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                                                                                                                                            Date : 20010919

                                                                                                                                Dossier : IMM-5362-00

                                                                                                            Référence neutre : 2001 CFP1 1028

Entre :

                                                         ASIM RAZA

                                                                                                                     demandeur

                                                               - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 15 septembre 2000, concluant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Le demandeur est un citoyen du Pakistan âgé de 29 ans qui dit craindre avec raison d'être persécuté du fait des opinions politiques qui lui sont attribuées.


[3]         La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention en raison d'un manque de crédibilité. Il est bien établi en droit qu'un tribunal d'examen ne devrait pas modifier les conclusions qu'a tirées une commission sur la question de la crédibilité, dans la mesure où ses décisions étaient étayées par la preuve : Aguebor c. M.E.I (1993), 160 N.R. 315, à la page 316, le juge Décary (C.A.F.). En l'espèce, je suis d'avis que la décision de la Commission n'était pas étayée par la preuve dont elle était saisie.

[4]         La Commission a principalement fondé sa conclusion quant à la crédibilité sur sa conviction que la réunion de novembre 1999 du PPP (Parti populaire du Pakistan) n'avait pas eu lieu. Or, selon ses propres mots, cette réunion était primordiale pour apprécier l'allégation de persécution du demandeur. Elle dit à ce sujet :

Lorsqu'il a témoigné pour la première fois au sujet de cette réunion, le revendicateur a indiqué que la réunion était parrainée par le PPP, que des membres du parti et des voisins dans le village y avaient assisté et que, pour cette raison, la réunion avait été interrompue par les autorités [...] Le tribunal a toutefois mis le revendicateur devant la pièce A-8 [...] Il y est mentionné ce qui suit :

[Traduction] « Au milieu de mars 2000, Syed Khurshid Ahmed Shah, chef adjoint de l'opposition à l'Assemblée nationale suspendue, a déclaré que le PPP n'avait pas encore décidé s'il allait lancer un mouvement de protestation contre le régime militaire (NNI 20 mars 2000). Le comité central du PPP est le seul organe à l'intérieur du parti qui puisse déclencher un tel mouvement... »

                 Lorsqu'il a été mis devant cette preuve, le revendicateur a tenté de modifier son témoignage antérieur en disant que la réunion de novembre était une activité locale et qu'elle n'était pas ouverte au public. Le tribunal ne croit pas le revendicateur et, en l'absence de tout document faisant état du contraire, il ne croit pas qu'un tel événement s'est produit et que le revendicateur est recherché par les autorités comme il le prétend. En outre, pour cette raison, le tribunal n'accorde aucun poids aux pièces P-13 et P-14.

[5]        À la lecture de la transcription, je suis convaincu que la Commission a fondamentalement mal compris la preuve du demandeur à ce sujet. Le « témoignage antérieur » auquel la Commission fait allusion dans l'extrait ci-dessus relativement à la réunion de novembre 1999 relate ce qui suit :


[traduction]

R.             Le 20 novembre, nous avons... nous avons un petit espace entouré de murs, nous pouvons y tenir ce genre de réunion, c'est là que...

[. . .]                         

Q.            Est-ce que ce parti PPP parrainait cette activité en d'autres mots est-ce que c'est la... une activité du PPP?

R.            Oui, c'était une réunion du parti.

Q.            Combien de personnes ou de participants y avait-il?

R.             Des militants, il y avait aussi des personnes de la région ou des voisins, une centaine d'entre eux étaient présents.

[. . .]

Q.            C'est un espace extérieur, mais il est entouré de murs?

R.            Oui, c'est un espace entouré de murs, qui... qui appartient à un des militants du voisinage.

Q.            Bon. Et qu'est-ce qui s'y passe?

R.             Une sorte d'estrade pour les réunions, des membres du parti sont présents et les autres membres du comité directeur, il y a des travailleurs. Le [inaudible] a fait des discours, des gens ont exprimé leur point de vue et le but était de parler secrètement à ceux qui étaient présents... Et leur parler au sujet de... des changements qui s'étaient produits en fait dans le pays et insister auprès de ceux qui étaient présents qu'on devrait continuer à travailler pour le [inaudible] dans le pays.

[6]        Le demandeur parle d'une « réunion de parti » , non d'une manifestation et sûrement pas d'un « mouvement de protestation » comme mention en est faite à la pièce A-8. Cette réunion de parti s'est tenue, a-t-il dit, dans une quelconque cour fermée d'une propriété privée, non dans un endroit public. Comme il appert de l'explication suivante donnée par le demandeur à qui on présentait le document A-8, il n'y a pas de contradiction apparente avec sa déclaration antérieure :

[traduction]

R.            Ce dont a parlé la haute direction se rapporte à l'agitation publique, faire descendre les gens dans la rue. Cela ne comprend pas les militants, nos réunions de militants dans la région et le fait qu'on doit leur raconter, leur donner confiance au sujet des changements au gouvernement, des réunions... des réunions de ce genre ont eu lieu localement sur une plus petite échelle parce que c'était des réunions pacifiques qui étaient faites dans ce but.

