Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20020131

Dossier : IMM-5298-99

Référence neutre : 2002 CFPI 122

ENTRE :

                                                           ABDULLAH AL MAMUN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY


[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de l'agente des visas, datée du 21 septembre 1999, rejetant la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie Indépendant, comme technicien d'entretien d'aéronefs. Dans sa demande, il demandait d'être évalué comme mécanicien d'instruments de bord, mécanicien de circuits électriques d'aéronefs, inspecteur d'aéronefs ou mécanicien d'aéronefs, toutes classifications professionnelles distinctes. L'agente des visas a évalué la demande à l'égard de chacune de ces professions, ainsi qu'à l'égard de deux autres professions associées, mais elle a établi que le demandeur n'avait ni la formation ni la qualification requises, ou qu'il n'avait pas obtenu suffisamment de points pour être admissible au Canada.

[2]                 La demande concernait également la femme du demandeur, qui a aussi fait l'objet d'une évaluation à titre de demanderesse, à l'égard des professions de technologue de laboratoire médical et de technicienne de laboratoire médical. L'agente des visas a décidé qu'elle ne réunissait pas les conditions de formation et de qualification requises d'aucune de ces deux professions et qu'il n'y avait pas de demande dans une troisième catégorie professionnelle possible.

[3]                 La présente demande soulève deux questions à trancher. Première question, le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur en n'examinant pas s'il y avait lieu d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'elle tient du paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration de 1978 (le Règlement) pour approuver la demande de M. Al Mamun. Deuxième question, le demandeur prétend que l'agente des visas a commis une erreur en n'examinant pas, pour la femme du demandeur, si un diplôme de baccalauréat en médecine dont elle était titulaire équivalait à un baccalauréat en sciences, diplôme exigé pour les professions dans les laboratoires médicaux.


La norme de contrôle

[4]                 Compte tenu des faits de la demande, le caractère discrétionnaire de la décision de l'agente des visas n'est pas sérieusement contesté. Le défendeur soutient qu'aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, il incombe au demandeur d'établir qu'il répond aux conditions d'admission. En pareil cas, la Cour n'intervient pas au seul motif qu'elle pourrait conclure différemment; elle n'interviendrait que si l'agente des visas avait commis un erreur de droit ou manqué à l'obligation d'équité.

[5]                 À mon avis, il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions de fait de l'agente des visas et la Cour ne doit intervenir que si la décision était manifestement déraisonnable ou la procédure suivie, injuste à l'endroit du demandeur.

L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas s'il y avait lieu d'exercer son pouvoir discrétionnaire?

[6]                 Dans une lettre déposée avec la demande, l'avocat du demandeur a demandé à l'agente des visas d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour approuver la demande, dans le cas où le demandeur ne réunirait pas les conditions voulues selon le système des points d'appréciation. Le paragraphe 11(3) du Règlement prévoit en effet :



11....

(3) L'agent des visas peut

(a)délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou(b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

11...

(3) A visa officer may

a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.


  

[7]                 Le demandeur prétend que l'agente des visas a commis une erreur en refusant de considérer la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans cette affaire. À l'appui de sa prétention, il cite la décision Razavi c. Canada (1999), 172 F.T.R. 318, où Madame le juge Reed a annulé la décision d'un agent des visas, en partie parce que celui-ci n'avait pas considéré la possibilité d'exercer son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances de l'espèce. Le demandeur s'appuie également sur la décision Savvateev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 2 Imm. L.R. (3d) 207, où Madame le juge McGillis a tiré la même conclusion à partir des circonstances particulières de l'espèce.

[8]                 J'estime qu'en l'espèce, les faits diffèrent de ceux des affaires Razavi ou Savvateev.


[9]                 Dans l'affaire Razavi, la mère et cinq frères et soeurs du demandeur vivaient à Vancouver, où ils exploitaient une entreprise familiale. Le demandeur était acheteur pour l'entreprise de Vancouver depuis de nombreuses années et avait investi environ 180 000 $ dans l'entreprise. Contrairement au demandeur dans l'affaire Razavi, le demandeur en l'espèce n'a pas d'antécédents de participation à une entreprise canadienne.

