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     Date : 19980310

     T-613-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 10 MARS 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE :

     S.S. STEAMSHIPS CO. LTD.,

     Requérante,

     - ET -

     JENNIFER ELVIDGE,

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

     DIRECTION DU TRAVAIL

     et LE MINISTRE DU TRAVAIL,

     Intimés.

     ORDONNANCE

La décision rendue par l'inspecteur Yves Laberge de la Direction du Travail, Développement des ressources humaines Canada, communiquée à la requérante le 6 mars 1997, est annulée.

     De plus, il est interdit au Ministre du Travail de désigner un arbitre pour entendre et trancher la plainte de congédiement injuste déposée par l'intimée Jennifer Elvidge.

                                         " Marc Nadon "

                                         Juge

Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980310

     T-613-97

ENTRE :

     S.S. STEAMSHIPS CO. LTD.,

     Requérante,

     - ET -

     JENNIFER ELVIDGE,

     DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

     DIRECTION DU TRAVAIL

     et LE MINISTRE DU TRAVAIL,

     Intimés.

     Motifs de l'ordonnance

LE JUGE NADON:

[1]      La requérante demande l'annulation de la décision de l'inspecteur Yves Laberge, de la Direction du Travail, Développement des ressources humaines Canada (la " Direction du Travail ") qui a été communiquée à la requérante le 6 mars 1997. Par cette décision, M. Laberge a décidé de soumettre au Ministre du Travail la demande formulée par Jennifer Elvidge (l'" intimée ") afin qu'un arbitre soit nommé conformément au paragraphe 241(3) du Code canadien du travail , L.R.C., ch. L-2 (le " Code "). La demande de Mme Elvidge faisait suite à sa plainte portant qu'elle avait été congédiée injustement par S.S. Steamships Co. Ltd. (la " requérante ").

[2]      Voici un exposé des faits pertinents. Le 31 août 1994, la requérante a embauché l'intimée en qualité de commis à la documentation. Ses conditions d'emploi comprenaient notamment une période de probation de trois mois et un salaire de 16 000 $ par année qui lui était versé deux fois par mois.

[3]      Dans une lettre datée du 31 août 1995, l'intimée a informé son employeur qu'elle démissionnait et que son dernier jour de travail serait le jeudi 7 septembre 1995. L'intimée a quitté son emploi parce qu'elle avait déniché un autre poste. Bien que son dernier jour de travail soit le 7 septembre 1995, elle ne s'est pas présentée au travail entre le 1er et le 7 septembre.

[4]      À la suite de la démission de l'intimée, la Sun Life du Canada qui fournissait une assurance collective à la requérante a été avisée le 5 septembre 1995 que l'intimée ne serait plus une employée de la requérante à compter du 7 septembre 1995 et qu'elle ne serait donc plus couverte par la police d'assurance collective.

[5]      Le 11 septembre 1995, l'intimée s'est présentée aux bureaux de la requérante et a demandé à M. Kimber, le président de la requérante, de la réintégrer dans son poste. Monsieur Kimber a informé l'intimée qu'il était disposé à la réembaucher, mais à des conditions différentes, étant donné que son poste avait été comblé par un nouvel employé. Il a été convenu que l'intimée serait embauchée temporairement et rémunérée à l'heure à compter du 11 septembre 1995. Le 30 octobre 1995, l'intimée a été embauchée à un poste permanent. À partir de cette date, elle a reçu un salaire de 700,33 $ deux fois par mois.

[6]      Après le changement de statut de l'intimée qui, d'employée temporaire, est devenue employée permanente, la requérante l'a inscrite à nouveau pour qu'elle soit couverte par l'assurance collective de la Sun Life du Canada. Le 23 novembre 1995, la Sun Life du Canada a écrit à la requérante pour l'aviser qu'elle avait reçu la fiche d'adhésion de l'intimée et que celle-ci serait assurée à compter du 1er février 1996.

[7]      Le 20 août 1996, l'intimée a été congédiée par la requérante. À cette date, l'intimée a reçu une lettre qui se lisait comme suit :

         [Traduction] Conformément à l'entretien que nous avons eu ce matin, nous vous confirmons que votre emploi se termine aujourd'hui.                 

[8]      Le 19 septembre 1996, la requérante a reçu une lettre de la Direction du Travail pour l'aviser que l'intimée avait déposé une plainte sous le régime de l'article 240 du Code, dans laquelle elle prétendait avoir été congédiée injustement de son emploi. Dans sa lettre, la Direction du Travail demandait à la requérante de fournir une déclaration écrite énonçant les motifs du congédiement. Le 18 octobre 1996, M. Kimber et le directeur des services de la comptabilité et de l'administration de la requérante ont rencontré l'inspecteur Laberge pour discuter de la plainte de congédiement injuste de l'intimée. Au cours de la rencontre, les représentants de la requérante ont fourni à l'inspecteur Laberge des précisions sur les antécédents de travail de l'intimée au service de la requérante.

