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Date: 19980604


Dossier: T-338-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 4 JUIN 1998

EN PRÉSENCE DE      MONSIEUR LE JUGE MARC NADON

ENTRE

     L'ASSOCIATION DES DISTILLATEURS CANADIENS,

     demanderesse,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente requête est rejetée.

     "MARC NADON"

     JUGE

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


Date: 19980604


Dossier: T-338-98

ENTRE

     L'ASSOCIATION DES DISTILLATEURS CANADIENS,

     demanderesse,

     - ET -

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Le ministre de la Santé (le Ministre) tente d'obtenir une ordonnance radiant la demande de contrôle judiciaire déposée par l'Association des distillateurs canadiens (l'Association) le 2 mars 1998. Par sa demande, l'Association souhaite que la Cour annule la décision du Ministre datée du 26 novembre 1997 par laquelle il a refusé la demande présentée par l'Association en vue de modifier le titre 2 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. L'Association cherche également à obtenir une ordonnance enjoignant au Ministre de publier dans la Partie I de la Gazette du Canada les modifications demandées.

[2]      L'argument du Ministre consiste donc à faire valoir que, comme l'Association n'a aucune chance d'obtenir gain de cause en ce qui concerne sa demande, celle-ci doit être radiée. À l'appui de cet argument, le Ministre invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588.

[3]      Dans l'affaire David Bull, la question en litige consistait à déterminer si une demande visant à faire radier un avis de requête introductive d'instance peut être présentée sous le régime de l'ancienne règle 419 des Règles de la Cour fédérale1. Lorsqu'il a rejeté cette demande, le juge des requêtes, le juge Noël, a fait part de ses doutes quant à la possibilité de recourir à l'ancienne règle 419 pour faire radier un avis de requête introductive d'instance. On a interjeté appel de la décision du juge Noël et la Cour d'appel a conclu que ce dernier n'avait commis aucune erreur en rejetant la demande de radiation. La Cour d'appel a ensuite expliqué pourquoi elle estimait que le juge des requêtes " a eu en principe raison " de douter de l'applicabilité de la règle 419. Aux pages 596 et 597, le juge Strayer offre l'explication suivante:

                  L'absence de dispositions prévoyant la radiation des avis de requête dans les Règles de la Cour fédérale s'explique fondamentalement par les différences qui distinguent les actions des autres instances. Dans une action, le dépôt des plaidoiries écrites est suivi de la communication de documents, d'interrogatoires préalables et d'instructions au cours desquelles des témoignages sont rendus de vive voix. Il est de toute évidence important d'éviter aux parties les délais et les dépenses nécessaires pour mener une instance jusqu'à l'instruction s'il est "manifeste" (c'est le critère à appliquer pour radier une plaidoirie écrite) que la plaidoirie écrite en cause ne peut pas établir une cause d'action ou une défense. Bien qu'il soit important, tant pour les parties que pour la Cour, qu'une demande ou une défense futiles ne subsistent pas jusqu'à l'instruction, il est rare qu'un juge soit disposé à radier une procédure écrite par application de la Règle 419. De plus, le processus de radiation est beaucoup plus facile à appliquer dans le cas des actions, étant donné que de nombreuses règles exigent des plaidoiries écrites précises quant à la nature de la demande ou de la défense et aux faits qui l'appuient. Aucune règle comparable n'existe relativement aux avis de requête. Tant la Règle 319(1) [mod. par DORS/88-221, art. 4], la disposition générale applicable aux demandes présentées à la Cour, que la Règle 1602(2) [édictée par DORS/92-43, art. 19], la règle pertinente en l'espèce, qui vise une demande de contrôle judiciaire, exigent simplement que l'avis de requête indique "avec précision, le redressement" recherché et "les motifs au soutien de la demande". Le fait que les avis de requête ne doivent pas nécessairement contenir des allégations de fait précises aggrave beaucoup le risque que prendrait la Cour en radiant ces documents. De plus, une demande introduite par voie d'avis de requête introductive d'instance est tranchée sans enquête préalable et sans instruction, mesures qu'une radiation permet d'éviter dans les actions. En fait, l'examen d'un avis de requête introductive d'instance se déroule à peu près de la même façon que celui d'une demande de radiation de l'avis de requête: la preuve se fait au moyen d'affidavits et l'argumentation est présentée devant un juge de la Cour siégeant seul. Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu'entraîne l'examen additionnel d'une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire. La présente requête en radiation a donné lieu, inutilement, à une audience devant le juge de première instance et à plus d'une demi-journée devant la Cour d'appel, ainsi qu'au dépôt, devant cette dernière, de plusieurs centaines de pages de documents. Le bien-fondé de l'avis de requête introductive d'instance peut être tranché, et le sera de façon définitive, à l'audience dont la tenue, devant un juge de la Section de première instance, est maintenant fixée au 17 janvier 1995.             

