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Date : 20040126

Dossier : IMM-4500-02

Référence : 2004 CF 121

OTTAWA (Ontario), le 26 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                            DANIUS SABADAO

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Danius Sabadao (M. Sabadao) réclame le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) qui a conclu que l'appel portant sur la mesure d'expulsion prise contre lui avait été abandonné aux termes de l'article 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[2]                Le demandeur, citoyen des Philippines, est arrivé au Canada en avril 1991 et a revendiqué le statut de réfugié. En août 1993, sa revendication a été rejetée parce qu'il a été statué qu'il y avait des motifs sérieux de croire qu'il avait commis un crime contre l'humanité contrairement à la section 1(F)a) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés pendant son service dans l'armée philippine entre 1979 et 1984. M. Sabadao a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[3]                Le 5 octobre 1993, il a épousé une citoyenne canadienne et a obtenu son statut de résident permanent au Canada en décembre 1994. En février 1994, M. Sabadao a retiré sa demande de contrôle judiciaire se rapportant à la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.


[4]                À l'automne de 1997, on a découvert que M. Sabadao aurait pu obtenir son statut de résident permanent au moyen de fausses déclarations. L'ordre de tenir une enquête aux termes du paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi) a été signé le 12 juillet 2000. L'arbitre a conclu le 1er mars 2001 que M. Sabadao avait effectivement obtenu son statut de résident permanent par suite d'une fausse indication sur un fait important (alinéa 27(1)e) de l'ancienne Loi). L'arbitre a également conclu qu'il était membre d'une catégorie de personnes non admissibles (alinéa 19(1)j) de l'ancienne Loi) parce qu'il y avait des motifs raisonnables de croire qu'il avait commis un crime en vertu des articles 4 et 7 de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.R.C. 2000, ch. 24. À cet égard, l'arbitre a confirmé la conclusion qui avait été tirée en 1993 selon laquelle M. Sabadao avait été complice par association de crimes contre l'humanité commis par l'armée philippine pendant qu'il était dans ses rangs.

[5]                En mars 2001, une mesure d'expulsion a été prise contre lui. Le demandeur a déposé un appel aux termes de l'article 70 de l'ancienne Loi. Cet appel devait être entendu le 13 septembre 2002 et jusqu'à cette date, son renvoi a été différé automatiquement aux termes de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi.

[6]                Le 28 juin 2002, la nouvelle Loi est entrée en vigueur.

[7]                Peu après l'audience, le demandeur a reçu une lettre en date du 6 septembre 2002 de la SAI l'informant qu'il n'avait plus de droit d'appel en raison de l'effet combiné des articles 196 et 64 de la Loi. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire qui a été entendue en même temps que la demande de M. Sabadao dans le dossier IMM-4501-02 dans lequel il conteste la légalité même de la mesure d'expulsion.

QUESTIONS EN LITIGE[1]

[8]                M. Sabadao prétend ce qui suit :


(i)         La SAI a commis une erreur en mettant fin à son appel parce qu'elle a mal interprété l'article 196 de la Loi en décidant que celui-ci ne s'appliquait qu'aux personnes qui bénéficient d'un sursis leur ayant été accordé par l'ancienne Section d'appel de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. À cet égard, il s'appuie sur la décision de la présente Cour dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 811 (QL).

(ii)        La SAI a commis une erreur en mettant fin à son appel sans déterminer s'il était en fait une personne non admissible en raison d'une atteinte aux droits de la personne à l'échelle internationale. Il s'agit d'une question de compétence qui n'a pas encore été traitée (Shelby c. Canada, (1981) 1 C.F. 203 (C.A.)).

(iii)       Finalement, la SAI a manqué à son obligation d'agir équitablement en omettant de demander et d'entendre les observations de M. Sabadao avant de mettre fin à son appel.

[9]                Le défendeur prétend pour sa part que la SAI a correctement interprété l'article 196 en décidant que celui-ci ne s'appliquait qu'aux sursis accordés en vertu des articles 73 et 74 de l'ancienne Loi et non pas aux appelants qui bénéficient d'un sursis découlant de l'application de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi. Le défendeur prétend également que la décision Medovarski, précitée, ne devrait pas être suivie parce qu'elle est manifestement erronée.   


[10]            Le principal argument du défendeur concernant la décision Medovarski repose sur le fait que cette décision contrevient à la présomption contre l'absurdité. Il soutient que dans cette affaire la Cour n'a pas eu l'avantage d'examiner l'analyse clause par clause préparée par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration et remise au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration et au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie au moment de leur examen du projet de loi C-11. Plus particulièrement, cette analyse clause par clause fait spécifiquement référence à un sursis accordé aux termes des articles 73 et 74 de l'ancienne Loi dans l'explication qu'il donne de l'article 197 de la Loi.

