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Date : 19991001 Dossier : IMM-5985-98

Entre:

AUGUSTO JUAN CEA ARAVENA

Demandeur

Et:

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION Défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du Statut de Réfugié de la Commission de l'Immigration et du Statut de Réfugié (la « Section du Statut » ) rendue le 2 novembre 1998 qui a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]         Le demandeur, citoyen du Chili, a revendiqué le statut de réfugié le 7 juin 1996 au motif qu'il craignait d'être persécuté en raison de ses activités politiques. Le demandeur a déclaré qu'il a été arrêté, détenu, et frappé plusieurs fois en tant qu'opposant du régime Pinochet. Il a aussi confirmé lors de son témoignage que

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depuis 1990, c'est à dire, depuis que le général Pinochet n'est plus au pouvoir, il n'a pas été arrêté ou détenu. Cependant, il allègue qu'en novembre 1995, il a été pris dans une embuscade par quatre militants d'extrême droite qui l'ont frappé et lui ont donné un coup de couteau dans le dos. Il prétend que s'il retourne au Chili, il sera attaqué par les mêmes individus.

[3]       La Section du Statut a fondé sa décision sur l'absence de crédibilité et a

relevé plusieurs invraisemblances et contradictions entre le témoignage du

demandeur et le récit relaté dans son Formulaire de renseignements personnels

( « FRP » ). La décision se lit, en 'partie, comme suit:

D'autre part, l'incident de novembre 1995, alors qu'il aurait été pris dans une embuscade, nous a été décrit par le demandeur de manière hésitante et peu précise. Tout d'abord, il nous dira ne pas se rappeler exactement d'où il venait quant il fut attaqué. Il se ravisera pour nous dire qu'il pensait qu'il revenait du travail. Puis il nous offrira une troisième version pour nous dire qu'il ne travaillait plus à ce moment, mais qu'il aidait plutôt un ami dans son commerce. Dans son FRP il écrit qu'immédiatement après l'agression il se serait rendu à l'hôpital, puis serait rentré à la maison. À l'audience, il nous dira plutôt s'être rendu immédiatement à la maison, pour se rendre après à l'hôpital. Sa première idée, nous dira-t-il à l'audience, était de se réfugier. Ses contradictions et ses hésitations alors qu'il nous parlait de cet incident nous font croire que cet incident n'a jamais existé...

D'autres faits également vont à l'encontre de sa crainte subjective. Après avoir quitté le Chili à cause de sa peur, il restera six mois au Mexique, sans y demander refuge, y travaillant comme serveur. Il nous dira de ne pas s'être informé si le Mexique octroyait le statut de réfugié, puisqu'il pensait venir au Canada. Or dans son FRP il écrira qu'il n'a pas revendiqué le refuge politique au Mexique car cela était impossible.

[4]       Le demandeur soumet que son témoignage était précis. De plus, il soumet

qu'il n'a pas offert des versions différentes, mais qu'au fil des questions qui lui ont été posées, il s'est rappelé d'autres détails. Concernant les événements qui ont

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eu lieu après l'agression, il soutient qu'il n'y a pas de contradiction entre son FRP et son témoignage. Finalement, le demandeur allègue que le fait de ne pas avoir revendiqué le statut de réfugié au Mexique n'est pas pertinent car ce pays ne respecte pas les droits humains.

[5]         À mon avis, cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les raisons suivantes.

[6]       La décision de ne pas octroyer le statut de réfugié au demandeur se fonde essentiellement sur l'appréciation de sa crédibilité. À mon avis, la décision de la Section du Statut, fondée sur la non-crédibilité du demandeur, n'est pas déraisonnable. À la lumière de la preuve au dossier, il ne peut faire de doute que la Section du Statut avait raison de noter, comme elle l'a fait, certaines invraisemblances et contradictions.

[7]       Par exemple, le témoignage du demandeur concernant les événements précédant son agression démontre, comme la Section l'a noté, des hésitations et des invraisemblances:

Q.

Alors, dites-nous comme ... je sais pas, par exemple, quelle heure il était, d'où vous arriviez, où vous vous en alliez, où étaient ces gens­là avant qu'ils te battent là, comment ça c'est passé, là. Racontez­nous une histoire détaillée de ce qui s'est passé s'il vous plaît.

R.             Bien, je rentrais à ma maison, je ... e marchais sur la rue Maoulé.

Q.

O.K. Vous arriviez d'où?

R.

La rue Vikounia Makena (phonétique).

Q.

Non, mais vous arriviez de l'école? Vous arriviez du travail? Vous

arriviez d'une ... d'une amie? Vous arriviez de quelque part, là?

R.

Je ne me souviens pas très bien qu'est-ce que j'avais fait pendant ce

jour-là.