[10]            Dans l'affaire Savvateev, l'agente des visas a attribué au demandeur 59 points d'appréciation à l'issue de l'instruction préliminaire sur pièces, soit un point de moins que le minimum de 60 points requis pour avoir droit à l'entrevue. Cependant, le présent demandeur, M. Al Mamun, s'est vu attribuer de 62 à 67 points pour sa demande et son entrevue, soit moins que les 70 points nécessaires pour que la demande soit accueillie. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 49 Imm. L.R. (2d) 19, le juge Evans a statué au paragraphe 21 :

Ce n'est toutefois pas à la Cour de juger si l'agent des visas a accordé un poids suffisant à cet aspect. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est confié à l'agent des visas qui doit en décider au vu de tout le dossier, y compris le plus ou moins grand nombre de points d'appréciation qui font défaut au demandeur.

Il a poursuivi au paragraphe 23 :

... Sans m'ingérer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 11(3) accorde aux agents des visas, je crois que le pouvoir en question est de nature résiduelle et qu'il ne peut être exercé pour emporter une décision que lorsque les faits d'une affaire sont très particuliers ou lorsque le demandeur a presque atteint les 70 points d'appréciation.

De la même manière, dans la décision Yeung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 186 F.T.R. 189, Madame le juge Reed a fait observer au paragraphe 17 :

L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est toutefois exceptionnel... Il s'agit d'un pouvoir de nature résiduaire qu'il convient d'exercer dans les affaires comportant des faits inhabituels ou lorsque le demandeur a obtenu un score très proche de 70 points d'appréciation.


Je suis d'avis que dans les circonstances de l'espèce, l'agente des visas a pris une décision raisonnable en refusant de considérer s'il y avait lieu ou non d'exercer son pouvoir discrétionnaire.

[11]            On fait valoir qu'en ne faisant pas référence à l'exercice possible de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce, l'agente des visas n'a pas considéré cette possibilité. À mon avis, cette déduction n'est pas justifiée, car l'agente des visas n'est pas tenue d'indiquer les motifs de son refus d'exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur (Channa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 124 F.T.R. 290, et Feng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 59).

[12]            Dans la décision Zeng c. Canada, [1999] A.C.F. n º 1486, le juge Blais a conclu qu'en l'absence de mauvaise foi de la part de l'agente des visas, la Cour n'interviendrait pas dans le cas où l'agente des visas avait décidé de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire, et il a fait l'observation suivante au paragraphe 25 :

Il n'y a pas de preuve que l'agente des visas a utilisé son pouvoir discrétionnaire de mauvaise foi ou de façon arbitraire. Elle a évalué les chances que le demandeur avait de réussir son établissement au Canada et elle en est venue à la conclusion qu'elle ne pouvait pas exercer son pouvoir discrétionnaire. La Cour ne devrait pas intervenir.

En l'espèce, il n'y a pas de preuve de mauvaise foi de la part de l'agente des visas.


L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas si un diplôme de baccalauréat en médecine détenu par la femme du demandeur équivalait à un baccalauréat en sciences?

[13]            La femme du demandeur a fait une demande, notamment, à l'égard d'un emploi de technologue de laboratoire médical. Les conditions d'accès à cet emploi sont exposées à la Classification nationale des professions (CNP), sous le code 3211.1 :

Les technologues de laboratoire médical doivent détenir un baccalauréat en sciences ou en sciences de laboratoire médical,

ou

avoir terminé un programme collégial de deux à trois ans en technologie de laboratoire médical

et

avoir fait une formation pratique sous surveillance.

La femme du demandeur a également été évaluée à l'égard d'un autre emploi possible, de technicienne de laboratoire (code CNP 3212.0). Elle a en outre été évaluée à l'égard de l'emploi de gynécologue/obstétricienne (code CNP 3111.3), mais il n'y avait pas de demande à l'égard de cet emploi.

[14]            Au cours de l'entrevue, la femme du demandeur a fourni à l'agente des visas un certificat de stage de formation pratique, où il était fait mention qu'elle avait reçu une formation de 12 mois en obstétrique et gynécologie. Dans les notes du STIDI, l'agente des visas a consigné que la demanderesse avait reçu le certificat, sans autre commentaire. Il est impossible de savoir si l'agente des visas était persuadée que la femme du demandeur avait reçu une formation pratique sous surveillance.


[15]            Par la suite, l'agente des visas a refusé d'accorder des points d'appréciation au demandeur pour la profession de technologue de laboratoire médical envisagée par sa femme ou, subsidiairement, de technicienne de laboratoire médical. Dans sa lettre de refus, l'agente des visas a écrit :

[traduction] J'ai examiné les professions envisagées par votre femme, de technologue de laboratoire médical (CNP 3211.1) et de technicienne de laboratoire médical (CNP 3212.0). Cependant, votre femme ne satisfaisait pas aux conditions de formation et d'accès à ces professions au Canada, selon la description de la Classification nationale des professions.

