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Date : 20050711

Dossier : IMM-8000-04

Référence : 2005 CF 969

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NOËL

ENTRE :

                                                ROOZBEH KIANPOUR ATABAKI

                                                                                                                                      demandeur

                                                                            et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la formation) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu, le 27 août 2004, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger » conformément aux définitions figurant aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C., 2001, ch. 27 (la LIPR), parce qu'il était une personne visée à l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention). Le demandeur sollicite l'annulation de cette décision et le renvoi de sa demande pour qu'une formation différemment constituée rende une nouvelle décision.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                La formation a-t-elle omis d'observer un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale; a-t-elle agi sans avoir la compétence nécessaire ou a-t-elle outrepassé sa compétence; ou bien a-t-elle par ailleurs rendu une décision fondée sur des conclusions de fait ou de droit erronées en concluant que le demandeur était interdit de territoire?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs énoncés ci-dessous, il faut répondre à cette question par l'affirmative, et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

HISTORIQUE

[4]                Roozbeh Kianpour Atabaki (M. Atabaki ou le demandeur) est un ressortissant iranien. Il affirme craindre de subir un préjudice grave ! et notamment d'être arrêté, détenu, torturé et peut-être tué ! de la part des autorités iraniennes en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et de sa présumée appartenance à un groupe social particulier.


[5]                M. Atabaki vient d'une famille active en politique. Son père a été emprisonné à maintes reprises pour avoir soutenu des groupes politiques qui s'opposent à l'autorité iranienne. M. Atabaki affirme avoir été ciblé par la police à plusieurs reprises dans sa jeunesse à cause du profil de son père. Avec le reste de sa famille, M. Atabaki s'oppose à la religion ainsi qu'au régime islamique iranien actuel. Il a reçu une certaine formation en électronique en Iran quelques années avant son départ.

[6]                Le demandeur est apparemment atteint de certaines déficiences mentales. Vers 2000 ou 2001, un ami de la famille, le docteur Bani-Torfi, a commencé à rédiger des ordonnances pour des médicaments destinés à aider M. Atabaki étant donné que ce dernier et les membres de sa famille n'avaient pas les moyens de consulter un psychiatre. Le docteur Bani-Torfi était membre du Mujahedeen-e-Khalq (le MKO), un groupe qui cherche à séculariser l'État iranien, et il a demandé à M. Atabaki s'il pouvait faire des enregistrements vidéo de certaines émissions internationales du MKO en se servant d'une antenne parabolique. (Le docteur Bani-Torfi a demandé aussi à M. Atabaki de distribuer des tracts, mais étant donné que la formation a conclu que cette activité était en soi insuffisante pour démontrer la complicité avec le MKO, la question ne sera pas examinée plus à fond dans ces motifs). M. Atabaki, qui voulait aider à libérer le peuple iranien de ce qu'il estimait être un régime répressif, a accepté.

[7]                Au début de l'année 2000 ou vers le milieu de cette année, le docteur Bani-Torfi a remis de l'argent à M. Atabaki pour qu'il achète le matériel d'enregistrement vidéo nécessaire. Étant donné que les antennes paraboliques sont illégales en Iran, l'enregistrement devait être fait en cachette. Les seuls contacts entre M. Atabaki et le MKO se faisaient par l'entremise du docteur Bani-Torfi, qui fournissait à M. Atabaki les renseignements nécessaires au sujet de ce qui devait être enregistré.

[8]                À la mi-décembre 2000, la sécurité s'est présentée chez M. Atabaki pendant son absence et a délivré une citation pour qu'il comparaisse devant le tribunal révolutionnaire islamique. Le demandeur ne sait pas sur quels motifs cette citation était fondée. Il a communiqué avec le docteur Bani-Torfi, qui lui a dit de ne plus communiquer avec lui. Le demandeur s'est caché chez un ami. À la mi-juillet 2001, les autorités sont retournées chez M. Atabaki; après avoir fouillé la maison de fond en comble, elles ont trouvé l'antenne parabolique cachée ainsi que le matériel et les cassettes vidéo et elles les ont saisis.


