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Date : 19990331


Dossier : IMM-2883"98

ENTRE:

     Mbengi LUTETE et

     Bokungu LUTETE (enfant mineure)

     Demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié ("la Commission"), en date du 28 avril 1998, dans laquelle la Commission a déterminé que la requérante et son enfant ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.

[2]      L"audition s"est tenue dans les deux langues officielles, en partie en français, en partie en anglais, et les parties ont convenu que la décision serait rédigée en français.

LES FAITS

[3]      La revendicatrice principale, Mbengi Lutete, citoyenne de la République démocratique du Congo, âgée de 34 ans, revendique le statut de réfugiée "au sens de la Convention" en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir fille d"une mère zaïroise d"origine Rwandaise Hutu, et en raison de son ex-poste en tant que secrétaire à la Banque Nationale du Congo.

[4]      Sa fille mineure, Bokungu Lutete, âgée de 2 ans, revendique pour les mêmes raisons que sa mère.

[5]      La revendicatrice principale a identifié les autorités de Kabila, nouveau président de la République démocratique du Congo, comme étant les agents de persécution dont elle a peur. Elle craint également pour sa fille mineure.

[6]      Le 17 mai 1997, soit après le départ de la revendicatrice, Kabila a pris le pouvoir au pays. La revendicatrice dit craindre les autorités de Kabila parce qu"il est entouré de Tutsis dans son gouvernement.

[7]      En raison de l"origine ethnique de sa mère et de sa physionomie reliée à celle de l"ethnie Hutu, elle craint que les autorités de Kabila, à prédominance Rwandaises Tutsis, la persécuteront, ainsi que sa fille mineure.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[8]      Le tribunal est d"avis qu"il n"existe pas de possibilité raisonnable que les revendicatrices soient persécutées pour l"un des motifs énoncés dans la définition de la Convention, si elles retournent dans la République démocratique du Congo.

[9]      Les questions principales à examiner dans cette revendication sont la crédibilité et le bien-fondé de la crainte de persécution à la lumière de la preuve documentaire suite au changement de régime depuis le 17 mai 1997.

POSITION DE LA REVENDICATRICE

[10]      La Commission a déterminé que la preuve documentaire n"indique pas que le régime Kabila ne persécute pas l"ethnie Hutu à Kinshasa. Ceci constitue une omission et non une contradiction dans la preuve documentaire.

[11]      La Commission n"a donné aucune raison pourquoi elle préférait la preuve documentaire.

[12]      La Commission a erré en établissant que la preuve documentaire ne corroborait aucunement les violations de droits humains contre les Hutus à Kinshasa.

[13]      La revendicatrice soumet que la preuve documentaire établit que des milliers de Hutus et des centaines de personnes qui ont assisté les Hutus ou étaient perçus comme étant des supporteurs des Hutus ont été tués au cours de l"année 1996-1997 suivant le rapport d"Amnistie internationale1.

[14]      Il est soumis que la Commission a erré de façon magistrale et de façon grossière en ce que en aucun cas elle n"a relevé le fait que les Hutus continuent d"être l"objet de meurtres, de privations, de nettoyage ethnique, depuis que Kabila a pris le pouvoir.

[15]      Il est soumis qu"Amnistie internationale, dans son rapport de décembre 1997, a établi que de nombreuses violations des droits humains continuaient au moment même où le rapport était rédigé.

[16]      Il est soumis que les conclusions auxquelles en arrive la Commission sont nécessairement biaisées par le fait que la Commission a ignoré complètement une grande partie de la preuve pertinente.

[17]      Il est soumis que la Commission a erré en droit en déterminant que la revendicatrice ne pouvait être reconnue comme Hutu parce que les Hutus sont une partie du groupe ethnique Bantou, ce qui semble irrationnel considérant que le ADFL apparaît comme n"ayant aucune difficulté à retrouver les Hutus et à les tuer, référant en cela à deux documents soit à un article du "Sunday Times" et à un rapport d"Amnistie internationale.2

[18]      Il est soumis que la Commission a erré en droit en déterminant que les membres de la famille de la revendicatrice n"avaient pas de difficulté tout en étant partie à l"ethnie Hutu.

