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Date : 20000817


Dossier : T-2652-89

Entre :


    

GUILLAUME KIBALE


demandeur


-et-



SA MAJESTÉ LA REINE


défenderesse

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE PROTONOTAIRE ARONOVITCH



[1]      Dans le cadre de la présente requête écrite, la défenderesse demande à la Cour de radier la déclaration du demandeur, monsieur Guillaume Kibale, datée du 12 mars 1990.

[2]      Le 23 novembre 1989, le demandeur a intenté devant la Cour une action en dommages-intérêts contre la défenderesse et ce, en raison du refus de cette dernière de l"engager dans la fonction publique.

[3]      À la suite du dépôt de la déclaration, comprenant 23 pages et plus de 73 paragraphes, la défenderesse a déposé à cette époque, une requête visant à obtenir la radiation d"allégations contenues dans la déclaration et des précisions au sujet de celles-ci. Le 6 mars 1990, le juge Addy, alors juge à la Section de première instance, a rendu une ordonnance relativement à cette requête. Je reproduis les passages les plus pertinents des motifs rendus :

...
Sauf lorsque certains détails sont prévus par des règles particulières telles que les règles 407, 408(2) et (5) et 409 etc., une déclaration doit, dans la mesure du possible, se limiter aux allégations ou conclusions de faits sur lesquelles allégations le demandeur se fonde pour le redressement demandé. Ces allégations devront par la suite être établies en preuve par la production de documents, pour l"interrogatoire préalable et enfin par la preuve présentée lors du procès.
En l"occurrence, la déclaration comprend 23 pages dont 73 paragraphes et semble se rapporter à un litige qui me paraît en somme non compliqué. Au lieu de ne contenir que des allégations sur lesquelles le demandeur cherche à fonder sa demande pour des dommages, la déclaration est comblée d"un très grand nombre d"incidents, de détails non essentiels ou non probatoires, de commentaires, d"arguments et déclarations spéculatives et interrogatoires, lesquels ne doivent pas faire partie d"une déclaration.
La majorité des paragraphes de la dite déclaration seraient susceptibles d"être radiés en vertu de la règle 419 (b) (c) (d) et (f) au motif qu"ils sont soit non essentiels, redondants, futiles, vexatoires, abusifs, qu"ils peuvent gêner ou retarder l"instruction équitable de l"action ou constituent un emploi abusif des procédures. Mais la déclaration ne pourrait être amendée sans compliquer davantage les procédures déjà beaucoup trop complexes. Elle devra donc être radiée complètement en vertu de la règle 419(1)(a).
...
Tenter de régler la suffisance ou l"insuffisance de la déclaration dans les circonstances actuelles ne servirait qu"à prolonger inutilement les procédures et créer pour les deux parties une perte de temps ainsi que des dépenses additionnelles sans raison valable.
Pour ces motifs j"ai rejeté sans dépens les deux requêtes et j"ai radié ex proprio motu la déclaration sans préjudice au droit du demandeur d"émettre une nouvelle déclaration dans cette affaire s"il le juge à propos.
[Mes soulignés]

[4]      Suivant le dispositif de l"ordonnance, le demandeur a déposé au dossier de la Cour une nouvelle déclaration le 12 mars 1990; c"est cette déclaration qui fait l"objet de la présente requête en radiation, présentée à la suite d"un examen de l"état de l"instance.

[5]      La nouvelle déclaration, quoique très courte, reprend essentiellement les mêmes propos que celle qui a été radiée. En particulier, le demandeur allègue que la Commission de la fonction publique rejette systématiquement sa candidature lorsqu"il se présente à un concours d"emploi. De plus, le demandeur allègue des violations de l"article 10 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, et de l"article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

PRÉTENTIONS DES PARTIES

La défenderesse (requérante dans le cadre de la présente requête)

[6]      En premier lieu, la défenderesse soutient que la présente action a qualité de chose jugée puisque la déclaration déposée à la suite de l"ordonnance du juge Addy ne fait que reprendre les allégations contenues dans la déclaration précédente, qui avait été radiée en raison de l"absence d"une cause d"action valable.

[7]      Le deuxième motif soulevé par la défenderesse afin de justifier la radiation de la déclaration du demandeur est que celle-ci ne comporte aucune cause d"action valable et devrait donc être radiée conformément à la règle 221(1)a ) des Règles de la Cour fédérale de 1998 (les Règles) qui se lit comme suit:


221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).


[Mes soulignés]

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).


[Emphasis mine]

[8]      La défenderesse soutient que le demandeur est dans l"incapacité d"établir en faits et en droit le fondement de son recours, soit le refus systématique de la défenderesse d"examiner ses demandes d"emploi. En outre, la défenderesse prétend qu"une simple allégation de refus systématique ne peut, en soi, être une cause d"action.

[9]      De plus, la défenderesse allègue que la déclaration du demandeur n"expose pas les faits substantiels sur lesquels il fonde son action en dommages-intérêts et donc, ne respecte pas les exigences de la règle 174 des Règles . En effet, on soutient que la déclaration ne contient aucun fait établissant l"existence d"un refus systématique d"examiner les demandes d"emploi du demandeur, la violation des principes établis à l"article 10 de la Loi sur l"emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, et la violation de l"article 15 de la Charte . La règle 174 se lit comme suit :


174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.

174. Every pleading shall contain a concise statement of the material facts on which the party relies, but shall not include evidence by which those facts are to be proved.

