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                                                                                                                     Date : 20040203

                                                                                                        Dossier : IMM-1497-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 182

ENTRE :

                                            MOHAMMED JAHANGIR ALAM

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE MACTAVISH


[1]                Mohammed Jahangir Alam a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Une agente des visas de l'ambassade du Canada à Manille a examiné sa demande. M. Alam a obtenu 71 points d'appréciation, plus qu'il n'en fallait pour qu'il puisse émigrer au Canada. Néanmoins, l'agente des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire et elle a refusé la demande de visa d'immigrant de M. Alam. Dans sa décision, l'agente des visas dit que les points d'appréciation accordés à M. Alam ne reflétaient pas ses chances de réussir son installation au Canada.

[2]                M. Alam demande l'annulation de la décision de l'agente des visas au motif que l'agente a commis une erreur en exercant son pouvoir discrétionnaire pour refuser sa demande. M. Alam soutient en outre que l'agente des visas a commis une erreur dans l'appréciation de sa personnalité et qu'elle a tenu compte de facteurs non applicables en évaluant sa demande.

Contexte

[3]         M. Alam est né le 1er janvier 1971, à Mymensingh, au Bangladesh où il a toujours vécu. En juin 1999, il a présenté une demande de visa d'immigrant au Canada en qualité de travailleur qualifié indépendant. Il faisait valoir, dans sa demande, sa formation scolaire et son expérience en génie civil. Quand M. Alam s'est marié, le 8 août 1999, il a modifié sa demande pour inclure sa femme.

[4]                Dans une lettre datée du 9 avril 2001, M. Alam a été avisé que son entrevue aurait lieu le 19 juin 2001. M. Alam ne s'est pas présenté à l'entrevue et il prétend ne pas avoir reçu l'avis. La date d'une deuxième entrevue a alors été fixée. Après un échange de correspondance, une nouvelle date a été établie pour l'entrevue de M. Alam. Cette entrevue devait avoir lieu à Manille, aux Philippines, le 14 janvier 2002.


Décision de l'agente des visas

[5]         La décision de l'agente des visas est inscrite dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (les notes du STIDI), lesquelles sont appuyées par l'affidavit de l'agente des visas. Selon les notes du STIDI, l'agente des visas a évalué M. Alam relativement à chacun des facteurs applicables et elle lui a accordé 71 points d'appréciation, y compris deux points pour sa personnalité.

[6]                L'agente a constaté que M. Adam avait accumulé un nombre suffisant de points pour pouvoir émigrer au Canada mais elle a refusé sa demande parce que, selon elle, ce nombre de points d'appréciation ne reflétait pas ses chances de réussir son installation au Canada.

[7]                Dans les notes du STIDI, l'agente des visas constate que M. Alam n'a pas rempli certaines parties du formulaire de demande. Elle a ajouté que M. Alam avait présenté trois demandes de résidence permanente depuis 1999 et que tous les formulaires qu'il avait remplis étaient incomplets.


[8]                M. Alam a informé l'agente qu'il n'avait pas l'intention de travailler dès son arrivée au Canada mais qu'il tenterait plutôt d'obtenir une maîtrise. L'agente aurait demandé à M. Alam s'il savait ce qu'il devait faire pour que son statut professionnel soit reconnu au Canada et la réponse de M. Alam, telle qu'elle a été consignée au dossier, a été : [traduction] « Ne sait pas, a l'impression que tout ce qu'il doit faire, c'est d'obtenir sa maîtrise » . L'agente a ajouté que M. Alam [traduction] : « n'a fait aucune recherche sur son déménagement au Canada et il l'a dit pendant son entrevue » .

[9]                Les notes du STIDI révèlent que l'agente des visas a discuté avec M. Alam des questions qu'elle se posait. Voici la conclusion de l'agente qui est inscrite dans les notes :

[traduction] Je ne suis pas convaincue que les points d'appréciation accordés reflètent avec exactitude sa capacité de s'installer au Canada. Le demandeur n'a rien fait pour se préparer à émigrer au Canada outre l'appréciation du Conseil canadien des ingénieurs professionnels qui est mentionnée dans la trousse de renseignements. Il n'a jamais réussi a remplir correctement le formulaire. Il n'a pas l'intention d'exercer sa profession pendant quelque temps après son arrivée au Canada, il veut d'abord suivre des cours.

L'agente des visas a ensuite demandé à un agent d'immigration supérieur de l'autoriser à refuser la demande, laquelle approbation lui a été donnée.

