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Date : 20041223

Dossier : T-2191-04

Référence : 2004 CF 1768

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                               ARTHUR MAINIL

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                       LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ ET

                                                        MEYERS NORRIS PENNY

                                                                                                                                            défendeurs

                                                                             et

                                                TOM JACKSON ET ROD FLAMAN

                                                                                                                                          intervenants

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Arthur Mainil est candidat au poste d'administrateur de la Commission canadienne du blé (CCB). L'élection est organisée par la CCB et Meyers Norris Penny LLP (MNP), un cabinet de comptables agréés à qui la CCB a confié le rôle de coordonnateur d'élection. La CCB et MNP sont défendeurs dans la présente demande.

[2]                M. Mainil allègue que le processus électoral a été entaché de plusieurs irrégularités. Par conséquent, il demande à la Cour d'interdire à la CCB et à MNP de dépouiller les bulletins de vote et d'annoncer les résultats de l'élection jusqu'à ce que le processus électoral fasse l'objet d'un contrôle judiciaire.

[3]                Tom Jackson et Rod Flaman sont également candidats à la même élection. M. Flaman provient de la même circonscription que M. Mainil et M. Jackson vient d'une circonscription différente. M. Flaman appuie la position de M. Mainil alors que M. Flaman appuie la CCB et MNP. Les deux individus ont obtenu qualité d'intervenants dans la requête en injonction, à condition que leurs observations portent uniquement sur les questions soulevées par les parties elles-mêmes.

La structure de la Commission canadienne du blé

[4]                La CCB a été créée en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé (la Loi). Elle est responsable de la vente et de la commercialisation de tout le blé, y compris le blé dur, l'orge fourragère et l'orge destiné à l'alimentation humaine produit au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et dans le district de Peace River en Colombie-Britannique, dans le cadre du marché canadien et de l'exportation.


[5]                La CCB joue le rôle de comptoir unique et a compétence exclusive en matière de commercialisation du grain destiné à l'exportation et pour ce qui concerne la consommation humaine au Canada. La CCB vend environ 20 000 000 de tonnes de grains chaque année à quelque 70 pays, ce qui représente des revenus annuels d'environ 4 à 6 milliards de dollars. Ces revenus, moins les frais d'exploitation, sont remis aux producteurs.

[6]                Le producteur qui souhaite vendre du grain par l'entremise du système de la CCB, pendant une campagne agricole en particulier (période entre le 1er août et le 31 juillet), doit demander la délivrance d'un carnet de livraison. Il obtient ensuite ledit carnet dans lequel seront consignées toutes les transactions entre le producteur et la CCB. Pendant la campagne agricole de 2003-2004, environ 75 000 producteurs possédaient un carnet de livraison.

[7]                La CCB est dirigée par un conseil d'administration qui compte quinze membres. Le gouvernement fédéral nomme cinq membres et dix administrateurs sont élus par les producteurs. Chaque administrateur élu occupe ses fonctions pendant quatre ans. Cinq administrateurs sont élus à tous les deux ans, de sorte que la durée du mandat des administrateurs est échelonnée.

[8]                La présente demande concerne l'élection qui a eu lieu à l'automne 2004 relativement aux circonscriptions électorales 2, 4, 6, 8 et 10. Le mandat des administrateurs en poste provenant de ces circonscriptions prendra fin le 31 décembre 2004.


Le processus électoral

[9]                Le processus qui doit être suivi lors de l'élection des administrateurs de la CCB est établi dans le Règlement sur l'élection des administrateurs de la Commission canadienne du blé (le Règlement). Le Règlement prévoit l'embauche d'un coordonnateur d'élection chargé d'organiser l'élection des administrateurs et de s'assurer que l'élection se déroule de manière équitable et impartiale et conformément à la Loi et au Règlement. En l'espèce, la CCB a retenu les services du cabinet MNP de Brandon.

[10]            Aux termes du Règlement, le coordonnateur d'élection fixe les dates du début et de la fin de la période d'élection, notamment la date de clôture de présentation des candidats. Le coordonnateur d'élection doit également préparer la liste des électeurs.

[11]            Les administrateurs de la CCB sont choisis par les « producteurs » de grains. La Loi définit le terme « producteur » qui comprend le « producteur-exploitant » - la personne qui se livre en fait à la production de grains, ainsi que toute personne ayant droit, à titre de propriétaire, de vendeur ou de créancier hypothécaire, à tout ou partie des grains cultivés par le producteur-exploitant.


