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Date : 20000921


Dossier : T-1525-00

Ottawa (Ontario), le 21septembre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER


ENTRE :


BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE,

pour son propre compte et pour celui de ses membres


demanderesse



- et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

représentant le ministre des Pêches et Océans (Canada),

UNION OF NOVA SCOTIA INDIANS, personne morale,

CONFEDERACY OF MAINLAND MI'KMAQ, personne morale,


défendeurs


- et -


PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU NOUVEAU-BRUNSWICK

LFA DISTRICT 34 LOBSTER COMMITTEE

ATLANTIC FISHING INDUSTRY ALLIANCE

NATIVE COUNCIL OF NOVA SCOTIA


intervenants



MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]      Donald Marshall, fils, un Indien mi'kmaq a pêché l'anguille hors saison et a dû aller jusqu'en Cour suprême du Canada pour faire annuler sa déclaration de culpabilité. Aujourd'hui, d'autres membres du peuple mi'kmaq pêchent le homard hors saison et disent qu'en acquittant Marshall, la Cour suprême a déclaré que le gouvernement n'avait pas plus de droit de les empêcher de pêcher le homard qu'il en avait eu de punir ce dernier pour avoir pêché l'anguille. La présente requête demande à la Cour de déterminer si cette proposition est fondée. Pour ce faire, la Cour doit appliquer les arrêts rendus par la Cour suprême du Canada dans les affaires R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456 (Marshall no 1) et [1999] 3 R.C.S. 533 (Marshall no 2).

[2]      Le litige dont la Cour est saisie est le suivant : la Bande indienne de Shubenacadie (la demanderesse) cherche à obtenir une injonction interlocutoire enjoignant au ministre des Pêches et Océans (le Ministre) et à ses fonctionnaires de cesser de [TRADUCTION] « saisir les casiers à homards, les bateaux de pêche et l'équipement servant à la pêche du homard de la Bande indienne de Shubenacadie et de ses membres, et tout homard pris par eux dans la baie Sainte-Marie, dans la Zone de pêche du homard 34 (la ZPH 34), dans le comté de Digby de la Province de Nouvelle-Écosse, jusqu'au 15 octobre 2000 inclusivement, de cesser d'entraver ou de perturber de toute autre manière la pêche du homard et la vente de homards par la Bande et ses membres, et de cesser de harceler la Bande et ses membres au cours de leur pêche du homard en ce lieu et durant cette période » . Le 15 octobre 2000 est une date significative; c'est le jour de la fin de la saison de pêche du homard de subsistance et d'ordre commercial1 que la demanderesse s'est imposé elle-même, après que les négociations avec le ministre n'ont pas abouti à un accord qui aurait permis la pêche.

[3]      Le prononcé de l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Marshall no 1 en septembre 1999 a causé une grande incertitude en ce qui a trait à la portée et au champ d'application de la décision. La plupart des bandes mi'kmaq qui prétendaient aux avantages des traités de paix et d'amitié de 1760 et de 1761 ont accepté un moratoire volontaire de trente jours relativement à la pêche du homard pendant que les incidences de l'arrêt étaient élucidées. Cependant, les bandes de Burnt Church et d'Indian Brook2 [TRADUCTION] « se sont déclarées intéressées à poursuivre la pêche » . Le ministre a répondu par une offre de permis autorisant la pêche, sous réserve de limites et de conditions qu'il qualifiait de [TRADUCTION] « compatibles avec une pêche ordonnée et réglementée » .3

[4]      Les membres de la demanderesse pêchent dans la baie Sainte-Marie, à quelque 300 kilomètres de leur réserve, depuis 1997, mais ce n'était pas avec l'intensité qui fut atteinte à la fin de 1999, alors que 800 casiers à homards environ ont été mis à l'eau. Le 12 octobre 1999, afin de donner effet à l'offre d'attribution de permis du ministre, le directeur général régional de la région des Maritimes, M. Neil Bellefontaine, a présenté au chef Reginald Maloney, le chef de la Première nation d'Indian Brook, un accord appelé « Accord sur le permis de pêche du homard commerciale communautaire autochtone » , qui prévoyait autoriser la mise à l'eau de 800 casiers à homard dans la Zone de pêche du homard no 34 (ZPH 34) de la baie Sainte-Marie, jusqu'au 31 octobre 1999. L'accord prévoyait que le permis était accordé en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, et du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93-332. Le permis était assujetti à des conditions incluant diverses mesures de conservation, notamment sur la taille minimale des homards, sur le genre d'équipement et sur diverses modalités de contrôle.

[5]      Dans une lettre datée du 14 octobre 1999, le chef Maloney a répondu à M. Bellefontaine. Sa lettre décrivait la position de la Bande sur la question du permis. En voici les extraits pertinents :

[TRADUCTION]
     ...je vous retourne, par les présentes, ledit accord de permis car nous rejetons fermement tout permis ou accord fondé sur le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones.
     Nous pêchons en vertu des traités mi'kmaq de 1760-1761, de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, de l'arrêt de la Cour suprême du Canada prononcé le 17 septembre 1999 dans l'affaire R. c. Donald Marshall, fils et de notre droit inhérent de nous gouverner nous-mêmes en ce qui a trait aux affaires de pêche.
     ...
     [Caractères gras dans l'original]

