Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19980731

Dossier : IMM-1272-98

ENTRE :

JEAN-PIERRE KESSLER et

MARION GONNEVILLE,

demandeurs,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]    La présente demande est très confuse sur le plan juridique. Elle vise à faire annuler la décision par laquelle un agent d'immigration a refusé d'accorder au demandeur la permission de déposer une demande de droit d'établissement à partir du Canada pour des motifs d'ordre humanitaire, conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[2]    La demande vise à obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant à l'agent d'accorder une telle permission, réparation que ne peut chercher à obtenir le demandeur vu qu'aucune obligation d'accorder la permission n'incombe à l'agent d'immigration - il s'agit d'une décision purement discrétionnaire.

[3]    La demande vise à obtenir une déclaration selon laquelle le demandeur n'est pas inadmissible pour des motifs de nature criminelle, réparation que celui-ci ne peut chercher à obtenir dans la présente instance étant donné que l'agent d'immigration n'avait pas à examiner la question de l'admissibilité, une demande de droit d'établissement n'ayant pas encore été déposée.

[4]    Le demandeur conteste la décision sur le fondement que l'agent d'immigration n'a pas fourni de motifs de décision, même s'il ressort d'une jurisprudence abondante qu'il n'est pas nécessaire que de tels motifs soient fournis. Il suffit de lire l'arrêt Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 29 Imm. L.R. (2d) 82, de la Cour d'appel fédérale, à la p. 83 :

« [...] le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il lui faut donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application générale de la Loi. La tenue d'une audition et l'énoncé des motifs de la décision ne sont pas obligatoires. L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. [Non souligné dans l'original.]

[5]         Le demandeur vit au Canada depuis décembre 1991. Son épouse est citoyenne canadienne et ses deux enfants, auxquels il est clairement attachés, sont nés au Canada. L'authenticité de son mariage ne fait aucun doute.

[6]         Il est venu au Canada en provenance des États-Unis en décembre 1991. Peu après son arrivée, il a été avisé que des accusations avaient été portées contre lui aux États-Unis (seize actes d'accusation pour fraude, dont de la fraude fiscale). Il n'est pas retourné aux États-Unis pour faire face à ces accusations, même s'il prétend qu'il est innocent. Du 26 mai 1992 au 13 septembre 1997, il a vécu au Canada sans statut. Ce n'est qu'après son arrestation le 7 août 1997, dans le cadre de l'exécution d'un mandat délivré à son égard après que les services d'immigration se sont rendus compte qu'il vivait au Canada sans statut, qu'il est retourné aux États-Unis, le 13 septembre 1997. Il est revenu au Canada la même journée et s'y trouve depuis lors, en vertu d'un visa de visiteur. Le 3 septembre 1997, l'épouse du demandeur a déposé une demande de parrainage de ce dernier et il a par la suite présenté une demande en vertu du paragraphe 114(2) visant à obtenir la permission de déposer une demande de droit d'établissement à partir du Canada.

[7]         L'argument de l'avocat est qu'une grande importance aurait dû être accordée à l'authenticité du mariage et que le demandeur aurait dû être autorisé à déposer une demande de droit d'établissement à partir du Canada, la question de son inadmissibilité pour des motifs de nature criminelle ne devant être tranchée qu'à un moment ultérieur dans le contexte de la prise d'une décision concernant cette demande.

[8]         L'avocat soutient que c'est à tort que l'agent d'immigration a pris en considération les circonstances relatives aux accusations criminelles pesant contre le demandeur, en particulier, qu'il ressort du dossier qu'à l'époque, les agents d'immigration étaient d'avis qu'ils ne pouvaient faire en sorte que le demandeur soit renvoyé du Canada en raison de son admissibilité pour des motifs de nature criminelle parce que, bien qu'il fût accusé, il n'avait été reconnu coupable d'aucune infraction. La Cour avait rendu sa décision dans l'affaire Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1995), 90 F.T.R. 145, mais n'avait pas encore tranché l'affaire Legault c. Canada (Secrétaire d'État) (1997), 219 N.R. 376 (C.A.F.). L'avocat qualifie donc la décision de ne pas accorder au demandeur la permission de déposer une demande de droit d'établissement à partir du Canada comme étant inéquitable, et il considère qu'il s'agit d'un cas où les agents d'immigration ont fait indirectement ce qu'ils ne pouvaient faire directement.

[9]         Je ne trouve pas cet argument convaincant. Même s'il peut exister des motifs d'ordre humanitaire du point de vue du demandeur, vu l'authenticité de ses relations familiales, il n'en demeure pas moins que le pouvoir d'accorder la permission de déposer une demande de droit d'établissement à partir du Canada en vertu du paragraphe 114(2) est de nature discrétionnaire : « le ministre [peut] faciliter l'admission » . Je ne peux qualifier la décision de refuser d'accorder une telle permission au motif que la personne en cause est peu disposée à retourner dans le pays d'où elle vient parce qu'elle devra y faire face à des accusations criminelles d'exercice inconvenant du pouvoir discrétionnaire ou de décision fondée sur un mauvais principe juridique. L'agent d'immigration a particulièrement tenu compte du fait que le demandeur avait vécu au Canada pendant plusieurs années sans jamais tenter de régulariser son statut d'immigrant ni de faire face aux accusations criminelles qui pesaient contre lui aux États-Unis. Les tribunaux refusent souvent d'accorder des réparations de nature discrétionnaire lorsque l'attitude de la personne visée n'est pas irréprochable, et je ne vois pas pourquoi les agents d'immigration, lorsqu'ils traitent de demandes fondées sur le paragraphes 114(2), n'auraient pas le droit de faire de même.

[10]       Au surplus, outre les accusations criminelles en instance, le fait de retourner aux États-Unis pour présenter une demande de droit d'établissement à partir de ce pays ne causerait pas de difficultés excessives particulières au demandeur. La frontière se trouve à quelques milles seulement. Il y a un bureau des visas à Seattle (Washington).


[11]       Aucun motif ne peut fonder le rejet de la décision faisant l'objet du présent contrôle.

(Signé) « B. Reed »

                                                                                                                                          Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 31 juillet 1998.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                           IMM-1272-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         Jean-Pierrer Kessler et Marion Gonneville

                                                                        - c. -

                                                                        Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            le 30 juillet 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR EXPOSÉS PAR LE JUGE REED

EN DATE DU :                                               31 juillet 1998

ONT COMPARU:

M. David Anderson                                                    pour le demandeur

Mme Sandra Weafer                                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Anderson                                                          pour les demandeur

Clark,Wilson

Morris Rosenberg                                                      pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.