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Date : 20050311

Dossier : T-1283-04

Référence : 2005 CF 352

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2005

En présence de madame la juge Snider

ENTRE :

ROSS MOORE

demandeur

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]  Il s’agit d’un appel interjeté par voie de requête en vertu du paragraphe 51(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), contre l’ordonnance du protonotaire Lafrenière datée du 24 décembre 2004 qui a rejeté la requête du demandeur en vue de modifier sa déclaration.


[2]  Par voie de déclaration déposée le 9 juillet 2004, M. Ross Moore, le demandeur, a intenté une action contre Sa Majesté la Reine et trois personnes, à la suite de l’exercice de ses fonctions en tant qu’agent de la Gendarmerie royale du Canada (la « GRC »). Dans sa déclaration initiale, il a prétendu que les préjudices qu’il avait subis avaient commencé en octobre 2000 lorsqu’un employé civil de la GRC a déposé une plainte de harcèlement non fondée contre lui. À la suite de cet incident, il a allégué que les trois personnes nommées avaient pris certaines mesures contre lui durant la période allant de novembre 2000 à mars 2001. Après le dépôt de la plainte, par ordonnance de la Cour datée du 14 septembre 2004, l’action intentée contre ces personnes a été radiée pour défaut de compétence.

[3]  L'étape importante suivante dans cette affaire a été le dépôt d’une requête par la défenderesse, le 17 novembre 2004, en vue d’obtenir un jugement sommaire. Le fondement de la requête est que les préjudices invoqués ont cessé en mars 2001. Cela situerait les préjudices au-delà du délai de prescription de deux ans prévu à l’alinéa 2(1)e) de la Loi sur la prescription du Manitoba, C.P.L.M. c. L150. Cette requête n’a pas encore été entendue.

[4]  Le 26 novembre 2004, le demandeur a déposé une requête afin d’obtenir l’autorisation de modifier sa déclaration. Plus précisément, le demandeur cherche à ajouter les paragraphes suivants :

12  [...] au cours de la période d’environ 14 mois qui a suivi, le demandeur a fait l’objet de poursuites continues engagées par la GRC par l’entremise de ses agents, préposés et mandataires, actions qui étaient directement liées à la plainte de harcèlement non fondée déposée par M. Deschouwer contre le demandeur. [...]

13  Plus tard, autour du mois de juillet 2002, une plainte officielle a été déposée par le demandeur relativement aux actions qui se poursuivaient [...] elle a été traitée sommairement et d’une manière qui traitait le demandeur et ses préoccupations de façon déraisonnable et sans tenir compte des droits du demandeur.


QUESTIONS EN LITIGE

[5]  Les questions soulevées par cette requête sont les suivantes :

1)  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire?

2)  Le protonotaire a-t-il commis une erreur manifeste en refusant d’autoriser les modifications à la déclaration?

ANALYSE

Question 1 : Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[6]  À mon avis, la décision du protonotaire, en l’espèce, n’avait pas d’influence déterminante sur la décision définitive à l’égard des questions en litige. La décision de modifier une déclaration est discrétionnaire et devrait faire l’objet d’une grande retenue. Par conséquent, l’ordonnance du protonotaire rejetant la demande ne peut être annulée que si l’exercice de son pouvoir discrétionnaire était entaché d’une erreur flagrante, en ce sens qu’il a été exercé « en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.)).

[7]   Même si je me trompe et que cette décision avait une influence déterminante sur l’issue du principal, le résultat ne changera pas dans le présent appel. En effet, pour les raisons exposées ci-après, je suis convaincue que le protonotaire a appliqué un mauvais principe en se fondant sur des considérations non pertinentes et a mal interprété la nature des modifications. L’application d’une norme de retenue moins élevée, applicable lorsque la question est déterminante pour l’issue de la cause, ne modifierait pas l’effet de ces erreurs.


Question 2 : Le protonotaire a-t-il commis une erreur manifeste?