[. . .]

R.             Cependant, sauf cette fois, on n'avait pas reçu d'ordres de ne pas faire de... de manifestation contre l'armée. Tout ce qu'on nous avait dit, c'était de ne pas se faire remarquer en public.       


Q.            Mais, Monsieur, vous étiez en réunion publique?

R.             Ce n'était pas dans la rue, ce n'était pas en public, c'était à l'intérieur des murs, à l'intérieur de quatre murs.

Q.            Mais vous avez dit qu'il y avait des membres du parti et que d'autres personnes du voisinage étaient venues, cela ressemble à une réunion accessible au public?

R.             On ne peut pas obliger ceux qui sont venus juste pour écouter... on ne peut pas leur dire de s'en aller. C'est un espace entouré de murs et les voisins peuvent venir et puis, ce sont des voisins et il faut les respecter.

[7]        Il dit de nouveau qu'il s'agissait d'une réunion, non d'une manifestation. Il répète aussi que même si le public pouvait y assister, elle ne se tenait pas en public. En conséquence, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur flagrante et manifeste en concluant que le demandeur s'était contredit et en rejetant son témoignage pour cette raison. Cette première erreur a entraîné la commission d'une seconde erreur, soit le rejet de deux documents présentés par le demandeur, à savoir les pièces P-13 et P-14.

[8]        La Commission a commis une seconde erreur en rejetant le témoignage du demandeur concernant son engagement politique et en concluant, comme elle l'a fait, que :

En ce qui concerne son engagement auprès du PPP, le revendicateur a déclaré que l'une de ses tâches consistait à organiser des activités et à faire des discours. Toutefois, en dépit de questions répétées de la part de son conseil et du commissaire, le revendicateur ne pouvait pas encore donner d'exemples détaillés.

[9]        Or, à la lecture des nombreuses pages de la transcription portant spécifiquement sur cette question, il appert que le demandeur a effectivement donné une description complète et détaillée de ses diverses responsabilités à la fois au sein de la Fédération des étudiants du Pakistan et du PPP. Contrairement à l'affirmation de la Commission, le demandeur a même précisé les points suivants de son discours au PPP lors de la réunion de novembre 1999 :


[traduction]

Q.            Avez-vous... aviez-vous un message spécifique? Je veux dire, qu'est-ce que vous... vous avez dit que vous aviez prononcé des discours, quel discours?   

R.             Bien, voici comment j'ai... voici ce que j'ai dit. J'ai salué les personnes présentes, j'ai dit qu'on ne pouvait pas se permettre d'avoir l'armée au pouvoir dans le pays parce que l'armée ne travaille pas à l'amélioration du pays dans quelque... dans quelque société. Il faut donc revenir au processus démocratique et des élections devraient être annoncées et je lance un appel aux jeunes du parti pour qu'ils se présentent à la tribune du parti. On devrait... on devrait exprimer notre solidarité et exiger que la démocratie soit rétablie parce que la dictature ou le gouvernement militaire n'est pas... n'offre pas d'espoir au peuple.

Q.            Combien de temps a duré votre discours?

R.             Trois minutes. Pendant ce temps, il y avait des slogans du président, alors nous... compte tenu de cela, ce serait environ trois, quatre minutes.

[10]      Vu le récit détaillé qu'a fait le demandeur de cet événement particulier, il est, à mon avis, tout à fait erroné pour la Commission d'avoir conclu qu'il ne pouvait donner d'exemples détaillés de ses discours et d'avoir, pour cette raison, rejeté son témoignage au sujet de son engagement politique.

[11]      Ces erreurs étaient suffisamment importantes pour invalider toute la décision de la Commission. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

« Yvon Pinard »

                                                                         

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 19 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


Date : 20010919

Dossier : IMM-5362-00

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2001

En présence de Monsieur le juge Pinard

Entre :

                                                         ASIM RAZA

                                                                                                                     demandeur

                                                               - et -

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     défendeur

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 15 septembre 2000, concluant que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, est annulée et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle audition.

« Yvon Pinard »

__________________________

JUGE

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                IMM-5362-00

INTITULÉ :                               ASIM RAZA c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :        Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 9 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :             le 19 septembre 2001

COMPARUTIONS :

Michael Dorey                                                    POUR LE DEMANDEUR

Sherry Rafai Far                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey                                                    POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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