Q.

Mais c'est pas qu'est-ce que vous avez fait le jour, là, c'est qu'est-ce

que vous faisiez juste avant, là?

R.

Bien, je venais ... venais du centre de la capitale.

Q.

Puis vous savez pas qu'est-ce que vous y faisiez?

R.

Je pense que je venais du travail.

Q.

Lequel?

R.

Dans la...le travail de la discothèque Néron.

Q.

Alors, il est quelle heure?

R.

C'était tard, c'était plutôt 7 ou 8 h 00 du soir.

Q.

La discothèque ... vous travailliez le jour à la discothèque?

R.

À cette époque-là, j'avais déjà cessé de travailler, j'allais seulement

pour aider le propriétaire pour parler avec lui.

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Q.

Aider ou parler?

R.

Je ... j'allais là pour l'aider, pour parler avec lui, pour passer un

temps ... moment avec lui à la discothèque.

Q.

Vous aidiez dans...de quelle façon?

R.

À cette époque-là, il ne me payait pas.

Q.

Vous l'aidiez de quelle façon, Monsieur? Écoutez la question.

R.

O.K. Un peu de ... je faisais un peu d'entretien, j'aidais à ... pour

décharger les boissons, les liqueurs qui arrivaient.

Q.

Et vous faisiez ça bénévolement?

R.

Et bien non, le propriétaire était mon ami.

Q.

Il vous payait? Il vous payait?

R.

Indirectement oui.

Q.

Comment?

R.

Je pouvais entrer à la discothèque quand je voulais, pendant la

journée c'était un restaurant.

Cet extrait du témoignage du demandeur est révélateur. Tout d'abord, lorsque le commissaire lui a demandé s'il venait de l'école ou du travail, le demandeur a répondu qu'il ne se souvenait pas. Lorsque la question lui est demandée à nouveau, il répond qu'il venait du centre de la capitale. Ensuite, il déclare d'une

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part qu'il venait du travail, et d'autre part, qu'il avait cessé de travailler à cette époque. Ainsi, la conclusion à laquelle la Section du Statut en arrive n'est nullement déraisonnable.

[8]         De même, il existe une disparité entre le témoignage du demandeur et son FRP en ce qui concerne les événements qui auraient suivis son agression. Lors de son témoignage, le demandeur a affirmé qu'il était allé chez lui avant d'aller à l'hôpital. Cependant, dans son FRP, il a déclaré: "Je me suis rendu à l'hôpital où je suis resté environ une heure. Puis je suis rentré à la maison et ai appelé la police."

[9]         Dans son FRP, le demandeur a indiqué qu'il n'avait pas revendiqué le refuge politique au Mexique parce que "cela était impossible." Il a toutefois témoigné qu'il ne s'était pas informé, lorsqu'il était au Mexique, s'il pouvait revendiquer le statut de réfugié dans ce pays. Par ailleurs, lors de l'audience, lorsque la Section du Statut lui a demandé s'il n'aurait pas dû réclamer le statut de réfugié au Mexique, il a répondu: "En ce moment, je ne pensais rien de ceci et tout ce que je voulais, c'était arriver au Canada." Compte tenu de cette preuve, il n'est pas surprenant que la Section du Statut ait eu de sérieux doutes quant à la validité de sa réclamation.

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[10]       Puisque j'en arrive à la conclusion que la décision de la Section du Statut concernant le manque de crédibilité du demandeur est bien fondée, il ne sera pas nécessaire d'examiner les autres questions soulevées par le demandeur, sauf la question concernant la partialité du tribunal.

[11]       En premier lieu, le demandeur soumet que sa réclamation a été entendue par des commissaires qui avaient des opinions pré-établies sur le Chili, et que ces derniers n'étaient pas prêts à entendre toute la preuve. À mon avis, cette affirmation est purement gratuite. Il n'y a aucune preuve au dossier pour soutenir une telle affirmation.

[12]       En deuxième lieu, le demandeur soumet, aux paragraphes 48, 49 et 50 de

son mémoire, ce qui suit:

48.            Plus particulièrement dans ce dossier il y a eu clairement une atteinte aux principes de justices naturelle et qui démontre très bien le peu d'importance qu'ont les droits des revendicateurs du statut de réfugié devant ce tribunal. Quand l'un des commissaires à demander [sic] au demandeur si la réponse à la question 37 du Formulaire de renseignement personnel correspondait à son histoire, le demandeur a clairement répondu qu'il y avait des parties de la traduction en français qui ne correspondait pas à la version de son histoire qu'il avait écrit en espagnol;