[9]                Avec l'aide de son oncle, M. Atabaki s'est enfui de l'Iran. Il est allé en Malaisie, puis en Indonésie et finalement en Australie, où il a demandé l'asile. Il a été détenu au centre de détention de Woomera (Woomera) en attendant que l'audience relative à son statut de réfugié soit tenue. Il a eu du mal à fournir des documents et d'autres aspects de son récit posaient également des problèmes, et sa demande a été rejetée. Les conditions à Woomera ont été relatées ailleurs (voir par exemple la documentation fournie à l'audience) et je n'y reviendrai pas ici; il suffit de dire que le jour de Pâques, en 2002, M. Atabaki a réussi à s'évader de Woomera. Il a vécu en cachette chez certains amis jusqu'à ce qu'il réussisse à économiser suffisamment d'argent pour venir au Canada avec l'aide de ses amis et d'un passeur.

[10]            À son arrivée, M. Atabaki a été interrogé par les autorités canadiennes. Il leur a donné un faux nom (son passeport également était faux, car son véritable passeport avait été saisi à Woomera). Les autorités ont eu des doutes et M. Atabaki a été détenu. M. Atabaki a révélé finalement son véritable nom, Roozbeh Kianpour Atabaki, et a dit venir de l'Iran. Il a alors présenté une demande d'asile.

LA DÉCISION VISÉE PAR L'EXAMEN

[11]            La formation a conclu que M. Atabaki était membre du MKO en ce sens que, même s'il n'avait pas réellement adhéré au MKO, il avait aidé ce groupe en distribuant des tracts et en enregistrant sur bande vidéo les émissions internationales du MKO. Il s'agissait d'actes volontaires de la part de M. Atabaki, lesquels se sont poursuivis jusqu'à ce que la police se présente chez celui-ci à la mi-décembre 2000.


[12]            Compte tenu de la documentation versée au dossier dont elle disposait, la formation a conclu également que le MKO était une organisation terroriste au moment où le demandeur en faisait partie et que cette organisation participait également à des crimes contre l'humanité. Elle a conclu ensuite que M. Atabaki n'était pas crédible lorsqu'il affirmait ne pas être au courant des activités terroristes du MKO. Par conséquent, même si le demandeur n'a pas commis lui-même d'actes violents, il avait [TRADUCTION] « participé personnellement et en connaissance de cause à des activités importantes de l'organisation » (voir la page 4 de la décision) et il était donc complice des activités terroristes du MKO. Par conséquent, M. Atabaki était interdit de territoire conformément à l'article 98 de la LIPR.

LES ARGUMENTS DES PARTIES

Le demandeur

[13]            Le demandeur affirme que la formation a commis quatre erreurs fondamentales :

-            en concluant que l'aide que le demandeur avait apportée au MKO équivalait à une « appartenance » au groupe, et notamment que le demandeur était au courant des activités du MKO et qu'il partageait des objectifs communs avec le MKO;

-            en se fondant sur des évaluations déraisonnables de la crédibilité lorsqu'elle avait conclu que le demandeur n'avait pas prouvé qu'il ne savait pas que le MKO était une organisation terroriste;

-            en concluant que le MKO était une organisation terroriste ou que le MKO se livrait principalement à la commission de crimes contre l'humanité au moment où le demandeur participait à ses activités; et


-            en utilisant un fardeau de preuve erroné pour exclure le demandeur en application de l'alinéa 1Fa) de la Convention.

Le défendeur

[14]            Le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (le ministre ou le défendeur) soutient que la formation disposait d'un nombre suffisant d'éléments de preuve pour étayer la conclusion selon laquelle le MKO était une organisation terroriste. De plus, en ce qui concerne les critères à prendre en considération lorsqu'il s'agit d'évaluer si une personne est réputée être « membre » d'un groupe pour juger sa complicité, la formation a conclu à juste titre que M. Atabaki avait agi volontairement, qu'il partageait des objectifs communs avec le MKO et qu'il était au courant des activités du MKO. Selon le défendeur, le demandeur prie simplement la Cour de réévaluer la preuve dont la formation était saisie, ce que la Cour n'est pas habilitée à faire.

ANALYSE

La norme de contrôle


[15]            La Cour d'appel fédérale a récemment examiné à fond la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux questions d'interdiction de territoire, dans l'arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 381, paragraphes 21 à 24 (C.A.) (Poshteh). La Cour d'appel a conclu que « [l]a question de l'appartenance à une organisation terroriste n'est pas un aspect extrinsèque de ses fonctions ordinaires [les fonctions de la CISR] » (voir le paragraphe 21). Étant donné que la qualification d'une personne comme « membre » est une question de droit à l'égard de laquelle la CISR doit se voir accorder une certaine autonomie, la norme de contrôle qui s'applique à cette question doit être celle de la décision raisonnable (voir Poshteh, précité, paragraphe 23).