[11]            Pour ce qui est de la prétendue question de compétence, le défendeur déclare que la décision Shelby, précitée, n'est pas applicable parce que l'objet même de l'article 196 est de rendre les conclusions de l'arbitre définitives et sans appel. Il soutient également que la SAI n'a pas contrevenu à son obligation d'agir équitablement étant donné que l'article 196 de la Loi s'applique de plein droit et ne prévoit pas d'audience. Quoi qu'il en soit, si une telle obligation incombait à la SAI, le défendeur prétend que la Cour ne devrait pas annuler la décision puisqu'il ne fait aucun doute qu'après avoir entendu le demandeur la SAI serait parvenue précisément à la même décision concernant l'interprétation de l'article 196.

[12]            Finalement, le défendeur prétend que, sans tenir compte du bien-fondé de cette demande, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de la rejeter au motif que le demandeur n'est pas lui-même irréprochable ou parce qu'une personne ne devrait pas tirer avantage de ses propres méfaits, plus particulièrement dans un cas où le redressement recherché aurait pour effet de saper l'objet et l'intention de la Loi.


[13]            À cet égard, le défendeur s'appuie sur le fait que M. Sabadao a oublié de mentionner dans sa demande de statut de résident permanent que sa revendication du statut de réfugié avait été rejetée au motif qu'il y avait des motifs sérieux de croire qu'il avait commis des crimes contre l'humanité et donc qu'il n'était pas admissible au Canada. L'enquête qui a pris fin en 2001 a confirmé que M. Sabadao avait donné une fausse indication sur un fait important pour obtenir son statut de résident permanent et dans sa demande de contrôle judiciaire dans le dossier IMM-4501-02, M. Sabadao ne conteste pas la validité de la décision sur ce point. Il devrait donc être considéré comme ayant admis qu'il a menti pour obtenir son statut de résident permanent. Le défendeur soutient que sa conduite présumée est directement liée à la demande dont est maintenant saisie la Cour parce qu'il n'aurait par ailleurs pas de droit d'appel en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi.

ANALYSE

[14]            J'appliquerai les normes de contrôle décrites dans la récente décision de la Cour d'appel fédérale, Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL), au paragraphe 14. L'interprétation des articles 196 et 64 de la Loi est une question de droit à laquelle il faut appliquer la norme de la décision juste.


[15]            Les circonstances de l'espèce sont presque identiques à celles dont était saisi la juge Snider dans l'affaire Medovarski, précitée. La question de savoir si l'article 196 de la Loi s'applique aux appelants qui bénéficient d'un sursis accordé aux termes de l'alinéa 49(1)b) de l'ancienne Loi a été examinée et tranchée dans plusieurs décisions de la présente Cour depuis Medovarski [voir : Jones c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 661, [2003] A.C.F. no 876 (QL) (le juge Campbell), Cartwright c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 792, [2003] A.C.F. no 1024 (QL) (la juge Heneghan) ;Nokhodchari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CFPI 803, [2003] A.C.F. no 1075 (QL) (le juge Blais de la Cour d'appel) ; Amado-Cordeiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 847, [2003] A.C.F. no 1087 (QL) (le juge Campbell) ; Esteban c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 930 [2003], A.C.F. no 1181 (QL) (la juge Dawson) et Luu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2003 CF 1466, [2003] A.C.F. no 1888 (QL) (le juge O'Reilly)].

[16]            Dans l'arrêt Nokhodchari, précité, la Cour a établi avec Medovarski une distinction sur les faits. Dans toutes les autres causes dont il est question ci-dessus, la Cour fédérale a été unanime dans l'interprétation qu'elle a donnée de l'article 196 de la Loi. En pareilles circonstances, je ne peux accepter l'argument du défendeur selon lequel la décision Medovarski, précitée, est manifestement erronée. L'analyse clause par clause ne jette pas une nouvelle lumière sur le débat (voir la juge Dawson dans Esteban, précité).

[17]            Ainsi donc, d'après les arguments qui m'ont été présentés, je ne suis pas disposée à accepter que l'appel de M. Sabadao devrait prendre fin. La SAI a mal interprété la Loi. La Cour d'appel examinera sous peu cette question, et donc, je certifierai la même question qui a été certifiée dans les décisions Medovarski et Esteban, précitées.

[18]            Dans les circonstances, il n'est pas nécessaire de traiter des autres arguments soulevés par M. Sabadao. Toutefois, la Cour doit décider si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter néanmoins la demande parce que M. Sabadao a obtenu son statut de résident permanent en faisant de fausses déclarations.

[19]            À cet égard, la première étape consiste à déterminer si la conduite de M. Sabadao a été si répréhensible qu'elle entraînerait l'application de l'une des doctrines invoquées par le défendeur.

