en danger. [Non souligné dans l'original.]

[13]      L'avocat du défendeur a soutenu qu'il ressortait clairement de la transcription que le Tribunal souhaitait que le demandeur principal clarifie le fondement de sa crainte d'être persécuté et la raison pour laquelle il aurait été persécuté. Le Tribunal n'était essentiellement pas convaincu qu'il avait rempli le fardeau qui lui incombait à cet égard.

[14]      Pour ce qui est du deuxième volet de la conclusion que le Tribunal a tirée en matière d'invraisemblances, l'avocat du défendeur a souligné les paragraphes suivants de la décision du Tribunal au sujet de la relation privilégiée qu'il existait entre le gouvernement et les Freedom Fighters :

[TRADUCTION]
     En outre, plusieurs articles ont été produits à A-10 pour étayer les renseignements du revendicateur au sujet de la BBFA et de la AL (Awami League). À l'occasion d'une entrevue avec le président des FF, il dit qu'avec l'aide du gouvernement de la AL, l'Association pourra informatiser la liste des Freedom Fighters. Il y a plus de 100 000 FF qui reçoivent de l'aide du gouvernement, soit des prestations de l'État, des prestations médicales, des emplois pour leurs enfants et de l'aide financière d'une caisse fiduciaire de bien-être des Freedom Fighters. La formation n'estime pas que le revendicateur est crédible lorsqu'il soutient qu'il est persécuté par la AL.
     Enfin, la formation a remarqué que le revendicateur a quitté son pays au moment même où on se préparait à souligner le Liberation War Siver Jubilee. Plusieurs articles produits à A-10 décrivent une atmosphère de collaboration et de bonne volonté de la part de tous les partis politiques et de centaines d'organisations en vue d'honorer les héros de l'Indépendance. Invité à expliquer comment les autorités policières avaient pu mettre un héros comme lui sur une liste de terroristes, le revendicateur a répondu que les autorités policières et la loi subissaient l'influence du gouvernement. La formation estime que cette réponse est valable mais invraisemblable, compte tenu des documents susmentionnés au sujet des FF et des bonnes relations qu'ils entretenaient avec le gouvernement.
     La formation n'estime pas que le revendicateur est crédible lorsqu'il soutient qu'il a été attaqué et que sa maison a été saccagée le 26 juin 1996 par des fiers-à-bras de la AL. La formation estime qu'il est invraisemblable que le revendicateur serait la cible de la AL et des autorités policières et que sa vie serait en danger alors que le président de son organisation, M. Abdula Ahad Chowdhury, déclarait dans la presse, en faisant référence à la Awami League, qu' « il s'agit d'un gouvernement de Freedom Fighters » . Dans l'ensemble, le récit du revendicateur n'est pas digne de foi.
                                 [Non souligné dans l'original.]

L'ANALYSE ET LES CONCLUSIONS

a)      Premier motif - les documents particuliers et personnels -

     l'omission de faire des remarques

[15]      Comme il a déjà été souligné, les demandeurs soutiennent que le Tribunal a commis une erreur déterminante lorsqu'il a omis de tenir compte des éléments de preuve documentaire particulière et personnelle que le demandeur principal a fait valoir, d'analyser ces documents au regard de la revendication et, parce que la preuve documentaire contredisait la conclusion à laquelle il était parvenu, de respecter l'obligation plus grande qui lui incombait de dire pourquoi il rejetait cette preuve ou lui préférait d'autres éléments de preuve.

[16]      Voici les éléments de preuve documentaire que le demandeur principal a produits : 1) une lettre du secrétaire général de l'unité du district de Satkhira du BNP datée du 11 novembre 1997; 2) une lettre datée du 9 novembre 1997 du commandant de l'unité de Satkhira de la BBFA; et 3) la lettre du 12 novembre 1997 de l'avocat des demandeurs.

[17]      En général, toutes ces lettres disaient la même chose. Elles mentionnaient que le demandeur principal appartenait au BNP, qu'il était un combattant de la liberté bien en vue, que sa demeure avait été saccagée par des fiers-à-bras de la Awami League en raison des activités politiques qu'il avait menées dans le cadre des élections générales de 1996, et elles confirmaient que les autorités policières le recherchaient en vue de l'arrêter. En particulier, son représentant légal au Bangladesh a dit :

[TRADUCTION] Après que j'ai été désigné pour le représenter, j'ai communiqué avec les autorités policières. Les autorités policières n'étaient pas disposées à me fournir de renseignements sur cette affaire. J'ai communiqué de nouveau avec elles. Les autorités policières m'ont dit que M. Hasan était considéré comme un terroriste et que son nom figurait sur une liste de terroristes qu'elles avaient préparée.
À l'heure actuelle, les autorités policières souhaitent arrêter M. Hasan aux termes de l'article 54 du Code criminel.

