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                                                                                                                                 Date : 20030613

                                                                                                                           Dossier : T-2090-01

OTTAWA (Ontario), le 13 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

MARGARET HAYDON, SHIV CHOPRA et

GÉRARD LAMBERT

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                                ORDONNANCE

VU LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE déposée à l'encontre d'une décision rendue le 26 octobre 2001 par Maurice Gohier, président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique;

ET après lecture des pièces déposées et audition des arguments des parties;


ET pour les motifs délivrés aujourd'hui;

LA COUR ORDONNE :

1.          Cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition à une autre formation du comité d'appel de la Commission de la fonction publique; et

2.                   Les demandeurs ont droit à leurs dépens.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »             

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date: 20030613

Dossier : T-2090-01

Référence : 2003 CFPI 740

ENTRE :

MARGARET HAYDON, SHIV CHOPRA et

GÉRARD LAMBERT

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[3]                Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 26 octobre 2001 par Maurice Gohier, président du comité d'appel de la Commission de la fonction publique, qui a rejeté les appels qu'ils avaient interjetés en conformité avec l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la LEFP).

[4]                Les demandeurs étaient des candidats non reçus dans des concours internes organisés pour pourvoir trois postes de chef de section auprès du Bureau des médicaments vétérinaires de Santé Canada (le BMV). Ils ont fait appel des nominations faites à la suite de ces concours, en affirmant que le jury de présélection avait contrevenu au principe du mérite dans sa manière d'administrer, comme instrument de présélection, l'exercice 810 de décisions courantes des gestionnaires (l'exercice DCG).

LES FAITS

Le concours

[5]         En mai 2000, Santé Canada lançait un concours interne destiné à pourvoir trois postes dans ses locaux d'Ottawa du BMV : chef, Section des évaluations pharmaceutiques (VM-05); chef, Section de l'innocuité pour les humains (VM-05); et chef, Section des politiques et programmes (BI-05). Un jury de présélection fut établi par le ministère, qui comprenait le Dr Marc LeMaguer, le Dre Janet King et le Dr John Dueck. Un jury de sélection fut également établi par le ministère. Ses membres étaient le Dr Brian Evans et Mme Diane Kirkpatrick, cadre invitée du BMV dont le poste équivalait à celui d'un directeur général. Un énoncé de qualités fut rendu public pour chaque poste, et les trois énoncés faisaient de la capacité de « gérer des ressources humaines et financières » une capacité indispensable. Les avis de concours de ces postes informaient les candidats que l'exercice DCG serait « administré à des fins de présélection » .


[6]                L'exercice DCG est un test normalisé dont se sert la Commission de la fonction publique (la CFP) pour évaluer le niveau actuel d'aptitude à la gestion que possède un candidat. La preuve dont disposait le comité d'appel était que le même test avait été employé depuis la fin des années 70. L'exercice simule les aspects d'un poste de gestion en obligeant les candidats à effectuer une série de tâches, par exemple rédiger des lettres et des notes de service, organiser des réunions et déléguer des fonctions. L'exercice est conçu pour évaluer cinq fonctions particulières de gestion : planification, direction, analyse, habilitation et organisation. Les candidats obtiennent jusqu'à cinq points pour leur exécution de chacune de ces cinq fonctions de gestion, pour un total possible de 25 points. L'exercice peut servir à la fois d'instrument de présélection et d'instrument de classement des candidats. S'il est utilisé comme instrument de présélection, le jury de présélection doit choisir une moyenne sur 25 en se fondant sur le niveau requis d'aptitude à la gestion pour le poste. Les Lignes directrices de la CFP pour l'utilisation de l'exercice de décisions courantes des gestionnaires(810) contiennent un diagramme indiquant le pourcentage approximatif de candidats qui devraient réussir pour chaque moyenne possible, et une gamme adéquate de moyennes pour divers niveaux d'aptitude à la gestion.


[7]                Au total, 14 personnes ont posé leur candidature à l'un ou plusieurs des trois postes et ont dû subir l'examen DCG en juin et juillet 2000. Les candidats recevaient d'abord deux enveloppes. L'enveloppe A contenait des renseignements généraux ainsi que les fournitures de bureau nécessaires pour l'exercice. L'enveloppe B contenait 34 articles que l'on trouve habituellement dans le panier d'entrée d'un gestionnaire (notes de service, lettres, rapports, etc.). Les candidats avaient deux heures et demie pour venir à bout du contenu des deux enveloppes. Après la fin de cette étape, les candidats avaient 45 minutes pour énumérer et expliquer, sur un formulaire destiné à cette fin, les mesures prises à propos des 34 articles de l'enveloppe B. Durant la deuxième étape de l'exercice, les candidats obtenaient l'accès au contenu des enveloppes A et B.

