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Date : 20000323


Dossier : IMM-847-99



Entre :

     NORA CATHIA NEAME

     Demanderesse

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION


[1]      Dans une décision rendue le 12 janvier 1999, la Section du statut de réfugié (le tribunal) a déclaré que Nora Cathia Neame, 21 ans, citoyenne de la République Démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) n'est pas une réfugiée au sens de la Convention et que sa revendication n'a aucun minimum de fondement. Le tribunal considère le récit de la demanderesse, pris dans son ensemble, comme étant non crédible en raison de contradictions majeures qui sont demeurées sans explication satisfaisante.

B.      LA DÉCISION DU TRIBUNAL

     (i)      Les faits allégués

[2]      Le tribunal indique que le formulaire Formule de renseignements personnels ("FRP") et le témoignage oral de la demanderesse lui ont permis de dégager certains faits. La demanderesse dit être née en août 1977 à Bukavu, dans l'est de la RDC, d'un père métis zaïrois syrien et d'une mère zaïroise d'origine tutsi.

[3]      Le demanderesse a complété ses études à Kinshasa où elle a surtout vécue. Elle indique avoir été vendeuse de décembre 1995 à février 1998 dans une boutique de vêtements, située à l'hôtel Intercontinental, dont sa mère était co-propriétaire . À cette époque, elle vivait seule au domicile familial de Kinshasa depuis décembre 1996 après que sa mère, ses soeurs et son frère eurent fui la RDC pour le Rwanda via Brazzaville afin d'échapper à la chasse aux tutsis.

[4]      En avril 1996, la demanderesse indique avoir débuté une relation amoureuse avec un homme marié et âgé d'une trentaine d'années, un dénommé Fangbi. Il aurait été le fils d'un ex-commissaire du peuple et un des beaux-frères et conseiller privé du défunt dictateur Mobutu. M. Fangbi et sa famille quittèrent la RDC pour se réfugier au Maroc la veille de l'entrée dans la capitale du chef rebelle Laurent-Désiré Kabila et de ses troupes de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL).


[5]      La demanderesse prétend avoir rencontré son amant à deux reprises au Congo, une première fois en novembre 1996 et une deuxième fois le 12 février 1998 à Brazzaville où elle serait alors tombée enceinte de lui. À cette occasion, tous deux auraient été vus et reconnus à l'hôtel Méridien par le cousin et homme de confiance du président Kabila.

[6]      Ce voyage à Brazzaville aurait été le début des problèmes de la demanderesse qui indique avoir été interceptée par les militaires de l'AFDL lors de son retour à Kinshasa et avoir été détenue durant quelques heures afin d'être interrogée longuement sur son récent séjour à Brazzaville où elle leur aurait dévoilé sa relation avec M. Fangbi. Elle aurait été libérée le même jour grâce à l'intervention d'un militaire rwandais, cousin de sa mère.

[7]      La demanderesse soumet avoir cessé son travail de vendeuse à l'hôtel Intercontinental et s'être cantonnée durant trois mois à son domicile et ce, en dépit du fait qu'elle allègue y avoir été intimidée au moins une demie douzaine de fois par les militaires de l'AFDL.

[8]      Le 11 mai 1998, la demanderesse indique avoir traversé de nouveau le fleuve pour se rendre à Brazzaville où elle aurait vécu un mois en compagnie de son amant, devenu son fiancé, qui lui aurait procuré des documents de voyage belges pour lui permettre de quitter le Congo et d'éviter de rentrer en RDC.

[9]      La demanderesse se serait envolée seule le 11 juin 1998 pour la France, y serait restée deux jours sans demander l'asile et arriva au Canada le 14 juin 1998 où elle fit sa demande de statut de réfugié. Elle donna naissance à une fille le 29 juillet 1998 à Montréal dont M. Fangbi a reconnu être le père. La demanderesse dit craindre de retourner dans son pays d'origine car elle prétend être toujours recherchée par les autorités actuelles parce qu'elle est la maîtresse de Fangbi et est d'origine ethnique tutsi.

    

(ii)      Les conclusions du tribunal

[10]      L'élément central et le fondement de la conclusion du tribunal découle de la contradiction entre la réponse donnée par la demanderesse dans son FRP et celle dans la fiche signée par elle au point d'entrée au Canada le 14 juin 1998. Le tribunal note que dans son FRP la demanderesse a déclaré être tutsi ainsi que son appartenance ethnique à la tribu des tutsis du Zaïre en vertu du fait que sa mère était zaïroise d'origine tutsi. Dans sa fiche d'entrée, cependant, elle déclare comme motif de sa persécution en RDC: "ma mère est rwandaise d'origine mais d'ethnie hutu".

