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Date : 20040609

Dossier : IMM-1979-03

Référence : 2004 CF 819

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                               PONNAMPALAM (PONNAMBALAM) PONNUTHURAI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Monsieur Ponnampalam Ponnuthurai a fui le Sri Lanka en 2002 après avoir été victime d'extorsion et avoir dû verser des pots-de-vin tant aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) qu'aux militaires de l'armée du Sri Lanka. Il craignait qu'on lui fasse du mal le jour où sa capacité de payer s'épuiserait et, en conséquence, il est venu au Canada et a présenté une demande d'asile. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande.


[2]                Monsieur Ponnuthurai allègue que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'extorsion n'équivaut pas à de la persécution. Il me demande de renverser la décision de la Commission et d'ordonner une nouvelle audience. Je conviens que la Commission a commis une erreur et, par conséquent, j'accueillerai sa demande de contrôle judiciaire.

I. Les questions en litige

[3]                Monsieur Ponnuthurai soulève principalement deux questions :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'extorsion dont était victime M. Ponnuthurai n'équivalait pas à de la persécution?

2.          La Commission aurait-elle dû se demander si M. Ponnuthurai courrait un risque pour sa vie et s'il subirait vraisemblablement des mauvais traitements ou peines cruels ou inusités s'il était renvoyé au Sri Lanka?

[4]                Compte tenu de ma conclusion quant à la première question, je ne me pencherai pas sur la seconde.

II. Analyse

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l'extorsion dont était victime M. Ponnuthurai n'équivalait pas à de la persécution?


[5]                La Commission a admis en preuve que les TLET et les militaires de l'armée du Sri Lanka extorquaient M. Ponnuthurai. Elle a cependant conclu que la conduite des TLET équivalait simplement à du harcèlement. Quant aux exigences des militaires, elle a conclu que M. Ponnuthurai avait à eu payer simplement des pots-de-vin pour obtenir une prorogation de son laissez-passer de résident. Bref, la Commission a conclu que M. Ponnuthurai était « une victime d'extorsion opportuniste et non une victime de persécution pour l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la Convention » .

[6]                Il est vrai que l'extorsion en soi n'est pas nécessairement de la persécution. Il faut prendre en considération tous les faits et toutes les circonstances avant qu'une décision quant à savoir si un demandeur d'asile a été victime de harcèlement ou de discrimination plutôt que de persécution soit prise. Les sommes en extorquées, le nombre des demandes et les conséquences de ne pas payer sont tous des facteurs importants qui doivent être pris en considération : Sinnathamby c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1160 (1re inst.) (QL); Shanmugalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 767, [2002]_A.C.F. no 1035 (1re inst.) (QL).


[7]                En l'espèce, la Commission a quelque peu expliqué pourquoi les exigences des militaires n'équivalaient pas à de la persécution. Elle a conclu que M. Ponnuthurai avait eu à verser des pots-de-vin à des fonctionnaires à deux occasions pour obtenir la prorogation de ses laissez-passer de résident. Rien ne permet de mettre en doute la validité de cette conclusion.

[8]                La situation est différente en ce qui concerne l'extorsion pratiquée par les TLET. Monsieur Ponnuthurai a dit à la Commission, qui, de façon générale, a accepté son témoignage, que les TLET les avaient détenus, lui et son épouse, pendant deux semaines en 1994. Ils avaient été libérés après qu'ils leur eurent payé 200 000 roupies et laissé leur maison et leurs biens. En 1997, les TLET ont de nouveau demandé de l'argent. Cette fois, ils exigeaient 500 000 roupies et menaçaient de détenir M. Ponnuthurai et son épouse encore une fois pour une longue période s'ils ne payaient pas. Parce qu'ils n'avaient pas l'argent pour accéder aux demandes des TLET, M. et Mme Ponnuthurai ont décidé d'essayer de sortir du pays. M. Ponnuthurai a expliqué que les familles qui avaient des parents à l'étranger paraissaient davantage exposées au risque d'être extorquées. Les six enfants des Ponnuthurai vivaient tous à l'étranger. Cinq d'entre eux ont obtenu le statut de réfugiés au Canada ou en Europe au début des années 90.

[9]                Selon moi, la Commission se devait de prendre en considération cette preuve avant de conclure que les actes d'extorsion dont M. Ponnuthurai avait été victime et les conséquences possibles de ces actes ne pouvaient pas donner lieu à une crainte raisonnable de persécution. La plupart des faits que j'ai relatés dans le paragraphe qui précède n'ont pas été mentionnés par la Commission.

[10]            La Commission a aussi noté que les autorités du Sri Lanka avaient la maîtrise de la péninsule de Jaffna depuis 1995 et que le nombre des actes d'extorsion commis par les TLET avait diminué. L'avocat du ministre a allégué que, dernièrement, le problème le plus grave dans le Nord du Sri Lanka n'est pas l'extorsion, mais le recrutement forcé de jeunes gens par les TLET. Il a tout de même admis que la preuve documentaire montrait que l'extorsion était encore un problème, bien qu'il ne soit pas aussi grave qu'il y a une décennie.

[11]            Il était clairement loisible à la Commission de conclure que le risque d'extorsion n'était plus très grave. Mais, ce faisant, elle aurait dû prendre en considération la preuve et les circonstances de l'affaire, y compris la possibilité que M. Ponnuthurai puisse être de nouveau la cible d'extorsion en raison de ses nombreux liens familiaux à l'extérieur du Sri Lanka.

[12]            Il me faudra donc, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner qu'un autre tribunal de la Commission réexamine la demande de M. Ponnuthurai. Ni l'une ni l'autre parties n'ont demandé la certification d'une question de portée générale et aucune ne sera énoncée.


                                                                   JUGEMENT

PAR LE PRÉSENT JUGEMENT, LA COUR :

1.          accueille la demande de contrôle judiciaire;

2.          ordonne la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différent;

3.          n'énonce aucune question de portée générale.

                                                                                                                          « James W. O'Reilly »         

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-1979-03

INTITULÉ :                                       PONNAMPALAM (PONNAMBALAM) PONNUTHURAI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 1ER JUIN 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                     LE 9 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Jegan Mohan                                                                             POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JEGAN MOHAN                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur générale du Canada


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