[16]            Les motifs de cette décision sont exposés plus amplement dans les notes du STIDI, où l'agente des visas a écrit :

[traduction] Également examiné la femme du demandeur à l'égard des prof. envisagées de technologue de laboratoire médical (CNP 3211.1) et de technicienne de laboratoire médical (CNP 3212.0). Compte tenu de la description de sa formation par la femme du demandeur, elle ne satisfaisait pas aux conditions de formation et d'accès à ces prof. au Canada, selon la description de la Classification nationale des professions. Selon la CNP, un baccalauréat en sciences ou en sciences de laboratoire médical, ou un programme collégial de deux à trois ans en technologie de laboratoire médical et une période de formation pratique sous surveillance sont exigés de la technologue de laboratoire médical. Selon la CNP, un programme collégial de un à deux ans en technologie médicale est exigé...

[17]            Le demandeur affirme que le baccalauréat en médecine de sa femme a nécessité six années d'études, dont une année de stage, et il soutient que l'agente des visas a commis une erreur en n'examinant pas si cette formation équivalait aux conditions de formation prescrites sous le code CNP 3211.1.

[18]            Dans les notes du STIDI, l'agente des visas a fait les observations suivantes au sujet du baccalauréat en médecine et des autres éléments de qualification de la femme du demandeur :


[traduction] Femme du demandeur diplômée du Collège de médecine de Dakha, titulaire d'un baccalauréat en médecine et en chirurgie. A reçu une formation de cinq jours (gestion de l'allaitement) offerte dans le cadre de la Campagne de protection et de promotion de l'allaitement à Dakha et une formation de deux semaines (régulation des menstruations) à l'hôpital de la Faculté de médecine de Dakha. Elle est actuellement médecin au Département de gynécologie et d'obstétrique de l'hôpital Birdem et elle était auparavant médecin à la Faculté de médecine de Dakha. Bon angl. parlé.

[19]            À l'examen de la lettre de refus et des notes du STIDI de l'agente des visas, il ressort qu'elle n'a pas tenté de comparer le programme de médecine de six années d'études réalisé par la femme du demandeur et comportant un stage d'un an avec les conditions prescrites sous le code 3211.1 de la CNP, soit un baccalauréat en sciences ou en sciences de laboratoire médical ou un programme collégial de deux à trois ans en technologie de laboratoire médical. À mon avis, l'agente des visas a commis une erreur en n'effectuant pas cette analyse.

Conclusion

[20]            Du fait que l'agente des visas n'a pas considéré le diplôme de médecine, j'estime qu'elle a pris une décision manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est accueillie à l'égard de la décision touchant la qualification de la femme du demandeur pour la profession envisagée. Une ordonnance est rendue en ce sens.

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »         

                                                                                                                                                                 Juge                       

OTTAWA (Ontario)

31 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020131

Dossier : IMM-5298-99

OTTAWA (Ontario), le 31 janvier 2002

EN PRÉSENCE DU JUGE MacKAY

ENTRE :                     

                                                           ABDULLAH AL MAMUN

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                 -et-

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

Sur demande de contrôle judiciaire de la décision de l'agente des visas au consulat général du Canada à Hong Kong, communiquée par une lettre datée du 21 septembre 1999, dans laquelle la demande de résidence permanente du demandeur et de sa femme a été rejetée;

Sur audience des avocats des deux parties à Vancouver le 19 juin 2001, au terme de laquelle la décision a été mise en délibéré, et sur examen des observations écrites faites par les avocats;


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                 La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour la décision de l'agente des visas concernant l'appréciation de la qualification de la femme du demandeur à l'égard de son accès aux professions envisagées et l'appréciation est annulée.

2.                 La demande de la femme du demandeur est renvoyée pour un nouvel examen par un agent des visas différent, d'une manière conforme aux motifs de l'ordonnance déposés aujourd'hui.

    

                                                                                                                               « W. Andrew MacKay »         

                                                                                                                                                                 Juge                       

OTTAWA (Ontario)

31 janvier 2002

    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-5298-99

INTITULÉ :                             Abdullah Al Mamun et le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                 19 juin 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

DATE DES MOTIFS :                        31 janvier 2002

COMPARUTIONS :

M. Peter Chapman                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Mme Pauline Anthoine                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chapman and Company Law Corporation                                   POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.