[18]      Pour étayer la position des demandeurs selon laquelle le Tribunal a commis une erreur déterminante dans la façon dont il a tenu compte de cet élément de preuve, l'avocat de ces derniers a cité deux décisions récentes de mes collègues les juges Denault et McGillis.

[19]      Dans la décision Khawaja c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, dossier IMM-5385-98, M. le juge Denault a énuméré les éléments de preuve documentaire en cause dans cette affaire, soit des lettres faisant état de l'engagement social du demandeur à l'égard de l'oppression des femmes, son appartenance au parti Jatiya, au sein duquel il a même été élu trésorier de l'une de ses branches, et enfin une lettre de son avocat au Bangladesh, qui décrivait les problèmes que lui causaient les autorités policières (arrestations, torture, pots-de-vin).

[20]      Monsieur le juge Denault a par la suite identifié l'une des erreurs qui justifiaient l'intervention de la Cour. Voici ce qu'il a dit au paragraphe 9 de sa décision :

     De plus, le tribunal a aussi erré en concluant à la non-crédibilité du demandeur principal quant à son engagement politique avec le parti Jatiya et au fait qu'il soit recherché par la police, alors qu'une preuve indépendante, spécifique au demandeur, corroborait pourtant son témoignage à ce sujet. Le tribunal n'a pas soufflé mot de cette preuve qui non seulement corroborait des aspects importants de sa revendication, mais à tout le moins venait appuyer la crédibilité de son témoignage [Citations omises].

[21]      La deuxième décision qui a été portée à mon attention est celle que Madame le juge McGillis a rendue le 17 février 1999 dans l'affaire Numbi c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, dossier IMM-1378-98. Dans cette affaire, Madame le juge McGillis était saisie d'éléments de preuve documentaire particulière et personnelle qui corroboraient des éléments principaux d'une revendication et, en particulier, d'un article de journal qui mentionnait que le demandeur avait été brutalisé en raison de ses activités d'opposition et d'une lettre d'un parti politique, le UPDS, qui avait confirmé que le demandeur avait été brutalisé à l'occasion d'une manifestation, qu'il était recherché par les autorités policières en raison de son engagement politique, et que sa vie était en danger. Madame le juge McGillis a souligné que la Commission n'avait renvoyé dans son analyse ni à ces documents, ni aux autres documents que le demandeur avait produits pour étayer sa revendication. Elle a conclu, au paragraphe 4 de sa décision :

     Je souscris à l'argument de l'avocat du demandeur. À mon avis, le fait que la Commission a omis de traiter dans son analyse des éléments de preuve documentaire particuliers et personnels qui paraissaient corroborer des aspects importants de la revendication déposée par le demandeur
constitue une erreur susceptible de contrôle. [Voir Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), Imm. L.R. (2d) 296, à la p. 300 (C.F. 1re inst.).]

[22]      L'avocat du défendeur a reconnu que le Tribunal n'a pas renvoyé à deux des trois lettres et qu'il ne les a pas analysées. Il a dit que la formation a tenu compte de la lettre du président du district de Satkhira, mais qu'elle a estimé qu'il s'agissait d'une lettre intéressée qui ne fournissait pas de renseignements au sujet des activités du revendicateur au sein de la BFFA après 1990.

[23]      L'avocat du défendeur se fonde sur la décision que M. le juge Rouleau a rendue dans l'affaire Songue c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (dossier IMM-3391-95, 26 juillet 1996) en se fondant sur l'arrêt Sheikh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1990] 3 C.F. 238, de la Cour d'appel fédérale, pour étayer sa prétention selon laquelle le Tribunal n'est pas tenu de dire expressément qu'il rejette un élément de preuve documentaire s'il n'estime pas que les circonstances donnent lieu à cet élément de preuve.

[24]      À mon avis, les décisions Khawaja et Numbi, précitées, s'appliquent parfaitement aux circonstances de la présente espèce, dans laquelle le revendicateur a produit des éléments de preuve documentaire indépendante qui corroboraient ses prétentions, revêtaient une importance certaine relativement au fait que les autorités policières cherchaient à l'arrêter pour des motifs inventés de toutes pièces, et qui n'ont été ni reconnus, ni analysés, ni expliqués. Le Tribunal a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard.