[6]      En réponse à l'arrêt Marshall no 1, le ministère des Pêches et Océans s'est lancé dans un programme de négociation d'ententes pratiques intérimaires avec les bandes indiennes en droit de prétendre aux avantages des traités de paix et d'amitié, ayant recours aux bons offices de James Alexander MacKenzie, représentant fédéral en chef. Ces entente devaient être sans préjudice de la position que les parties adopteraient au regard des droits reconnus par la Cour suprême du Canada dans ses arrêts Marshall no 1 et Marshall no 2 dans des négociations ultérieures. L'on voulait qu'un accord général soit négocié avec toutes les bandes en droit de prétendre aux avantages des traités de paix et d'amitiés.
[7]      Le chef Maloney ayant clairement laissé entendre à M. Bellefontaine qu'il [TRADUCTION] « n'aliénerait pas ses droits issus de traités par la signature d'un accord » 4, M. MacKenzie a écrit au chef Maloney le 19 avril 2000 exprimant ses regrets que la Première nation d'Indian Brook ait refusé d'entamer des négociations avec lui, mais offrant néanmoins de conclure un accord avec elle, lequel lui conférerait un permis de pêche du thon du golfe de la Nouvelle-Écosse à la canne avec moulinet, neuf permis supplémentaires de pêche commerciale communautaire du homard (cinq permis pour la Zone de pêche du homard 33, pour 250 casiers chacun, et quatre pour la Zone de pêche du homard 32, pour 250 casiers chacun aussi). À chaque permis de pêche du homard seraient joints des permis de pêche commerciale au hareng et au maquereau, au filet maillant, pour qu'ils puissent se procurer les appâts nécessaires à la pêche du homard. Ces permis allaient s'ajouter à ceux qui avaient déjà été offerts, le permis de pêche du homard pour la ZPH 34, deux permis de pêche à l'oursin de mer et un permis de sondage pour le crabe. Tous ces permis seraient assujettis [TRADUCTION] « aux conditions habituelles des permis de pêche commerciales des espèces en cause » 5. En outre M. MacKenzie a offert un contingent de 40 000 livres de homard, qui pourrait être pêché au cours de l'été, hors saison (l'équivalent de 35 casiers pour les mois d'été, pour la ZPH 34) en reconnaissance des droits de pêche de la Bande à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales.
[8]      Le 20 avril 2000, M. Bellefontaine a transmis au chef Maloney les neufs permis de pêche du homard dont M. Mackenzie avait fait mention dans sa lettre.
[9]          Le 24 avril 2000, le chef Maloney a écrit au ministre des Pêches et Océans, M. Herb Dhaliwal. Dans sa lettre, le chef Maloney commence par rappeler que la Bande entend pêcher en conformité avec l'arrêt Marshall et selon ses droits constitutionnels. Il rejette l'allégation de M. Mackenzie selon laquelle la Bande aurait refusé d'engager des pourparlers en vue de la conclusion d'ententes de pêche pour la saison de pêche 2000. Il précise que ce que la Bande a refusé de faire, c'était de négocier une accessibilité limitée et conditionnelle à une ressource pour laquelle elle affirme avoir un droit d'accès issu de traités garanti constitutionnellement. Il note que M. Mackenzie n'avait pas de mandat lui permettant de négocier un accord fondé sur des droits. Il dit s'attendre à ce que [TRADUCTION] « vous nous consultiez, sans, plutôt qu'avec, réserve, sur notre droit d'accès et les limitations qui, selon votre sentiment, pourraient être convenables et justifiées » . Il ajoute :
[TRADUCTION]
Il me faut dire que j'estime extrêmement offensant que vous, le représentant de la Couronne, considérez pouvoir remplir les obligations que vous impose le traité à notre égard par un simple accord « sans préjudice » , négocié par vos bureaucrates. Ce comportement, je pense, fait peu de cas de notre traité, conclu par une nation avec une autre nation, et est totalement inacceptable.

[10]      Ayant dit cela, le chef Maloney a déclaré que la Bande entendait profiter des avantages dont il était fait mention dans la lettre de M. Mackenzie. Mais ajoutait-il dans sa lettre : [TRADUCTION] « Nous nommerons néanmoins nous-mêmes nos pêcheurs commerciaux conformément à notre RCB (résolution du conseil de bande), et nous délivrerons nos propres autorisations de pêche, de même que les plaques pour le marquage des casiers pour ceux qui pêcheront le homard » 6.
[11]      Le ministre a répondu par une lettre datée du 12 mai 2000. Voici ce que le ministre a écrit au sujet des propos du chef Maloney ayant trait aux négociations avec M. MacKenzie :
         [TRADUCTION] Votre lettre porte à croire que j'ai comme position que l'obligation que la Couronne a contractée par traité sera remplie par les accords « sans préjudice » présentement offerts à toutes les Premières nations des Maritimes. Ce n'est pas là ma position. Ce n'est pas non plus la position du gouvernement fédéral. Tenir pleinement compte du droit issu des traités prendra plus d'un an, et exigera d'autres négociations avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Vu la nécessité d'une pêche ordonnée, et le peu de mois qui séparent l'arrêt Marshall de la réouverture des saisons de pêche du printemps, nous avons immédiatement engagé des pourparlers avec les Premières nations en cause dans le but d'essayer de satisfaire leurs intérêts immédiats, à court terme, en matière de pêche commerciale. Aussi, afin de ne pas porter préjudice aux pourparlers à plus long terme, nous sommes nous montrés prêts à conclure des accords « sans préjudice » . Pour leur part, diverses Premières nations et l'Atlantic Policy Congress ont exigé instamment l'insertion des clauses « sans préjudice » les plus blindées possibles dans l'accord intérimaire.

[12]      Le ministre a conclu en renvoyant à un extrait de l'arrêt Marshall no 2 sur son droit de réglementer la pêche et il a rappelé au chef Maloney que [TRADUCTION] « les activités exercées sans autorisation, en dehors de la structure réglementaire, forceront le ministère à prendre les mesures d'application de la loi appropriées. » 7.
[13]      Le 15 mai 2000, M . Bellefontaine remit au chef Maloney les permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales, autorisant la mise à l'eau de trente-cinq casiers dans la ZPH 34 hors saison. Dans sa lettre, il ajoutait : [TRADUCTION] « Nous vous rappelons que la saison de pêche commerciale du homard dans la Zone de pêche du homard 34 se termine le 31 mai 2000 et que tous les pêcheurs devront avoir mis à terre leurs casiers à ce moment-là » .8
[14]      Le 2 juin 2000, le chef Maloney a fait transmettre au bureau du ministre le Plan de gestion du homard pour le district no 34 dans lequel la Bande propose une pêche du homard dans la baie Sainte-Marie à l'aide de 800 casiers, du 3 juillet au 15 octobre 2000. Cette période tombe en dehors de la saison de pêche pour la ZPH 34 de l'annexe XIV du Règlement de pêche de l'Atlantique de 1985. C'est la pêche faite à cette époque et les événements qui l'ont entourée qui ont donné lieu à la présente requête.
[15]      Le 21 juin 2000, le ministre a répondu à la lettre du chef Maloney. Il a répété qu'il avait le pouvoir de gérer la pêche et a rappelé le droit d'accès à la pêche commerciale que le ministère avait offert par le truchement de M. Mackenzie. Il a conclu en disant :
     [TRADUCTION]
         « ...il y a divers éléments de votre plan de gestion qui sont compatibles avec le mode de gestion envisagé par le ministère pour la ZPH 34 (marquage en v, taille de carapace, p. ex.). Mais un dialogue sérieux s'impose au sujet de l'effort de pêche que la Première nation d'Indian Brook entend soutenir durant la période du 3 juillet au 15 octobre 2000, le nombre de casiers prévu dans votre plan dépassant de loin ce que le Ministère estime raisonnable pour satisfaire aux besoins d'ordre alimentaire, social et cérémonial. Aussi, si j'ai bien compris, M. Neil Bellefontaine, le directeur général pour la Région des Maritimes et ses fonctionnaires vous rencontreront le jeudi 22 juin 2000, afin de discuter de la pêche du homard dans la ZPH 34 plus en détails et, espérons-le, de trouver un terrain d'entente qui permette d'avancer. » 9

