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Date : 19980127


Dossier : T-82-98

ENTRE :


RONALD VINCENT MORIN et

ANNAMARIE GAIL DEMCHUK agissant en son nom propre

ainsi qu'au nom des membres non résidants de la nation Crie de Enoch,


requérants,


-et-


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

et le procureur général et la NATION CRIE de ENOCH,


intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU :


[1]      Cette requête a été entendue par la Cour par téléconférence à Ottawa et Edmonton, le 26 janvier 1998, en présence des avocats des requérants et des intimés; étaient également présents dans les locaux de la Cour à Edmonton, Ronald Vincent Morin et AnnaMarie Gail Demchuk ainsi qu'un autre membre du Conseil de bande; étaient présents au Bureau de bande de la réserve en tant que représentants de la nation Crie de Enoch, M. Sharphead et quatre autres membres du Conseil de bande.


[2]      Cette procédure de contrôle judiciaire fait suite à l'appel interjeté par six plaignants, de l'élection qui a eu lieu au mois de juin 1997 et à l'issue de laquelle le requérant Morin a été élu chef de la nation Crie de Enoch; après enquête d'un membre du MAINC, un rapport a été remis au ministre qui, par décret en conseil en date du 17 décembre 1997, a annulé l'élection sur la foi des conclusions de l'enquêteur.


[3]      Je ne suis pas persuadé que les requérants aient eu l'occasion de réfuter le rapport remis au ministre; les conclusions défavorables de l'enquêteur n'ont jamais été transmises aux requérants afin qu'ils aient l'occasion de décider s'ils avaient de suffisamment bonnes raisons juridiques d'attaquer le décret en conseil annulant l'élection du chef Ronald Vincent Morin.


[4]      Il a été convenu que, compte tenu des difficultés éprouvées par la nation Crie de Enoch à l'époque où s'était déroulée l'élection, il fallait parvenir à une solution pratique.


[5]      Il est convenu et prouvé que, géographiquement, cette réserve jouxte la ville d'Edmonton ainsi que plusieurs autres petites communauté de l'Alberta.


[6]      La preuve montre également l'existence dans cette réserve, et cela depuis 1977, d'une pénurie de logements qui oblige plus d'un tiers des membres inscrits de la nation Crie de Enoch à vivre hors de la réserve.


[7]      Depuis un certain temps déjà, cette Première nation ne parvient pas à décider qui aura le droit de voter au cours des élections au sein de la bande. Une interprétation stricte de la définition applicable aux termes du règlement régissant les élections au sein des bandes indiennes, avait entraîné des disputes et des dissentiments et la perte du droit de vote pour bon nombre de membres de la bande.


[8]      Bien que cette Première nation ait plusieurs fois tenté d'aboutir à une solution afin de savoir quels membres de la bande devraient être tenus comme " résidant ordinairement ", et avoir le droit de voter, le MAINC n'a encore rien proposé.


[9]      Afin de ne pas retarder davantage la procédure intentée, et avec le consentement de toutes les parties présentes, une solution a été retenue. La Cour surseoirait à statuer sur la demande de contrôle judiciaire.


[10]      Il a également été convenu qu'en raison de la pénurie de logements, qui perdure depuis de nombreuses années dans cette réserve, et en raison du fait que de nombreux membres inscrits de la bande sont obligés de vivre hors la réserve, et afin d'assurer la tenue d'élections justes, la Cour va devoir interpréter l'expression " réside ordinairement " définie à l'article 3 du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens. L'article 3 dispose que :

             3. Les règles suivantes déterminent l'interprétation des expressions " réside ordinairement " et " résidence ordinaire " en ce qui concerne toute matière qui relève du droit d'un électeur à voter à une élection :             
             a) sous réserve des autres dispositions du présent article, la question de savoir où une personne réside ou résidait ordinairement à une époque déterminée ou pendant une période de temps déterminée doit être élucidée en se référant à toutes les circonstances du cas;             
             b) le lieu de résidence ordinaire d'une personne est en général l'endroit qui a toujours été ou qu'elle a adopté comme étant le lieu de son habitation ou de son domicile, où elle entend revenir lorsqu'elle s'en absente et, en particulier, lorsqu'une personne couche habituellement dans un endroit et mange ou travaille dans un autre endroit, le lieu de sa résidence ordinaire est celui où la personne couche;             
             c) une personne ne peut avoir qu'un seul lieu de résidence ordinaire, et elle ne peut le perdre sans en acquérir un autre;             
             d) l'absence temporaire du lieu de résidence ordinaire n'entraîne ni la perte ni le changement du lieu de résidence ordinaire.             