[8]                Les candidats, au moment d'écrire les examens, n'étaient pas informés de la moyenne requise. À l'origine, le jury de présélection avait choisi la moyenne de 19/25, ce qui est à l'extrémité supérieure du registre considéré comme un niveau élevé d'aptitude à la gestion. À ce niveau, selon les estimations de la CFP, 26 p. 100 seulement des candidats qui subissaient le test allaient le réussir. Avant que l'un ou l'autre des tests ne soit noté, le jury de présélection a décidé de ramener la moyenne à 14/25, ce qui se trouve à l'extrémité inférieure du registre considéré comme un niveau moyen d'aptitude à la gestion. Avec une moyenne de 14/25, on pense que 60 p. 100 des candidats réussiront le test. Le jury de présélection pensait qu'une moyenne de 14/25 donnerait un nombre suffisant de candidats reçus, tout en garantissant que les candidats reçus possédaient le niveau requis d'aptitude à la gestion.


[9]                Les réponses des candidats ont été évaluées entre le 28 juillet et le 9 septembre 2000, sur le plan de l'efficacité, de la performance et de la qualité, par des examinateurs qualifiés travaillant pour le Centre de psychologie du personnel de la CFP (le CPP). Les examinateurs ont été recrutés, formés, accrédités et surveillés par le Dre Lynne St-Pierre, psychologue à temps plein auprès du CPP. Les examinateurs ne connaissaient pas la moyenne choisie par le jury de présélection lorsqu'ils ont noté les examens. Sept des candidats ont obtenu la note de passage de 14/25 et ont été retenus pour le concours. Cinq des candidats ont plus tard été jugés des candidats qualifiés, et leurs noms ont été inscrits sur les listes d'admissibilité de ces postes. Aucun des demandeurs n'a obtenu la moyenne requise, et ils ont tous été exclus du concours.

Les appels

[10]       Chacun des demandeurs a déposé un appel distinct à l'encontre des sélections, en application de l'article 21 de la LEFP. Les appels ont été instruits ensemble par le président du comité d'appel, M. Gohier, les 10 et 11 juillet 2001, parce que les demandeurs faisaient les mêmes six allégations touchant la conduite de ces trois concours. Les demandeurs soutenaient que le recours à l'exercice DCG pour pourvoir les postes en question était sans précédent et visait à conférer un avantage injuste aux candidats qui avaient occupé les postes à titre intérimaire dans le passé. Ils déploraient également plusieurs irrégularités qui s'étaient produites durant l'administration de l'exercice DCG.


[11]            À l'audience, à la suite d'un contre-interrogatoire persistant mené par le demandeur Chopra, un document qui n'avait pas auparavant été communiqué par le ministère fut produit. Il s'agissait d'un courrier électronique envoyé par Mme Trish Worgan, une conseillère principale en ressources humaines chargée d'administrer le test, au Dre Janet King le 25 juillet 2000, à propos de la possibilité d'établir la moyenne à 14/25. Dans le courrier électronique, Mme Worgan disait qu'elle avait rencontré le Dr LeMaguer qui, se fondant sur des conseils reçus de la CFP, voulait abaisser la moyenne initiale « à cause de son effet négatif sur les minorités visibles qui subissent le test » . Le Dr King a répondu, dans un courrier électronique daté du 26 juillet 2000, qu'elle était en faveur de ramener la moyenne à 14/25. On ne sait pas quelle a été la position du Dr Dueck sur le sujet. Le courrier électronique est ainsi formulé :

À :         Janet King @ HWC

c.c.:       Kerrie Strachan @ HWC, Rita Marinelli @ HWC

Objet : Exercice de décisions courantes - Dotation en personnel

Bonjour Janet,

Lorsque j'ai rencontré le Dr LeMaguer mardi dernier, je lui ai dit que, eu égard à des conseils reçus de la Commission de la fonction publique et du Service central de dotation ici à Santé Canada, il nous faudrait abaisser la moyenne fixée pour l'examen susmentionné, à cause de son effet négatif sur les minorités visibles qui subissent le test. La moyenne proposée est de 14/25, ce qui signifie qu'environ 60 p. 100 des candidats devraient obtenir au moins cette note; l'effet est négligeable à ce niveau, et le test conserve son efficacité. À mesure qu'augmente la moyenne, les possibilités d'un effet négatif augmentent elles aussi.

