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Date : 19990730


Dossier : IMM-5438-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 30 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE LUTFY


ENTRE :

     MOHAMED SALY NAJEEBDEEN,

     demandeur,

     et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     ORDONNANCE

     VU la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur;

     ET après examen des observations écrites présentées par les parties et après l'audience du 14 juillet 1999 à Toronto (Ontario);


LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de la Section du statut de réfugié, en date du 16 septembre 1998, est annulée et l'affaire est renvoyée devant une formation autrement constituée pour y être entendue et tranchée à nouveau.



Allan Lutfy

J.C.F.C.




Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.





Date : 19990730


Dossier : IMM-5438-98

ENTRE :

     MOHAMED SALY NAJEEBDEEN,

     demandeur,

     et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LUTFY :


[1]      Le demandeur, qui est âgé de 34 ans, est citoyen du Sri Lanka. C'est un Musulman tamoul de l'est du pays.

[2]      Les allégations de persécution avancées par le demandeur ont été résumées en termes généraux par une formation de la Section du statut de réfugié :

     [traduction]
     Le demandeur de statut se dit copropriétaire d'un entreprise de transport de paddy, qui aurait, selon lui, été la cible d'exactions et d'autres problèmes que lui auraient causés à la fois la Special Task Force (STF), l'armée, la police, la Indian Peace Keeping Force (IPKF), l'Organisation de libération du Tamoul Eelam (TELO), les Sinhalese Home Guards et les Tigres de libération du Tamoul Eelam (LTTE). Le demandeur a dû endurer ces maux de 1979 jusqu'en mars 1998, date de son départ du Sri Lanka. Il a fui le Sri Lanka en mars 1998 parce que la STF ainsi que la police croyaient qu'il assurait le transport de militants des LTTE et de matériel destiné à cette organisation. La STF l'avait arrêté, puis relâché à condition qu'il collabore à l'arrestation d'un certain militant des LTTE - on a menacé de l'exécuter s'il refusait de collaborer.


[3]      Le tribunal a, sur trois points essentiels, jugé invraisemblable le témoignage du demandeur. On peut en déduire que le tribunal a conclu à la non-crédibilité du demandeur mais, dans ses motifs, le tribunal ne se prononce pas de manière précise sur ce point.

[4]      Les trois conclusions concernant l'invraisemblance du témoignage livré par le demandeur seront examinées tour à tour.

[5]      D'abord, le tribunal a jugé invraisemblable le témoignage du demandeur lorsque celui-ci affirmait avoir eu à faire face aux difficultés que lui créaient sept organisations différentes, se demandant comment [traduction] " ...de telles exactions et mesures de harcèlement auraient pu continuer pendant 19 ans sans que [le demandeur] cherche soit à déménager son entreprise, soit à se trouver une occupation moins dangereuse dans une autre partie du Sri Lanka. " Le tribunal n'a rien ajouté pour étayer sa conclusion sur ce point. Il se contente de conclure à l'invraisemblance sans se livrer à une analyse précise des allégations.

[6]      Aucune mention n'est faite du récit détaillé livré par le demandeur, dans les douze premiers paragraphes consignés avec clarté dans son formulaire de renseignements personnels, concernant plusieurs incidents très précis survenus entre 1983 et 1996, et notamment les rossées, menaces, exactions et, en 1990, l'assassinat de son cousin, qui était également son associé. Selon la transcription de l'audience, le demandeur n'a guère été interrogé sur ces allégations. Avant de parvenir à une conclusion négative aussi générale, le tribunal était tenu d'interroger le demandeur sur les années au cours desquelles il prétendait avoir été harcelé et persécuté. Le tribunal aurait pu évaluer sa crédibilité au vu de ses réponses et de son comportement pendant son témoignage, et exposer, en termes précis, les motifs de sa conclusion.

[7]      La seconde conclusion du tribunal sur la question de la vraisemblance du témoignage est elle aussi insatisfaisante. En l'occurrence, le tribunal s'est concentré sur l'affirmation, par le demandeur, qu'il avait été obligé, en décembre 1997, d'assurer le transport de militants des LTTE, et de marchandises destinées à cette organisation. À l'audience, le demandeur a été interrogé au sujet de ces incidents. Mais, encore une fois, le tribunal a omis d'expliquer, dans sa décision, son appréciation de ce volet précis du témoignage du demandeur.

[8]      Au lieu de cela, le tribunal a évoqué, en termes généraux, les liens existant, dans le conflit avec les LTTE, entre la communauté musulmane tamoule et le gouvernement du Sri Lanka. Selon le tribunal [traduction] " la religion s'est révélée plus forte que la langue. ... Les LTTE ont commis une erreur tactique stratégique [sic ] en s'attaquant à la communauté musulmane dans la province orientale - ils ont saboté toute possibilité d'obtenir, dans la partie est du pays, l'appui des Musulmans d'expression tamoule ". Ni l'une ni l'autre des parties n'a mis en doute ce résumé des preuves documentaires.

