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Date : 20040224

Dossier : IMM-3142-03

Référence : 2004 CF 271

Toronto (Ontario), le 24 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN                                

ENTRE :

                                                              OUSMAN ALLAHI

demandeur

                                                                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur est un citoyen du Tchad, âgé de 29 ans. Il prétend avoir une crainte fondée de persécution parce qu'il soutient le Parti Démocratique Africain (PDA), un parti politique fondé par son cousin, et parce que sa famille est impliquée au sein du PDA et au sein du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT).

[2]                Dans ses motifs datés du 2 avril 2003, la Commission a conclu que le profil politique du demandeur n'est pas celui d'un homme qui attirerait l'attention des autorités tchadiennes. De plus, la Commission a relevé des invraisemblances dans son récit et a conclu qu'il avait souvent fourni un témoignage vague au cours de l'audience. La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas de crainte subjective de persécution parce qu'il refusait de retourner vivre avec sa famille nomade. En somme, la Commission a conclu que le demandeur ne lui avait pas fourni suffisamment d'éléments de preuve crédibles ou dignes de confiance pour démontrer qu'il était ou allait être personnellement visé par les autorités en raison des incidents qu'il a relatés.

QUESTIONS EN LITIGE

[3]                La présente demande soulève plusieurs questions.

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la question de savoir si le demandeur serait victime de persécution à l'avenir parce qu'il appartient à une famille dont les membres s'opposent au gouvernement?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'avait pas de crainte subjective de persécution?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable de la modification que le demandeur a apportée à son FRP pour ajouter l'incident de 1995 à son récit?

4.          La Commission a-t-elle commis une erreur en tenant compte de la lettre du MDJT?


5.          La Commission a-t-elle par ailleurs commis une erreur en tirant des conclusions sur l'invraisemblance et la crédibilité?

6.          La Commission a-t-elle omis de tenir compte de la preuve documentaire qui lui était soumise?

NORME DE CONTRÔLE

[4]                Le demandeur a contesté des conclusions de fait tirées par la Commission. La norme de contrôle en matière de conclusions de fait de la Commission est la décision manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (M.C.I.), [1995] 1 C.F. 741; Conkova c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 300).

Première question en litige : La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la question de savoir si le demandeur serait victime de persécution à l'avenir parce qu'il appartient à une famille dont les membres s'opposent au gouvernement?

[5]                Le demandeur soumet que la Commission a agi dans le sens contraire de la décision Hartley c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 631, en ne tenant pas compte de la menace à laquelle il s'expose en raison de la participation des membres de sa famille à une rébellion. De plus, il prétend que la Commission s'est concentrée uniquement sur son passé plutôt que sur le risque de persécution à l'avenir.


[6]                Le défendeur réplique que le demandeur n'a pas fourni à la Commission des éléments de preuve démontrant que lui-même, un travailleur de campagne électorale ou un membre de la famille avaient été arrêtés ou détenus en raison de leur engagement dans le PDA. Il prétend que la conclusion de la Commission selon laquelle « le profil politique du demandeur d'asile n'est pas celui d'un homme qui attirerait l'attention des autorités tchadiennes » n'était pas manifestement déraisonnable.

[7]                À la page 8 de ses motifs, la Commission dit ce qui suit :

Àla fin de l'audience, le conseil du demandeur d'asile a affirmé que son client serait persécutéà l'avenir parce que des membres de sa famille s'opposent au gouvernement et se sont joints à la rébellion. Il ne s'agit toutefois pas de la prétention que le demandeur d'asile a avancée : il a fui en raison des circonstances entourant la campagne et l'assassinat de son cousin Gueti.

Le tribunal conclut que le demandeur d'asile n'a pu lui fournir suffisamment dléments de preuve crédibles ou dignes de foi pour démontrer que les autorités le cherchaient personnellement par suite de l'incident susmentionnéou qu'elles le cibleront à l'avenir pour cette raison. [Non souligné dans l'original.]


[8]                La Commission a l'obligation de tenir compte de tous les arguments mis de l'avant par le demandeur et de toutes les raisons possibles pour lesquelles il pourrait être exposé à la persécution dans son pays d'origine (Ward c. Canada (Procureur Général), [1993] 2 R.C.S. 689; Hartley, précitée). Dans la présente affaire, la Commission a conclu que le demandeur, en raison de son engagement personnel minime en politique, ne serait pas exposé à la persécution au Tchad. Le dossier de la Cour contenait certainement suffisamment d'éléments de preuve pour permettre à la Commission de tirer cette conclusion.

[9]                Toutefois, la Commission a complètement omis de tenir compte de la question de savoir si le demandeur pourrait être exposé à la persécution en raison de l'engagement de son cousin et de son frère au sein de partis d'opposition. À la page 22 du dossier de la Cour, le demandeur dit :

[traduction] Les problèmes que j'ai vécus au Tchad sont directement attribuables à ma relation avec les membres de ma famille. Historiquement, ma famille s'est opposée au gouvernement des MPS, dirigé par Idriss Deby. En effet, mon cousin, Youssouf Galmaye, était commandant de la Gendarmerie Nationale du Tchad. Pendant la guerre qui a opposé Deby et Habre en 1989, mon cousin a été tué.

De plus, aux pages 138 et 139 le demandeur témoigne du fait que des membres des familles des opposants au régime se font tuer.

[10]            Dans Hartley, précitée, le juge Mackay a dit :

[9]            La justice naturelle et l'équité procédurale exigent du tribunal qu'il examine les arguments avancés par le revendicateur. Le revendicateur a allégué qu'il faisait l'objet de persécution parce qu'il était perçu comme un membre d'un groupe social. Le dossier indique que le tribunal n'a pas considéré la question de savoir si l'appartenance présumée pouvait donner lieu à la protection de la Convention, une question déterminante pour la revendication du demandeur. De plus, sans conclure expressément au manque de crédibilité du témoignage du revendicateur, le tribunal en l'espèce a refusé d'en apprécier la valeur en l'absence d'une preuve corroborante. Le tribunal ne peut pas, sans raison, refuser de tenir compte du témoignage du demandeur.


[11]            Le même raisonnement peut s'appliquer dans le présent cas. La Commission aurait dû tenir compte de cet élément de preuve, rendre une décision sur sa crédibilité et y accorder de l'importance. La Commission n'en a rien fait, mais, comme relaté au paragraphe 7 qui précède, elle a décidé incorrectement qu'il ne faisait pas partie du dossier du demandeur. Cette omission de la Commission constitue une erreur susceptible de contrôle.

[12]            Même si j'ai trouvé les arguments du défendeur très convaincants en ce qui concerne les autres questions, je n'ai d'autre choix que de renvoyer l'affaire à la Commission étant donné ma conclusion sur la première question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La décision de la Commission, datée du 2 avril 2003, est annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à la Commission pour être entendue à nouveau par un tribunal différemment constitué.

                                                                 « Konrad von Finckenstein »          

                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                      IMM-3142-03

INTITULÉ :                                                    OUSMAN ALLAHI

c.                                                         

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Howard Eisenberg                                             POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard Eisenberg                                             POUR LE DEMANDEUR

Hamilton (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                                               

COUR FÉDÉRALE

                                               

Date : 20040224

Dossier : IMM-3142-03

ENTRE :

OUSMAN ALLAHI

                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                               défendeur

                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                               


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