Avant de recevoir les résultats de cet examen, pourriez-vous me confirmer par écrit, demain, que vous êtes en faveur de cette moyenne modifiée. Le DG a exprimé son accord sur cette modification. En raison d'autres sujets connexes, il ne m'a pas été possible de rédiger ce courrier électronique avant son départ.

Je me renseignerai auprès de la CFP demain sur la date prévue de réception des résultats du test.

Trish

954-2289


[12]            Deux des demandeurs, le Dr Shiv Chopra et le Dr Rajinder Sharma, ont fait une septième allégation à la suite de la communication de ce courrier électronique. Ils affirmaient que la communication du courrier électronique de Mme Worgan avait été délibérément refusée et que ce courrier avait eu un effet préjudiciable sur leurs candidatures aux concours en question. Ils ont demandé un ajournement afin de pouvoir recueillir des éléments de preuve sur ce document. Le président a rejeté leur demande d'ajournement et n'a pas autorisé les demandeurs à convoquer des témoins travaillant dans le ministère pour qu'ils expliquent ce qu'ils voulaient dire dans le courrier électronique.

La décision du comité d'appel

[13]       Le président a conclu que la procédure de sélection avait été conduite en conformité avec le principe du mérite, et il a rejeté les appels des demandeurs, dans une décision datée du 26 octobre 2001. Les six allégations faites à l'origine par les demandeurs ont été écartées par le comité d'appel. Aux fins de la présente demande, il n'est pas nécessaire de décrire la réponse du président du comité d'appel à chacune des allégations. Eu égard aux arguments avancés par les demandeurs devant la Cour, il est plus facile de résumer la décision du président à l'aide des cinq points suivants :

(i)          l'inclusion de l'aptitude à la gestion dans l'énoncé de qualités était justifiée car ces postes exigeaient l'accomplissement de fonctions de gestion;


(ii)         il était tout à fait loisible au jury de présélection d'utiliser l'exercice DCG comme instrument de présélection pour vérifier l'aptitude des candidats à la gestion;

(iii)        la décision de fixer la moyenne à 14/25 était raisonnable car elle permettait à un nombre suffisant de candidats de réussir tout en garantissant un niveau moyen d'aptitude à la gestion;

(iv)        aucun avantage indu n'a été conféré aux candidats qui avaient occupé des postes de chef intérimaire, puisqu'un candidat n'ayant pas cette expérience a réussi le test et un autre qui avait cette expérience y a échoué; et

(v)         le jury de présélection a conduit l'exercice DCG d'une manière qui respectait le principe du mérite, malgré certaines irrégularités.

[14]            Le président a estimé que la communication du courrier électronique avait été délibérément et injustement refusée. Il s'est exprimé ainsi, au paragraphe 14 de sa décision :

[traduction] Le courrier électronique en question expliquait la raison d'être de la moyenne fixée pour l'exercice DCG. Il s'agissait d'une information qui intéressait les appelants ou les candidats reçus et qui était susceptible d'être présentée devant le comité d'appel. À mon avis, le ministère le savait parfaitement, puisqu'il a communiqué les courriers électroniques antérieurs et postérieurs à celui qu'il a décidé de ne pas communiquer. Je suis donc d'avis que les appelants auraient dû obtenir une copie du courrier électronique de Mme Worgan durant la période de communication de la preuve. Cette partie de l'allégation des appelants est fondée, même si les appelants se sont référés à la mauvaise disposition du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique. Le ministère devrait montrer plus de diligence dans l'accomplissement de ses responsabilités en ce qui a trait à la communication de documents et de renseignements pour les cas futurs.


[15]            Comme il est indiqué plus haut, une allégation supplémentaire a été faite par deux des demandeurs, après la communication du courrier électronique de Mme Worgan. Le président a dit que, même si le ministère avait manqué à son obligation, selon l'article 26 du Règlement de 2000 sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2000-80, (le Règlement), de communiquer le courrier électronique durant la période de communication de la preuve, il n'était pas établi que la moyenne avait été abaissée pour que moins de personnes des minorités visibles puissent se qualifier. L'abaissement de la moyenne a eu en réalité un effet d'intégration, en élargissant la réserve de candidats possibles. Le président a relevé que, si la moyenne de 19/25 avait été maintenue, un seul des 14 candidats aurait réussi l'exercice. Le président a réitéré sa position selon laquelle il n'était pas nécessaire de convoquer des témoins travaillant dans le ministère étant donné que le texte du courrier électronique se passait de commentaires, et, selon lui, insister sur le sujet ne servirait pas l'intérêt public.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[16]            Le principe fondamental des nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique fédérale est le principe du mérite, exposé au paragraphe 10(1) de la LEFP :


Nominations au mérite

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

Appointments to be based on merit

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.