Questions en litige

[10]             M. Alam soulève trois questions :

1.          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en exercant son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration pour refuser la demande qui aurait par ailleurs pu être accordée?

2.          L'agente des visas a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la personnalité de M. Alam?

3.          L'agente des visas a-t-elle tenu compte de facteurs non applicables?


Le régime législatif

[11]       Aux termes du sous-alinéa 9(1)b)(i) de l'ancien Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, l'agent des visas peut délivrer un visa d'immigrant à un candidat qui a obtenu au moins 70 points d'appréciation. Toutefois, en vertu de l'alinéa 11(3)b) du même Règlement, un agent des visas peut refuser une demande s'il est d'avis :

[...] qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

Norme de contrôle

[12]       Selon le défendeur, le passage suivant de la décision Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 29 F.T.R. 277, (confirmée en appel : (1991), 121 N.R. 241), décrit la norme de contrôle appropriée relativement à la décision d'un agent des visas :

Pour avoir gain de cause, il ne suffit pas que le requérant me persuade que j'aurais pu parvenir à une conclusion différente de l'appréciation. Il doit me convaincre que, par suite d'une erreur commise dans l'interprétation de la loi, l'agent des visas n'a pas fait l'appréciation qui lui incombait, ou que, subsidiairement, en procédant à une telle appréciation, il n'a pas agi équitablement envers le requérant.

[13]            Plus récemment, il a été jugé que la norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent des visas est celle qu'a établie la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a dit :


C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

(Voir, par exemple, To c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (QL) (C.A.), Liu c. Canada (MCI), 2001 CFPI 751, et Nehme c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 64.)

[14]            La norme de contrôle étant établie, je vais maintenant examiner les questions soulevées par M. Alam.

Analyse

[15]       Dans sa demande, M. Alam soulève trois questions, mais il semble que les principales questions concernent l'appréciation, par l'agente des visas, de la personnalité de M. Alam et le fait qu'elle se soit fondée sur cette appréciation pour exercer son pouvoir discrétionnaire et rejeter la demande de M. Alam.


[16]            Pour l'essentiel, M. Alam fait surtout valoir que, selon lui, l'agente des visas n'a pas tenu correctement compte de son projet de suivre des cours au Canada avant de se chercher du travail. M. Alam soutient que l'agente a irrégulièrement fondé son appréciation de sa personnalité sur le fait qu'il n'allait pas entrer sur le marché du travail dès son arrivée au Canada, et que, par conséquent, elle a irrégulièrement apprécié sa personnalité.

[17]            M. Alam fait valoir que le demandeur n'est pas tenu d'avoir des projets d'emploi immédiat surtout lorsque, comme en l'espèce, le demandeur possède suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins de sa famille pendant ses études. Selon M. Alam, l'agente des visas a irrégulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en semblant exiger qu'un demandeur démontre qu'il a l'intention de commencer à travailler dès son arrivée au Canada. À cet égard, M. Alam se fonde sur la décision de la Cour dans Margarosyan c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-331-96. Dans cette affaire, le juge Gibson a annulé la décision d'un agent des visas qui avait refusé une demande de résidence permanente au motif que la demanderesse ne satisfaisait pas à la définition de « travailleur autonome » puisqu'elle n'avait pas l'intention de se lancer en affaires [traduction] « à [son] arrivée au Canada » . L'agent des visas n'avait pas contesté la bonne foi de la demanderesse qui disait vouloir se lancer en affaires au Canada au moment opportun. Le juge Gibson a souligné que les termes [traduction] « à [son] arrivée au Canada » ne figurent pas dans la définition de « travailleur autonome » et il a conclu qu'il n'était pas nécessaire qu'un demandeur établisse une entreprise dans un certain délai à compter de son arrivée au Canada.

[18]            M. Alam prétend que puisqu'il avait l'intention de faire des études, il ne lui était pas nécessaire de prouver qu'il avait tenté de se trouver un emploi. Dans les observations de M. Alam, il n'y a aucune preuve dont l'agente aurait pu être saisie qu'il ne pouvait pas s'installer avec succès au Canada comme ingénieur après une période d'études.