[12]            Le producteur qui se livre à la production de grains dans une circonscription électorale a le droit d'être inscrit sur la liste des électeurs de cette circonscription. Le producteur qui se livre à la production de grains dans plus d'une circonscription est inscrit sur une seule liste d'électeurs de son choix.

[13]            Selon le Règlement, au plus tard 60 jours avant le dernier jour de la période d'élection, la CCB fournit au coordonnateur d'élection la liste des producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison à cette date ou y figurait au cours de la dernière campagne agricole.

[14]            Au plus tard 30 jours avant le dernier jour de la période d'élection, le coordonnateur d'élection rend publique la liste des noms des électeurs de chaque circonscription électorale et transmet à chaque candidat la liste des noms des électeurs de sa circonscription électorale.

[15]            Au plus tard 14 jours avant le dernier jour de la période d'élection, le producteur dont le nom n'est pas inscrit sur la liste des électeurs peut demander au coordonnateur d'élection d'y ajouter son nom, s'il établit qu'il a le droit d'y être inscrit et s'il fournit une preuve de son identité.

[16]            En vertu de l'article 17 du Règlement, le coordonnateur d'élection fait parvenir, par la poste, un bulletin de vote à chaque électeur inscrit sur la liste des électeurs, au plus tard 25 jours avant le dernier jour de la période d'élection.

[17]            L'électeur envoie son bulletin de vote dûment rempli par la poste et, pour que le bulletin soit valable, le cachet postal de l'enveloppe doit porter une date antérieure au jour qui précède le dernier jour de la période d'élection.

L'élection de 2004

[18]            La CCB a demandé au bureau de Brandon (Manitoba) de MNP de jouer le rôle de coordonnateur d'élection lors de l'élection de 2004 des administrateurs. MNP possédait de l'expérience dans ce domaine puisque le cabinet avait assuré la coordination des élections de 2000 et de 2002.

[19]            MNP a fixé le début de la période d'élection au 7 septembre 2004 et la fin de la période au 3 décembre 2004. La présentation des candidats devait commencer le 7 septembre et prendre fin le 25 octobre 2004.

[20]            Le 20 août 2004, la CCB a remis à MNP une liste préliminaire des producteurs des circonscriptions électorales 2, 4, 6, 8 et 10. Selon l'affidavit de Deborah Harri, la secrétaire générale de la CCB, la liste devait comprendre tous les producteurs nommés dans les carnets de livraison délivrés relativement aux campagnes agricoles de 2003-2004 et de 2004-2005.


[21]            Mme Harri affirme également, dans son témoignage, que la liste avait été établie à l'aide d'un programme d'ordinateur qui devait extraire des données concernant tous les producteurs qui possédaient un carnet de livraison pour les deux dernières campagnes agricoles. La CCB l'ignorait à l'époque, mais le programme n'a pas extrait les données touchant quelque 1 050 producteurs qui possédaient un carnet de livraison valide pour la campagne agricole de 2003-2004 et qui n'avaient pas vendu du grain à la CCB au cours des deux dernières années. Ces personnes seront appelées les producteurs non inscrits.

[22]            Les données fournies par la CCB comportaient d'autres erreurs. Par exemple, certains producteurs étaient inscrits dans la mauvaise circonscription électorale.

[23]            MNP a rendu publique une liste préliminaire des électeurs, le 10 septembre 2004. La liste a été remise aux candidats dès leur présentation et les bureaux de MNP de chaque circonscription électorale en possédaient une copie que d'aucuns pouvaient consulter. Le processus que devaient suivre les producteurs non inscrits pour que leur nom figure sur la liste a été largement annoncé.

[24]            La période de présentation des candidats a pris fin le 25 octobre 2004. Le candidat de la circonscription 2 a été élu par acclamation. Par conséquent, il ne devait y avoir d'élection que dans les circonscriptions 4, 6, 8 et 10.


[25]            Entre le 10 septembre et le 1er novembre 2004, à mesure que d'autres erreurs apparaissaient, la liste a été modifiée à plusieurs reprises et d'autres producteurs ont demandé que leur nom soit inscrit sur la liste. Le 1er novembre 2004, MNP a envoyé environ 46 700 bulletins de vote par la poste aux producteurs dont le nom était inscrit sur la liste modifiée des électeurs.

