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Date : 20020802

Dossier : IMM-3956-01

Référence neutre : 2002 CFPI 840

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 AOÛT 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                                 NADINE MPEMA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à la demanderesse. La Commission était d'avis que la demanderesse ne craignait pas avec raison d'être persécutée dans son pays d'origine.

Les faits


[2]                 La demanderesse, une Tutsie citoyenne du Burundi, est née en 1980. Elle a deux frères qui vivent toujours au Burundi avec son père et sa mère. À l'époque où elle vivait encore dans ce pays, ses grands-parents ont fui Muramvya pour s'installer à Bujumbura après avoir été attaqués par des rebelles hutus le 21 octobre 1993. Le père et l'oncle de la demanderesse, qui étaient présents lors de l'attaque, ont porté plainte contre deux des agresseurs en 1994, mais les autorités n'auraient pris aucune mesure contre ces derniers.

[3]                 En 2000, des personnes soupçonnées d'avoir participé au génocide dans la province de Muramvya ont été traduites en justice. L'oncle et le père de la demanderesse ont alors été appelés à témoigner. Le 22 juin 2000, leur maison a été de nouveau assaillie, l'oncle de la demanderesse a été tué et sa cousine, violée. La demanderesse prétend que ces actes ont été commis par les auteurs de l'attaque de 1993. Aucune plainte n'a été faite à la police cette fois, malgré le fait qu'un meurtre et un viol auraient été commis. La demanderesse a expliqué au tribunal que la police donne rarement suite aux plaintes.

[4]                 Après cet incident, le père de la demanderesse a reçu des coups de téléphone anonymes d'un interlocuteur qui menaçait de violer la demanderesse. Craignant pour sa vie, celle-ci est allée vivre chez sa tante. Elle a toutefois continué à aller à l'école car elle voulait terminer l'année scolaire. Son père, sa mère et ses deux frères n'ont pas pris de mesures particulières pour se protéger contre les agresseurs. Ils ont continué de travailler ou d'aller à l'école. Ils n'ont pas déménagé ni changé de numéro de téléphone.

[5]                 À la fin de l'année scolaire, la demanderesse a fui le Burundi pour aller aux États-Unis, où elle a séjourné pendant une courte période chez le cousin de sa mère, l'ambassadeur du Rwanda aux Nations Unies. Elle est ensuite venue au Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié dès son arrivée, le 25 août 2000.


Motifs de la Commission

[6]                 Dans les brefs motifs qu'elle a rendus, la Commission a traité surtout de l'invraisemblance de la conduite de la demanderesse et de sa famille, telle que la demanderesse l'a décrite à l'audience. En premier lieu, la Commission trouvait illogique que personne n'ait porté plainte aux autorités à la suite des événements survenus en juin 2000, compte tenu en particulier du fait que le père de la demanderesse avait porté plainte pour des événements similaires en 1994. La Commission a écrit, à la page 2 de sa décision :

D'abord, le tribunal trouve illogique que ni la revendicatrice, ni sa famille ne porte plainte aux autorités en juin 2000, suite au prétendu meurtre de son oncle et viol de sa cousine, alors que le père de la revendicatrice avait porté plainte (pièce P-6) en 1994 contre ces deux (2) mêmes individus, qui leur ont fait subir des pertes matérielles, par l'entremise de l'avocat de la famille, maître Étienne Bitomara, et que les adresses de leur prétendus agresseurs sont connues, et que les autorités du pays ont entrepris des démarches en avril 2000, contre certaines personnes qui auraient commis des actes répréhensibles en 1993 dans la commune d'origine du père de la revendicatrice, selon certaines coupures de presse (pièce P-4) déposées au dossier par la revendicatrice expliquant que les autorités n'auraient rien fait.

[7]                 La Commission a ajouté que la conduite de la demanderesse était incompatible avec la crainte qu'elle prétendait avoir. Elle a conclu, à la page 3 de sa décision :

De plus, tant son père que sa mère ont poursuivi leur travail et ses frères ont aussi continué leurs études et résident toujours au même endroit et, selon la revendicatrice, n'ont pas changé de numéro de téléphone. Ce comportement est incompatible avec la crainte alléguée.

La revendicatrice se rend aux États-Unis chez un membre de la famille de sa mère, y séjourne plus d'une semaine sans réclamer la protection des autorités américaines, pourtant un pays signataire de la Convention, démontrant à nouveau l'absence de crainte subjective, car si crainte elle avait, elle aurait dû dès la première occasion réclamer la protection.

[8]                 Pour ces motifs, la Commission a statué que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.


Question en litige

[9]                 Les conclusions de la Commission selon lesquelles les allégations de la demanderesse sont invraisemblables et ses actes, incompatibles avec une crainte fondée de persécution sont-elles manifestement déraisonnables?

Analyse

[10]            L'évaluation de la crédibilité d'un revendicateur, de sa crainte subjective et de la vraisemblance de son récit relève de l'expertise de la Commission. En outre, la Commission est tenue de déterminer si la preuve est suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, la Cour d'appel fédérale a statué, aux paragr. 3 et 4 :

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de « plausibilité » ou de « crédibilité » .