[16]            Quant à la question de savoir si c'est à juste titre qu'il a été conclu que le MKO est une organisation qui se livre au terrorisme ou à la commission de crimes contre l'humanité, il faut l'examiner selon la norme du caractère raisonnable : voir, par exemple, Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1430 (C.F.), paragraphes 12 et suivants; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1207 (C.F.), paragraphes 35 à 40.

[17]            Bien sûr, étant donné que la formation est un tribunal spécialisé qui est habilité à évaluer la vraisemblance et la crédibilité d'un témoignage, la Cour ne peut substituer ses conclusions quant à la crédibilité à celles de la formation, à moins qu'il ne soit démontré que ces dernières conclusions sont manifestement déraisonnables. Les questions de crédibilité doivent être traitées avec une très grande retenue : voir Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, paragraphe 85.


La décision de la formation

[18]            En examinant les observations du demandeur et celles du défendeur, j'analyserai comme suit les questions qui sont soulevées dans cette demande de contrôle judiciaire :

-            La formation a-t-elle conclu de manière correcte que le MKO était une organisation terroriste ou une organisation qui se livrait principalement à la commission de crimes contre l'humanité, pendant la période où M. Atabaki participait aux activités de l'organisation? Cet argument n'a pas été abordé devant moi, mais je l'examinerai brièvement étant donnée son incidence sur les autres questions.

-            La formation a-t-elle évalué de la façon appropriée l'appartenance de M. Atabaki au MKO ou sa complicité avec le MKO, même si celui-ci avait témoigné qu'il ne savait pas que le MKO se livrait à des actes de terrorisme ou à des crimes contre l'humanité? (Cela comportera également une évaluation de la crédibilité.)

-            La formation est-elle par ailleurs arrivée d'une façon appropriée à la conclusion selon laquelle M. Atabaki était exclu en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention?

a) Les activités du MKO


[19]            La formation aurait pu fournir des motifs plus détaillés sur ce point, mais je conclus qu'elle disposait d'éléments de preuve plus que suffisants pour lui permettre de conclure que le MKO était en fait une organisation terroriste ou une organisation qui se livrait principalement à des crimes contre l'humanité pendant la période où M. Atabaki participait à ses activités. La formation pouvait appuyer sa conclusion sur un certain nombre de documents, alors qu'aucun document ne donnait à entendre le contraire. La formation a noté également que de nombreux pays occidentaux, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et le Conseil de l'Union européenne, avaient désigné le MKO comme organisation terroriste. À la lumière de cette preuve, je conclus que la formation avait des motifs raisonnables de juger que le MKO était une organisation qui se livrait à des activités terroristes.

b) La complicité de M. Atabaki avec le MKO

[20]            La notion d'appartenance doit être interprétée d'une façon libérale et ne doit pas viser simplement les individus qui peuvent avoir participé directement à des activités terroristes (voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 247 (C.F., 1re inst.), page 259 (paragraphe 22), annulé en partie (pour des motifs différents), 47 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.F.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh, (1998) 44 Imm. L.R. (2d) 309, paragraphes 51 et suivants (C.F., 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Owens, (2000) 9 Imm. L.R. (3d) 101, paragraphes 16 à 18 (C.F., 1re inst.); Poshteh, précité, paragraphe 29).

[21]            Dans l'arrêt Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.F.), l'interprétation du mot « appartenance » a été étudiée à fond. Les principes directeurs peuvent être résumés comme suit :

a)          la simple appartenance à une organisation responsable d'infractions internationales ne suffit pas pour qu'une personne soit exclue;

b)          la participation personnelle et consciente à des actes de persécution est souvent nécessaire;

c)          l'appartenance à une organisation qui vise des fins limitées et brutales, comme les activités d'une police secrète, peut impliquer nécessairement la participation personnelle et consciente;

d)          la simple présence d'une personne sur les lieux où sont commis les actes de persécution ne constitue pas une participation personnelle et consciente;

e)          la présence jointe à l'association avec les auteurs principaux de l'infraction constitue une participation personnelle et consciente; et

f)           l'existence d'objectifs communs et la connaissance que toutes les parties en cause font de ces objectifs une preuve suffisante de complicité.