[4]      Puis, à la page 600, le juge Strayer conclut de la façon suivante:

             Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l'aurait fait dans le cadre d'une action. Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli [...] Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.             

[5]      Le juge Strayer convient qu'un avis de requête introductive d'instance ne doit être rejeté que s'il " est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli ". Ce sont là les termes sur lesquels s'appuie le Ministre lorsqu'il prétend que la demande de contrôle judiciaire présentée par l'Association devrait être radiée.

[6]      Je ne suis pas convaincu qu'il soit justifié de radier l'avis de requête introductive d'instance déposé par l'Association. Dans l'arrêt David Bull, le juge Strayer affirme que ce genre d'avis n'est radié que dans des cas exceptionnels. Pour bien comprendre cette observation du juge Strayer, il importe de lire attentivement les commentaires formulés par ce dernier lorsqu'il explique pourquoi la Cour devrait faire preuve de réticence avant d'accorder une requête visant la radiation d'un avis de requête introductive d'instance. J'insiste sur ce passage qui apparaît aux pages 596 et 597:

             [...] Par conséquent, le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu'entraîne l'examen additionnel d'une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire.             

[7]      Il ressort manifestement de ce qui précède que la Cour d'appel n'incite pas les intimés à déposer des requêtes en vue de faire radier des avis de requête introductive d'instance. La Cour d'appel affirme que la manière appropriée de contester un avis de requête introductive d'instance, même lorsque l'intimé est d'avis que la cause du demandeur n'est pas très convaincante, consiste à déposer le dossier de l'intimé et à débattre la question lors de l'audience sur le bien-fondé de l'affaire. Adopter un autre mécanisme ferait échouer un des objectifs clairement visé par le processus de contrôle judiciaire, lequel est conçu pour offrir aux parties une procédure sommaire permettant de régler les questions soulevées dans le cadre de l'instance.

[8]      J'ai lu attentivement tous les documents déposés par les parties au soutien de la présente requête en radiation et je ne peux conclure que l'avis de requête introductive d'instance présenté par l'Association " est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli ". Cela ne signifie aucunement que je sois d'avis que l'Association obtiendra gain de cause ou qu'elle a une chance raisonnable de voir sa requête accueillie. J'affirme simplement que, selon moi, la présente affaire ne constitue pas un des cas exceptionnels envisagés par le juge Strayer dans l'arrêt David Bull .

[9]      À mon sens, l'intimé aurait dû se contenter de déposer le dossier de la demande et ensuite débattre devant le juge présidant l'instruction des raisons pour lesquelles l'avis de requête introductive d'instance devait être rejeté. Les plaidoiries portant sur la présente requête ont duré trois heures et trente minutes. L'audition sur le fond après le dépôt des deux dossiers ne prendra certainement pas beaucoup plus de temps qu'il en a fallu pour trancher la requête en radiation.

[10]      Pour ces motifs, la présente requête est rejetée.

     "MARC NADON"

     JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 4 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE:              T-338-98
INTITULÉ DE LA CAUSE:      L'Association des distillateurs canadiens c. Le ministre de la Santé
LIEU DE L'AUDIENCE:          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:          Le 30 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE NADON LE 4 JUIN 1998.

ONT COMPARU:

Aaron Runbinoff/Frances Fitzgerald          POUR LA DEMANDERESSE

Perley-Robertson, Panet, Hill & McDougall

Ottawa (Ontario)

Frederick Woyiwada                      POUR L'INTIMÉ

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

PROCUREUR INSCRIT AU DOSSIER:

Aaron Runbinoff/Frances Fitzgerald          POUR LA DEMANDERESSE

Perley-Robertson, Panet, Hill & McDougall

Ottawa (Ontario)

Frederick Woyiwada                      POUR L'INTIMÉ

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

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1Maintenant la règle 221.

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