[26]            Lorsque MNP a reçu, le 19 novembre 2004, une demande provenant d'un producteur qui possédait un carnet de livraison et dont le nom n'apparaissait pas sur la liste des électeurs, la CCB a mené une enquête sur cette question. Le 22 novembre 2004, la CCB a constaté que le programme qui devait repérer les producteurs qui possédaient un carnet de livraison n'avait pas repéré les producteurs non inscrits. Ces derniers n'avaient donc pas reçu de bulletin de vote.

[27]            Une liste comportant le nom de 1 000 producteurs non inscrits a été remise à MNP le 23 novembre 2004 et une liste supplémentaire de 50 autres producteurs non inscrits a été envoyée à MNP le 25 novembre 2004. MNP et la CCB ont ensuite convenu que les producteurs non inscrits devaient recevoir des bulletins de vote. Les bulletins ont été envoyés entre le 24 novembre et le 26 novembre 2004. Dans le cas des producteurs non inscrits de l'extérieur du Manitoba, les bulletins ont été envoyés par messagerie. Les producteurs non inscrits du Manitoba ont reçu leur bulletin par courrier courant.

[28]            De 8 000 à 14 000 bulletins ont été distribués dans chaque circonscription électorale. Les producteurs non inscrits étaient répartis en nombre à peu près égal dans chaque circonscription électorale. Chaque circonscription comptait donc environ 200 producteurs non inscrits.

[29]            Bien entendu, MNP a songé à la possibilité de repousser la date limite d'envoi des bulletins de vote à cause de la distribution tardive des bulletins aux producteurs non inscrits, mais en fin de compte, MNP a décidé qu'il n'était pas nécessaire de prolonger le délai.

[30]            Chaque électeur reçoit une enveloppe de couleur dans laquelle il doit retourner le bulletin rempli. La couleur de l'enveloppe dépend de la circonscription électorale visée par le vote. Chaque enveloppe comporte également un code à barres. MNP a tenu un registre des bulletins envoyés aux producteurs non inscrits pour pouvoir reconnaître ces bulletins et les mettre de côté s'il était décidé, par la suite, que les mesures qui avaient été prises soulevaient quelques difficultés.

[31]            La période d'élection a pris fin le 3 décembre 2004. À l'aide des enveloppes de couleur, MNP a trié les bulletins de vote non ouverts par circonscription électorale, mais à cause de la présente action, aucun bulletin n'a encore été dépouillé. MNP a maintenant l'intention de dépouiller les bulletins le 29 décembre 2004, en présence de scrutateurs nommés en conformité avec le Règlement. Les résultats de l'élection seront probablement annoncés peu après cette date.

La position de M. Mainil


[32]            M. Mainil prétend que le processus électoral était truffé d'irrégularités. L'omission de la CCB et de MNP d'inscrire certains producteurs sur la liste des électeurs a été particulièrement préjudiciable à certains candidats, tels que M. Mainil qui croit que le système actuel de commercialisation devrait être modifié.

[33]            Les producteurs non inscrits étaient des personnes qui n'avaient pas vendu du grain par l'entremise de la CCB au cours des deux dernières années. Ces personnes, selon M. Mainil, étaient plus susceptibles d'appuyer sa candidature que celle de ses adversaires.

[34]            La CCB et MNP ont continué à ajouter des noms à la liste presque jusqu'à la fin de la période d'élection. M. Mainil affirme que, dans ces circonstances, il était injuste que la CCB et MNP exigent que les producteurs demandent leur inscription sur la liste au plus tard 14 jours avant la fin de la période d'élection.

[35]            Selon M. Mainil, MNP a également manqué à l'obligation qui incombe au coordonnateur d'élection, en vertu du Règlement, en omettant de clarifier la procédure de scrutin et en omettant d'aviser les électeurs qu'ils n'étaient pas obligés d'établir le rang de chaque candidat selon l'ordre de préférence. Il prétend également que les annonces publicitaires à la radio élaborées par MNP et qui encourageaient les producteurs à voter étaient formulées de façon à favoriser les administrateurs en exercice au détriment des autres candidats tels que lui-même.

[36]            Enfin, M. Mainil fait valoir qu'en effectuant le tri des bulletins remplis par circonscription, en l'absence de scrutateurs dûment nommés, MNP n'a pas respecté le paragraphe 20 (2) du Règlement.

[37]            Tel que susmentionné, M. Jackson appuie la position de M. Mainil.

