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Date : 20000616


Dossier : IMM-2380-99



ENTRE :


CHU PING LIAO



demandeur


et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON


INTRODUCTION


[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision, datée du 20 avril 1999, dans laquelle un agent des visas du consulat général du Canada à Hong Kong a rejeté la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur avait présentée dans le cadre de la catégorie des investisseurs. L'agent des visas a fondé sa décision sur le fait qu'il n'était pas convaincu que le demandeur avait déjà exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise et qu'en conséquence, il n'était pas visé par la définition du terme « investisseur » qui se trouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 19781.

LE CONTEXTE

[2]      Selon la copie de la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur a présentée et qui fait partie des documents (le dossier du tribunal) transmis à la Cour conformément à la Règle 318 des Règles de la Cour fédérale (1998)2, le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine né à Shenzhen (Guangdong) le 9 février 1965. Il a complété un baccalauréat en science économique à l'Université de Shenzhen, en 1988. Depuis la fin de ses études, il a travaillé pour quatre entreprises, dont les deux plus importantes sont, pour les fins de la présente demande, Bao'an Post and Telecommunications Bureau et Honbo Communication Investment and Development Corporation.

LA DÉCISION QUI FAIT L'OBJET DU CONTRÔLE

[3]      Après avoir renvoyé à la définition d' « investisseur » du Règlement sur l'immigration de 1978 qui était en vigueur à l'époque pertinente, l'agent des visas a écrit :

[TRADUCTION] Vous avez soutenu, à l'entrevue, que vous avez exploité avec succès le magasin Ping Qi, en Chine, de 1988 à 1991. Cependant, vous n'avez pas produit de document fiable pour étayer cette prétention.
Lorsqu'on vous a demandé de décrire vos responsabilités chez Honbo Communication Investment and Development Corporation entre 1993 et 1996, vous avez dit que vous aviez obtenu le contrat d'assurer la gestion du département du commerce.
Vous avez dit que comme vous travailliez pour Honbo en tant que consultant, vous ne preniez pas les décisions finales en matière d'embauche de personnel, d'achats et de direction; votre rôle se limitait à faire des recommandations. Vous avez mentionné que les décisions finales, qui étaient fondées sur vos recommandations, étaient prises soit par le directeur général, soit par le conseil d'administration, ou les deux.
Vous vous décrivez maintenant comme un employé actuel de Honbo, et vous soutenez que vous suivez les ordres du directeur général.
Je ne suis pas convaincu que vous ayez déjà eu, chez Honbo, le pouvoir de prendre des décisions à un niveau qui indiquerait que vous êtes, ou avez été, en mesure d'exploiter, contrôler ou diriger les activités que mène cette entreprise dans le cadre de ses affaires.
Pour ce qui est de votre participation au sein de l'entreprise Parason depuis 1997, vous avez fourni des réponses incomplètes à l'entrevue. Vous ne paraissiez pas connaître en détail les activités que mène cette entreprise dans le cadre de ses affaires.
Compte tenu de vos réponses, je ne suis pas convaincu que vous ayez déjà exploité, contrôlé ou dirigé cette entreprise avec succès.
Vu ce qui précède, je ne suis pas convaincu que vous ayez déjà exploité, contrôlé ou dirigé une entreprise avec succès. Je ne suis donc pas convaincu que vous êtes visé par la définition d'investisseur.

LE CADRE LÉGISLATIF

[4]      Voici comment le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978 définissait le terme « investisseur » à l'époque pertinente :

"investor" means an immigrant who

« investisseur » Immigrant qui satisfait aux critères suivants

(a) has successfully operated, controlled or directed a business,

(b) has made a minimum investment since the date of the investor's application for an immigrant visa as a investor, and

(c) has a net worth, accumulated by the immigrant's own endeavours,

     i) where the immigrant makes an investment referred to in subparagraph (a)(i) or (ii), (b)(i), (c)(i) or (ii), (d)(i) or (ii) or (e)(i) or (ii) of the definition "minimum investment", of at least $500,000, or

     (ii) where the immigrant makes an investment referred to in subparagraph (a)(iii), (b)(ii), (c)(iii), (d)(iii) or (e)(iii) of the definition "minimum investment", of at least $700,000;

(a) il a exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise;

(b) il a fait un placement minimal depuis la date de sa demande de visa d'immigrant à titre d'investisseur;

(c) il a accumulé par ses propres efforts:


     (i) un avoir net d'au moins 500 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), b)(i), c)(i) ou (ii), d)(i) ou (ii) ou e)(i) ou (ii) de la définition de « placement minimal » ,

     (ii) un avoir net d'au moins 700 000 $, dans le cas d'un immigrant qui fait un placement visé aux sous-alinéas a)(iii), b)(ii), c)(iii), d)(iii) ou e)(iii) de la définition de « placement minimal » .