[10]      Finalement, la défenderesse conteste la requête en modification de la déclaration qu"a déposée le demandeur en réponse à la présente requête au motif qu"il s"agirait d"un abus de procédure de la part de ce dernier, puisque les modifications requises nécessiteraient qu"il expose davantage de faits lors du dépôt de la déclaration en question. De plus, la défenderesse souligne que les modifications suggérées par le demandeur dans sa réponse sont, en fait, les mêmes allégations qui avaient été radiées par le juge Addy.

Le demandeur (intimé dans le cadre de la présente requête)

[11]      Le demandeur reconnaît avoir déposé une déclaration incomplète car elle n"expose effectivement pas tous les faits substantiels qui donnent naissance à une cause d"action, et demande à la Cour la permission de modifier sa déclaration et d"y ajouter des allégations quant à certains faits .

[12]      Afin d"expliquer les irrégularités de sa déclaration et de montrer pourquoi il convient d"accueillir la requête en modification, le demandeur soutient qu"il souffrait, lors du dépôt de la déclaration, d"une maladie affective qui aurait résulté des agissements des représentants de la défenderesse à son égard.

ANALYSE

Radiation de la déclaration du demandeur déposée le 12 mars 1990

[13]      Tel que je l"ai mentionné plus haut, la défenderesse invoque, afin de justifier la radiation de la déclaration, le fait que la nouvelle déclaration déposée le 12 mars 1990 n"est, en réalité, qu"un résumé de la précédente qui avait été radiée par le juge Addy pour absence de cause d"action valable. Ainsi, la défenderesse me suggère de radier la déclaration au motif qu"il s"agit des mêmes arguments, des mêmes questions en litige et donc, de la même cause. À son avis, la nouvelle déclaration ne saurait être recevable et ce, en vertu du principe de l"autorité de la chose jugée.

[14]      Toutefois, je ne puis accorder aucune valeur à cet argument puisque la Cour, sous la plume du juge Addy, a autorisé le demandeur à déposer une nouvelle déclaration, s"il le jugeait à propos. Le juge Addy n"a pas examiné les questions en litiges et n"a pas rendu de décision au fond sur celles-ci. La nouvelle déclaration, doit donc être considérée comme un nouvel acte de procédure selon ses propres termes. Ainsi, j"en conclus que le principe de l"autorité de la chose jugée ne trouve pas application en l"espèce.

[15]      Je note que l"argument essentiel soulevé par la défenderesse pour justifier la radiation de la déclaration est l"absence de cause d"action valable. Voici l"essentiel du principe de droit applicable en cette matière tel qu"énoncé par la Cour suprême du Canada dans Hunt c. Carey Canada Inc. , [1990] 2 R.C.S. 959 à la page 980.

...dans l'hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il "évident et manifeste" que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d'action raisonnable?...

[16]      Tenant pour vrais les faits allégués et après avoir analysé la déclaration, je me vois dans l"obligation de conclure qu"il n"y a effectivement aucune cause d"action valable et donc, que rien ne justifie la poursuite de l"action puisque cette dernière n"a aucune chance d"être accueillie. En effet, la déclaration, contenant en tout douze allégations, ne constitue qu"une simple exposition de faits, dépourvue des faits substantiels qui pourraient fonder une cause d"action soit relative à la Loi sur l"emploi dans la fonction publique ou à une violation des droits du demandeur en vertu de la Charte. Je conclus donc, que la déclaration devra être radiée pour ce motif (Vojic c. M.R.N. [1987] 2 C.T.C. 203, 87 D.T.C. 5384 (C.A.F.)).

Modification de la déclaration du demandeur déposée le 12 mars 1990

[17]      Ayant conclu qu"il serait approprié de radier la déclaration, la Cour devrait-elle accueillir la demande de M. Kibale qui aurait pour effet de l"autoriser à émettre à nouveau une nouvelle déclaration. Or, le requérant n"a même pas déposé à cet effet, un projet de l"acte de procédure modifié, afin que la Cour soit en mesure d"évaluer les modifications requises et pour que la partie adverse puisse en prendre connaissance. Au contraire, à l"appui de sa requête pour modifier sa déclaration, le demandeur a présenté une suite d"allégations peu cohérentes, ne constituant pas nécessairement des faits substantiels et qui rappellent en outre, les lacunes antérieurement soulignées par le juge Addy.

[18]      Nous pouvons faire preuve de compassion envers le demandeur qui, de son propre aveu, était malade et confus lorsqu"il a essayé de modifier sa déclaration afin de se conformer à l"ordonnance du juge Addy. Toutefois, en agissant de la sorte, soit en tentant de faire valoir à nouveau ses droits par lui-même et en ces circonstances, M. Kibale a raté une rare opportunité offerte par la Cour et ce, sans tenir compte des conséquences de son geste. Or, de telles occasions ne se présenteront pas indéfiniment. En réalité, faire droit à la requête du demandeur à ce stade avancé, sur le simple fondement d"une série d"affirmations imprécises, constituerait, à mon sens, un abus de procédure. En conséquence, je ne peux permettre au demandeur de déposer une nouvelle déclaration dans le sens qu"il propose.

CONCLUSION

[19]      Pour tous ces motifs, la requête en radiation de la déclaration est accueillie. La requête en modification est rejetée et l"action est rejetée. Les dépens n"ont pas été demandés et la Cour n"en adjuge pas.




"Roza Aronovitch"

Protonotaire

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