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Date : 20040108

Dossier : IMM-4952-03

Référence : 2004 CF 16

Toronto (Ontario), le 8 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                           GEORGES MAKHTAR, ZAKIE KALOUR,

et LOUISA MAKHTAR,

représentée par sa tutrice à l'instance ZAKIE KALOUR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 29 mai 2003 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ou des personnes à protéger parce que leur crainte d'être persécutés n'a pas de fondement objectif.


LES FAITS

[2]                Les demandeurs sont tous citoyens de la Syrie. Le demandeur principal est âgé de 37 ans et prétend craindre avec raison d'être persécuté par les autorités syriennes et des extrémistes islamistes du fait qu'il est chrétien et un diacre qui prêche la foi chrétienne. Il prétend aussi être une personne qui risque d'être soumise à la torture, de perdre la vie ou de subir des peines cruelles et inusitées en Syrie. Sa femme, Zakie Kalour, et sa fille, Louisa Makhtar, fondent leurs revendications sur la sienne.

[3]                Le demandeur principal (le demandeur) est arrivé au Canada en mars 1995 et est resté ici jusqu'à ce qu'il soit expulsé en avril 2001. Il a rejoint au Canada sa femme et sa fille qui y étaient depuis le 9 décembre 2001. Un mois plus tard, ils demandaient l'asile en alléguant ce qui suit :

(i)         en 1992, le demandeur a été agressé dans un café alors qu'il donnait des renseignements sur la chrétienté à un musulman intéressé à se convertir;

(ii)                 en 1995, le cousin du demandeur a découvert un « X » inscrit sur la porte extérieure de la demeure du demandeur où y était aussi attachée une note;

(iii)                le 27 avril 2001, trois musulmans qui avaient précédemment menacé le demandeur et exigé qu'il quitte la Syrie l'ont attaqué alors qu'il rentrait chez lui après être allé à l'église;

(iv)               le 15 août 2001, la femme et la fille du demandeur ont été attaquées par deux musulmans qui auraient affirmé qu'il s'agissait d'un avertissement donné aux infidèles et en particulier au demandeur.


[4]                La Commission a rejeté la revendication du demandeur. Elle affirme à la page 3 de ses motifs :

La question déterminante est de savoir si ces demandes d'asile ont un fondement objectif; le tribunal estime que non.

Le tribunal estime qu'il n'y a pas de documentation objective démontrant que les chrétiens sont victimes de persécution en Syrie. Le tribunal a offert à la conseil la possibilité de présenter de la documentation supplémentaire après l'audience, appuyant les allégations de persécution de chrétiens en Syrie; toutefois, elle a été incapable de produire quoi que ce soit qui puisse appuyer les demandes d'asile des demandeurs d'asile. Selon la documentation que la conseil a présentée, le gouvernement syrien avait été impliquédans l'oppression des chrétiens au Liban; toutefois, de l'avis du tribunal, la nature complexe de la politique libanaise et le rôle des chrétiens dans cet État n'ont pas de contrepartie ou de similitudes avec les conditions existant en Syrie. En conséquence, le tribunal estime que ces documents ont peu de valeur pour les demandeurs d'asile.

[5]                La Commission a pris acte de documents selon lesquels la Syrie a un mauvais dossier sur le plan des droits de la personne et qu'elle commandite le terrorisme islamique, mais elle a rejeté la prétention que ces documents pouvaient étayer une crainte objective de la part du demandeur. Aux pages 4 à 6 de ses motifs, la Commission affirme :

[...] En l'absence de quelque autre documentation, l'approche analytique proposée par la conseil aurait pu être utile; toutefois, les documents présentés par l'agent de protection des réfugiés (APR) ainsi que par les demandeurs d'asile abordent cette question.

En juillet 2000, l'ancien rédacteur en chef des magazines Arabies et Jeune Afrique a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

En Syrie, les chrétiens ont la liberté de religion et sont bien protégés par le régime. Ils entretiennent de très bonnes relations avec les autorités et ne sont pas victimes de discrimination dans l'emploi; plusieurs d'entre eux occupent des postes de haut niveau au sein de l'armée et du gouvernement.


Le Conseil des Églises du Moyen-Orient, organisation chrétienne établie à Chypre, ayant des bureaux dans plusieurs pays du Moyen-Orient et effectuant des études sur les droits de la personne, la justice et le dialogue interreligieux, a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

En Syrie, les chrétiens sont libres de pratiquer leur religion ouvertement. Comme c'est le cas pendant les fêtes musulmanes, pendant les fêtes chrétiennes, les services religieux sont diffusés à la télévision syrienne. Ces émissions comprennent les sermons des trois patriarches et des archevêques qui habitent dans la capitale, ainsi que ceux d'autres archevêques et d'autres chefs spirituels des Églises de l'ensemble du pays.

[Non souligné dans l'original.]

Le International Religious Freedom Report, US Department of State, 2002 rapporte que :

[TRADUCTION]

La Constitution prévoit la libertéde religion et, de manière générale, le gouvernement respecte ce droit en pratique.

[...]

Les relations existant entre les diverses communautés religieuses sont généralement amicales, et il existe peu dléments de preuve de discrimination sociale ou de violence contre les minorités religieuses.

[...]

[Non souligné dans l'original.]