49.            De plus quand on lui a demandé si son formulaire lui avait été traduit, le demandeur a répondu non, ce qui n'a pas empêché les commissaires de faire l'audition quand même. Une pause pour permettre au demandeur de prendre connaissance de la version française de son histoire et de faire les changements nécessaires aurait évité toute les apparences de contradiction qui sont survenus par la suite;

50.            Les règles de justice naturelle et d'équité procédurale éxigeaient que le tribunal remettent l'audition ou prennent au moins une pause pur

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s'assurer que l'histoire présentée par l'avocate du demandeur correspondait bien à son histoire en espagnol. La C.I.S.R. est après tout un tribunal des droits humains, dans le cas du demandeur c'est une question de vie ou de mort que celle de savoir si on va le renvoyer dans son pays, le tribunal en agissant de la sorte laisse clairement voir sa partialité et son mépris des droits des revendicateurs; [Texte tel que dans l'original]

[13]     À mon avis, cet argument est aussi sans fondement. Il suffit de lire la transcription pour en arriver à cette conclusion. Voici ce que révèle la transcription de l'audition du 23 juillet 1998. Après avoir été informée par le demandeur des changements qu'il désirait apporter à son FRP, la Section du Statut l'interroge concernant sa compréhension du récit relaté dans son FRP. Je reproduis les pages 11 à 13 de la transcription (Dossier du Tribunal, pp. 217, 218 et 219):

PAR LA PRÉSIDENTE (s'adressant au conseiller)

Q.

O.K. Est-ce qu'il y a d'autres corrections?

R.             Ça serait tout probablement, à moins que Monsieur ait autre chose à ajouter, c'est tout ce que j'ai.

Q.

Pouvez-vous montrer s'il vous plaît le formulaire, et en particulier la page 11?

PAR LA PRÉSIDENTE (s'adressant au revendicateur)

Q.             Monsieur, est-ce que c'est bien votre signature qui apparaît?

R. Oui.

Q.

Est-ce que le contenu du formulaire devant vous a été traduit en

espagnol à partir du français?

R.

Non.

Q.

Ce qu'il y a ici à la question 37, entre autres, l'histoire, là, votre

récit, est-ce que ça, ça vous a été traduit, l'histoire qu apparaît là?

Et vous êtes vous au courant de ce qui est écrit la?

R.

Non, de l'espagnol en français.

Q.

Est-ce que vous maintenant, vous êtes capable de lire le français?

R.

Oui.

Q.

Et est-ce que vous lisez dans ce que vous avez devant vous, là, la

question 37? Vous êtes d'accord avec ce qui est écrit là?

R.

Oui.

Q.

O.K. Et vous êtes d'accord également avec tout le restant de votre

formulaire? Pour toutes les autres questions et tout ça?

R.

Oui.

O.K.

R.

Mais il y a des parties qui ne sont pas bien faites, qui ne sont pas...

qui ne correspondent pas è ce que j'ai écrit en espagnol.

Q.

Est-ce que vous en avez fait part à votre avocate des corrections à

faire dans ça...

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R.         On a fait le maximum de corrections qu'on a pu faire.

Q.                Et vous êtes d'accord avec les corrections que votre avocate a faites au début de l'audience?

R. Oui.

Q.             Bon. Et ce qui reste maintenant et ce que vous avez devant, vous êtes d'accord? C'est votre histoire?

R. Oui.

Bon.

PAR LA PRÉSIDENTE (s'adressant au conseiller)

Maître Objois, nous avons lu attentivement le formulaire et plus particulièrement la question 37 et je pense qu'on serait intéressé à savoir surtout les derniers incidents qui ont fait en sorte que votre client a décidé de quitter le Chili, sa crainte de retour, qui il craint. Merci.

[14]     À mon avis, l'argument du demandeur qu'il y a eu atteinte aux principes de justice naturelle est dénué de fondement. Je note que lors de l'audition, le procureur du demandeur n'a demandé ni une remise ni une pause.

[15]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

"Marc Nadon"

CALGARY, Alberta le 1,r octobre 1999

Date 19991001 Dossier: IMM-5985-98

Entre:

AUGUSTO JUAN CEA ARAVENA

Demandeur

Et:

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

N ° DU GREFFE:                                  IMM-3475-98

INTITULÉ DE LA CAUSE:                  AUGUSTO JUAN CEA ARAVENA

et LE MINISTRE DE LA CITOYENETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE:                     Le 1ER octobre 1999

LIEU DE L'AUDIENCE:                       Montréal (Québec)

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCES RENDUS PAR LE JUGE NADON

EN DATE DU:                                    VENDREDI ter octobre 1999

ONT COMPARU:                               Me Tammy Tremblay

Pour le demandeur

Me Josée Paquin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Tammy Tremblay

Pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

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