[19]      Il est soumis que suivant la jurisprudence, la preuve soumise par la revendicatrice est présumée vraie et de plus, la loi exige que la Commission motive pourquoi elle préfère la preuve documentaire à la preuve testimoniale soumise par la revendicatrice.

[20]      Il est soumis que c"est une erreur de droit de la part de la Commission de ne pas avoir donné de raison valable justifiant sa préférence pour la preuve documentaire en lieu et place de la preuve testimoniale de la revendicatrice.

[21]      Il est soumis que la preuve documentaire, en fait, corrobore les allégations de la revendicatrice à l"effet qu"elle a été persécutée à l"automne de 1996, même si elle n"était pas une Tutsi mais bien une Hutu.

[22]      Il est par ailleurs soumis que la Commission a commis une erreur de droit en traitant de façon sélective la preuve documentaire soumise particulièrement en tirant les conclusions que l"ethnie Hutu n"était pas à risque à l"automne de 1996.

POSITION DU DÉFENDEUR

[23]      Il est soumis que la Commission n"a commis aucune erreur en déterminant que les revendicatrices ne risquaient pas d"être persécutées si elles retournaient à Kinshasa considérant qu"il n"y avait aucune preuve documentaire démontrant que les Hutus d"origine rwandaise était persécutés à Kinshasa.

[24]      Il est soumis que la preuve documentaire soumise à la Commission démontrait que les Hutus et la majorité des_Zaïrois appartiennent au groupe Bantou et ont une physionomie relativement semblable, ce qui a amené la Commission à conclure que les revendicatrices ne seraient pas persécutées sur la base de leur appartenance à un groupe ethnique.

[25]      Il est soumis que même si certains documents déposés à titre de preuve documentaire pouvaient apparaître contradictoires, la Commission est tout à fait bien fondée d"évaluer ladite preuve documentaire à son mérite et de donner plus de poids à certains documents par rapport à d"autres.

[26]      Il est soumis que le fait que les raisons écrites données par la Commission ne donnent pas un sommaire de toute la preuve introduite devant elle, ne constitue en aucun cas une erreur de droit.

[27]      Il est soumis que la Commission a tout à fait le pouvoir de considérer que la preuve documentaire est davantage crédible que le témoignage de la revendicatrice principale.

[28]      Il est également soumis que la Commission n"a pas commis d"erreur de droit à l"effet que la revendicatrice principale n"avait pas subie de persécution en 1996.

[29]      Il est vrai que les revendicatrices ont soumis de la preuve à l"effet qu"elles avaient subies de la discrimination mais la Commission pouvait tout aussi bien considérer que la preuve soumise n"était pas suffisante pour supporter cette allégation considérant, par ailleurs, que l"ethnie Tutsi était particulièrement ciblée à ce moment-là et non l"ethnie Hutu.

[30]      Il est finalement soumis que la Commission n"a pas commis d"erreur en arrivant à la conclusion que la discrimination alléguée par les revendicatrices n"étaient pas crédible.

[31]      Finalement, la Commission a procédé à l"analyse de la revendication en évaluant les risques de persécution par le gouvernement Kabila si les revendicatrices devaient retourner en République démocratique du Congo.

POINTS EN LITIGE

     1.      Est-ce que la Commission a commis une erreur de droit en déterminant qu"il n"existe pas de possibilité raisonnable que les revendicatrices soient persécutées si elles retournent en République démocratique du Congo?
     2.      Est-ce que la Commission a commis une erreur en déterminant que le témoignage des revendicatrices n"était pas crédible quant à la persécution dont elles auraient été victimes en 1996?

