Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060711

Dossier : IMM‑5806‑05

Référence : 2006 CF 868

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

ENTRE :

GUO LIN LI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visée au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 12 septembre 2005. La Commission a décidé que le demandeur n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et elle a rejeté sa demande d’asile.

 

QUESTION EN LITIGE

[2]               La Commission a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la crédibilité du demandeur?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la réponse à cette question est affirmative et la demande est accueillie.

 

FAITS

[4]               Le demandeur, un citoyen de la Chine, est né le 14 septembre 1982 à Changle, dans la province du Fujian.

 

[5]               En juin 2002, l’un de ses amis, Wen Chen, est arrivé chez lui pour lui demander de le cacher, alléguant qu’il était recherché par le Bureau de la sécurité publique chinois (le BSP) pour ses activités relatives au Falun Gong.

 

[6]               Le demandeur a hébergé M. Chen pendant deux mois environ.

 

[7]               Plusieurs jours après le départ de M. Chen, le demandeur a appris d’un autre de ses amis qu’il avait été capturé et torturé par le BSP en raison de ses activités relatives au Falun Gong. Pendant sa détention, M. Chen avait mentionné le nom du demandeur au BSP.

 

[8]               Le demandeur s’est enfui à Shanghai en train parce qu’il se sentait en danger même s’il n’était pas lui‑même un adepte du Falun Gong. Pendant son absence, le BSP s’est rendu chez lui et a remis à ses parents une sommation indiquant qu’il était soupçonné de participer aux activités du Falun Gong.

 

[9]               Après être resté à Shanghai pendant vingt jours environ, le demandeur est allé dans la province du Guangdong, où il a passé une vingtaine de jours. Il est arrivé par la suite à la conclusion qu’il lui était impossible de se cacher indéfiniment et qu’il serait arrêté par le BSP s’il ne quittait pas la Chine.

 

[10]           Le demandeur est ensuite retourné à Shanghai, où il a pris des dispositions pour s’enfuir du pays.

 

[11]           Le demandeur est arrivé au Canada le 19 décembre 2002, après être passé par la Thaïlande et la Corée. Il a demandé l’asile à son arrivée à l’aéroport international de Vancouver.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]           La Commission a jugé que le demandeur n’était pas crédible au regard d’aspects importants de sa demande et a relevé « des divergences, des omissions et des invraisemblances […] entre la preuve documentaire du demandeur d’asile et le témoignage de vive voix qu’il a rendu à l’audience ».

 

[13]           La Commission a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du fait que le demandeur n’avait pas mentionné que son père avait perdu son emploi en raison des prétendues activités de son fils relatives au Falun Gong.

 

[14]           Le demandeur d’asile a fourni la preuve que son père avait perdu son emploi au cours de son témoignage et a expliqué qu’il n’avait pas fait état des représailles exercées contre son père dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) parce qu’il avait compris que les renseignements demandés dans ce document concernaient exclusivement ce qui lui était arrivé à lui.

 

[15]           La Commission n’a pas accepté cette réponse, la jugeant inadéquate parce que le FRP indique clairement que le demandeur doit énumérer les « mesures prises contre [lui] et les membres de [sa] famille ».

 

[16]           La Commission a aussi tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité du fait que le demandeur avait omis de mentionner les endroits où il s’était caché entre juin et novembre 2003 dans la liste de ses lieux de résidence au cours des dix dernières années qui figure dans son FRP.

 

[17]           Dans ses motifs, la Commission a écrit : « Interrogé sur la raison pour laquelle il a omis d’inclure cette information, le demandeur d’asile a témoigné qu’il ne l’a pas incluse parce qu’il se cachait. Le tribunal n’a pas trouvé que cette réponse était adéquate; il trouve, de plus, que le demandeur d’asile fait preuve d’un manque de cohérence par rapport à la preuve documentaire fournie à l’appui de sa demande d’asile. »

 

[18]           La Commission a conclu ses motifs en disant que, compte tenu de l’ensemble de la preuve dont elle disposait et des exemples qu’elle avait cités, il n’y avait pas suffisamment de preuve crédible pour étayer la demande du demandeur.