[11]      Le tribunal confronte la demanderesse à cette contradiction qui donne l'explication suivante:

     La demanderesse a expliqué que, lorsqu'elle avait complété cette fiche, "j'étais fatiguée, j'étais enceinte, j'avais les pieds enflés, j'étais stressée et ça n'allait pas alors" et que "j'ai été très mal conseillée" par des amis à Montréal qu'elle n'a pas identifiés et avec lesquels elle aurait eu une conversation téléphonique à Brazzaville avant son départ pour le Canada. Ces derniers lui auraient suggéré de déclarer qu'elle était hutu à son arrivée au Canada parce que, a-t-elle précisé, "à ce moment-là l'armée (zaïroise) était formée de tutsis". Et elle a conclu: "je sais bien, c'est une grave erreur".
     [je souligne]

[12]      Le tribunal lui pose plusieurs questions par la suite. Il lui rappelle qu'elle avait apposé sa signature sur la fiche après l'énoncé suivant qui est une partie intégrale de la fiche: "j'ai lu et j'ai compris les questions posées et, conséquemment, je confirme que j'ai complété ce formulaire et que l'information que j'ai inscrite est exacte".

[13]      Le tribunal lui rappelle qu'elle avait répondu à plusieurs autres questions sur cette fiche où le stress et la fatigue n'ont eu aucune influence sur la réponse. De plus, il lui signale qu'elle avait déclaré que la nouvelle persécution ethnique contre les tutsis par les autorités actuelles de la RDC avait commencé au début du mois d'août 1998, soit deux semaines après qu'elle ait complété son FRP.

[14]      Le tribunal estime que toutes les explications de la demanderesse sont insuffisantes pour écarter "l'énoncé fondamental qu'a inscrit de façon spontanée et sans aucune ambiguïté la demanderesse dans sa fiche au point d'entrée ... une donnée qui est au coeur de la vie de tous les jours en RDC, soit le lien de naissance des citoyens avec les hutus ou les tutsis".

[15]      Le tribunal note que la demanderesse a produit comme pièce P-5 les noms d'une dizaine de ses amis et de ses cousins signataires d'un affidavit dans lequel ils déclarent qu'elle est tutsi. Toutefois, le tribunal n'accorde aucun poids à ce document qu'il qualifie comme provenant d'une partie intéressée dont plusieurs membres sinon tous sont susceptibles d'être au nombre des mêmes amis canadiens, non identifiés par la demanderesse, qui lui auraient conseillée, lors d'une conversation téléphonique à Brazzaville, de s'identifier comme hutu à son arrivée au Canada.

[16]      Après ces observations, le tribunal en arrive à la conclusion suivante:

     L'absence de crédibilité de la demanderesse sur un point aussi capital de sa revendication suffit, selon nous, à entacher de façon irrémédiable la crédibilité de l'ensemble de son témoignage.
CONCLUSION
     Les éléments de preuve qui nous ont été présentés sont insuffisants pour établir que la demanderesse, en cas de retour en République démocratique du Congo, aurait une "possibilité raisonnable" de persécution, selon les termes de l'arrêt Adjei [ Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration) (1989), 2 C.F. 680 (C.A.)].
     [je souligne]

ANALYSE

[17]      La fiche d'entrée signée par la demanderesse contient une fausseté sur un fait essentiel à sa revendication, soit son origine tribale ou ethnique, afin de soutenir sa revendication de réfugiée. Or, quelques temps après, les circonstances ayant changé en RDC, il devient alors avantageux pour la demanderesse de dévoiler sa véritable origine, ce qu'elle fait, sans l'ombre d'un scrupule, dans son FRP. Les agissements de la demanderesse motivent ainsi le tribunal de ne pas croire son récit et à conclure qu'elle n'avait pas été persécutée et qu'elle ne le serait pas dans l'avenir si elle devait retourner en RDC.

[18]      Le procureur de la demanderesse allègue que le tribunal a commis plusieurs erreurs de droit. Essentiellement, il reproche au tribunal d'avoir accordé une importance indue à la déclaration de la demanderesse au point d'entrée et d'avoir écarté complètement la preuve documentaire concernant les dangers que courent en RDC les ex-dignitaires du régime Mobutu. À mon avis, les arguments soulevés par le procureur de la demanderesse n'ont aucun mérite.

