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Date : 20040915

Dossier : IMM-7625-03

Référence : 2004 CF 1251

Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                        PEIRIS, SAMSON (WARNAKULASURIYA)

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Samson Peiris, âgé de 25 ans, est un Cinghalais citoyen du Sri Lanka. Il est homosexuel. M. Peiris prétend craindre d'être persécuté par ses parents, les membres de sa famille, le prêtre et la police en raison de son orientation sexuelle. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) paraît avoir accepté le fait que M. Peiris est homosexuel. Elle a toutefois rejeté sa demande d'asile, concluant que, bien qu'il ait été rejeté par sa famille, ses amis et le clergé en raison de ce que la Commission a appelé son [traduction] « choix de style de vie » , cela n'équivalait pas à de la persécution.

[2]                La Commission a également conclu que M. Peiris n'avait pas été pris pour cible par la police en raison de son orientation sexuelle et qu'en tout état de cause, il avait une possibilité de refuge intérieur (une PRI) à Colombo.

[3]                M. Peiris cherche à obtenir l'annulation de la décision de la Commission, affirmant que celle-ci a mal interprété certains des éléments de preuve et qu'elle n'a pas tenu d'autres éléments de preuve, ce qui aurait vicié la conclusion de la Commission suivant laquelle M. Peiris n'était pas persécuté par la police en raison de son orientation sexuelle. Il soutient également que la conclusion de la Commission quant à l'existence d'une PRI est abusive.

Allégations de M. Peiris

[4]                M. Peiris prétend avoir informé sa famille et ses amis de son homosexualité en mars 2001, et avoir été forcé à quitter le foyer familial un mois plus tard. M. Peiris et environ 30 autres personnes formaient un groupe appelé l'Association des jeunes. L'un des objectifs du groupe était d'essayer d'éduquer les proches des membres sur l'homosexualité. L'Association a tenu une rencontre en septembre ou en octobre 2001, rencontre à laquelle les familles et les amis des membres avaient été invités. Les membres n'ont toutefois pas réussi à se faire accepter par leurs proches.

[5]                Le groupe n'a pas essayé de tenir d'autres rencontres avec des non-membres, mais a continué à se réunir en secret. M. Peiris affirme que, durant ces rencontres informelles, les membres fumaient, buvaient et regardaient des vidéocassettes.

[6]                M. Peiris affirme qu'en décembre 2001, des hommes de main se sont présentés à la maison où se réunissaient les membres de l'Association. Les hommes de main ont battu les membres de l'Association et ont saccagé la maison. Selon M. Peiris, les membres de l'Association se sont fait dire par leurs agresseurs qu'ils propageaient un style de vie infâme, et qu'ils seraient [traduction] « éliminés » s'ils poursuivaient leurs activités homosexuelles.

[7]                M. Peiris allègue que les membres du groupe ont essayé de signaler l'incident à la police, mais que la police a refusé d'enregistrer la plainte. M. Peiris prétend qu'au lieu d'aider les victimes de l'agression, la police a menacé de porter des accusations contre les membres de l'Association en vertu de la loi sri-lankaise contre la sodomie, au motif qu'ils se livraient à des activités illégales.

[8]                Malgré cette agression, les membres de l'Association ont continué à se réunir. M. Peiris affirme que la police était au courant de ces rencontres et qu'en septembre 2002, elle a fait une descente à l'endroit où ils se rencontraient. Les autres membres de l'Association ont réussi à s'échapper, mais M. Peiris, qui était complètement ivre à ce moment, a été arrêté par la police.

[9]                M. Peiris prétend avoir été interrogé par la police au sujet des autres membres de l'Association. La police l'a également battu, puis elle l'a obligé à sortir pour le faire parader devant ses voisins, qui l'ont ridiculisé. M. Peiris soutient qu'avant de le remettre en liberté, la police l'a averti que s'il était arrêté de nouveau, des accusations criminelles seraient portées contre lui et il serait envoyé en prison pendant cinq ans. Peu après cet incident, M. Peiris a quitté le Sri Lanka.

Décision de la Commission

[10]            Dans une décision relativement courte, la Commission a conclu que l'allégation de M. Peiris suivant laquelle il était persécuté par la police du fait de son orientation sexuelle n'était pas crédible à la lumière de la preuve documentaire portant sur la situation au Sri Lanka pour les gais et les lesbiennes. Selon la Commission, cette preuve indiquait que, malgré l'existence d'une loi en vigueur interdisant l'homosexualité au Sri Lanka, cette loi n'était pas appliquée par la police.

[11]            La Commission a affirmé que le seul [traduction] « incident mettant en cause la police » s'était produit un an après la rencontre initiale tenue par l'Association des jeunes en septembre 2001. Dans ces circonstances, la Commission n'a pas jugé crédible l'allégation suivant laquelle la police prenait pour cible M. Peiris du fait de son homosexualité. La Commission a plutôt conclu que la police avait fait une descente au pavillon de l'Association parce que les membres étaient chahuteurs.


