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Date : 20040511

Dossier : T-1787-03

Référence : 2004 CF 689

ENTRE :

                                  MAXIMUM SEPARATION SYSTEMS INC.

                                                                                                                        demanderesse

                                                            (défenderesse dans la demande reconventionnelle)

                                                                       

et

                                                      SOLOMETEX, INC.,

                                             GAREX INDUSTRIES LTD. et

                                                E.G. PLUMBING CO. LTD.

                                                                                                                        défenderesses

                                                         (demanderesses dans la demande reconventionnelle)

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                Dans le cadre de cette requête, il s'agit essentiellement de savoir à quel moment doit avoir lieu l'interrogatoire préalable du représentant de la demanderesse, M. Chilibeck : la demanderesse affirme qu'il doit avoir lieu au mois de mai 2004, avant l'intervention chirurgicale que M. Chilibeck doit bientôt subir. Les défenderesses répondent que l'on avait l'intention d'échanger et d'examiner les documents avant cette intervention, mais que l'interrogatoire préalable devait être mené après la période de convalescence. Chaque partie se fonde sur sa propre interprétation d'une ordonnance rendue sur consentement par la Cour.

EXAMEN

[2]                La date, l'heure et le lieu des interrogatoires préalables sont habituellement négociés par voie de consultation entre les avocats. Diverses règles permettent à la Cour de participer à ce processus, mais habituellement la Cour n'a pas à intervenir, même s'il peut lui arriver de confirmer officiellement le calendrier de la communication préalable au moyen d'une ordonnance rendue sur consentement.

[3]                En l'espèce, les négociations et consultations qui conviennent semblent avoir eu lieu; elles ont abouti à la rédaction d'un projet d'ordonnance préparé par l'ancien avocat de la demanderesse, auquel les défenderesses ont consenti, d'où l'ordonnance rendue sur consentement le 5 avril 2004 par le juge Russell. L'ordonnance prévoyait notamment ce qui suit :

[traduction] (3) Les parties s'efforceront de fixer au moins la date des interrogatoires préalables initiaux, dans les plus brefs délais possibles après le 30 avril 2004, tout en tenant dûment compte de l'intervention chirurgicale que M. Richard Chilibeck (qui doit être interrogé à titre de représentant de la demanderesse) doit subir et de la période de rétablissement nécessaire.


L'ordonnance est libellée dans les mêmes termes que le document préparé sur consentement par l'ancien avocat de la demanderesse, que celui-ci et l'avocat actuel des défenderesses ont signé. Il est fait mention de l'intervention chirurgicale que subira bientôt la personne qui doit témoigner pour la demanderesse à l'interrogatoire préalable; on donne en outre à entendre qu'il est urgent, sur le plan commercial, de mener le litige à bonne fin, mais selon moi l'affaire n'est pas si urgente qu'elle exige l'octroi d'une injonction interlocutoire. Les obligations de l'avocat des défenderesses ne lui permettent pas d'interroger M. Chilibeck avant la date de l'intervention chirurgicale.

[4]                Le passage précité de l'ordonnance qui, comme je l'ai dit, a été rendue sur consentement après que les parties eurent négocié l'objectif visé est considéré comme ambigu pour ce qui est du moment où l'interrogatoire préalable doit être mené, à savoir s'il doit être mené avant ou après l'intervention chirurgicale. D'où la présente requête.

[5]                Dans sa requête, la demanderesse demande à la Cour, entre autres choses, de fixer la date de l'interrogatoire préalable de M. Chilibeck avant qu'il subisse son intervention, qui doit avoir lieu le 4 juin 2004, étant donné que celui-ci aura besoin [traduction] « d'au moins un ou deux mois pour se rétablir après l'opération » avant de pouvoir subir son interrogatoire préalable.