ANALYSE

La norme de contrôle

[19]           Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité du demandeur sont des conclusions de fait à laquelle la norme de la décision manifestement déraisonnable s’applique dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[20]           Le demandeur prétend que la Commission a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans ses motifs en ce qui a trait aux deux aspects de son témoignage qu’elle n’a pas jugé crédibles.

 

[21]           En ce qui concerne le fait qu’il a omis de mentionner dans son FRP que son père avait perdu son emploi, le demandeur soutient qu’il s’agit d’un détail et non d’une erreur importante.

 

[22]           Le demandeur fait valoir que la Commission a omis de faire une distinction entre l’omission d’un élément de preuve qui fragilise le témoignage du demandeur et l’omission d’un simple détail qui n’a pas cet effet.

 

[23]           Le demandeur prétend que la Commission n’a donc pas examiné de manière appropriée la preuve dont elle disposait.

 

[24]           En ce qui concerne les prétendues contradictions concernant ses lieux de résidence, le demandeur prétend que les motifs de la Commission ne sont pas clairs et qu’en ne s’exprimant pas clairement la Commission l’a empêché de comprendre pourquoi sa demande était rejetée.

 

[25]           Le demandeur se fonde à cet égard sur le paragraphe suivant des motifs de la Commission :

En outre, le tribunal note que le demandeur d’asile aurait donné refuge à un praticien de Falun Gong pendant environ trois jours, en juillet 2003. Le tribunal note que le demandeur d’asile se serait caché de juillet 2003 à son départ en novembre 2003. Cependant, aussi bien dans son FRP que dans les notes prises au point d’entrée, le demandeur d’asile a omis d’inclure cette information en réponse à la question sur ses adresses depuis les dix dernières années. Interrogé sur la raison pour laquelle il a omis d’inclure cette information, le demandeur d’asile a témoigné qu’il ne l’a pas incluse parce qu’il se cachait. Le tribunal n’a pas trouvé que cette réponse était adéquate; il trouve, de plus, que le demandeur d’asile fait preuve d’un manque de cohérence par rapport à la preuve documentaire fournie à l’appui de sa demande d’asile.

 

 

[26]           Le défendeur relève un grand nombre de divergences dans le témoignage du demandeur, ce qui, d’après lui, justifiait la décision de la Commission de rejeter la demande.

 

[27]           C’est peut‑être le cas, mais la Cour n’est pas, en l’espèce, saisie d’un appel concernant la décision de la Commission de rejeter la demande du demandeur. Le travail de la Cour consiste, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, à examiner la décision de la Commission et à décider si les motifs pour lesquels elle a rejeté la demande du demandeur étaient manifestement déraisonnables.

 

[28]           Après avoir examiné attentivement les motifs de la Commission, j’estime que ceux‑ci contiennent des erreurs susceptibles de contrôle.

 

[29]           Le fait que le demandeur a omis de faire état de la perte d’emploi de son père dans son FRP n’a certainement pas aidé sa cause, mais ce genre d’omission ne devrait pas porter à sa demande un coup aussi fatal qu’une contradiction directe. Il est intéressant également de noter que la Commission ne se prononce pas sur la crédibilité de l’allégation du demandeur.

 

[30]           En outre, bien qu’il ait vraisemblablement omis d’énumérer dans son FRP les lieux où il a habité à Shanghai et dans la province du Guangdong, le demandeur a mentionné qu’il s’était enfui à ces endroits.

 

[31]           Dans ce cas également, la Commission s’est appuyée sur un détail et non sur une contradiction pour tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité, et elle ne s’est pas prononcée explicitement sur la crédibilité de l’allégation du demandeur concernant sa fuite à Shanghai et dans la province du Guangdong.

 

[32]           Dans Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] A.C.F. no 444 (C.A.F.) (QL), la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Commission parce que celle‑ci avait fait montre d’un excès de zèle et « [avait] manifest[é] une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions », alors que les allégations du demandeur étaient étayées par de nombreux éléments de preuve.

 

[33]           En l’espèce, les deux motifs donnés par la Commission pour rejeter la demande du demandeur ne peuvent résister à l’examen minutieux effectué dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

[34]           Les parties n’ont soumis aucune question à certifier et aucune question semblable n’est soulevée en l’espèce.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑5806‑05

 

 

INTITULÉ :                                                       GUO LIN LI

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 20 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 11 JUILLET 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Asha Gafar                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.