 

[8]  Le protonotaire a fondé sa décision de rejet de la requête en modification sur les deux motifs suivants :

Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le demandeur tente simplement de prolonger le délai de prescription jusqu’à deux ans après la date de sa retraite, ébranlant ainsi la position de la défenderesse selon laquelle l’action du demandeur est irrecevable aux termes de la Loi sur la prescription du Manitoba. La défenderesse devrait avoir le droit de se fonder sur la déclaration et les admissions obtenues lors du contre-interrogatoire.

En tout état de cause, les allégations d’inconduite contenues aux paragraphes 12 et 13 des actes de procédure proposés ne sont pas simplement des « ajouts de précisions » à la déclaration, mais de nouvelles causes d’action qui vont au-delà des allégations de manquement à une obligation fiduciaire ou de mauvaise conduite. En outre, les allégations sont insuffisantes, car il s’agit de simples affirmations imprécises sans faits substantiels sur lesquels fonder les affirmations.

J’examinerai chacune de ces conclusions séparément.

1.  Prorogation du délai de prescription

[9]  La défenderesse a fait part de cette préoccupation au protonotaire qui, à son tour, l’a acceptée comme motif de rejet de la demande de modification.

[10]  La séquence des événements montre clairement que les modifications n’ont été proposées qu’après le dépôt de la requête en jugement sommaire. Le demandeur admet que les modifications auraient pour effet de prolonger le délai de prescription et qu’elles auraient dû être apportées plus tôt. Cependant, je ne vois pas pourquoi cette raison est suffisante pour rejeter une demande autrement valide visant à modifier une déclaration. En d’autres termes, je ne considère pas cela comme un facteur pertinent dans cette affaire.


[11]  Le demandeur cite la décision Fox Lake Indian Band v. Reid Crowthers & Partners Ltd., [2003] 1 F.C. 197 (CFPI), qui donne un excellent aperçu de la loi dans ce domaine :

[traduction]
_  Tout acte de procédure, y compris une modification proposée, doit être lu dans son contexte global (paragraphe 8).

_  La Cour devrait adopter une approche généreuse à l’égard d’une demande de modification et tenir compte de l’article 3 des Règles de façon à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible. (paragraphe 9).

_  Dans la mesure où il existe une cause d’action qui ne peut pas être considérée comme évidemment et manifestement futile, il convient d’autoriser la modification, si elle peut être apportée sans causer préjudice à l’autre partie (paragraphe 10).

_  Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une requête en modification, de corriger une modification proposée et, si la modification semble raisonnable dans l’ensemble, alors le fait que certains mots ou certaines expressions soient susceptibles d’être radiés ne rend pas la modification mauvaise dans son ensemble (paragraphe 8).

_  Une modification ne peut être refusée que dans les cas les plus évidents où la situation ne soulève aucun doute et mérite d’être soulignée (paragraphe 11).

_  Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite (paragraphe 12).

[12]  Comme il a été mentionné dans Fox Lake, un facteur pertinent consiste à déterminer si l’autre partie subirait un préjudice. La défenderesse pourrait prétendre que sa requête en jugement sommaire est compromise. Toutefois, l’adjudication des dépens indemniserait adéquatement la défenderesse pour le temps et l’énergie consacrés à la préparation et à la présentation de la requête en jugement sommaire si elle était accueillie. En l’espèce, il n’y a pas de préjudice puisque la défenderesse pourrait être adéquatement indemnisée pour sa requête par une adjudication de dépens.

[13]  Par conséquent, la première erreur du protonotaire était de se fonder sur des considérations non pertinentes.

2. De nouvelles causes d’action qui sont de simples affirmations imprécises


[14]  Pour déterminer si les modifications devraient être autorisées, la question à trancher est celle de savoir si les modifications, une fois incorporées dans la déclaration, aident à déterminer le véritable fond du différend, permettant ainsi à la Cour de trancher la véritable question en litige (Fox Lake, au paragraphe 29). Les affirmations imprécises ne répondent pas à ce critère.