[17]            Le paragraphe 21(1) prévoit un mécanisme qui permet aux candidats non reçus de faire appel d'une nomination. Les parties applicables de l'article 21 sont reproduites ici :



Appels

21. (1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

Appeals

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.


[18]            Également utile ici est l'article 26 du Règlement, ainsi rédigé :


Accès

26. (1) L'appelant a accès sur demande à l'information, notamment tout document, le concernant ou concernant le candidat reçu et qui est susceptible d'être communiquée au comité d'appel.

Access

26. (1) An appellant shall be provided access, on request, to any information, or any document that contains information, that pertains to the appellant or to the successful candidate and that may be presented before the appeal board.

Copies

(2) L'administrateur général en cause fournit sur demande à l'appelant une copie de tout document visé au paragraphe (1).

Copies

(2) The deputy head concerned shall provide the appellant, on request, with a copy of any document referred to in subsection (1).


POINTS EN LITIGE

[19]            Les points suivants ont été soulevés dans la présente demande.

Le droit des demandeurs à l'équité procédurale a-t-il été ignoré par le président du comité d'appel lorsqu'il a décidé :

1)                   de refuser la demande d'ajournement qu'ils avaient présentée afin de pouvoir questionner le personnel du ministère sur le courrier électronique de Mme Worgan?

2)                   de limiter le champ du contre-interrogatoire des témoins ministériels?


ANALYSE

1.          Équité procédurale

a)          Demande d'ajournement

[20]       Selon les demandeurs, le président du comité d'appel n'a pas exercé comme il le devait son pouvoir discrétionnaire d'accorder un ajournement, d'une manière qui tienne pleinement compte de leur droit de présenter équitablement leurs arguments.

[21]            En règle générale, un tribunal administratif a le pouvoir d'ajourner une procédure, et la Cour n'interviendra pas s'il décide de ne pas accorder d'ajournement, à moins qu'il n'y ait eu déni de justice naturelle : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Nutrasweet Co. (1989), 27 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.); Vairamuthu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 161 N.R. 131 (C.A.F.). Ce principe a été appliqué aux comités d'appel de la CFP : Jeyakumar c. Canada (P.G.) (1999), 178 F.T.R. 139; et Savoie c. Canada (P.G.), 180 F.T.R. 135. Il n'y a pas de déni de justice naturelle si le tribunal a donné à chacune des parties une occasion raisonnable d'exposer ses arguments et n'a pas refusé à une partie une demande légitime d'ajournement pour qu'elle puisse présenter sa preuve : Grant c. Canada, 2003 CAF 77.

[22]            L'inobservation par le ministère d'une disposition de la loi ou du règlement ne devrait invalider une nomination que s'il y a véritablement lieu de croire que l'observation de la disposition aurait produit un résultat différent : Bambrough c. Canada (P.G.), [1976] 2 C.F. 109, à la page 115 (C.A.).

[23]            Il n'est pas contesté que Santé Canada a manqué aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale en ne communiquant pas avant l'audience un document pertinent, ainsi que l'exige expressément l'article 26 du Règlement. La question est de savoir si ce manquement a dénié le droit des demandeurs à une audience équitable, et la réponse à cette question dépend si le manquement a pu influer sur l'appréciation du mérite relatif des candidats. Le courrier électronique, qui n'a été communiqué qu'à la suite du contre-interrogatoire persistant mené par le demandeur Chopra, a suscité plusieurs questions opportunes, a constitué le fondement d'une nouvelle « allégation » utile, qui est devenue la septième allégation soumise à l'examen du comité d'appel, et a conduit le président du comité d'appel à proposer que l'auteur du courrier électronique soit convoqué comme témoin. Le courrier électronique disait essentiellement que la note de passage pour l'exercice DCG devait être abaissée de sorte que les membres des minorités visibles ne soient pas exclus.


[24]            Dans la transcription, à la page 225, ce document est décrit ainsi par le président : « Il pourrait expliquer beaucoup de choses » . Je suis d'avis qu'il s'agissait là d'un document utile et important parce qu'il expliquait la raison d'être de la moyenne fixée. Le président a refusé d'autoriser des questions à propos de ce document. Je suis d'avis que les appelants avaient le droit de s'interroger sur ce document.

