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     Date : 19990426

     Dossier : IMM-2322-98

OTTAWA (Ontario), le 26 avril 1999.

EN PRÉSENCE DE M. le juge Rouleau

ENTRE

     MOHAMED YOOSUF MOHAMED IQBAL

     MOHAMED IRFAN YOOSUF

     BISHRUL FAZILAT MOHAMED,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

[1]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire renvoyée, pour réexamen, à un tribunal différemment constitué.

                             P. ROULEAU

                                 JUGE

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

     Date : 19990426

     Dossier : IMM-2322-98

ENTRE

     MOHAMED YOOSUF MOHAMED IQBAL

     MOHAMED IRFAN YOOSUF

     BISHRUL FAZILAT MOHAMED,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision écrite de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 3 juin 1998 portant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs, qui ont été oralement mis au courant de la décision le 29 avril 1998, cherchent à faire annuler, par voie d'ordonnance, la décision de la Commission et à obtenir une nouvelle audition.

[2]      Les requérants, tous citoyens du Sri Lanka, se composent d'un couple et de son fils de six ans. Ils se disent musulmans de langue tamoule. C"est en 1995 que le demandeur principal a commencé à connaître des difficultés avec les LTTE (les Tigres tamouls). Il avait, dit-il, un commerce de volailles et les Tigres lui extorquaient de l'argent. Des soldats de l'armée sri-lankaise l'ont arrêté en 1996 pour avoir versé de l'argent aux LTTE. Il prétend qu'on l'a détenu et battu et qu'il a dû soudoyer les soldats pour recouvrer la liberté.

[3]      Il déclare que, l'année suivante, tant les Tigres que l'armée lui ont encore soutiré de l'argent. En juin 1997, les Tigres lui ont demandé de leur livrer 300 poulets pour leurs militants et son frère l'a aidé dans cette besogne. L'armée les a arrêtés tous deux et a confisqué la carte d'identité du demandeur principal pour l'empêcher de voyager. Tant lui que son frère ont été gardés en détention, mais il a fini par être relâché. Voyant qu'il était à la merci aussi bien des Tigres que de l'armée, il a décidé de s'enfuir. N'ayant pas de carte d'identité, il a soudoyé un agent des postes qui l'a caché dans un camion postal et l'a conduit de Eravur à Colombo, où la police l'a arrêté lors d'une descente effectuée dans un pavillon. Il a alors versé un pot-de-vin pour qu'on le libère et s'est enfui du pays avec sa famille.

[4]      Les demandeurs font valoir que la Commission a été imprécise en ce qui concerne la preuve sur laquelle elle a fondé sa décision; qu"il ressort nettement des documents présentés que les musulmans de langue tamoule qui vivent dans le Nord font face à un dilemme, tout comme les demandeurs, du fait que les Tigres et l'armée les soumettent à des exactions et à un harcèlement constant. Cette allégation est prétendument appuyée par des affidavits d'experts déposés à la Commission, laquelle n'a nullement fait allusion à cette preuve ni ne l'a commentée.

[5]      La preuve documentaire sur laquelle la Commission s'est appuyée pour dire que les musulmans de langue tamoule ne sont pas persécutés dans le Nord a été contredite par des affidavits d'experts déposés au soutien de la demande des demandeurs.

[6]      Il ressort clairement, à la lecture de cette décision, que la Commission n'a pas fait preuve d'objectivité à l"audition. Elle a conclu qu'en l'absence de documents prouvant leur identité, elle ne croyait pas qu"ils étaient sri-lankais et qu'elle doutait de leur crédibilité. Voilà pourquoi elle ne croyait pas que le demandeur principal faisait l'objet de persécution lorsqu'il vivait dans le nord du Sri Lanka.

[7]      La preuve incontestée indiquait que l'armée avait confisqué ses pièces d'identité au demandeur pour limiter ses déplacements. La transcription révèle qu'en septembre 1997, et sur instruction de son avocat, le demandeur principal a demandé par écrit à la mosquée de son village de lui envoyer des documents d'identité pour lui et sa famille ainsi qu'un certificat de mariage. Moins de deux mois plus tard, il a reçu la réponse qu"il fallait communiquer avec un certain organisme gouvernemental pour l"obtention de ces documents. Ces documents n"étaient pas disponibles lors de l'ouverture de l'audience de la Commission en avril 1998. L'avocat des demandeurs a attribué le retard à la grève postale qui avait duré quelque deux ou trois mois au Sri Lanka; il a alors demandé un ajournement pour essayer d'obtenir les pièces d'identité nécessaires par d'autres voies.

[8]      Le jour même où il s'est réuni, le tribunal a refusé l'ajournement et prononcé à l'audience les motifs du rejet de la revendication du statut de réfugié des demandeurs, motifs qu"il a rédigés cinq semaines plus tard. On a la preuve que l'avocat a réussi à produire des pièces d'identité peu après l'audition, mais la formation n'en a pas du tout tenu compte.

[9]      L"avis d"un seul expert étaye la conclusion de la Commission voulant que les musulmans sri-lankais installés dans le nord du pays ne sont pas habituellement harcelés par l'armée. Dans un affidavit déposé par l'avocat des demandeurs, un expert soutient que cette opinion n'est pas fiable; il l'a sévèrement critiquée la tenant pour erronée. Il est clairement établi en droit que la Commission n'a pas besoin de faire référence à toute la preuve documentaire au moment de résumer les motifs d'une décision. Toutefois, lorsqu'un affidavit d'expert est donné en preuve à la Commission et que d'autres preuves documentaires mettent en doute ou contredisent celles que l'agent chargé de la revendication a exhibées, la Commission devrait expliquer, un tant soit peu, ce qui l'a poussée à donner préférence à l'avis d'expert sur lequel elle s'est fondée et, à tout le moins, la raison qui l'a conduite à écarter celui que l'avocat des demandeurs a produit, ce qu'elle a omis de faire.

[10]      La conclusion la plus flagrante dans la décision de la Commission a trait à l'absence de pièces d'identité. La Commission a choisi de ne pas ajouter foi aux témoignages des demandeurs et elle a douté qu'ils fussent originaires du Sri Lanka. Comment la Commission explique-t-elle que la présence d'un interprète connaissant bien la langue tamoule était nécessaire à l'audience et peut-elle conclure ensuite que les demandeurs n'étaient pas des musulmans tamouls du nord du Sri Lanka; sans compter, par ailleurs, que la preuve documentaire indique que la plupart des musulmans vivant à proximité de Colombo ne connaissent pas la langue tamoule?

[11]      L'avocat des demandeurs a invoqué bien d'autres arguments signalant encore de graves lacunes dans la décision de la Commission; mais du fait que j'ai déjà passé en revue les deux arguments principaux, je n'aborderai pas les autres questions.

[12]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SSR est annulée et l'affaire renvoyée, pour réexamen, à un tribunal différemment constitué .

                             P. ROULEAU

                                 JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 26 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-2322-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mohamed Yoosuf Mohamed Iqbal et autres c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          15 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      par M. le juge Rouleau

EN DATE DU              26 avril 1999

ONT COMPARU :

Raoul Boulakia,                      pour les demandeurs
Brian Frimeth,                      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Toronto (Ontario)                      pour les demandeurs

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              pour le défendeur
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