[11]      Les circonstances ont donné naissance à un problème (la pénurie de logements) qui ne semble pas avoir été envisagé par l'article 3 du Règlement. La Cour tire la conclusion de fait que tous les membres inscrits de la bande de la nation Crie de Enoch qui vivent hors la réserve sont considérés comme étant " temporairement absents " (par. 3d)) et qu'aux fins des élections ils " réside[nt] ordinairement " sur le territoire de la réserve.

[12]      Toutes les parties ont convenu qu'il y a lieu de suspendre la demande de contrôle judiciaire. Le décret en conseil en date du 17 décembre 1997 restera intégralement en vigueur en attendant le résultat du nouveau scrutin prévu pour l'élection du chef de la nation Crie de Enoch.

[13]      À l'audience, les élections au Conseil de bande ont été longuement évoquées. Il a été rappelé que depuis plusieurs années déjà le Conseil et les membres de la bande auraient voulu que les élections se déroulent conformément aux coutumes de la tribu et qu'ils l'avaient d'ailleurs fait savoir au MAINC. Cette demande était restée sans suite en raison de la querelle permanente sur la question de savoir qui pouvait voter lors d'une élection ou d'un référendum.

[14]      Avec l'assentiment des parties présentes, il a également été convenu que tous les membres de la nation Crie de Enoch actuellement inscrits et reconnus en tant que membres de la bande par le Bureau seront considérés comme des personnes qui " réside[nt] ordinairement " et auront à l'avenir le droit de voter dans les élections et les référendums organisés au sein de la réserve. Le Conseil de bande conservera cependant un pouvoir d'appréciation absolu en vertu duquel il pourra rayer ou ajouter des noms à la liste de bande sous réserve des dispositions de la Loi sur les Indiens , du Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens et de la manière dont la Cour a interprété la définition de l'expression "réside ordinairement ".

[15]      Il a été en outre convenu et, par la présente, ordonné par la Cour que l'élection du chef Morin soit annulée et qu'un nouveau scrutin pour l'élection du chef de la réserve de la nation Crie de Enoch ait lieu le 20 mars 1998.

[16]      La Cour ordonne en outre l'envoi, conformément au Règlement, d'un avis de scrutin, le 6 février 1998 au plus tard.

[17]      La Cour ordonne en outre qu'une liste des électeurs soit mise à disposition au Bureau de la bande et que tous les membres de la bande y aient accès.

[18]      La Cour ordonne qu'en même temps que l'élection du chef, ait lieu un référendum afin de décider si les membres de la bande entendent que les élections soient organisées conformément à la coutume de la tribu plutôt que selon les modalités prévues par le Règlement sur les élections au sein des bandes d'Indiens, adopté dans le cadre de la Loi sur les Indiens.

[19]      Tous les membres inscrits de la bande auront à l'avenir le droit de voter à l'occasion de toute élection du chef et des conseillers de la nation Crie, quelle que soit l'issue du référendum.


[20]      Il n'y aura aucune adjudication des dépens.

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 1998


P. Rouleau

JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          T-82-98
INTITULÉ :                  Ronald Vincent Morin et autres c.
                 Sa Majesté la Reine et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 26 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE ROULEAU

DATE :                  le 27 janvier 1998

ONT COMPARU :

Me Karin Buss                  POUR LES REQUÉRANTS

Me Dennis Roth

Me Richard Secord

Me Barbara Ritzen              POUR LES INTIMÉS
Me Robert Sharphead              POUR LA NATION CRIE DE ENOCH

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

ACKROYD, PIASTA, ROTH & DAY      POUR LES REQUÉRANTS

Edmonton (Alberta)

George Thompson              POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général

du Canada

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