[16]      Après cette rencontre du 22 juin 2000 avec M. Bellefontaine,10 le chef Maloney a envoyé au ministre et à M. Bellefontaine, la lettre suivante :
     [TRADUCTION]
     Le 23 juin 2000
     L'honorable Herb Dhaliwal, C. P., député,          Neil A. Bellefontaine
     Ministre des Pêches et Océans                  Directeur général régional
     Ottawa (Ontario)                      Région des Maritimes
     K1A 0E6                          Ministère des Pêches et Océans
                                     C.P. 1035
                                     Dartmouth (Nouvelle-Écosse)
                                     B3Y 4T3

     Monsieur le ministre Dhaliwal et M. Bellefontaine:
         Je vous écrit au sujet de la lettre de M. le Ministre Dhaliwal du 21 juin 2000 et de la rencontre que nous avons eue avec M. Bellefontaine dans l'après-midi du 22 juin 2000. Je vous écris à tous les deux, car je saisis mal quelles sont vos responsabilités à chacun selon le partage interne qu en est fait et parce que je pense que certains points pourraient éventuellement vous concerner tous les deux.
         Le problème immédiat auquel je suis confronté a trait à notre projet de saison de pêche du homard dans la ZPH 34, qui doit commencer le 3 juillet et se poursuivre jusqu'au 15 octobre 2000. Dans sa lettre du 21 juin, M. le Ministre déclare que notre projet de mise à l'eau de 800 casiers à des fins autant de pêche alimentaire, sociale, cérémoniale qu'à des fins commerciales, doit être ramené, en conformité avec son permis communautaire du 15 mai, à une pêche à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales seulement, et à une limite de 40 000 livres, l'équivalent de 35 casiers, durant les mois d'été. Lors de la réunion avec M. Bellefontaine, celui-ci a été très clair : si nous devions mettre à l'eau plus de 35 casiers, il prendrait des mesures d'application de la loi.
         Au cours de la rencontre, nous avons recherché avec M. Bellefontaine quelles étaient les raisons pour lesquelles il nous fallait limiter ainsi l'exercice des droits que nous reconnaissent l'arrêt Marshall et les traités. Dans votre lettre, au sujet de la pêche commerciale en général, vous parlez de « la conservation et de la gestion ordonnée de la pêche » et vous citez l'extrait de l'arrêt Marshall du 17 novembre 1999 sur « l'équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation » . En ce qui concerne notre projet de pêche dans la ZPH 34 du 3 juillet au 15 octobre 2000, vous avez complètement interdit toute pêche commerciale. Ayant interrogé M. Bellefontaine sur la justification de cette interdiction, il a répété vos propos sur la nécessité d'une pêche ordonnée, ajoutant que, durant les mois d'été, l'exuviation et la ponte posaient des problèmes. En ce qui avait trait aux limites imposées à notre pêche qui serait faite à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales, il a déclaré qu'il existait une formule permettant de calculer nos besoins en nourriture et que notre contingent proposé de 800 casiers, en raison des taux de prises élevés anticipés, équivalait à quelque 22 ou 23 permis commerciaux en saison.
         Nous ne sommes pas en mesure d'évaluer le bien-fondé de ces affirmations sans avoir accès à l'information sur laquelle elles sont basées et de plus amples explications. Nous demandons qu'on nous fournisse les études qui la fondent et qu'on nous fasse part du raisonnement qui soutient les positions que vous avez prises à titre de ministre des Pêches et Océans. Nous estimons que cela devrait inclure à tout le moins :

         1.      Les études sur les taux de prises faites dans la ZPH 34 entre juillet et octobre.
         2.      Les études sur l'exuviation et la ponte dans la ZPH entre juillet et octobre.
         3.      Le mode de calcul des besoins en nourriture et les études, éventuellement, sur lesquelles cette formule serait basée.
         4.      Comment des facteurs comme l'équité sur les plans économique et régional, ainsi que le fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques de la ZPH 34 et participent à leur exploitation sont menacés par une pêche commerciale de notre part entre juillet et octobre.
         5.      En quoi la gestion ordonnée de la pêche serait compromise par notre pêche entre juillet et octobre.
         6.      Tout autre point justifiant la limitation de notre droit de pêche.