[25]      À mon avis, ni la décision Songue, précitée, ni l'arrêt Sheikh, précité, sur lequel se fonde cette décision, ne s'appliquent en l'espèce. J'estime qu'il ressort de ces deux décisions que le principe qui consiste à rejeter l'ensemble de la preuve du demandeur se fonde sur une conclusion générale que ce dernier manquait de crédibilité, c.-à-d. qu'il n'était pas un témoin digne de foi vu que son témoignage était, par exemple, contredit par d'autres éléments de preuve, ou qu'il était contradictoire. En l'espèce, le Tribunal n'a pas conclu que le demandeur n'était pas digne de foi, c-.à-d. qu'il était une personne qu'on ne pouvait pas croire. Le Tribunal a fondé sa décision sur ce qui, selon lui, était des invraisemblances.

     b)      Motifs 2 et 3 - L'erreur et la mauvaise question - les invraisemblances

[26]      L'arrêt de principe en matière d'invraisemblances est celui que la Cour d'appel fédérale a rendu dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, dans lequel le juge Décary a dit, au paragraphe 4 :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[27]      La Cour n'infirmera pas des conclusions qui ont été tirées en matière d'invraisemblances (qui constituent des conclusions de fait) pourvu que les inférences tirées par le Tribunal n'étaient pas déraisonnables et qu'elles étaient fondées sur la preuve.

[28]      Voici ce que M. le juge Cory a dit dans l'arrêt Conseil de l'éducation de la cité de Toronto c. Fédération des enseignants-enseignantes des écoles secondaires de l'Ontario, district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, à la page 508, dans le cadre d'une affaire portant sur le contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre :

     Lorsqu'une cour de justice contrôle les conclusions de fait d'un tribunal administratif ou les inférences qu'il a tirées de la preuve, elle ne peut intervenir que « lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal » .

[29]      La principale conclusion que le Tribunal a tirée en matière d'invraisemblances et, à mon avis, la principale raison pour laquelle il n'a pas cru le récit du demandeur principal, est le fait qu'il était un Freedom Fighter bien connu parmi les quelques 100 000 Freedom Fighters qui se trouvaient dans le pays, et qu'il existait un relation privilégiée entre ces derniers le gouvernement de même que divers partis politiques, dont la Awami League, mais non le parti Jamaat-E-Islami, qui s'était opposé au mouvement d'indépendance en 1971.

[30]      Le Tribunal a cité de nombreux articles que le demandeur principal a produits et qui indiquaient qu'il était appuyé, dans le cadre de ses activités au sein de la BFFA, par des membres qui appartenaient à divers partis politiques et qui provenaient de divers horizons. Le Tribunal a dit que des membres du BNP, de la Awami League, de même que plusieurs professionnels, avocats, ingénieurs et professeurs d'université, sauf des membres du Jamaat-E-Islami, assistaient aux réunions de la BBFA.

[31]      Le Tribunal cite, dans sa décision, une occasion à laquelle l'avocat de la BFFA (dont le demandeur principal était membre) avait tenu une réception dans un restaurant chinois pour souligner le départ du commandant du 35th Rifle Battalion et l'arrivée du nouveau commandant, un lieutenant-colonel. Le Tribunal a souligné que parmi les invités, on comptait le chef de police, le chef de police adjoint et le juge du district.

[32]      En examinant la preuve, le Tribunal a dit que le demandeur principal avait reconnu que les Freedom Fighters recevaient de l'aide du gouvernement de la Awami League, mais que les bénéficiaires de cette aide étaient les héros bien connus et non les autres anciens combattants.

[33]      Le Tribunal a souligné que les articles que le demandeur principal avait produits indiquaient que le gouvernement de la Awami League aidait la BFFA à informatiser la liste de ses membres. Le Tribunal a mentionné que des Freedom Fighters recevaient de l'aide gouvernementale, soit des prestations de l'État, des prestations médicales, des emplois pour leurs enfants et de l'aide financière d'une caisse fiduciaire de bien-être. Enfin, le Tribunal a souligné le fait que le demandeur principal avait quitté son pays au moment même où l'on s'apprêtait à souligner le Liberation War Siver Jubilee, et que les articles décrivaient l'atmosphère de collaboration et de bonne volonté de la part de tous les partis politiques et de centaines d'organisations en vue d'honorer les héros de l'indépendance.