[12]            Enfin, la Commission a conclu que M. Peiris pouvait facilement déménager à Colombo, où il y avait une communauté gaie ainsi que des organismes reconnus de soutien aux gais et lesbiennes.

Questions litigieuses

[13]            M. Peiris a soulevé un certain nombre de questions, mais, à mon avis, il y a deux questions qui sont déterminantes en l'espèce. Il s'agit des questions suivantes :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur ne tenant pas compte de la preuve ou en interprétant mal celle-ci? et

2.         La conclusion de la Commission suivant laquelle il existe une PRI est-elle manifestement déraisonnable?

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve ou en interprétant mal celle-ci?

[14]            La Commission n'indique pas très clairement dans sa décision quels éléments de preuve elle a acceptés et quels sont ceux qu'elle a rejetés. Il est clair que les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité ne sont pas exprimées en « termes clairs et explicites » comme l'a exigé la Cour d'appel dans l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199.

[15]            Cependant, je crois qu'il est clair à la lecture de la décision que la Commission était disposée à convenir que M. Peiris était effectivement gai. Il ressort également de la décision que la Commission a accepté que les incidents allégués par M. Peiris s'étaient réellement produits.

[16]            La Commission a conclu que M. Peiris n'avait pas réussi à établir l'existence d'un lien entre la descente effectuée en septembre 2002 dans les locaux de l'Association des jeunes et son homosexualité. En tirant cette conclusion, la Commission ne fait aucune mention du témoignage de M. Peiris relativement à la descente faite en décembre 2001 au pavillon de l'Association des jeunes, ni des tentatives infructueuses des membres de l'Association d'obtenir la protection de la police. En particulier, elle ne fait aucune mention de l'allégation de M. Peiris suivant laquelle la police avait menacé de porter des accusations contre les membres de l'Association au motif que ceux-ci se livraient à des activités illégales.

[17]            Bien qu'on puisse présumer que la Commission a examiné l'ensemble de la preuve, la Commission en l'espèce n'a pas mentionné certains éléments qui avaient une importance cruciale pour l'argument de M. Peiris suivant lequel il était persécuté par la police du fait de son orientation sexuelle. Faisant mien le raisonnement suivi par la Cour dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), je suis disposée à inférer que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve.

[18]            De plus, la preuve n'appuie aucunement la conclusion de la Commission selon laquelle la police avait fait une descente au pavillon de l'Association en septembre 2002 parce que les membres de l'Association étaient chahuteurs. Il est difficile de voir comment la Commission a pu en arriver à cette conclusion, compte tenu du témoignage de M. Peiris voulant que le pavillon ait été situé dans un endroit éloigné au bord de la mer, très loin de toute autre habitation.

[19]            En conséquence, même en tenant compte de la grande retenue judiciaire dont il faut faire preuve relativement aux conclusions de fait tirées par la Commission, j'estime que la conclusion de la Commission suivant laquelle il n'y avait aucun lien entre la descente de septembre 2002 et l'orientation sexuelle de M. Peiris ne peut être maintenue.

La conclusion de la Commission suivant laquelle il existe une PRI est-elle manifestement déraisonnable?

[20]            La Commission a traité de la question relative à la PRI en trois lignes, concluant que M. Peiris avait une possibilité de refuge intérieur à Colombo parce qu'il y avait une communauté homosexuelle et des organismes de soutien aux homosexuels dans cette ville.


[21]            La preuve documentaire dont était saisie la Commission appuie la conclusion suivant laquelle il existe une communauté homosexuelle à Colombo ainsi que des organismes de soutien aux gais et lesbiennes. Toutefois, la preuve indique également que ces organismes sont souvent pris pour cibles par la police, laquelle se montre physiquement et verbalement violente envers leurs membres. De plus, bien que la loi interdisant la sodomie ne soit pas appliquée, la police s'en sert souvent pour faire du chantage aux homosexuels.

[22]            J'ai des réserves quant au fait que la Commission n'a fait mention d'aucun de ces éléments de preuve dans sa décision. Il était loisible à la Commission d'apprécier ces éléments de preuve et de les rejeter. Toutefois, compte tenu de l'importance de ces éléments de preuve relativement à une question centrale en l'espèce, la Commission ne pouvait tout simplement ne pas en tenir compte.

[23]            Pour ces motifs, j'estime que la présente demande doit être accueillie.

Certification

[24]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier et aucune question ne se pose en l'espèce.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

                                                                             


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-7625-03

INTITULÉ :                                       PEIRIS, SAMSON (WARNAKULASURIYA)

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 1ER SEPTEMBRE 2004       

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                     LE 15 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                     POUR LE DEMANDEUR

Allison Phillips                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocat

166, rue Pearl, pièce 100

Toronto (Ontario)

M5H 1L3

Morris Rosenberg                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                      Date : 20040901

                  Dossier : IMM-7625-03

ENTRE :

SAMSON (WARNAKULASURIYA) PEIRIS

                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE

L'IMMIGRATION

                                                                 défendeur

                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                        


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