[6]                Ni l'une ni l'autre partie ne doit nécessairement être blâmée pour l'état de choses actuel, qui résulte de la négociation de la procédure de communication préalable à suivre entre l'avocat actuel des défenderesses et l'ancien avocat de la demanderesse. Je tiens ici à faire mention d'une note de service en date du 30 mars 2004 rédigée par Robert Barrigar, c.r., au nom de la demanderesse, à la suite d'une conversation téléphonique avec M. McManus, avocat des défenderesses, à un moment où le juge Russell n'avait pas encore rendu l'ordonnance du 5 avril 2004 :

[traduction] Il [M. McManus] ne peut pas interroger M. Chilibeck avant la fin du mois, mais il conviendrait de l'interroger dès qu'il est possible de le faire après la période de convalescence.

La proposition concernant la conduite de l'interrogatoire préalable après la période de convalescence est faite dans une lettre que M. McManus, avocat des défenderesses, a envoyée à M. Barrigar, avocat de la demanderesse, le 1er avril 2004 :

[traduction]Quant aux interrogatoires préalables oraux, j'ai indiqué qu'ils devraient avoir lieu le plus tôt possible après que M. Chilibeck se sera rétabli; nous aurons alors eu l'occasion d'analyser les documents produits par chaque partie.

[7]                Le consentement, qui est fondé sur une conversation téléphonique antérieure et sur la lettre du 1er avril 2004 et qui semble avoir été rédigé par M. Barrigar, est libellé dans les mêmes termes que l'ordonnance du 5 avril 2004, qui enjoint les parties de s'efforcer de procéder aux interrogatoires préalables dans les plus brefs délais possibles, après le 30 avril 2004, tout en tenant dûment compte de l'intervention chirurgicale que M. Chilibeck doit subir et de la période de rétablissement nécessaire.


[8]                Les deux parties auraient probablement vite expédié l'observateur objectif si, au moment où le consentement a été préparé, celui-ci avait demandé si l'interrogatoire préalable devait être mené avant l'intervention chirurgicale; en effet, il n'aurait pas alors été nécessaire de préciser qu'il fallait [traduction] « ten[ir] dûment compte de l'intervention chirurgicale et de la période de rétablissement nécessaire » . Monsieur Barrigar aurait tout au moins pu rédiger le consentement d'une façon un peu plus réfléchie mais, de son côté, M. McManus aurait pu lire avec plus de discernement le document de consentement avant de le signer. Cependant, une ordonnance a maintenant été rendue sur consentement, une ordonnance qui, selon les parties, pourrait être interprétée de deux façons tout à fait différentes.

[9]                Si la Cour avait rédigé l'ordonnance après la présentation d'une argumentation complète, il serait possible de demander au juge concerné d'élucider l'ambiguïté perçue. En fait, la Cour a simplement donné un effet juridique à ce qui avait été négocié, convenu et rédigé par les avocats des parties ou au nom des avocats des parties : en effet, les parties ont informé la Cour de ce qui avait été mutuellement convenu et de ce sur quoi elles s'étaient entendues.


[10]            Pendant bien des années, les tribunaux judiciaires ont tenu compte de la preuve extrinsèque pour qu'elle les aide à interpréter les contrats ambigus; à un moment donné, l'approche qu'ils avaient adoptée était passablement limitée ou restreinte : voir par exemple Shore c. Wilson (1892) 9 C.L. & Fin 355, aux pages 565 et 566, 8 E.R. 415, aux pages 532 et 533, une décision du juge en chef Tindal. Plus récemment, les tribunaux ont à bon droit tenu compte des faits sur lesquels les parties s'étaient entendues, ou des circonstances environnantes, de l'historique de l'affaire ou de son contexte, comme il en est notamment fait mention dans la décision Reardon Smith Ligne Ltd. c. Yngvar Hansen-Tangen [1976] 1 W.L.R. 989, aux pages 995 et 996 (C.L.), où lord Wilberforce a fait les remarques suivantes :

[traduction]Aucun contrat n'est conclu dans le vide : il existe toujours un cadre dans lequel il s'inscrit. On parle habituellement de « circonstances environnantes » pour définir la nature de ce dont il est légitimement possible de tenir compte, mais cette expression n'est pas précise : il est possible d'illustrer la chose, mais il est difficile de la définir. Lorsqu'un contrat commercial est en cause, la cour devrait certes connaître son objet sur le plan commercial, ce qui présuppose d'autre part une connaissance de l'origine de l'opération, de l'historique, du contexte, du marché sur lequel les parties exercent leurs activités.