[25]            Il est évident que, lorsqu'est refusée illégalement la communication d'un document important et utile, et que ce document n'est découvert qu'à la faveur d'un contre-interrogatoire mené durant l'audience, la partie concernée devrait sur requête obtenir un ajournement afin d'être en mesure de poser les bonnes questions à son sujet et de convoquer les témoins additionnels nécessaires. Ce document formait la base d'une nouvelle allégation qui devait être examinée à l'audience. Le président a reconnu que la nouvelle allégation était légitime, mais il a rejeté la demande d'ajournement en affirmant que le document n'avait eu aucun effet préjudiciable sur les appelants, sans pour autant donner aux appelants le droit de procéder à un contre-interrogatoire sur le document. Toutefois, le président était disposé à convoquer l'auteur du document pour qu'elle témoigne, mais elle n'était pas dans la salle d'audience et ne pouvait se présenter dans un bref délai. À ce stade de l'audience, le président a refusé un ajournement qui aurait donné aux appelants le temps de « s'enquérir » à la suite du courrier électronique, ou qui aurait permis de convoquer l'auteur du courrier électronique.


[26]            La conclusion du président était que le courrier électronique n'avait pas lésé les demandeurs, et il n'a pas, avant de conclure ainsi, autorisé un contre-interrogatoire, ni la production d'éléments de preuve. Peut-être la conclusion du président était-elle juste. Mais il est impossible de le savoir si l'on ne permet pas aux demandeurs de soumettre les témoins concernés à un contre-interrogatoire à propos de ce document. Il y a véritablement lieu de croire que le document renfermait des indications sur la sélection des candidats selon le principe du mérite, ou expliquait le raisonnement suivi pour ramener la moyenne de passage de 19 à 14, alors que la moyenne aurait dû être abaissée davantage, ou donnait à entendre que le recours à l'exercice DCG ne convenait pas pour ces postes.

[27]            La Cour reconnaît que le président avait dirigé l'audience pendant un jour et demi et qu'il voulait qu'elle arrive à son terme. Cependant, un ajournement n'aurait causé aucun préjudice. Lorsque la communication d'un document important et utile est refusée illégalement, et lorsqu'il y a tout lieu de croire que ce document intéressait la position des appelants, alors les appelants ont le droit à un ajournement et le droit de vérifier ce document en convoquant des témoins et en procédant à un contre-interrogatoire. C'est là une partie essentielle d'une audience équitable, à laquelle les appelants avaient droit. Voir l'affaire Savoie, précitée, et l'affaire Sorobey c. Canada, [1987] 1 C.F. 219, à la page 221, le juge Hugessen (sa fonction à l'époque).

[28]            Il est un principe élémentaire de justice naturelle, dans la conduite d'une audience équitable, selon lequel, si l'on constate qu'une partie a dissimulé ou négligé de communiquer un document important et utile, alors la partie adverse a le droit de faire ajourner l'audience afin de pouvoir répondre adéquatement à ce document, soit à l'aide de témoins, soit à l'aide d'autres documents, soit par contre-interrogatoire. L'objet des règles présidant à la communication de documents avant l'audience est d'éviter que le procès ne se déroule à l'improviste ou par surprise.

[29]            L'un des objets d'un contrôle judiciaire est de s'assurer que les tribunaux administratifs conduisent leurs audiences d'une manière équitable. Dans sa hâte de mener à terme une audience, le président de l'audience doit veiller à ne pas se hâter de conclure, et s'assurer que les parties sont pleinement à même de vérifier, par contre-interrogatoire ou autrement, les preuves susceptibles d'influer sur elles. Cela n'a manifestement pas été le cas ici, et la Cour se doit d'intervenir.

[30]            Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audience à une autre formation du comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Les demandeurs ont droit à leurs dépens.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »            

                                                                                                                                                     Juge                        

OTTAWA (ONTARIO)

LE 13 JUIN 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-2090-01

INTITULÉ :                                            MARGARET HAYDON ET AUTRES c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                     OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 27 MAI 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       MONSIEUR LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                           LE 13 JUIN 2003

COMPARUTIONS :

M. David Yazbeck                                                                    POUR LES DEMANDEURS

Mme Anne Turley                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron et Ballantyne                                          POUR LES DEMANDEURS

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                          Date: 20030613

                                                   Dossier : T-2090-01

ENTRE :

MARGARET HAYDON, SHIV CHOPRA et

GÉRARD LAMBERT

                                                                demandeurs

- et -

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                   défendeur

                                                                               

              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                               


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