Le critère applicable

[38]            Les parties conviennent que le critère applicable lors d'une demande d'injonction interlocutoire comme en l'espèce est le critère en trois étapes établi notamment dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.

[39]            C'est-à-dire que, pour avoir gain de cause, M. Mainil doit établir qu'il existe une question sérieuse à juger, que le refus de l'injonction entraînera un préjudice irréparable et enfin, que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction.

[40]            Cela dit, l'avocat de la CCB prétend que, dans le cadre d'une élection contestée, l'exigence, lorsqu'il faut établir l'existence d'une question sérieuse, n'est pas l'exigence minimale habituelle, mais une exigence beaucoup plus rigoureuse. L'avocat prétend qu'il incombe à M. Mainil de prouver que le processus était entaché d'[traduction] « irrégularités importantes » . Selon l'avocat, de simples entorses à la procédure ne sont pas des « irrégularités importantes » .


[41]            En outre, M. Mainil doit démontrer qu'on peut raisonnablement soutenir que ces irrégularités ont eu des répercussions importantes sur l'élection.

[42]            À l'appui de cet argument, la CCB invoque la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans Bowering c. I.O.U.E., Local 882, (2002) CSCB 830.

[43]            L'avocat de la CCB prétend que M. Mainil n'a pas rempli les exigences de la décision Bowering. Par conséquent, je devrais non seulement refuser d'accorder l'injonction, mais je devrais également, selon l'avocat, rejeter sommairement la demande de contrôle judiciaire principale de M. Mainil de manière à éviter que la CCB ne soit troublée dans l'exercice de ses fonctions jusqu'au règlement final de la question.

[44]            Je rejette les arguments de l'avocat à cet égard. Un examen de l'affaire Bowering révèle qu'il ne s'agissait pas d'une demande d'injonction interlocutoire, mais d'une requête en jugement sommaire. Le critère mentionné plus haut a été le critère appliqué par le tribunal pour décider s'il y avait lieu d'écarter ou non les résultats d'une élection. Ce n'est pas ce qu'on me demande de faire en l'espèce.


[45]            Ce qu'on me demande, en invoquant l'urgence de la situation, c'est d'interdire à la CCB et à MNP de dépouiller les bulletins et d'annoncer les résultats de l'élection jusqu'à ce que la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Mainil soit entendue. L'exigence concernant la question sérieuse du critère en trois étapes n'est pas rigoureuse. D'ailleurs, comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt RJR-MacDonald :

Une fois convaincu qu'une réclamation n'est ni futile ni vexatoire, le juge de la requête devrait examiner les deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès. Il n'est en général ni nécessaire ni souhaitable de faire un examen prolongé du fond de l'affaire. [aux pages 337 et 338.]

[46]            Les exigences minimales dont il est fait mention dans l'arrêt RJR-MacDonald afin d'établir l'existence d'une question sérieuse, sont celles appliquées par la Cour lors d'élections contestées (voir, par exemple, Gopher c. Moccasin et al, 2004 CF 1750) et ce sont celles que j'appliquerai en l'espèce.

La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Mainil devrait-elle être rejetée par procédure sommaire?

[47]            En supposant que j'aie compétence que ce faire, je ne suis pas disposée à rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Mainil par procédure sommaire. Comme dans le cas de plusieurs demandes urgentes d'injonction, les parties en cause en l'espèce se sont empressées de réunir les documents nécessaires et elles ont déposé des affidavits supplémentaires jusqu'à la dernière minute. La demande de contrôle judiciaire de M. Mainil vient tout juste d'être déposée, et il n'a pas encore eu l'occasion de déposer un dossier de demande.


[48]            La question de savoir si les résultats de l'élection de 2004 concernant les administrateurs devraient être annulés sera tranchée quand la demande de contrôle judiciaire de M. Mainil sera enfin entendue. À cette date, chaque partie aura eu tout le temps voulu de rassembler les documents nécessaires et de contre-interroger la ou les autres parties sur le contenu des affidavits, si toutefois elles estiment qu'il est opportun de le faire.

[49]            En outre, d'autres personnes touchées par le résultat de la procédure et qui viennent d'être avisées de la présente instance auront l'occasion de demander qualité d'intervenantes si elles le souhaitent.

[50]            Dans ces circonstances, il n'y a aucune raison, selon moi, de priver M. Mainil de son droit d'être entendu à cette étape-ci de la procédure.