         Dans votre lettre du 21 juin, vous citez l'arrêt Marshall au sujet de votre pouvoir réglementaire. Mais il est également dit dans l'arrêt Marshall du 17 novembre que :
             « Il appartient à l'État d'indiquer quels sont les mécanismes de contrôle ou de
         surveillance justifiés aux fins de gestion de la ressource, et de préciser pourquoi ils sont justifiés. » [au paragraphe 41].
             « Ces rapports spéciaux de fiduciaire comportent le droit pour les bénéficiaires du traité d'être consultés à l'égard des restrictions de leurs droits... » [au paragraphe 43].
             « La justification d'une obligation de se procurer un permis dépend des faits. » [au paragraphe 28].
             « Si le ministère public établit que les limites auxquelles est assujetti l'exercice du droit issu du traité ont été imposées pour répondre à un objectif d'intérêt public réel et impérieux, à la suite de consultations appropriées avec la communauté autochtone et que ces limites ne vont pas au-delà de ce qui est requis, il est possible que le recours aux mêmes techniques de conservation et de gestion des ressources que celles utilisées dans le cas de la pêche pratiquée par les pêcheurs non autochtones soit déclaré justifié. De même, toutefois, les préoccupations et les propositions des communautés autochtones doivent être prises en compte et pourraient entraîner le recours à des techniques différentes de conservation et de gestion à l'égard de l'exercice du droit issu de traité » [au paragraphe 44].
             « ...la Coalition a également plaidé qu'aucun droit issu de traité ne devrait [TRADUCTION] `avoir pour effet d'écarter involontairement de toute activité de pêche commerciale quelque participant non autochtone', et que `ni les rédacteurs de la Constitution ni les juges qui l'interprètent ne sont les personnes indiquées pour prescrire qui peut ou non pêcher à des fins commerciales'. Le premier argument revient à dire que les droits ancestraux ou issus de traités ne devraient être reconnus que dans les cas où cette reconnaissance ne cause aucun dérangement ou inconvénient aux non-autochtones. Suivant cet argument, si un droit issu de traité est source de dérangements, il faudrait en dénier l'existence ou le déclarer inopérant. Il ne s'agit pas là d'un principe juridique mais d'un argument de nature politique. Qui plus est, il s'agit d'un argument politique qui a été expressément rejeté par les dirigeants politiques lorsqu'ils ont décidé d'inclure l'art. 35 dans la Loi constitutionnelle de 1982 » [au paragraphe 45].
             « Constituerait un élément significatif la démonstration que, globalement, les activités de pêche alimentaire des Autochtones ainsi que leurs activités limitées de pêche commerciale ne constituent qu'un `infime' pourcentage des prises annuelles d'une espèce donnée, le homard par exemple, par les pêcheurs commerciaux non-autochtones... » [au paragraphe 42].
         Il doit être tenu compte aussi de ces points avant que vos mesures puissent être considérées comme justifiées. Nous avons proposé une pêche du homard limitée dans la ZPH 34 entre le 3 juillet et le 15 octobre. Nous n'avons pas eu de consultations sur les raisons pour lesquelles vous avez rejeté dès le départ sa composante commerciale et avez limité celle que nous pourrons faire à des fins alimentaires, sociales et cérémoniales à 40 000 livres et à 35 casiers. Nous désirons savoir quels faits et quelles explications justifient cette atteinte à notre droit de pêche, et vous consulter lorsque nous aurons été en mesure d'évaluer cette information. La consultation sur ce problème n'a tout simplement pas été suffisante.
         Le temps presse, auriez-vous l'obligeance, vous ou M. Bellefontaine, si la responsabilité lui incombe, de nous répondre le plus vite possible.
         Bien à vous, dans la reconnaissance des droits ancestraux
     Chef Reg. Maloney
     de la Première nation d'Indian Brook
     RM/dm
[17]      Le 1er juillet 200011, le chef Maloney a écrit à nouveau au ministre et à M. Bellefontaine.
     [TRADUCTION]
     Le 1er juillet 2000                      Neil A. Bellefontaine
     L'honorable Herb Dhaliwal, C.P., député          Directeur général régional
     Ministre des Pêches et Océans du Canada          Régions des Maritimes
     Ottawa (Ontario)                      Ministère des Pêches et Océans
     K1A 0E6                          C.P. 1035
                                     Dartmouth (Nouvelle-Écosse)
                                     B3Y 4T3
     Monsieur le ministre Dhaliwal et M. Bellefontaine :
     Objet : La pêche du homard dans la baie Sainte-Marie, ZPH 34
     Pour faire suite à ma lettre du 23 juin 2000, je vous envoie sous pli une déclaration modifiée de ce que nous, la bande de Shubenacadie, entendons faire à partir du lundi 3 juillet 2000 relativement à la pêche du homard dans la ZPH 34, dans la baie Sainte-Marie.
     Comme nous n'avons pas reçu de réponse à notre lettre du 23 juin, nous ne sommes pas en mesure d'évaluer le bien-fondé des questions soulevées par vous dans la lettre que vous m'avez adressée le 21 juin et par M. Bellefontaine lors de notre rencontre du 22 juin 2000. Nous attendons toujours l'information scientifique et les autres renseignements sur lesquels s'appuie votre position.
     Entre temps, nous avons l'intention de commencer à pêcher le 3 juillet 2000 conformément à la limite de 40 000 livres/35 casiers mentionnée dans la lettre du ministre en date du 21 juin. Nous utiliserons provisoirement et sans préjudice les étiquettes à homard du MPO que nous a fournies M. Bellefontaine. Le représentant du MPO, Steve Wilson, est venu à Indian Brook le 30 juin pour vérifier l'intégrité de notre système d'étiquetage. Il a constaté que nous avions obtenu nos étiquettes de la même entreprise que le MPO. Nous présumons donc que nos étiquettes seront acceptables et que vous ne vous y opposerez pas. Si vous avez besoin de notre autorisation pour obtenir des renseignements du fabricant de nos étiquettes concernant les fournitures que nous avons reçues ou que nous ou d'autres recevrons à l'avenir, vous pouvez utiliser la présente lettre à titre d'autorisation. Nous ne commanderons pas de doubles et nous vous informerons du numéro des étiquettes utilisées par chaque pêcheur. Veuillez nous faire part de tout problème qui subsisterait concernant l'intégrité de notre système et, s'il n'en existe aucun, nous confirmer que nous pouvons retirer les étiquettes du MPO et pêcher avec nos propres étiquettes pour Indian Brook.
     En outre, comme vous le constaterez au vu du plan de recherche ci-joint, nous évaluerons avec soin les prises effectuées au moyen de nos casiers pour déterminer si notre pêche compromet la conservation et si nous pouvons augmenter nos efforts et nos captures sans créer de problème démesuré pour la conservation. Je vous saurais gré de donner pour instructions à vos biologistes responsables du homard dans la baie Sainte-Marie de collaborer avec nous, de veiller à ce que leurs préoccupations soient prises en compte et de nous aider à évaluer les résultats de notre étude. Nous estimons qu'il est essentiel à une consultation valable de bonne foi que vous participiez à nos efforts pour déterminer quelle est la dynamique de la pêche du homard dans la baie Sainte-Marie pendant la période où nous avons l'intention de pêcher.
     Nous vous prions aussi instamment de fermer la pêche à la drague dans la baie Sainte-Marie, à la fois pour des motifs liés à la conservation et pour préserver l'intégrité de notre étude des larves. Nous craignons beaucoup que la pêche à la drague du pétoncle pendant cette période, au moment où la production de larves est en plein essor, soit de loin plus nuisible au homard que tout autre facteur résultant de la pêche du homard.
     Si le taux de capture de homards commercialisables (carapace de 3[frac14] pouces) ne s'avère pas excessif, nous aimerions pêcher au-delà de la limite de 35 casiers que vous nous avez imposée. Nous croyons toujours qu'une limite de 800 casiers, autorisée par le ministre l'automne dernier, ne serait pas excessive. C'est le nombre de casiers que nous entendons utiliser pour la pêche. Vous ne nous avez toujours pas communiqué de renseignements qui laisseraient entendre que ce nombre perturbera démesurément la pêche commerciale existante, comme cela pourrait se produire si les prises atteignent le niveau avancé par M. Bellefontaine, soit l'équivalent de 23 ou 24 permis de pêche commerciale comprenant chacun 350 casiers pendant la saison commerciale normale.
     Nous vous demandons, ainsi qu'à vos fonctionnaires, de continuer à nous consulter sur nos projets et à nous faire part de vos préoccupations de façon que nous puissions y donner suite au début du mois de juillet. Nous estimons que vous agissez de façon déraisonnable en nous imposant unilatéralement une interdiction totale de pêche commerciale du homard pendant cette période et en limitant notre pêche à 35 casiers.
     Vous devez aussi comprendre certaines de nos préoccupations, dont la sécurité de nos pêcheurs. En pêchant à partir d'un port unique, nous pouvons nous protéger ainsi que nos bateaux et nos engins des non-Autochtones qui ne veulent pas partager la ressource avec nous. La météo devrait être plus favorable et nous devrions pouvoir nous aider mutuellement si quelqu'un devait avoir des problèmes sur l'eau. De plus, pour la pêche communautaire, nous devrions être capables de bénéficier de l'appui social d'une collectivité de pêcheurs, rassemblés à cette fin.
     Par ailleurs, nos pêcheurs ont le droit de gagner leur vie raisonnablement en pratiquant la pêche. Ils ont investi dans des bateaux et du matériel et doivent pouvoir s'acquitter de leurs paiements. Lorsqu'ils pêchent dans la baie Sainte-Marie, loin d'Indian Brook, ils engagent des frais pour manger et se loger, ainsi que pour faire fonctionner et entretenir leur bateau. Ils doivent pouvoir récupérer ces frais en vendant du homard. Même la pêche de subsistance entraîne des dépenses qui doivent être couvertes par la vente de homards. Votre approche ne tient pas compte de ces frais, et encore moins d'un revenu raisonnable.
     Comme l'écoulement du temps revêt une importance capitale, nous vous demandons de répondre promptement à nos préoccupations. Nos bateaux sont maintenant dans la baie Sainte-Marie, prêts pour la pêche, qui débutera le 3 juillet. Nous sommes disposés à adapter nos activités de pêche pour tenir compte de vos craintes justifiées. Toutefois, s'il s'avère qu'il n'existe aucun motif de nous abstenir d'augmenter notre effort de pêche et nos prises, nous avons l'intention d'augmenter le nombre de nos casiers. Nous espérons que vous pourrez vous adapter à nos besoins sans tarder et, si nous ne parvenons pas à nous entendre sur une vision commune de nos activités de pêche du homard dans la baie Sainte-Marie, nous nous attendons à ce que vous nous donniez un avis raisonnable avant d'enlever nos casiers, de saisir nos bateaux ou de porter des accusations contre nos pêcheurs.
     Bien à vous, dans la reconnaissance
     des droits ancestraux et issus de traités,
     Chef Reg Maloney
     Bande de Shubenacadie
     Première nation d'Indian Brook
     RM/dm
[18]      Monsieur Bellefontaine a répondu au chef Maloney le 11 juillet 200012. Il a dégagé deux divergences d'opinion entre le ministère et la Première nation d'Indian Brook : le niveau d'accès au homard pour la pêche de subsistance et le désir de la Bande de s'adonner à la pêche commerciale hors saison. Monsieur Bellefontaine a expliqué la raison d'être de la limite de 40 000 livres applicable à la pêche de subsistance. Quant à la pêche commerciale, voici ce que dit la lettre de M. Bellefontaine :
     [Traduction]
     Le ministère est toujours d'avis que la pêche commerciale doit être effectuée pendant les saisons de pêche commerciale établies. Nous reconnaissons que vous ne partagez pas notre opinion sur ce point. Nous continuons d'espérer qu'un dialogue continu pourra nous permettre d'en arriver à des solutions acceptables tant pour la Première nation d'Indian Brook que pour le ministère des Pêches et Océans.
     ...
     La Première nation d'Indian Brook a exprimé l'opinion qu'il ne serait pas excessif que votre collectivité utilise 800 casiers pour la pêche commerciale dans la ZPH 34. Le ministère est d'accord avec vous, à condition que cette pêche soit effectuée pendant la saison actuelle de pêche commerciale. Les études des prises réalisées depuis plusieurs années dans la ZPH 34 ont permis aux scientifiques de recueillir une grande quantité de données concernant les niveaux de capture par casier et les niveaux de capture dans des régions géographiques particulières, comme la baie Sainte-Marie. Bien que ces données puissent être utilisées à plusieurs fins, il est très clair que les meilleurs mois pour capturer du homard pendant la saison de pêche commerciale actuelle sont le premier et le dernier mois de la saison, soit la fin novembre/le mois de décembre et le mois de mai, respectivement. Une solution possible à nos divergences d'opinion sur la pêche commerciale consisterait à établir une saison de pêche commerciale du homard réservée à Indian Brook pendant ces deux périodes. Votre lettre fait état de vos préoccupations concernant la sécurité de vos pêcheurs. Bien qu'il soit impossible de garantir leur sécurité relativement à la météo et à d'autres éléments, la météo est habituellement plus favorable pendant ces deux mois de la saison commerciale, comparativement au reste de la période d'ouverture de la pêche commerciale dans cette région, soit pendant les mois de janvier à avril. Les membres de votre collectivité pourraient pêcher ensemble, à partir d'un port unique comme vous le suggérez dans votre lettre, pour vous aider mutuellement. Si votre collectivité décidait de pêcher pendant ces deux périodes, vous pourriez bénéficier de l'appui social et professionnel mutuel des membres de votre collectivité.
     Nous aimerions discuter des possibilités susmentionnées et de toute autre solution éventuelle à nos divergences dès que cela vous conviendra. Le ministère veut trouver des solutions qui soient acceptables tant pour la Première nation d'Indian Brook que pour le MPO.