L'expression « placement minimal » était, à l'époque pertinente, également définie au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978. Compte tenu de la définition du terme « immigrant » au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration3, le demandeur était, en tant que personne qui cherchait à obtenir le droit de s'établir au pays, un « immigrant » .

LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[5]      À l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, les avocats étaient d'accord que la présente affaire ne soulevait que deux questions litigieuses, qui peuvent être brièvement formulées de la façon suivante. Premièrement, l'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit et nié au demandeur l'équité procédurale lorsqu'il a omis d'apprécier ce dernier au regard de chacun des critères que pose la définition du terme « investisseur » ?; plus particulièrement, l'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit lorsqu'il a omis d'apprécier pleinement la question de savoir si le demandeur avait exploité, contrôlé ou dirigé l'une ou l'autre des entreprises auxquelles il était associé? Les avocats étaient également d'accord que l'appréciation que l'agent des visas a faite du demandeur n'était contestée qu'en ce qui concerne la participation de ce dernier au sein de Honbo et Bao'an. Deuxièmement, compte tenu du fait que l'agent des visas n'a pas produit d'affidavit dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le défendeur pouvait-il se fonder sur les notes CAIPS et les notes manuscrites faisant partie du dossier du tribunal pour établir le contexte factuel dans lequel le demandeur a présenté sa demande de résidence permanente au Canada?     

LES POSITIONS DES PARTIES

[6]      L'avocat du demandeur a soutenu qu'il ressortait clairement des documents dont la Cour a été convenablement saisie, documents qui, selon lui, ne comprenaient ni les notes CAIPS, ni les notes manuscrites qui faisaient partie du dossier du tribunal, que l'agent des visas a mis l'accent, exclusivement pour ainsi dire, sur l'aspect « contrôle » , au détriment des aspects « direction » et « exploitation » . L'avocat s'est fondé sur la décision Koo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, et les décisions qui y sont citées, pour étayer son argument selon lequel l'expression « exploité, contrôlé ou dirigé » est de nature disjonctive, de sorte qu'il suffit au demandeur d'établir qu'il a rempli l'une ou l'autre de ces fonctions, qu'il n'est pas nécessaire que ce dernier établisse qu'il les a toutes exercées ou qu'il en a exercé une en particulier, et, en outre, qu'il n'est pas nécessaire que le demandeur ait exploité, contrôlé ou dirigé avec succès un conglomérat tout entier s'il est en mesure de démontrer qu'il avait la responsabilité d'exploiter, contrôler ou diriger une partie intégrante et rentable du conglomérat*. L'avocat a attiré mon attention sur un organigramme, en page 31 du dossier du tribunal, et des documents, aux pages 96 et 97 du dossier du tribunal, qui établissent selon lui que le demandeur a exploité avec succès une partie importante de Honbo comme s'il s'agissait, pour ainsi dire, d'une entité distincte, et qu'à ce titre, il exerçait des responsabilités très importantes en matière de commercialisation, et ce malgré le fait qu'en définitive, les principaux dirigeants et le conseil d'administration de Honbo en conservaient le contrôle et la direction.

[7]      Par contraste, l'avocat du défendeur a notamment soutenu qu'il ressortait de l'affidavit que le demandeur a produit pour étayer sa demande de contrôle judiciaire qu'il n'avait jamais exploité, contrôlé ou dirigé une entreprise, peu importe la façon dont on la définissait. Il a plutôt fait valoir qu'il ressortait de l'affidavit qu'en ce qui concerne chaque expérience du demandeur du monde des affaires à l'égard de laquelle il y avait des éléments de preuve, l'entreprise avait toujours été exploitée, contrôlée et dirigée par d'autres personnes.

    

L'ANALYSE

[8]      Il va de soi qu'il incombe au demandeur qui cherche à obtenir le droit de s'établir au Canada d'établir qu'il satisfait pleinement aux exigences que prévoit la loi canadienne. En l'espèce, le demandeur devait notamment convaincre l'agent des visas qu'il avait déjà exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise. Peu importe la conclusion à laquelle je serais parvenu sur la base de l'ensemble des documents dont disposait l'agent des visas, je suis convaincu que la conclusion de l'agent des visas selon laquelle le demandeur n'a pas établi qu'il avait déjà exploité, contrôlé ou dirigé avec succès une entreprise était une conclusion qu'il pouvait raisonnablement tirer. J'en suis venu à cette conclusion après avoir soigneusement examiné le dossier du tribunal et les dossiers de la demande du demandeur et du défendeur, et sans renvoyer aux notes CAIPS et aux notes manuscrites qui font partie du dossier du tribunal.

[9]      Vu ma conclusion qui précède, il n'est pas nécessaire que j'examine la deuxième question litigieuse, savoir si le défendeur pouvait se fonder sur les notes CAIPS et les notes manuscrites qui font partie du dossier du tribunal en l'absence d'un affidavit de l'agent des visas attestant des circonstances dans lesquelles ces notes ont été prises et en attestant la véracité et l'exactitude. Je ferai néanmoins de très brèves remarques à ce sujet.