[11]            Dans l'ouvrage Fridman on the Law of Contract, 14e édition, 1994, Carswell, aux pages 487 et 488, l'auteur adopte un point de vue un peu plus large; il fait remarquer que les tribunaux judiciaires qui interprètent un texte ambigu peuvent tenir compte de la conduite des parties, et notamment des déclarations qui ont été faites avant que l'entente soit consignée par écrit ainsi que des circonstances dans lesquelles l'entente est conclue et de la conduite subséquente des parties; sur ce point, il se fonde sur l'arrêt C.N.R. c. C.P. Ltd. [1979] 1 W.W.R. 358, aux pages 372 et 373 (C.A.C.-B.) :


[traduction] Les types de preuve extrinsèque qui seront admis, s'ils satisfont au critère de la pertinence et s'ils ne sont pas exclus par d'autres critères applicables à la preuve, comprennent la preuve des faits qui sont à l'origine de la conclusion de l'entente, la preuve des circonstances telles qu'elles existent au moment où l'entente est conclue et, au Canada, la preuve de la conduite subséquente des parties à l'entente. Toutefois, même si ces types de preuve deviennent admissibles lorsqu'il existe deux interprétations raisonnables, cela ne veut pas pour autant dire qu'il faut accorder du poids à la preuve, si elle est soumise. En ce qui concerne la preuve de la conduite subséquente, la preuve est probablement plus forte lorsque les parties à l'entente sont des particuliers, lorsque les actes en cause sont ceux des deux parties, lorsque ces actes peuvent se rapporter uniquement à l'entente, lorsqu'il s'agit d'actes intentionnels et lorsque les actes ne sont compatibles qu'avec l'une des interprétations possibles. Si les parties à l'entente sont des personnes morales et si les actes en cause sont ceux des employés de la personne morale, la preuve de la conduite subséquente aura probablement beaucoup moins de poids. Il n'est jamais nécessaire d'accorder du poids à la preuve de la conduite subséquente. Dans certains cas, il peut être fort trompeur de le faire; c'est à ce danger qu'il est fait allusion dans toute la jurisprudence anglaise récente [...] En Angleterre, les risques ont été considérés comme suffisamment graves pour éliminer la possibilité d'éclaircir l'affaire en se fondant sur la conduite subséquente des parties. Au Canada, cela n'a pas été le cas, mais il faut minutieusement apprécier les risques dans chaque cas individuel avant de décider du poids à accorder à la conduite subséquente.

Selon l'arrêt C.N.R., je peux examiner les faits qui ont abouti à la conclusion de l'entente relative au consentement, les circonstances dans lesquelles l'entente a été conclue et la conduite subséquente des parties, mais je dois faire preuve de prudence en appréciant le poids à accorder à la conduite subséquente.

[12]            En l'espèce, l'ordonnance rendue sur consentement peut de prime abord sembler dans une certaine mesure ambiguë, ou du moins les parties la considèrent comme telle, mais je peux tenir compte de la preuve documentaire qui a abouti à la rédaction du consentement, et notamment du fait que le consentement a été signé, et je peux, dans une moindre mesure, tenir compte de ce qui s'est passé depuis lors.


[13]            Au départ, selon la façon dont M. Barrigar interprète l'arrangement, du point de vue de la demanderesse, tel qu'il en est fait état dans la note de service qu'il a rédigée le 30 mars 2004, l'interrogatoire préalable devait avoir lieu [traduction] « dès qu'il [était] possible de le faire après la période de convalescence » , c'est-à-dire après la convalescence de M. Chilibeck à la suite de l'intervention chirurgicale. C'est ce que montre la lettre du 1er avril 2004 adressée à M. Barrigar, dans laquelle M. McManus, pour le compte des défenderesses, confirme cette conversation, à savoir que tous les interrogatoires préalables [traduction] « devraient avoir lieu le plus tôt possible après que M. Chilibeck se sera rétabli » , en signalant que chaque partie aurait alors eu l'occasion d'analyser les documents produits par l'autre partie.