[34]      Sur le fondement de cette preuve, le Tribunal a plusieurs fois conclu dans sa décision que le revendicateur n'aurait pas fait l'objet de discrimination de la part du gouvernement ou de l'un ou l'autre de ses organismes, qu'il ne serait pas persécuté par la Awami League vu qu'il avait de bons contacts avec certains de ses membres dans le cadre de ses activités au sein de la BFFA, qu'étant donné que le gouvernement appuyait les Freedom Fighters, il ne serait pas persécuté par la Awami League, et qu'il était invraisemblable que son nom paraisse sur une liste de terroristes préparée par les autorités policières, vu les bonnes relations que les Freedom Fighters entretenaient avec le gouvernement.

[35]      Il est clair que le Tribunal était fasciné par le fait que le demandeur était un Freedom Fighter, un héros de la nation, un commandant au sein de la BFFA, et qu'il a conclu que le statut de ce dernier l'immunisait contre toute persécution possible de la part de la AL.

[36]      En annonçant la pause de l'avant-midi, le président du Tribunal s'est tourné en direction du demandeur principal et lui a dit :

[TRADUCTION] Votre récit est si fascinant que nous ne voyons pas le temps passer.

[37]      Ayant examiné l'ensemble du dossier, je suis convaincu que le Tribunal n'a pu conclure que le demandeur ne pouvait être persécuté qu'après avoir négligé de tenir compte de la preuve dont il disposait ou de l'avoir mal interprétée. Le Tribunal a notamment : 1) omis de tenir compte du témoignage du demandeur principal selon lequel il avait eu plusieurs affrontements, avant 1996, avec la Awami League dans le contexte de son opposition à leur prise de contrôle de la BFFA pour des fins politiques ; 2) omis de tenir compte de la prise de position publique du demandeur principal, en 1991, contre la Awami League dans le cadre de la campagne électorale de cette année-là; 3) omis d'analyser le fait qu'en 1996, le demandeur principal s'était publiquement joint au BNP, un parti politique opposé à la Awami League, qu'en janvier de cette année-là, il avait prononcé un discours dans lequel il avait attaqué la Awami League et invité le public à voter pour le BNP, et qu'il avait été agressé par des fiers-à-bras de la Awami League après avoir prononcé ce discours; 4) rejeté le fait que lors de la campagne électorale menant aux élections de juin 1996, il s'était ouvertement opposé à la Awami League dans ses discours; 5) négligé de tenir compte de la preuve établissant ce qui est arrivé à d'autres Freedom Fighters qui se trouvaient dans une situation similaire et qui s'étaient opposés à la Awami League; 6) omis de tenir compte des Country Reports du Département d'État américain sur le Bangladesh qui mentionnaient qu'après les élections de 1996, il y a eu des arrestations d'opposants politiques.

[38]      Compte tenu des éléments de preuve dont le Tribunal n'a pas tenu compte, j'ai conclu sans la moindre hésitation que les conclusions du Tribunal en matière d'invraisemblances n'étaient pas raisonnables et qu'elles exigaient l'intervention de notre Cour. Voir les arrêts Huerta c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 157 N.R. 225, et Tagari c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, A-353-91, 20 juin 1994 (C.A.F.), dans lequel le juge Hugessen a dit :

La Commission a jugé que l'appelant n'était pas crédible uniquement parce qu'elle estimait invraisemblables certaines parties de son témoignage. Étant donné la preuve documentaire relative à la situation politique en Birmanie et à la répression gouvernementale qui y sévissait au moment du témoignage de l'appelant, nous pouvons seulement dire que les éléments de preuve ne nous semblent offrir aucun fondement rationnel permettant de considérer l'une quelconque des « invraisemblances » mentionnées par la Commission comme étant essentiellement improbable.


LE DISPOSITIF

[39]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal est annulée et la revendication des demandeurs est renvoyée à une formation différemment constituée pour qu'elle l'examine à son tour.

                                 « François Lemieux »

                                     J U G E


OTTAWA (ONTARIO)

LE 26 SEPTEMBRE 2000






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-4821-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MIRMAHMUD HASAN et autres                                  c.

                     MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 23 AOÛT 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :              26 SEPTEMBRE 2000


ONT COMPARU :         

ME JEAN-MICHEL MONTBRIAND                  POUR LE DEMANDEUR

ME FRANÇOIS JOYAL                          POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Doyon, Guertin, Montbriand & Plamondon                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)


M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                      POUR LE DÉFENDEUR

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