[10]      Les avocats ont reconnu que la Section d'appel et la Section de première instance de la Cour fédérale ont toutes les deux été saisies de cette question à un certain nombre d'occasions. La décision la plus récente qui a été publiée à ce sujet est peut-être celle que Madame le juge Reed a rendue dans l'affaire Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)5.

[11]      Voici ce que Madame le juge Reed a écrit au paragraphe 8 de ses motifs, après avoir longuement cité l'arrêt Wang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)6 de la Cour d'appel fédérale, dans lequel les notes en cause étaient des notes manuscrites d'un agent des visas :

Les notes CAIPS qu'un agent des visas a versées dans l'ordinateur ne sont pas de nature différente des notes manuscrites d'un agent des visas. La seule différence se situe sur le plan de la méthode de prise des notes : les unes sont dactylographiées, les autres, manuscrites.
Plusieurs décisions ont suivi la décision Wang. [dans laquelle la Cour a conclu que rien ne justifiait de s'écarter des normes habituellement applicables en matière de preuve pour ce qui est des notes manuscrites, et qu'aucun fondement juridique n'étayait le point de vue selon lequel les notes doivent être considérées comme établissant la véracité de leur contenu même si aucun affidavit en attestant la véracité n'a été produit]. Dans ces décisions, l'agent des visas n'a pas produit d'affidavit attestant la véracité des notes ou de la façon dont l'entrevue s'est déroulée. En outre, la décision Wang a été citée avec approbation par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Moldeveanu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 1 Imm. L.R. (3d) 105 (C.A.F.).
L'avocate du défendeur fait valoir que ces décisions ont été rendues sous le régime des anciennes Règles, et qu'il arrive maintenant souvent que la Cour permette au défendeur de se fonder sur les notes CAIPS en tant que preuve de ce qui s'est produit à l'entrevue sans que l'agent ait préalablement déposé un affidavit.
Je ne suis pas encline à me fonder sur les décisions de mes collègues qui ont pu permettre que l'on se fonde sur les notes CAIPS même si l'agent des visas n'avait pas produit d'affidavit, à moins que quelque chose n'indique que l'on avait attiré leur attention sur l'important courant jurisprudentiel susmentionné auquel on m'a demandé de renvoyer dans l'affaire Hailing Qiu, précitée. [Certaines citations ont été omises.]

[12]      Après avoir renvoyé à l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)7 de la Cour suprême du Canada, dans lequel la Cour a considéré que des notes faisant partie du dossier du tribunal constituaient les motifs de la décision examinée, Madame le juge Reed poursuit :

J'accepte donc que les notes CAIPS soient admises au dossier en tant que motifs de la décision qui fait l'objet du présent contrôle. Cependant, les faits qui sous-tendent la présente affaire sur lesquels elles sont fondées doivent être établis de façon indépendante. En l'absence d'un affidavit d'un agent des visas attestant la véracité de ce qu'il a, dans ses notes, inscrit comme ce qui a été dit à l'entrevue, les notes n'ont pas de statut en tant que preuve.

[13]      Je souscris à ces propos de Madame le juge Reed et je dirais la même chose si je devais trancher la question de savoir si le défendeur pouvait se fonder sur les notes CAIPS et les notes manuscrites que contient le dossier du tribunal dans la présente affaire.

LA CONCLUSION

[14]      Compte tenu de l'analyse qui précède, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

LA CERTIFICATION D'UNE QUESTION

[15]      Le demandeur disposera d'un délai de dix (10) jours, à partir de la date des présents motifs, pour faire des observations sur la certification d'une question, après les avoir d'abord signifiées à l'avocat du défendeur. L'avocat du défendeur disposera alors d'un délai de dix (10) jours pour signifier et déposer ses propres observations. Le demandeur pourra, dans un délai de trois (3) jours ouvrables à partir de la date où la réponse du défendeur lui sera signifiée, déposer toute réplique, le cas échéant.


LES DÉPENS

[16]      Les dépens suivront l'issue de la cause.


« Frederick E. Gibson »

juge


Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 16 juin 2000.










Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  IMM-2380-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Chu Ping Liao c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 8 juin 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  16 juin 2000


ONT COMPARU :                  M. Cecil L. Rotenberg

Pour le demandeur

M. Kevin Lunney

Pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Cecil L. Rotenberg

Barrister & Solicitor

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

__________________

1 DORS/78-172.

2 DORS/98-106.

3 L.R.C. (1985), ch. I-2.

4 (1998), 43 Imm. L.R. (2d) 251 (C.F. 1re inst.).

5 [2000] A.C.F. no 314 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

6 [1991] 2 C.F. 165 (C.A.F.).

7 [1999] 2 R.C.S. 817.

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