[15]  Bien que la Cour adopte une approche généreuse pour permettre d’apporter des modifications aux actes de procédures, même en ce qui concerne l’ajout d’une nouvelle cause d’action (Donovan v. Canada, [2000] F.C.J. No. 2125 (F.C.T.D.)), il y a des limites. Le protonotaire a conclu que ces limites avaient été atteintes. Après avoir examiné la nature des modifications proposées, je ne puis souscrire à cette conclusion.


[16]  Dans les documents déposés à l’égard de la requête initiale, le demandeur a décrit les modifications proposées comme servant [traduction] « principalement à clarifier une déclaration ». Cependant, lors de l’audition de la présente requête d’appel, le demandeur a convenu que les modifications constituaient une nouvelle cause d’action contre certains membres inconnus de la GRC à la suite de la même accusation de harcèlement injustifiée survenue en octobre 2000. La déclaration initiale se limitait aux actions de trois membres de la GRC nommés en réponse à l’allégation de harcèlement au cours d’une période de quatre mois, entre novembre 2000 et mars 2001. L’essence des modifications proposées est que, entre avril 2001 et son départ à la retraite en juillet 2002, le demandeur a fait l’objet de poursuites continues engagées par la GRC par l’entremise de ses agents, préposés et mandataires, [traduction] « actions qui étaient directement liées à la plainte de harcèlement non fondée déposée [...] contre le demandeur ». Le demandeur soutient que le fait qu’il ne puisse pas, à ce stade précoce de la demande, nommer les responsables des actions ne devrait pas être un motif pour rejeter les modifications. Au fur et à mesure que l’action avancera, les identités seront révélées et d’autres modifications seront apportées aux actes de procédures en conséquence.

[17]  Contrairement aux affirmations de la défenderesse, ces modifications, lues dans le contexte global de la déclaration, sont clairement liées à l’allégation non fondée de harcèlement émise à l’encontre du demandeur. Compte tenu de ce lien, qui n’a pas été reconnu par le protonotaire, j’admets que les modifications satisfont à l’exigence très minime pour apporter des modifications à une déclaration.

[18]  Le demandeur soutient en outre que la défenderesse ne subira aucun préjudice qui ne puisse être réparé par une adjudication de dépens. Je souscris à cet argument.

CONCLUSION

[19]  Comme l’a déclaré le protonotaire Hargrave dans Fox Lake, au paragraphe 12, [traduction] « [il] s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite ». En l’espèce, ce résultat est obtenu en autorisant les modifications. Bien entendu, cette conclusion ne signifie pas que le demandeur aura gain de cause en fin de compte ou que d’autres préoccupations procédurales pourraient s’appliquer à la déclaration modifiée. Cependant, nous en resterons là pour le moment. À ce stade, les modifications devraient être autorisées.

[20  En ce qui concerne les faits particuliers de cette requête, j’exercerais mon pouvoir discrétionnaire et j’ordonnerais que les parties assument chacune leurs propres dépens afférents à la présente requête en appel et à la requête devant la juridiction inférieure.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.  La requête du demandeur est accueillie et la décision du protonotaire est annulée.

2.  La demanderesse est autorisée à déposer les modifications proposées à la déclaration.

3.  Chaque partie assumera ses propres dépens afférents à la présente requête et à la requête devant la juridiction inférieure.

« Judith A. Snider »

Juge 



 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :  T-1283-04

INTITULÉ :  ROSS MOORE c. SA MAJESTÉ LA REINE

PLACE DE L’AUDIENCE :  WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 7 MARS 2005

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS:  LE 11 MARS 2005

COMPARUTIONS :

Barry L. Gorlick, c.r.   POUR LE DEMANDEUR

Duncan Fraser    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Monck Goodwin LLP  POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

John H. Sims, c.r.    POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

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