[19]      Le 21 juillet 200013, le ministre a fait le point sur les pêches touchées par le jugement dans l'affaire Marshall et a expressément parlé, dans sa déclaration, de la situation de la Première nation d'Indian Brook. Il a affirmé que le gouvernement fédéral avait respecté ses obligations en donnant un accès raisonnable à la pêche du crabe et du homard. Quant à la pêche commerciale, le ministre a déclaré :
     Certains représentants de la Première nation ont publiquement déclaré qu'ils iraient jusqu'à installer 800 casiers et à vendre certaines de leurs prises sur le marché commercial. Ils ont également dit qu'ils procéderaient à une étude scientifique de l'impact de leur pêche de subsistance pour veiller à ce que cette augmentation considérable du nombre des casiers ne cause pas de problème de conservation.
     Je me dois de souligner certains faits évidents :
         Il n'est pas question de sciences, mais bien de quantités prises. Nous connaissons déjà la capacité type des casiers. Je le répète, 35 casiers devraient amplement suffire pour capturer 40 000 livres.
         Le jugement Sparrow permet la pêche hors saison aux seules fins alimentaires, sociales et rituelles. Or l'utilisation de 800 casiers sous-entend une pêche commerciale.
         La Première nation d'Indian Brook, déjà, a largement accès à la pêche commerciale en saison régulière, quand elle peut utiliser un nombre beaucoup plus grand de casiers. Jusqu'à maintenant, cette capacité a été plutôt sous-utilisée.
         Aucun groupe de pêcheurs n'a le droit de décider unilatéralement du moment où il peut pratiquer la pêche commerciale hors du cadre normal de la réglementation et des saisons établies. La réglementation a un but, les autres intervenants ont des droits, et la ressource appartient à tous les Canadiens.