ANALYSE

[32]      La question à savoir si la Commission a commis une erreur en donnant davantage de poids à la preuve documentaire qu"à la preuve testimoniale des revendicatrices a été souvent discutée par les tribunaux dans le passé; voyons à cet effet ce que nous enseigne la jurisprudence:

     Okyere-Akosah (April 28, 1992), A-92-91 (F.C.A.):

         Since there is a presumption as to the truth of the appellant"s testimony, the Board was bound to state in clear and unmistakable terms why it preferred the documentary evidence over the appellant"s testimonial evidence.                 

     Hassan v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (October 22,

1992), A-831-90 [reported at 147 N.R. 317 (F.C.A.)]:

         The fact that some of the documentary evidence was not mentioned in the Board"s reasons is not fatal to it"s decision.                 

     Rodriguez v. M.C.I. (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 253 (F.C.T.D.). Referring to

Woolaston v. Minister of Manpower and Immigration, [1973] S.C.R. 102:

         Furthermore, because certain evidence is not mentioned in the Tribunal"s reasons, it does not mean that the Tribunal failed to consider it.                 

[33]      À cet effet, la Commission a expliqué de façon claire et précise pourquoi elle référait à la preuve documentaire:

             ...Le tribunal ne croit pas le témoignage de la revendicatrice quant à la discrimination qu"elle et sa famille auraient fait l"objet en novembre 1996, parce qu"à l"époque, les Rwandais d"origine ethnique Tutsi étaient la cible de certaines actions discriminatoires par la population zaïroise dans la capitale de Kinshasa et non les Hutus. (Pièces A1 et A-2)                                                         
             ...             

En ce qui concerne la crainte de persécution en raison de son ethnie maternelle, le tribunal est d"avis qu"il n"existe pas de possibilité raisonnable qu"elle et sa fille soient persécutées... La preuve documentaire n"indique pas que les gens de physionomie Hutu, ou Rwandais Hutu, qui vivent à Kinshasa sont persécutés en raison de leur ethnie ou de leur physionomie Hutu... Le tribunal est d"avis qu"il est invraisemblable que le régime de Kabila persécute les gens à physionomie Hutu quand d"autre part, la preuve documentaire (pièce A-5 reçue après la clôture de l"audience) indique que les Hutus et la majorité des Zaïrois appartiennent au groupe Bantou et ont une physionomie relativement semblable.3

[34]      Les parties ont, tour à tour, référé à de nombreuses parties de la preuve documentaire qui peuvent, à certains moments, apparaître contradictoires.

[35]      Il m"apparaît cependant important de rejeter un argument présenté par le procureur du demandeur à l"effet que le défendeur aurait dû démontrer que Kinshasa était un endroit sûr pour les gens d"origine Hutu et notamment les revendicatrices, et que si cette démonstration n"est pas faite, le tribunal ne pouvait conclure que seuls les gens d"origine Tutsi pouvaient être considérés comme étant à risque.

[36]      Il revient aux personnes qui revendiquent le statut de réfugiés de faire la démonstration qu"ils correspondent aux motifs prévus à la Convention. À mon avis, la Commission n"a pas agi de façon déraisonnable dans la façon avec laquelle elle a apprécié la preuve qui lui était présentée et le fait pour la Commission d"avoir préféré la preuve documentaire à la preuve testimoniale et d"en avoir donné succinctement les raisons, ne m"apparaît en aucun cas déraisonnable.

[37]      Comme il ne m"a pas été démontré que la Commission a fait une erreur de droit en rendant sa décision ou a basé sa décision sur des faits erronés ou en négligeant la preuve qui était présentée devant elle, la Cour ne doit pas intervenir.


[38]      Pour toutes ces raisons, la présente demande doit être rejetée.

[39]      Aucune question ne sera certifiée.

                         Pierre Blais

                         Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 31 mars 1999

__________________

1      Dossier de la demanderesse, p. 30.

2      Dossier de la demanderesse, p. 29 et p. 48.

3      Décision de la Commission, pages 3 et 4.

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