[20]            Dans sa décision, l'arbitre a jugé que la réponse à la question 30(f) de la demande de résidence permanente ne faisait pas ressortir toute la vérité et qu'en apposant sa signature à la fin de la question 30(3) pour indiquer que les renseignements donnés dans sa demande étaient exhaustifs et exacts, M. Sabadao savait qu'il avait l'obligation de donner tous les renseignements qu'il possédait. Les renseignements qu'il n'aurait pas dévoilés, sont le fait qu'il a été exclu de la définition de réfugié au sens de la Convention dans l'ancienne Loi en raison de la section 1(F) de la Convention. Pour l'arbitre, cette omission était importante parce qu'elle pouvait influer sur l'octroi du statut de résident permanent.

[21]            La question qui se trouvait au paragraphe 30(f) de la demande était la suivante :

[TRADUCTION]

Est-ce que vous, ou l'une des personnes visées à la question 16 : (répondez par « oui » ou « non » ) :


Avez déjà participé, en temps de paix ou de guerre, à la perpétration d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, par exemple : homicide volontaire, torture, asservissement, privation de nourriture ou autres actes inhumains commis contre des civils ou des prisonniers de guerre, ou expulsion de civils?

[22]            M. Sabadao a répondu non à cette question, mais, dans la même case 30, il a inscrit la note qui suit :

[TRADUCTION]

J'ai demandé le statut de réfugié ici (Canada), mais celui-ci m'a été refusé.

[23]            La question qui lui a été posée au paragraphe 30(f) est une question de fait. Avez-vous participé ou non? [...] Dans sa réponse, M. Sabadao a été cohérent à l'égard de la position qu'il avait adoptée devant la Section du statut de réfugié en 1993 et de sa demande de contrôle judiciaire qui était alors en suspens, c'est-à-dire qu'il n'avait jamais participé à ces crimes.

[24]            Bien que j'admette qu'une omission puisse quelquefois avoir le même effet qu'un véritable mensonge, j'estime que lorsque M. Sabadao a révélé qu'il avait présenté une revendication du statut de réfugié qui avait été refusée, il était en droit de croire que les autorités examineraient son dossier. En fait, je suis surprise que la personne qui a évalué sa demande n'ait pas fait cette vérification tout à fait fondamentale.

[25]            Je n'accepte donc pas l'argument du défendeur selon lequel M. Sabadao a admis qu'il avait menti parce qu'il a fondé sa demande de contrôle judiciaire sur la principale conclusion de l'arbitre.

[26]            Je ne suis pas convaincue que, dans les circonstances actuelles, le comportement de M. Sabadao était tel qu'il serait moralement erroné de lui accorder le redressement auquel il aurait par ailleurs eu droit dans le cadre de la présente demande. À cet égard, je note que le législateur n'a pas jugé approprié de refuser un droit d'appel aux personnes qui ont été jugées non admissibles en raison d'une fausse indication sur un fait important (paragraphe 40(1) et ancien alinéa 27(1)e) de l'ancienne Loi).

[27]            L'article 64 de la Loi s'applique uniquement à l'espèce parce que le demandeur a également été jugé comme étant une personne non admissible étant donné qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'il avait enfreint les droits de la personne à l'échelle internationale.

[28]            La demande sera donc accueillie.

[29]            Le demandeur a soumis cinq questions aux fins de la certification. Deux seulement ont trait aux questions qui ont véritablement été discutées dans ma décision (l'interprétation de l'article 196 de la Loi et l'application de la « théorie des mains nettes » ), les autres traitant d'arguments dont je n'ai pas discuté en raison de l'interprétation dont j'ai donnée de l'article 196 de la Loi. Ma décision de ne pas refuser à M. Sabadao le redressement qu'il demande s'appuie sur les faits de l'espèce. Je ne certifierai donc aucune question à cet égard.

[30]            Toutefois, comme je l'ai déjà dit, je certifierai la même question qui a été certifiée dans les décisions Medovarski et Esteban, précitées, pour ce qui a trait à l'article 196 de la Loi.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section d'appel de l'immigration déclarant que l'appel du demandeur avait pris fin est infirmée. L'appel de M. Sabadao doit être rétabli.

2.         La question suivante est certifiée :

Le mot « sursis » utilisé à l'article 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, envisage-t-il un sursis qui est accordé en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985 ch. I-2, par suite de l'application de l'alinéa 49(1)b)?

                                                                             « Johanne Gauthier »          

                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-4500-02

INTITULÉ :                            Danius Sabadao et

le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 26 juillet 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           La juge Johanne Gauthier

DATE :                                    le 26 janvier 2004

COMPARUTIONS :

Pia Zambelli                                                       POUR LE DEMANDEUR

Normand Lemyre                                              POUR LE DÉFENDEUR

Gretchen Timmins

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph W. Allen & Associés                              POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]            La Cour ne discutera pas de la première question soulevée par le demandeur et fondée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés parce que, au cours de l'audience, les parties ont convenu que cet argument était théorique étant donné que la Cour examinerait le bien-fondé de la mesure d'expulsion dans le dossier IMM-4501-02.


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