     Nous avons conclu des arrangements constructifs et coopératifs avec la grande majorité des Premières nations. Je compte bien que nous réussirons aussi à nous entendre avec la Première nation d'Indian Brook. Au MPO, la porte est ouverte, comme toujours.


[20]      Le chef Maloney a écrit au ministre et à M. Bellefontaine le 24 juillet 200014 pour les informer que, compte tenu du résultat de la recherche scientifique sur la pêche effectuée par la Bande, il avait été décidé d'augmenter les activités de pêche dans la baie Sainte-Marie en autorisant l'ajout de 335 casiers additionnels aux 35 casiers initiaux. Le chef Maloney a formulé les remarques suivantes sur la déclaration publique du ministre :
     [Traduction] Nous constatons que le ministre Dhaliwal, dans sa déclaration du 21 juillet, affirme nous avoir « donné un accès raisonnable à la pêche [...] du homard » et notamment avoir donné « un accès approprié aux pêches de subsistance et commerciale » aux Premières nations. Nous sommes en profond désaccord avec cette déclaration. Nous n'avons cessé d'indiquer que nous préférions pêcher le homard dans la baie Sainte-Marie dans la ZPH 34 du mois de juillet à la mi-octobre, à la fois pour notre subsistance et à des fins commerciales. Le ministre a sous-estimé nos besoins alimentaires, a surestimé les prises réalisées avec nos 35 casiers et nous a interdit complètement tout accès à la pêche commerciale du homard pendant cette période. Ces positions ont été réitérées par M. Bellefontaine dans la lettre qu'il m'a adressée le 11 juillet 2000. Nous sommes fermement convaincus que ces actes ne sont ni « raisonnables » ni « appropriés » et ne sauraient se justifier.
     ...
     Nous reconnaissons et respectons le pouvoir du ministre de limiter de façon raisonnable notre droit de pêche issu d'un traité, mais nous tenons à souligner que les limites en cause ne sont ni raisonnables ni justifiables. Malgré nos demandes, le ministère des Pêches et Océans n'a pas produit de données scientifiques, sociales ou économiques pour limiter ainsi l'exercice de notre droit de pêche. Notre propre recherche sur la pêche a démontré qu'une capture accrue est compatible avec la pêche durable et que les taux de capture sont bien inférieurs à ceux annoncés par M. Bellefontaine. Nous avons l'intention d'augmenter notre pêche sur une base expérimentale et de surveiller et déclarer nos prises pour déterminer si des conséquences négatives sont vraisemblables. Tous les homards en mue, les femelles grainées et les homards de taille insuffisante seront relâchés. Si un élément vient à indiquer que nos activités de pêche créent un risque démesuré, nous les réduirons ou nous les interromprons. La santé du homard dans la ZPH 34 détermine notre avenir, celui de nos enfants et celui des enfants de nos enfants. Nous ne mettrons pas en péril les réserves de homard, mais nous ne cesserons pas non plus de pêcher comme la Constitution nous en donne le droit simplement parce que le ministre et ses fonctionnaires trouvent plus opportun que nous pêchions pendant la même période que les pêcheurs commerciaux non-autochtones.
     Il ressort clairement de la déclaration du ministre en date du 21 juillet, ainsi que de la lettre de M. Bellefontaine en date du 11 juillet qui n'apporte aucune réponse, que le ministère des Pêches et Océans n'a pas l'intention de changer sa position sur notre pêche dans la ZPH 34 et qu'il est inutile de poursuivre la consultation et le dialogue. Nous avons néanmoins l'intention de prendre des mesures graduelles, par étapes, pour agir de façon responsable.
[21]      Le 28 juillet 200015, M. Bellefontaine a répondu au chef Maloney dans les termes suivants au sujet de la pêche commerciale du homard au cours de la période s'échelonnant du mois du juillet au mois d'octobre :
     [Traduction] La deuxième question que vous soulevez concerne la pêche commerciale du homard dans la baie Sainte-Marie entre le mois de juillet et la mi-octobre pour la Première nation d'Indian Brook. Je n'ai pas changé d'avis à ce sujet et je ne peux être en faveur d'aucune pêche commerciale du homard pendant la période de fermeture.
[22]      Entre temps, la pêche par les pêcheurs de la Bande au-delà du permis autorisant 35 casiers s'est heurtée à des mesures d'application de la loi prises par le ministère. Au fil des événements, le conflit s'est envenimé à tel point que des accusations criminelles ont été déposées dans certains cas. Les deux parties déplorent la violence et ont affirmé croire qu'elle pourrait être évitée par un changement de comportement de la part de l'autre partie. Je suis convaincu qu'elles ont toutes les deux raison.
[23]      La demande et la requête interlocutoire visent à mettre un terme aux mesures d'application de la loi prises par les fonctionnaires du ministère contre les membres de la demanderesse qui exercent leur prétendu droit issu d'un traité de capturer du homard sans détenir de permis délivré par le ministre. Le fait que des mesures d'application de la loi sont prises n'est pas contesté. Ce ne sont pas le modalités de ces activités qui sont contestées, mais le droit même du ministère de prendre tout mesure d'application de la loi. Les deux parties ont déposé une preuve par affidavit sur les modalités des mesures d'application de la loi, qui allègue notamment que les fonctionnaires du ministère ont eu recours à l'intimidation par leur choix vestimentaire et le port d'une arme. Pour contrer cette preuve, on a établi que les membres de la demanderesse ont offert une résistance à des actes décrits comme des mesures légitimes d'application de la loi. Je ne suis pas tenu d'entrer dans le détail sur ce point, étant donné que la demanderesse, tout en se plaignant des modalités des mesures d'application de la loi, conteste surtout la légitimité de toute mesure d'application de la loi16.
[24]      La demanderesse veut obtenir une injonction qui comporte les conditions suivantes :
     [Traduction]
     1.      La Bande et ses membres n'utiliseront pas plus de 800 casiers en même temps pour pêcher.
     2.      Les casiers porteront une étiquette numérotée fournie par la Bande.
     3.      La Bande et ses membres respecteront par ailleurs les mesures de conservation incluses dans l'entente de 1999 sur un permis communautaire de pêche commerciale du homard (1999 Aboriginal Communal Commercial Lobster Fishing Licence Agreement) délivré à la demanderesse par le ministre et portant la signature de Neil A. Bellefontaine en date du 12 octobre 1999.
     4.      La Bande et ses membres débarqueront leurs prises au quai public de New Edinburgh, à baie Sainte-Marie, en permettront l'inspection par le ministère des Pêches et Océans et déclareront tous les homards capturés au ministère des Pêches et Océans.
     5.      Le ministre pourra demander la levée de l'injonction provisoire s'il est d'avis que la capture de homards par la Bande et ses membres a dépassé ou est sur le point de dépasser la quantité qui peut raisonnablement être capturée pour assurer la conservation.