(Voir également Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 221 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.).)

[22]            Il n'est pas établi que M. Atabaki ait participé aux actes terroristes que le MKO aurait commis, et il a été reconnu que M. Atabaki n'avait jamais joint le MKO officiellement à titre de membre. Mais la formation était convaincue que les activités auxquelles M. Atabaki se livrait sous la direction du docteur Bani-Torfi étaient suffisantes pour faire de lui un membre de fait du MKO et un complice des activités du MKO. En somme, à cause de la nature des activités qu'il accomplissait pour le MKO (à savoir l'enregistrement sur bande vidéo de certaines émissions internationales du MKO), M. Atabaki soit était au courant des crimes commis par le MKO, soit faisait délibérément l'aveugle à ce sujet; et il était donc complice, ou avait été complice, de ces crimes. Dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (C.F., 1re inst.), la juge Reed a défini la « complicité » de la manière suivante    :

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.


[23]            M. Atabaki reconnaît qu'il partageait avec le MKO un objectif commun, du moins en ce qui concerne le fait qu'ils appuyaient la sécularisation de l'État et qu'ils s'opposaient au régime islamique qui gouverne l'Iran. Toutefois, M. Atabaki n'appuie pas la violence ou les croyances religieuses du MKO. Il a fait savoir qu'il avait entendu dire que le MKO était impliqué dans certaines activités terroristes, mais il ne croyait pas que c'était effectivement le cas, et ce, pour deux raisons : en premier lieu, il tenait pour suspects les renseignements provenant des autorités gouvernementales iraniennes et s'en méfiait; et, en second lieu, lorsqu'il s'était renseigné auprès du docteur Bani-Torfi au sujet de ces informations, le docteur lui avait répondu que le MKO s'était livré à des actes de terrorisme par le passé, mais que ce n'était plus le cas. M. Atabaki a informé la formation qu'il croyait sincèrement que le MKO ne commettait plus que des actes de désobéissance civile, comme le boycott des élections (ce qui, comme je l'ai noté, faisait l'objet d'un grand nombre des tracts qu'il distribuait) et que toute l'information contraire résultait de la propagande du gouvernement iranien.

[24]            La formation n'a pas cru le témoignage de M. Atabaki sur ce point. Premièrement, elle a conclu qu'il était peu probable que M. Atabaki n'ait pas été au courant de la véritable nature des activités du MKO puisque ce dernier avait avoué que sa famille était consciente des problèmes politiques et sociaux et qu'il avait accès à des émissions internationales au moyen de l'antenne parabolique. En second lieu, compte tenu des activités dont le MKO l'avait chargé apparemment, il était évident que le MKO lui faisait suffisamment confiance pour qu'il aide l'organisation à obtenir ce type de renseignement.


[25]            Il faut faire preuve d'un certain degré de retenue à l'égard de ce genre de questions, mais la décision de la formation sur ce point ne semble pas entièrement raisonnable. À l'audience, on a fort peu examiné les activités de M. Atabaki. De fait, la question de la participation de M. Atabaki aux activités du MKO ne se pose qu'à deux reprises au cours de l'audience (voir les pages 63 à 72 et 79 à 86 de la transcription). M. Atabaki ne nie pas avoir enregistré sur bande vidéo les émissions pour le MKO, mais son témoignage est compatible avec le fait qu'il a communiqué seulement avec le docteur Bani-Torfi et qu'il n'a communiqué avec aucun autre membre du MKO. Le fait que M. Atabaki ne semblait pas savoir grand-chose au sujet du MKO est souligné dans les observations de l'agent de protection des réfugiés & à la page 89 de la transcription de l'audience & qui fait remarquer que le profil du demandeur ne correspond pas tout à fait à celui d'un partisan du MKO et qu'il n'était pas vraiment sensé que le MKO ait eu recours à M. Atabaki pour enregistrer les émissions, puisque celui-ci semblait susciter fréquemment l'intérêt de la police.