[51]            Si les répercussions de la procédure préoccupent la CCB pour ce qui concerne sa capacité de continuer d'exercer ses fonctions, rien ne l'empêche de demander la tenue d'une instruction accélérée de la demande de contrôle judiciaire de M. Mainil.

Existe-t-il une question sérieuse en l'espèce?

[52]            J'ai soigneusement examiné toutes les observations de M. Mainil et de M. Jackson relativement aux diverses erreurs commises par la CCB ou MNP concernant la conduite de l'élection des administrateurs tenue en 2004.

[53]            Il est clair que MNP a commis une entorse au paragraphe 20 (2) du Règlement qui dit que :

Le coordonnateur d'élection, en présence de scrutateurs indépendants nommés par le ministre, doit, dans l'ordre suivant :

a) trier les bulletins de vote par circonscription électorale;                                                                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[54]            Il n'est pas contesté que MNP a déjà trié les bulletins, par circonscription, hors la présence de scrutateurs indépendants.

[55]            Je n'ai pas besoin de décider si, en soi, cela constitue une question sérieuse puisque je suis convaincue que l'omission de la CCB et de MNP d'inscrire certains producteurs sur la liste des électeurs est une question sérieuse.

[56]            Le paragraphe 7 (1) du Règlement impose une obligation à la CCB de fournir au coordonnateur d'élection la liste des producteurs dont le nom figure dans un carnet de livraison à cette date ou y figurait au cours de la dernière campagne agricole. À cause de difficultés reliées au programme d'ordinateur qui devait produire la liste, la CCB ne l'a pas fait.


[57]            À cause de cette erreur, environ 200 électeurs de la circonscription de M. Mainil n'ont pas reçu leur bulletin de vote au moins 25 jours avant la fin de la période d'élection, comme l'exige l'article 17 du Règlement. La période de 25 jours devrait permettre aux électeurs de recevoir les documents, de réfléchir à leur choix et de renvoyer les bulletins remplis au coordonnateur d'élection en temps utile. Elle permet également aux candidats de contacter les électeurs potentiels et de solliciter leur appui.

[58]            Pour ce qui concerne les producteurs non inscrits, les bulletins ont été envoyés à ces personnes environ une semaine avant la fin de la période d'élection, ce qui a beaucoup limité la période de temps dont ont disposé tant les électeurs que les candidats pour accomplir ces gestes. En outre, l'affidavit de Peter Eckersley, déposé pour le compte de MNP, révèle qu'au moins quelques bulletins n'ont probablement pas été remis aux électeurs avant la fin de la période d'élection.

[59]            Il s'agit de bien plus qu'une simple « entorse à la procédure » ; à mon avis, il s'agit d'une question sérieuse.

Si l'injonction n'est pas accordée, y aura-t-il un préjudice irréparable?

[60]            M. Mainil prétend d'abord que les producteurs de grain canadiens subiront un préjudice irréparable si les bulletins sont dépouillés et les résultats de l'élection annoncés. Selon M. Mainil, si le processus électoral est complété, l'ensemble du processus sera entaché et son intégrité compromise compte tenu des erreurs dont est entaché le processus.


[61]            La jurisprudence est claire. Lors d'une demande d'injonction interlocutoire, la question n'est pas de savoir si des tiers subiront un préjudice irréparable, mais plutôt de savoir si la personne qui demande l'injonction subira elle-même un tel préjudice : voir Dodge c. Johnson, 2003 CFPI 36 (C.F. 1re inst.).

[62]            Pour ce qui concerne M. Mainil lui-même, ce dernier prétend que si le processus se poursuit et s'il est débouté, il subira un préjudice important du fait de l'annonce des résultats et que cette élection sera à jamais entachée. Je ne saurais retenir cet argument.

[63]            La preuve à l'appui du préjudice irréparable doit être claire et non présumée : Nature c. Sci-Tech Educational Inc., (1992), 141 N.R. 363 (CAF). Il n'y a aucune preuve qui étaye la prétention de M. Mainil selon laquelle il subira un préjudice irréparable si les résultats de l'élection sont annoncés, mis à part sa simple affirmation. Je constate également que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté un argument similaire dans Bob c. British Columbia, 2002 CSCB 733.