[25]      Après le dépôt de la demande et la signification au procureur général du Canada (le défendeur)17 d'un avis de requête en injonction interlocutoire, certaines directives ont été données quant à la date d'audition de la demande. Il en a résulté une conférence téléphonique au cours de laquelle une ordonnance a été prononcée pour autoriser la modification de l'avis de demande et de l'avis de requête afin d'y ajouter la Confederacy of Mainland Mi'kmaq et la Union of Nova Scotia Indians en qualité de défendeurs et pour fixer la date d'une nouvelle audience par téléphone concernant l'ajout d'intervenants. Au moment de cet appel, le Native Council of Nova Scotia, le comité de la ZPH 34, l'Atlantic Fishing Industry Alliance, le procureur général de la Nouvelle-Écosse et le procureur général du Nouveau-Brunswick ont été ajoutés en qualité d'intervenants, ayant pleinement le droit de présenter de la preuve et d'être entendus, leur droit d'appel devant être tranché sur présentation d'une requête à la suite de la décision en cause. Tous ces intervenants ont été entendus relativement à la présente requête.
[26]      Le critère applicable à la délivrance d'une injonction interlocutoire a été établi dans deux arrêts de la Cour suprême du Canada : Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987], 1 R.C.S. 110 (Metropolitan Stores) et RJR-MacDonald Inc. c. Canada, [1994] 1 R.C.S. 311 (RJR-MacDonald). Ce critère comporte trois éléments, d'où sa désignation de critère en trois volets. La demanderesse doit établir qu'il existe une question grave à trancher, qu'elle subira un préjudice irréparable en cas de refus du redressement et que la prépondérance des inconvénients doit favoriser le prononcé de l'injonction.
[27]      Toutefois, avant d'appliquer ce critère en trois volets, je dois trancher des objections préliminaires soulevées par le défendeur. Le défendeur affirme que si l'une de ses objections est retenue, il ne sera pas nécessaire que j'applique le critère en trois volets. Voici l'énoncé de ces objections préliminaires, dans l'ordre dans lequel j'ai l'intention de les examiner :
     a)      La demanderesse n'a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 mai 2000, portant que la saison de la pêche commerciale du homard serait fermée dans la ZPH 34 du 1er juin jusqu'à 7 h le 27 novembre 2000.
     b)      La déclaration du ministre en date du 21 juillet et la lettre de M. Bellefontaine en date du 28 juillet 2000 constituent-elles une « décision ou une ordonnance d'un office fédéral » ?
     c)      La Cour devrait-elle accorder un jugement déclaratoire définitif sur présentation d'une demande interlocutoire entendue sommairement?
     d)      Une injonction peut-elle être prononcée contre la Couronne?
     e)      La présente affaire relève-t-elle de la compétence des tribunaux?
[28]      Je trancherai ensemble les deux premières objections, car elles soulèvent la même question de façon différente. L'avis de requête de la demanderesse en date du 18 août 2000 précise que la décision visée par la demande de contrôle est celle rendue par le ministre vers le 21 juillet 2000 (date de l'annonce publique du ministre) et confirmée vers le 28 juillet, date de la lettre de M. Bellefontaine au sujet de la pêche du homard dans la zone de pêche du homard 34 pour la période du 21 juillet 2000 au 15 octobre 2000.
[29]      Le défendeur affirme que la demanderesse se plaint de la fermeture de la saison de pêche du homard, question qui a été tranchée dans la lettre de M. Bellefontaine en date du 15 mai 2000. La période de fermeture applicable à la pêche commerciale du homard dans la ZPH 34 est fixée dans l'annexe XIV du Règlement de pêche de l'Atlantique de 1985 pris en application de l'article 57 de la Loi sur les pêches. Le défendeur dit que la période de fermeture a été confirmée par la lettre de M. Bellefontaine au chef Maloney en date du 15 mai 2000, dans laquelle M. Bellefontaine rappelle au chef Maloney que [Traduction] « la pêche commerciale du homard dans la ZPH 34 ferme le 31 mai 2000 et tous les pêcheurs doivent avoir retiré leurs casiers de l'eau à cette date. » M. Wruck, au nom du défendeur, affirme que la lettre de M. Bellefontaine contient la décision de fermer la période de pêche. L'annonce faite le 21 juillet 2000 et la lettre du 28 juillet 2000 ne constituent absolument pas des décisions, aux dires de M. Wruck, mais simplement une réponse à une lettre. Par conséquent, ou bien l'avis de demande qui sous-tend l'avis de requête est tardif, ou bien il ne conteste pas une décision d'un office fédéral. Si l'avis de demande est tardif, la requête en injonction interlocutoire ne repose sur rien et ne peut être accueillie.
[30]      La demanderesse prétend que la décision qu'elle conteste est le refus du ministre de reconnaître la pêche du homard telle qu'elle est proposée pour la période du 21 juillet au 15 octobre 2000. Ce refus a été communiqué à la demanderesse, soit par l'annonce publique faite par le ministre le 21 juillet 2000, soit par la lettre de M. Bellefontaine en date du 28 juillet 2000. Avant cette date, bien que des objections aient été soulevées à l'encontre de certains éléments de la pêche proposée, ce concept n'avait pas été rejeté et la demanderesse avait été invitée à poursuivre le dialogue. Ce n'est que le 28 juillet 2000 que le refus sans équivoque du ministère de tolérer la pêche commerciale estivale par la demanderesse est devenu manifeste.
[31]      Je suis d'accord avec la demanderesse que la décision en cause a été prise et lui a été communiquée pour la première fois dans l'annonce du 21 juillet du ministre ou, au plus tard, dans la lettre de M. Bellefontaine datée du 28 juillet. Quoi qu'il en soit, le délai de 30 jours que prévoit le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, a été respecté18.
[32]      La lettre de M. Bellefontaine datée du 15 mai 2000 ne fait que décrire les dispositions législatives que contient l'annexe XIV du Règlement de pêche de l'Atlantique de 1985. Il ne s'agit pas d'une décision dans le sens de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire : la mesure concrète a été prise en fonction du Règlement et non des propos de M. Bellefontaine. À l'époque, aucune demande précise de pêche de subsistance d'été ou de pêche commerciale n'avait été présentée à M. Bellefontaine. Cette demande a plutôt été faite le 2 juin 2000, et ce n'est que le 28 juillet 2000 qu'elle a été catégoriquement rejetée.