[26]            De plus, le demandeur a témoigné qu'on lui avait demandé d'enregistrer des émissions précises du MKO qui venaient de l'Irak. Le docteur Bani-Torfi l'informait de l'heure des émissions. La question de savoir si M. Atabaki avait accès à d'autres émissions internationales n'a pas été examinée à l'audience. La formation a jugé que M. Atabaki n'était pas crédible lorsqu'il a témoigné qu'il ne savait pas que le MKO se livrait à des activités terroristes, parce qu'il avait accès à une antenne parabolique et, par conséquent (selon la formation), à d'autres émissions internationales qui auraient mis en évidence les véritables caractéristiques du MKO. Il semble que la formation se soit lancée dans des conjectures sur ce point. M. Atabaki n'a jamais témoigné avoir vu des émissions internationales, si ce n'est celles du MKO. Il a témoigné au sujet de reportages de la télévision iranienne dans lesquels le MKO était tenu responsable de certaines activités terroristes en Iran, mais il n'en a pas fait grand cas puisque l'on ne pouvait pas, selon lui, s'en remettre au gouvernement iranien (qui contrôlait les médias d'information) pour dire la vérité. À mon avis, il fallait examiner plus à fond l'état d'esprit de M. Atabaki.


[27]            La formation n'a pas dit pourquoi elle estimait que M. Atabaki n'était pas crédible sur certains aspects cruciaux de sa demande, hormi les facteurs mentionnés au paragraphe 24 des présents motifs. En outre, comme je l'ai noté, il n'y a aucune preuve que M. Atabaki ait effectivement eu « accès à des émissions étrangères » (plutôt qu'aux émissions du MKO, simplement, dans lesquelles le MKO ne serait probablement pas dépeint comme une organisation terroriste). Je ne crois pas, eu égard aux faits essentiels de l'affaire, qu'il était raisonnable que la formation conclue que M. Atabaki était complice des activités du MKO.

[28]            De plus, je note que même si toutes les parties ont reconnu que le docteur Bani-Torfi était un membre actif du MKO, il semble encore plus important de noter qu'il était le médecin qui traitait le demandeur. Il existait donc une relation spéciale entre le médecin et le demandeur. La nature de cette relation et le degré important de contrôle que cette relation pouvait conférer au docteur Bani-Torfi lorsqu'il s'agissait de s'assurer que M. Atabaki se conforme aux voeux du MKO n'ont pas été analysés par la formation, alors qu'ils auraient dû l'être. Il était déraisonnable que la formation n'examine pas cette question qui pouvait avoir une incidence sur le demandeur et sur sa connaissance apparemment restreinte des activités du MKO, c'est-à-dire un motif sur lequel la formation a basé les conclusions défavorables qu'elle a tirées au sujet de la crédibilité.


c)          L'interprétation de l'alinéa 1Fa) de la Convention

[29]            En raison des conclusions qui précèdent, je n'ai pas à aborder cette question. Toutefois, je note que les arguments soulevés par le demandeur sur ce point ne font que reprendre ceux qu'il avait déjà invoqués. La formation a fourni des motifs en des termes clairs et non équivoques, sauf ce dont j'ai fait mention auparavant. Elle a conclu qu'il y avait des « raisons sérieuses de penser » que M. Atabaki était membre du MKO, même si j'ai déjà expliqué pourquoi je pensais que cette conclusion était erronée en raison du caractère déraisonnable des circonstances dans lesquelles elle avait été tirée. Contrairement à ce que le demandeur a plaidé, la formation n'est pas tenue d'indiquer les buts et les principes des Nations Unies qui sont invoqués; la Cour suprême du Canada a déjà expliqué que l'objet du paragraphe F1 dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 était d': « [E]xclure les personnes responsables de violations graves, soutenues ou systémiques des droits fondamentaux de la personne qui constituent une persécution dans un contexte qui n'est pas celui de la guerre » et à mon avis, il n'était pas nécessaire que la formation examine la question plus à fond.

[30]            On a demandé aux parties si elles avaient des questions à soumettre pour certification, mais elles n'en avaient pas.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

­                      la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

­                      la décision que la formation a rendue le 27 août 2004 est annulée et l'affaire est renvoyée devant une formation constituée différemment, pour une nouvelle décision;

­                      aucune question n'est certifiée.

                       « Simon Noël »                                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Poirier, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-8000-04

INTITULÉ:                                                                 ROOZBEH KIANPOUR ATABAKI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      Le 5 juillet 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    Le juge Noël

DATE DES MOTIFS :                                              Le 11 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Mme Negar Azmudeh                                                 Pour le demandeur

Mme Helen Park                                                          Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Group                                           Pour le demandeur

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                      Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                        

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