[19]      Mon collègue le juge Teitelbaum, dans l'affaire Antonippillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), IMM-2724-98, 22 mars 1999, a eu l'occasion de résumer certains principes de droit applicables quant à l'évaluation de la crédibilité exécutée par un tribunal de la Section du statut:

[9]      Il ne fait aucun doute que la Commission du statut de réfugié a toute la discrétion nécessaire pour évaluer la crédibilité du témoignage des personnes qui revendiquent le statut de réfugié et qu'elle peut tenir compte d'une multitude de facteurs pour ce faire. La Commission peut fonder ses conclusions sur des contradictions internes, des incohérences et des déclarations évasives qui sont "le fondement même du pouvoir discrétionnaire du juge des faits", ainsi que sur d'autres éléments extrinsèques tels que la raison, le sens commun et la connaissance d'office, mais ces conclusions ne doivent pas être tirées de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments de preuve dont dispose la Commission.

[20]      Je souscris entièrement à ces commentaires. Il est vrai que le tribunal conclut au manque de crédibilité de la demanderesse uniquement sur l'existence de la fausse déclaration qu'elle a faite à l'agent d'immigration au point d'entrée. Toutefois, tel que l'avait fait le juge Teitelbaum dans l'affaire Jumriany c. Canada, (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 683 dans des circonstances identiques, j'estime que le tribunal n'a commis aucune erreur lorsqu'il a tiré, à l'égard de la crédibilité de la demanderesse, une conclusion défavorable fondée uniquement sur la fausse déclaration qu'elle a faite à l'agent d'immigration. En effet, tel que je l'ai mentionné précédemment, cette fausse déclaration portait sur un point essentiel de la revendication de la demanderesse et les explications de celle-ci au sujet de son mensonge étaient peu convaincantes selon le tribunal.

[21]      De plus, j'estime que les propos du juge MacGuigan dans l'arrêt Sheikh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1990] 3 C.F. 238, à la page 244, trouve application en l'espèce:

     Le concept de la crédibilité des éléments de preuve et celui de la crédibilité du demandeur sont évidemment deux choses différentes, mais il est évident que lorsque la seule preuve soumise au tribunal qui relie le demandeur à sa demande est celle que ce dernier fournit lui-même (outre, peut-être, les dossiers sur différents pays dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur), la perception du tribunal que le demandeur n'est pas un témoin crédible équivaut en fait à la conclusion qu'il n'existe aucun élément crédible sur lequel pourrait se fonder le second palier d'audience pour faire droit à la demande.      [je souligne]

[22]      En effet, les faits de l'affaire Sheikh, précité, sont semblables à ceux devant moi en ce que la preuve avancée par la demanderesse pour établir le bien-fondé de sa revendication découle surtout de son témoignage devant le tribunal, ce dernier n'étant que minimalement appuyé par une documentation relative à sa situation personnelle.

[23]      Ainsi, les conclusions de l'arrêt Sheikh justifient au tribunal d'avoir écarté la preuve documentaire d'ordre générale sur les conditions en RDC "dont on ne peut rien déduire directement à l'égard de la revendication du demandeur". La décision de mon collègue, le juge Gibson, dans l'affaire Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ), [1996] A.C.F. no 1433 est d'ailleurs au même effet; dans le cadre de ce dossier, la demanderesse devait établir un lien direct de persécution contre elle, ce qu'elle ne put faire étant donné son manque de crédibilité.

[24]      Je ne vois aucun mérite aux prétentions de la demanderesse quant au déroulement de l'audience. Le procureur soutient que les questions posées par le membre audiencier et l'agente chargée de la revendication sont biaisées, désapprobantes, hargneuses et vexatoires. Le procureur dit que l'agente et le membre audiencier ont contre-interrogé la demanderesse et ont outrepassé les limites reconnues par la jurisprudence soulevant ainsi une crainte raisonnable de partialité et enfreignant les principes d'équité procédurale.

[25]      J'ai eu l'occasion, dans l'arrêt Selim Mohammad c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, IMM-2390-99, le 16 mars, 2000, de faire l'éventail de la jurisprudence en cette matière.

[26]      Après lecture du procès-verbal en l'espèce, je ne peux conclure que les questions posées et les commentaires offerts débordent le cadre établi dans plusieurs arrêts de cette Cour. L'agente des revendications avait droit de contre-interroger la demanderesse; le membre audiencier pouvait poser des questions afin d'obtenir des précisions sur le récit de la demanderesse et de lui dévoiler ses préoccupations afin que cette dernière ait l'opportunité de réagir. Compte tenu des faits de la présente affaire, je conclus que l'arrêt Yusuf c. Ministre de l'emploi et de l'Immigration, [1992] 1 C.F. 629 (C.F.A.), ne trouve aucune application puisque le droit en question diffère totalement.

CONCLUSION

[27]      Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucun des deux avocats ne m'a recommandé de certifier l'existence d'une question sérieuse de portée générale. Il n'y aura donc pas de certification.


     "François Lemieux"

    

     J U G E

Ottawa (Ontario)

Le 23 mars 2000

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