[64]            Enfin, M. Mainil prétend qu'il subira un préjudice irréparable si les bulletins sont ouverts et dépouillés puisqu'il ne sera plus possible de savoir quels électeurs ont pu voter et qu'il ne pourra plus démontrer les répercussions des difficultés rencontrées pendant le processus électoral.


[65]            J'ai conclu que la situation des producteurs non inscrits soulevait une question sérieuse. La CCB et MNP disent qu'il est possible de repérer ces bulletins au moyen du code de barres qui se trouve sur les enveloppes. Ils ont également affirmé qu'ils étaient tout à fait disposés à le faire si la Cour rend une ordonnance en ce sens.

[66]            Je suis convaincue que cette solution résoudra le problème soulevé par M. Mainil et j'ordonne donc que la CCB et MNP repèrent et enregistrent les bulletins des producteurs non inscrits. Les dossiers ne devraient mentionner que le code de barres sans divulguer le nom des électeurs, conformément à l'article 23 du Règlement.

[67]            La question de savoir si M. Mainil a qualité pour contester le processus dans des circonscriptions électorales autres que celle dans laquelle il a été candidat me donne quelque souci; cependant les parties n'ont pas soulevé cette question qui sera tranchée à une autre occasion. Entre-temps, il faudra tenir des dossiers relativement aux bulletins des producteurs non inscrits dans chacune des quatre circonscriptions visées.

La prépondérance des inconvénients favorise-t-elle l'octroi de l'injonction?

[68]            M. Mainil prétend qu'il serait préférable qu'il n'y ait aucun administrateur dans les circonscriptions en cause plutôt que des administrateurs irrégulièrement élus et que, par voie de conséquence, la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi de l'injonction. Je ne suis pas d'accord.

[69]            Selon moi, la prépondérance des inconvénients favorise nettement la poursuite du processus électoral. Si l'injonction était accordée, le 31 décembre 2004, les producteurs de quatre circonscriptions ne seraient pas représentés à la CCB.

[70]            Les onze autres administrateurs formeraient quorum, ce qui permettrait à la CCB d'exercer ses fonctions; cependant, des dizaines de milliers de producteurs de grains seraient en fait privés de leurs droits jusqu'à ce que la question soit enfin réglée. Cette situation est particulièrement inquiétante puisque le conseil d'administration doit participer à au moins deux événements importants au cours des prochaines semaines.

[71]            Selon l'affidavit de Deborah Harri, la CCB a prévu une importante consultation des chefs de file du secteur agricole au sujet de l'avenir de la CCB. La consultation devrait avoir lieu début janvier 2005. Quelques semaines plus tard, la CCB organisera une session de planification stratégique de deux jours à l'intention du conseil d'administration afin que le conseil élabore davantage et fasse progresser le plan stratégique de la CCB. Il est donc très important que les circonscriptions 4, 6, 8 et 10 puissent participer au processus.

[72]            Par conséquent, je suis convaincue que la prépondérance des inconvénients favorise la CCB.


Conclusion

[73]            Puisque M. Mainil n'a pas établi qu'il subira un préjudice irréparable ou que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi d'une injonction interlocutoire, la requête de M. Mainil est rejetée. Les dépens suivront l'issue de la cause.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La CCB et MNP prendront note des bulletins de vote des producteurs non inscrits dans chacune des circonscriptions électorales 4, 6, 8 et 10 en consignant au dossier uniquement le code de barres;

2.         La requête est par ailleurs rejetée, les dépens suivront l'issue de la cause.

            « Anne L. Mactavish »            

Juge                           

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-2191-04

INTITULÉ :                                                          ARTHUR MAINIL

c.

LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

MEYERS NORRIS PENNY ET

TOM JACKSON ET ROD FLAMAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 20 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                         LE 23 DÉCEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stephen J. Orlowski                                                POUR LE DEMANDEUR

Jonathan B. Kroft                                                    POUR LA DÉFENDERESSE LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

David E. Swayze                                                     POUR LE DÉFENDEUR MEYERS NORRIS PENNY

Tom Jackson                                                           POUR SON PROPRE COMPTE

Roderick Flaman                                                     POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orlowski Law Office                                               POUR LE DEMANDEUR

Estevan (Saskatchewan)

Aikins, MacAulay & Thorvaldson LLP                    POUR LA DÉFENDERESSE LA

Winnipeg (Manitoba)                                               COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

Meighen, Haddad & Co.                                         POUR LE DÉFENDEUR

Brandon (Manitoba)                                                MEYERS NORRIS PENNY


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