[14]            J'ai également tenu compte du fait, et je crois qu'il est probable, que M. McManus n'ait pas bien réfléchi avant de signer le consentement et qu'il comptait sur l'autre partie pour rédiger une entente correspondant clairement à ce dont il avait été convenu lors de la conversation téléphonique du 31 mars et dans la lettre du 1er avril.

[15]            J'accorde peu de poids à la lettre du 22 avril 2004 de M. Cooper, avocat de la demanderesse; cette lettre a été rédigée après la date de l'ordonnance rendue sur consentement. Monsieur Cooper y fait simplement mention de l'ordonnance rendue sur consentement et demande que l'interrogatoire préalable de M. Chilibeck ait lieu au mois de mai. Il est également possible de présumer implicitement ou en se fondant sur le courriel envoyé par M. Cooper le 30 avril 2004, que celui-ci n'avait pas directement connaissance de ce dont les avocats principaux inscrits au dossier, MM. Sharpe, McManus, Urbanek et Barrigar, avaient discuté.


[16]            Compte tenu de tous ces renseignements, le consentement et, partant, l'ordonnance du 5 avril 2004 devraient être interprétés comme prévoyant que l'interrogatoire préalable doit avoir lieu dans les plus brefs délais possibles après l'intervention chirurgicale et la période de convalescence. Il se peut donc que l'interrogatoire préalable ait lieu à la fin de l'été ou même au début de l'automne. Toutefois, cela n'est pas incompatible avec le fait que la demanderesse ne s'est pas préoccupée, compte tenu de l'urgence de l'affaire sur le plan commercial, de demander à la Cour de rendre une injonction provisoire.

[17]            Dans sa requête, la demanderesse demande également à la Cour de fixer la date, l'heure, le lieu, les modalités et les frais de déplacement pour ce qui est de l'interrogatoire préalable du témoin des défenderesses, celui-ci n'étant plus M. Owen Boyd, dans ce ressort, mais plutôt M. Ted Shields, de Northborough, Massachusetts. Les défenderesses font savoir que l'interrogatoire préalable doit avoir lieu à Northborough, Massachusetts. La chose soulève un certain nombre de problèmes, notamment pour ce qui est de la capacité des avocats canadiens d'exercer leur profession aux États-Unis, indépendamment du recours à une commission et à des avocats américains à titre de mandataires, soit une démarche coûteuse. Toutefois, j'ajournerai cette partie de la requête dans l'espoir que, d'ici la fin de l'été ou le début de l'automne, les parties arrivent à s'entendre au sujet de l'interrogatoire de M. Shields; en effet, comme le dit M. McManus dans sa lettre du 6 mai 2004, les défenderesses sont prêtes à discuter de conditions raisonnables pour que des interrogatoires préalables conjoints aient lieu au mois de septembre. À la suite de ces discussions, la demanderesse pourra au besoin faire fixer la date de l'audition de la partie de la requête qui a été ajournée.


[18]            Dans l'éventualité où la question des dépens ne serait pas réglée, pour la présente requête dans son ensemble, si elle reprend et si elle est entendue à l'automne, les frais de cette partie de la requête seront adjugés aux défenderesses et seront payables à l'issue de l'affaire.

« John A. Hargrave »

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1787-03

INTITULÉ :                                                    Maximum Separation Systems, Inc.

c.

Solmetex, Inc., Garex Industries Ltd. et

E.G. Plumbing Co. Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                           Le 10 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   Le 11 mai 2004

COMPARUTIONS :

Ted Urbanek                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Terrance McManus                                           POUR LES DÉFENDERESSES

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barrigar Intellectual Property Law                      POUR LA DEMANDERESSE

(Vancouver)                                                     

Ogilvy Renault                                                   POUR LES DÉFENDERESSES

(Ottawa)

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