En février 2000, l'agence Associated Press citait l'archevêque catholique de Homs (ville située au nord de Damas, à proximité de la frontière libanaise), qui disait que :

[TRADUCTION]

Les chrétiens occupent des postes importants au sein du gouvernement, y compris au sein du Cabinet [¼] il n'y a aucune persécution religieuse [en Syrie].


[6]                La Commission a rejeté le témoignage de deux témoins des agressions qu'aurait subies le demandeur, qui affirmaient que selon eux « les chrétiens sont victimes de persécution en Syrie » . La Commission a préféré s'en tenir aux rapports objectifs préparés par des organisations des droits de la personne universellement reconnues et déposés en documentation, selon lesquels les chrétiens peuvent pratiquer leur religion librement en Syrie.

[7]                La seule question en litige est de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu qu'il n'y a aucune preuve objective de persécution à l'endroit d'un prédicateur chrétien comme le demandeur.

La position du demandeur

[8]                Le demandeur soutient que le tribunal commet une erreur lorsqu'il s'appuie sur l'absence de preuve corroborante pour mettre en doute la crédibilité des allégations d'un demandeur, à moins qu'il n'ait de bonnes raisons pour douter de leur véracité. Le demandeur avance qu'aucune raison n'a été donnée. Il soutient encore qu'un demandeur peut présenter un témoignage de vive voix sur la situation dans le pays comme fondement objectif de la revendication d'un chrétien comme lui qui fait de la prédication.

La position de défendeur


[9]                Le défendeur soutient que, même en l'absence d'une conclusion défavorable quant à la crédibilité, il appartenait à la Commission de s'assurer qu'il existait un fondement objectif à la crainte subjective du demandeur. Il affirme qu'il est possible que la Commission considère que le témoignage du demandeur est crédible, mais qu'il ne constitue pas un fondement objectif pour ses craintes.

ANALYSE

[10]            Le fait que les demandeurs ont pu établir qu'ils craignaient subjectivement d'être persécutés n'établit pas qu'ils craignent avec raison d'être persécutés. La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, a conclu qu'il fallait satisfaire à un critère à deux volets que le juge La Forest a décrit comme suit, à la page 47 :

D'une façon plus générale, que doit faire exactement le demandeur pour établir qu'il craint d'être persécuté? Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets : (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la page 134 :

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.


[11]          Je conclus que la Commission a dit pourquoi elle préférait la preuve documentaire à la preuve présentée par le demandeur. Cette preuve documentaire démontre que les chrétiens en Syrie ne sont pas persécutés et que l'État protège les minorités religieuses. À la clôture de l'audience, le demandeur s'est vu offrir la possibilité de présenter des documents appuyant sa prétention d'une crainte objective ressentie par les chrétiens dans sa situation, mais il en a été incapable. La seule documentation qu'il ait pu présenter se rapportait à la situation au Liban, et non en Syrie. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle sa crainte n'avait aucun fondement objectif satisfait au critère énoncé dans l'arrêt Ward.

[12]            Le défendeur affirme que le FRP du demandeur ne fait aucune mention que le demandeur ait à quelque moment demandé l'aide de la police. Cela n'aide pas le demandeur a prouver que l'État était incapable ou refusait de le protéger.

[13]            Le demandeur prend appui sur le rapport pour l'année 2002 du Département d'État des États-Unis sur la liberté de religion en Syrie (le rapport du Département d'État) qui affirme que [traduction] « le gouvernement a fixé certaines limites à la liberté de religion » , que [traduction] « les relations entre les divers groupes religieux sont généralement amicales » , mais que [traduction] « des frictions entre les diverses communautés surviennent parfois » . Ces éléments ne suffisent pas comme preuve de l'existence de la persécution.

[14]            Le fait que le demandeur ait été agressé par des extrémistes en 1992, puis en 2001 pour sa prédication de la foi chrétienne à des musulmans ne constitue pas un fondement objectif pour sa crainte d'être persécuté. La preuve objective de la situation en Syrie est que le demandeur, comme diacre, peut en général pratiquer sa religion chrétienne et prêcher à des chrétiens sans craindre d'être l'objet d'une persécution de la part d'autres religions ou du gouvernement. Le demandeur ne se livre à aucun prosélytisme, comme le faisaient les Témoins de Jéhovah, qui ont été officiellement proscrits de la Syrie, mais continuent d'y pratiquer leur religion en privé selon le rapport du Département d'État.


[15]            Pour ces motifs, la décision de la Commission est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[16]            Les parties et la Cour conviennent que la présente demande de contrôle judiciaire ne soulève pas une question grave de portée générale qui doive être certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Michael A. Kelen »

                                                                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-4952-03

INTITULÉ :                                       GEORGE MAKHTAR, ZAKIE KALOUR,

et LOUISA MAKHTAR, représentée par sa tutrice à l'instance ZAKIE KALOUR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 7 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                     LE 8 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                            POUR LE DEMANDEUR

Mary Mathews                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS

AU DOSSIER :                                

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)                                POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                POUR LE DÉFENDEUR

                                               


                               COUR FÉDÉRALE

                                               

Date : 20040108

Dossier : IMM-4952-03

ENTRE :

GEORGE MAKHTAR, ZAKIE KALOUR,

et LOUISA MAKHTAR, représentée par sa tutrice à l'instance ZAKIE KALOUR

                                                                              demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                 défendeur

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                


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