[9]      C'est au vu de cette analyse de la preuve documentaire, et sans évoquer par ailleurs le témoignage du demandeur que le tribunal a considéré [traduction] " comme objectivement invraisemblable les affirmations [du demandeur] lorsque celui-ci prétend que les LTTE avaient utilisé son entreprise de transport pour transporter du matériel et des membres de l'organisation. Nous estimons improbable que les LTTE prennent le risque d'avoir recours à l'aide de Musulmans, qui les rejetaient depuis longtemps avec constance et qui appuyaient fermement le gouvernement cinghalais ". Il est tout simplement erroné d'affirmer, par simple extrapolation, qu'un incident précis invoqué par un demandeur de statut est invraisemblable du simple fait qu'il va à l'encontre des rapports politiques en vigueur entre les groupes intéressés.

[10]      Le demandeur gérait une entreprise de transport et, dans le courant normal de ses activités, ses véhicules circulaient dans des zones où l'on parlait tamoul. Les LTTE devaient assurer le transport de leurs militants et de matériel et interceptaient pour cela les véhicules du demandeur. Le demandeur affirme avoir été menacé d'exécution. Aucune preuve documentaire ne permet d'affirmer que les LTTE n'avaient jamais recours à des Musulmans d'expression tamoule bien que ceux-ci aient été loyaux au gouvernement cinghalais. Il n'appartient pas à la Cour de dire si le récit du demandeur est véridique. Mais, dans la mesure où il ne se prononce pas sur les détails précis des allégations avancées par le demandeur, la conclusion d'invraisemblance tirée par le tribunal ne tient pas.

[11]      La troisième conclusion quant à l'invraisemblance du récit du demandeur est exposée en peu de mots : [traduction] " Nous estimons invraisemblable que le [demandeur] abandonne une entreprise qu'il avait mis 19 ans à bâtir, sans essayer d'obtenir, auprès d'un gouvernement sensible à l'appui des Musulmans, une certaine protection ". Cette conclusion a deux versants : a) le demandeur a " abandonné " son entreprise et b) il l'a fait sans d'abord chercher à obtenir l'appui du gouvernement. Encore une fois, le tribunal fonde sa conclusion concernant l'invraisemblance uniquement sur des preuves documentaires. Aucune mention n'est faite du poids accordé au témoignage du demandeur concernant la valeur et la propriété de l'entreprise en 1997. Le tribunal passe sous silence les allégations du demandeur concernant le fait que la Special Task Force du gouvernement l'avait, en janvier 1998, détenu pendant neuf jours. Le défendeur ne s'est guère opposé à l'idée que le tribunal aurait dû se montrer plus explicite s'il estimait effectivement ne pas croire le témoignage du demandeur au sujet de ces divers incidents.

[12]      En somme, la décision du tribunal est loin de répondre au principe voulant que toute conclusion mettant en cause la crédibilité d'un témoin doive être formulée clairement et sans ambiguïté. Les trois conclusions quant à l'invraisemblance du récit du demandeur se fondent uniquement sur la preuve documentaire, aucun effort n'étant fait pour expliquer, comme le tribunal était tenu de le faire, pourquoi il n'a pas cru au témoignage du demandeur. Ainsi que la Cour d'appel l'a déclaré dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, au paragraphe 3 : " ... il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage ". En l'espèce, les conclusions concernant l'invraisemblance n'étaient nullement assorties des questions pertinentes qui auraient été posées au témoin ou d'une analyse de son témoignage.

[13]      Je n'admets pas non plus l'argument avancé par le défendeur lorsqu'il affirme que la décision se justifie étant donné que le tribunal a subsidiairement conclu que le demandeur possédait, à Colombo, une possibilité de refuge interne. Nulle part dans ses motifs le tribunal ne précise qu'il tient pour véridique le témoignage du demandeur concernant le traitement qu'il a subi aux mains de la Special Task Force du gouvernement en décembre 1997. Il ne suffit pas d'affirmer l'existence d'une possibilité de refuge interne, encore faut-il se prononcer sur les allégations inextricablement liées à la question de savoir si la ville de Colombo offrait effectivement un refuge.


[14]      Pour ces motifs, la décision du tribunal est annulée et l'affaire renvoyée devant une formation autrement constituée afin d'être entendue et tranchée à nouveau. Aucune des parties n'a proposé la certification d'une question grave.



     " Allan Lutfy "

     J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 30 juillet 1999






Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, B.A., LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-5438-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      MOHAMED SALY NAJEEBDEEN c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)


DATE DE L'AUDIENCE :          LE 14 JUILLET 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE LUTFY

DATE :                  LE 30 JUILLET 1999



ONT COMPARU :


Lorne Waldman                          POUR LE DEMANDEUR
Stephen H. Gold                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


JACKMAN, WALDMAN & ASSOCIATES          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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