[19]            J'ai examiné les notes du STIDI de l'agente des visas. Ces notes sont appuyées par un affidavit de l'agente qui explique, en donnant beaucoup de détails, le raisonnement qu'elle a suivi quand elle a refusé d'accorder la demande. Il ressort de l'affidavit qu'au moment où l'agente l'a signé, elle se souvenait encore très bien de son entrevue avec M. Alam. Cependant, l'affidavit a été signé plusieurs mois après l'entrevue, probablement quand l'agente a constaté que sa décision était contestée. Dans les circonstances, je préfère m'en tenir essentiellement aux motifs exprimés dans les notes du STIDI et de n'accorder que très peu de poids à l'explication fournie par l'agente après coup.


[20]            À mon avis, les faits en l'espèce se distinguent facilement des faits dans Margarosyan. En l'espèce, l'agente des visas ne s'est pas préoccupée du fait que M. Alam n'avait pas l'intention de se trouver du travail dès son arrivée au Canada. Au contraire, un examen des notes du STIDI révèle que M. Alam ne s'est pas bien présenté lors de son entrevue. M. Alam semble ne pas s'être préparé. L'agente des visas s'est demandée pourquoi M. Alam n'avait que des projets très vagues et pourquoi il ne s'était pas du tout renseigné sur ses perspectives au Canada. En outre, M. Alam avait déposé trois formulaires auprès des autorités canadiennes entre 1999 et janvier 2002 et il n'en avait rempli aucun correctement. Tous ces facteurs ont, à juste titre, fait en sorte que l'agente des visas a mis en doute la motivation, l'esprit d'initiative, les capacités et l'ingéniosité de M. Alam. (Kaura c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1997), 125 F.T.R. 227, page 229)

[21]            En conformité avec l'alinéa 11(3)b), l'agent des visas dispose d'un large pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder un visa d'immigration même si le candidat a obtenu le nombre minimum de points d'appréciation nécessaires. (Covrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 104 F.T.R. 41). Toutefois, le pouvoir discrétionnaire de l'agent a des limites : seuls les facteurs qui visent la capacité d'un demandeur de s'établir, sur le plan financier, sont des facteurs qui peuvent être pris en considération. (Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] 3 C.F. 350 (1re inst.))

[22]            L'alinéa 11(3)b) du Règlement impose un fardeau plus lourd à l'agent des visas qui doit justifier l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser une demande que s'il s'agit du pouvoir discrétionnaire d'accorder une demande visé à l'alinéa 11(3)a). (Hameed c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 8 janvier 2001, A-503-98 (CAF), Chen, précité.)

[23]            En l'espèce, les questions soulevées par l'agente des visas sont des facteurs qui concernent clairement la capacité financière de M. Alam de s'établir au Canada. Un agent des visas n'est pas tenu d'aviser le demandeur de ses impressions défavorables au fur et à mesure qu'elles surgissent, particulièrement lorsque ces impressions ont trait à certains aspects du demandeur qui ne sont pas de nature à changer, comme la personnalité (Savin c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 1426). Cela étant, les notes de STIDI de l'agente indiquent clairement qu'elle a parlé de ses impressions avec M. Alam pendant l'entrevue. Je ne suis donc pas convaincue qu'il y a eu un manquement à l'équité procédurale dans le processus que l'agente a suivi.

[24]            Pour ces motifs, je suis convaincue que l'agente des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire régulièrement en refusant la demande de visa de M. Alam. Par conséquent, la demande est rejetée.

Certification

[25]       M. Alam propose la question suivante à des fins de certification :

Le demandeur est-il tenu d'exercer la profession qu'il entend exercer dès son arrivée au Canada?


J'ai conclu que c'était le manque de préparation de M. Alam de son déménagement au Canada plutôt que son intention de reporter son entrée sur le marché du travail qui avait amené l'agente des visas à refuser sa demande. Par voie de conséquence, je ne suis pas convaincue que la question proposée serait déterminante en l'espèce et je ne certifierai pas la question.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                          « Anne L. Mactavish »              

                                                                                                     Juge                             

                        

OTTAWA

                                                                                                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1497-02

INTITULÉ :                                        MOHAMMED JAHANGIR ALAM

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 29 JANVIER 2004

ORDONNANCE ET MOTIFS

DE L'ORDONNANCE :                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 3 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Marvin Moses                          POUR LE DEMANDEUR

Stephen H. Gold                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moses & Associates                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                  POUR LE DÉFENDEUR


                               COUR FÉDÉRALE

                                                                     Date : 20040203

                                                        Dossier : IMM-1497-02

ENTRE :

                  MOHAMMED JAHANGIR ALAM

                                                                              demandeur

                                               et

                 MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                               défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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