[9]      Dans une lettre datée du 24 octobre 1996, l'inspecteur Laberge a écrit à l'intimée pour l'aviser que sa plainte de congédiement injuste ne satisfaisait pas aux exigences énoncées à l'article 240 du Code parce qu'elle ne travaillait pas sans interruption depuis au moins douze mois pour la requérante au moment de son congédiement, le 20 août 1996.

[10]      Le 23 janvier 1997, l'inspecteur Laberge a écrit à la requérante pour l'aviser que, après avoir reçu une lettre des avocats de l'intimée le 23 décembre 1996, son service avait réexaminé le dossier et qu'il [Traduction] " n'a pas approuvé ma décision ". L'inspecteur Laberge a alors informé la requérante qu'il [Traduction] " l'invitait à entreprendre un processus de médiation ". L'inspecteur Laberge a en outre avisé la requérante qu'il saisirait un arbitre de l'affaire s'il ne recevait pas de réponse dans un délai de quinze jours.

[11]      Le 5 mars 1997, les avocats de la requérante ont informé l'inspecteur Laberge que la requérante n'était pas intéressée à participer à la médiation. Le 6 mars 1997, l'inspecteur Laberge a écrit à la requérante et à ses avocats pour les informer qu'il avait reçu une lettre des avocats de l'intimée demandant que la plainte de congédiement injuste de l'intimée soit déférée à un arbitre conformément au paragraphe 241(3) du Code.

[12]      La seule question à trancher est celle de savoir si l'intimée a travaillé sans interruption pendant au moins douze mois et, en conséquence, si sa plainte pouvait être déférée à un arbitre par le Ministre en vertu du paragraphe 242(1) du Code.

[13]      Les dispositions pertinentes de la loi sont les articles 240 et 241 ainsi que le paragraphe 242(1) du Code, qui sont reproduits ci-dessous :

         240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :                 
         a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;                 
         b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.                 
         (2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.                 
         (3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.                 
         241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.                 
         (2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.                 
         (3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :                 
         a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;                 
         b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.                 
         242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.                 

[14]      Selon le paragraphe 240(1) du Code, l'employé qui se croit injustement congédié peut déposer une plainte auprès de l'inspecteur, à condition de satisfaire aux conditions fixées dans les alinéas a) et b) du paragraphe 240(1). La requérante soutient qu'au moment où elle a congédié l'intimée, celle-ci ne travaillait pas sans interruption depuis au moins douze mois. De l'avis de la requérante, l'intimée ne pouvait déposer une plainte auprès de l'inspecteur Laberge et l'affaire ne pouvait donc être déférée à un arbitre en vertu du paragraphe 242(1) du Code. Je suis d'accord avec la requérante, pour les motifs qui suivent.

[15]      J'ai la certitude que l'intimée a démissionné du poste qu'elle occupait pour la requérante car sa lettre de démission est sans équivoque. L'intimée a quitté l'emploi qu'elle occupait pour la requérante, le 7 septembre 1995, afin de travailler pour un transitaire à Montréal. L'intimée a recommencé à travailler pour la requérante le 11 septembre 1995. Étant donné que l'intimée a été congédiée le 20 août 1996, elle ne travaillait pas sans interruption depuis au moins douze mois pour la requérante au moment de son congédiement.

[16]      Pour que le Ministre saisisse un arbitre de sa plainte en vertu du paragraphe 242(1) du Code, l'intimée devait établir qu'elle travaillait sans interruption depuis au moins douze mois pour la requérante. Elle n'a pas réussi à l'établir. En conséquence, l'inspecteur Laberge aurait dû refuser de traiter la plainte de l'intimée. Il va sans dire, dans les circonstances, que le Ministre ne pouvait déférer la plainte de l'intimée à un arbitre.



[17]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. La décision de l'inspecteur Yves Laberge de soumettre la demande de l'intimée au Ministre du Travail pour qu'un arbitre soit nommé en vertu du paragraphe 241(3) du Code canadien du travail doit être annulée. En outre, il sera interdit au Ministre du Travail de désigner un arbitre pour entendre et trancher la plainte de congédiement injuste de l'intimée.

                                         " MARC NADON "

                                         Juge

Ottawa (Ontario)

10 mars 1998

Traduction certifiée conforme :

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-613-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      S.S. STEAMSHIPS CO. LTD. c. JENNIFER ELVIDGE, DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA, DIRECTION DU TRAVAIL et LE MINISTRE DU TRAVAIL

LIEU DE L'AUDITION :          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDITION :          3 MARS 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :          10 MARS 1998

ONT COMPARU :

                     M e Teresa Cianciaruso

     POUR LA REQUÉRANTE

                     M e H. Laddie Schnaiberg, c.r.

     POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Sproule, Castonguay, Pollack
                     Montréal (Québec)

     POUR LA REQUÉRANTE

                     M e H. Laddie Schnaiberg, c.r.
                     Avocat
                     Montréal (Québec)

     POUR L'INTIMÉE

                     M e George Thomson
                     Sous-procureur général du Canada

     POUR LE MINISTRE DU TRAVAIL

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