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que, dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[11]            En ce qui concerne les conclusions relatives à la crédibilité et l'évaluation de la preuve, la Cour ne doit pas substituer sa décision à celle de la Commission, sauf si la décision de celle-ci est fondée sur une conclusion de fait erronée, est abusive ou autrement arbitraire, ou est déraisonnable : Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296 (1re inst.), au paragr. 14.

[12]            Dans les décisions Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 470, et Gonzalez c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 805, la Cour a statué que la décision de la Commission devait être examinée « en tenant compte [du] récit [de la demanderesse], de même que de la manière dont il a été livré et vérifié au cours de l'audience, avec comme arrière-plan les autres preuves et sa propre perception du comportement humain » (Li, précitée, au paragr. 9). En outre, dans l'arrêt Caballero et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 154 N.R. 345, la Cour d'appel fédérale a statué que la Commission pouvait se fonder sur des incohérences pour conclure à l'absence de crainte subjective de persécution. La Cour fédérale du Canada a souscrit plus particulièrement à cet arrêt dans Safakhoo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 440 (1re inst.), où elle a déclaré, aux paragr. 3 et 6 :

La jurisprudence de la présente Cour établit qu'une conduite incompatible avec une crainte raisonnable d'être persécuté peut à bon droit être invoquée par la Commission pour rejeter une revendication du statut de réfugié (voir par exemple Caballero et al. c. M.E.I. (1993), 154 N.R. 345, page 346 (C.A.F.)).

[...]

À mon avis, les conclusions de la Commission selon lesquelles l'omission des requérants de demander la protection de la France et leur décision de retourner en Iran étaient incompatibles avec une crainte raisonnable d'être persécutés sont raisonnables et s'appuient sur la preuve. Par conséquent, les requérants ne se sont pas acquittés du fardeau qui leur incombait d'établir que les inférences tirées par la Commission, qui est un tribunal spécialisé, ne pouvaient raisonnablement être dégagées de la preuve testimoniale et documentaire dont elle était saisie (voir Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).


[13]            La Commission a très bien expliqué dans ses motifs les raisons pour lesquelles elle considérait que la preuve de la demanderesse était invraisemblable et que ses actes étaient incompatibles avec une crainte fondée de persécution. La Commission a tenu compte du fait qu'au lieu de quitter le Burundi immédiatement la demanderesse était demeurée dans ce pays pendant un mois après l'attaque simplement pour terminer l'année scolaire. En outre, la demanderesse a continué de fréquenter la même école, de sorte que les agresseurs auraient bien pu la retrouver. Elle a indiqué qu'elle n'avait pas quitté immédiatement le Burundi parce qu' « [i]l me restait juste une année, c'est l'année terminale. Tout le monde allait à l'école. Donc, j'ai persévéré parce qu'il me restait juste une année, j'allais pas rater toute une année à cause d'un mois. » (Transcription de l'audience de la Commission, à la p. 87). Par conséquent, il n'était pas déraisonnable dans les circonstances que la Commission conclue qu'un tel comportement était incompatible avec une crainte fondée de persécution.

[14]            De plus, il était raisonnablement loisible à la Commission, compte tenu de la preuve, de considérer qu'il était invraisemblable que la famille de la demanderesse n'ait pas signalé aux autorités le viol et le meurtre survenus en juin 2000. Il ressort de la preuve documentaire que le gouvernement et l'armée, qui sont dominés par les Tutsis, agissent de manière discriminatoire à l'égard des Hutus, lesquels représentent environ 85 p. 100 de la population (selon le Human Rights Report for 1999 sur le Burundi, du département d'État américain, aux p. 98 et 99 du dossier), mais la demanderesse et sa famille sont des Tutsies et l'attaque aurait été commise par des Hutus. Le seul fait que sept ans ont été nécessaires pour traduire en justice les personnes soupçonnées d'avoir participé au génocide survenu dans la province de Muramvya ne prouve pas que le gouvernement n'est pas disposé à protéger ses citoyens innocents, comme la demanderesse le prétend. En outre, comme la Commission l'a souligné dans sa décision, la famille de la demanderesse n'a pas déménagé ou changé de numéro de téléphone. Son père et sa mère ont toujours le même emploi et ses frères fréquentent toujours la même école au Burundi. Par conséquent, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la Commission sont manifestement déraisonnables. Il ne convient donc pas, en l'espèce, de réviser la décision rendue par la Commission.


                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à des fins de certification.

                                                                                      « Luc Martineau »            

                                                                                                             Juge                      

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-3956-01

INTITULÉ :                                                        NADINE MPEMA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 11 juillet 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                     Le 2 août 2002

COMPARUTIONS :

Isaac Sechere                                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Lawrence                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Isaac Sechere                                                                                  POUR LA DEMANDERESSE

Avocat et notaire public

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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