[33]      Voici comment l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale définit l'expression « office fédéral » :

federal board, commission or other tribunal" means any body or any person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.


[34]      Le défendeur ne peut soutenir que M. Bellefontaine est visé par cette définition relativement à la décision qu'il a prise le 15 mai 2000, mais non à celle qu'il a prise le 28 juillet 2000. À mon avis, il est clair que la demanderesse conteste la décision d'un office fédéral. Ces deux objections doivent être rejetées.

[35]      L'objection suivante du défendeur est que l'octroi d'une injonction interlocutoire équivaudra, dans les circonstances, à l'octroi d'un jugement déclaratoire interlocutoire.

[36]      Pour établir qu'un jugement déclaratoire interlocutoire ne constitue pas une réparation appropriée en l'espèce, le défendeur cite la décision Francis c. Conseil mohawk d'Akwesasne (1993), 62 F.T.R. 314, dans laquelle le juge Noël (tel était alors son titre) a refusé d'accorder un jugement déclaratoire interlocutoire sur les exigences applicables en matière de quorum, dans le contexte des élections au sein d'une bande :

D'emblée, je dirai que, à mon avis, il ne convient pas que la présente Cour accorde aux requérants l'ordonnance déclaratoire provisoire qu'ils demandent. Une déclaration sur l'état du droit portant sur la question du quorum du Conseil mohawk d'Akwesasne serait, par sa nature, finale et je ne pense pas qu'une telle déclaration puisse être dûment faite dans le cadre d'une requête pour mesure provisoire [Voir Hogg, P.W., Liability of the Crown (2nd ed., 1989) aux pp 20 à 22; Canada P.G. c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124 (C.S.C.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] 1 C.F. 504, 3 C.P.R. (3rd) 289 (1re inst.).

[37]      L'arrêt de principe qui a établi qu'une injonction interlocutoire pouvait équivaloir à un jugement déclaratoire interlocutoire est l'arrêt Gould c. Procureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 11193, de la Cour d'appel fédérale. Les faits de l'affaire Gould étaient importants. Gould était un détenu dans un établissement fédéral qui contestait l'alinéa 14(4)e) de la Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1er suppl.), ch. 14, qui prévoyait qu'était inhabile à voter à une élection fédérale « toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire et y purgeant une peine pour avoir commis quelque infraction » . Gould a présenté une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir un jugement déclaratoire portant que l'alinéa 14(4)e) était invalide du fait qu'il portait atteinte à son droit, garanti à l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, de voter à des élections de députés de la Chambre des communes. On a convenu que l'alinéa 14(4)e) était invalide à moins qu'il ne soit justifié aux termes de l'article premier de la Charte. Cependant, comme les élections étaient sur le point d'avoir lieu, Gould a présenté une demande à la Section de première instance en vue d'obtenir une injonction interlocutoire mandatoire lui permettant de voter et prévoyant que son vote soit compté dans sa circonscription d'origine. La Section de première instance a accueilli la demande d'injonction, le défendeur a formé un appel contre cette décision, et l'appel a été entendu de façon accéléré. Il ressort clairement des motifs de la Cour d'appel que les élections auraient lieu avant que la demande de contrôle judiciaire ne soit entendue. En conséquence, l'issue de la demande d'injonction aurait pour effet de trancher la demande. Dans le cas où Gould obtiendrait le droit de voter en vertu de l'injonction interlocutoire mais que sa demande de contrôle judiciaire ne serait pas accueillie, son vote ne pourrait être retiré. Par conséquent, Gould obtiendrait la réparation qu'il cherchait à obtenir avant que la Cour n'examine le bien-fondé de sa demande.

[38]      Le juge en chef Thurlow, qui a exposé des motifs dissidents, était d'avis de rejeter l'appel en grande partie parce qu'il estimait que la justification paraissait si fragile que la demande serait fort probablement accuellie. Voici comment le juge Mahoney de la Cour d'appel, s'exprimant au nom des juges majoritaires, a décrit l'effet de l'injonction, à la page 1140 :

L'ordonnance rendue [l'injonction interlocutoire mandatoire permettant à Gould de voter] autorise l'intimé [Gould] à se conduire et exige qu'il soit traité comme si la règle de droit qu'il cherche à faire annuler était désormais nulle même si elle reste en vigueur et qu'elle le demeurera jusqu'à ce que, après instruction, le jugement déclaratoire demandé ait été obtenu. Elle allait beaucoup plus loin que de conclure qu'il existe une question sérieuse à trancher. Elle demandait plus que de simplement conclure, comme lorsqu'il s'agit de statuer sur une demande d'injonction interlocutoire, que la répartition des inconvénients dicte que le statu quo soit maintenu ou que le statu quo antérieur soit rétabli en attendant le jugement sur l'action après l'instruction. L'ordonnance équivalait à conclure, avant même que son action ait été instruite, que l'intimé a le droit d'agir et d'être traité comme s'il avait gagné sa cause. L'ordonnance laisse entendre que l'intimé possède, en réalité, le droit qu'il revendique et que l'alinéa 14(4)e) est nul dasns la mesure invoquée. Cela constitue un jugement déclaratoire provisoire sur un droit qui, en toute déférence, ne peut être rendu à bon droit avant l'instruction. Le défendeur dans une action a droit tout autant que le demandeur à une instruction équitable et complète, et il en est de même lorsque le litige est de nature constitutionnelle. Le but d'une injonction interlocutoire est de maintenir ou de rétablir le statu quo, et non d'accorder son redressement au demandeur, jusqu'au moment de l'instruction. [Non souligné dans l'original.]

[39]      Le point de vue du juge Mahoney a été approuvé par la Cour suprême du Canada19 et il a été cité avec approbabtion dans l'arrêt Metropolitan Stores, dans lequel sa démarche a été décrite comme une « attitude de prudente [qui] respecte le droit des deux parties à une instruction complète [...] » 20.

[40]      L'injonction interlocutoire que la Cour a accordée dans Gould, précité, s'appliquait non seulement à Gould lui-même, mais également à tous les autres détenus, étant donné que rien ne permettait d'établir des distinctions entre eux. Si la décision de la Section de première instance avait été maintenue, elle aurait déterminé non seulement les droits de Gould, mais également ceux de tous les détenus, car n'importe lequel de ceux-ci aurait pu demander et obtenir la même injonction que Gould. Voici les remarques que le juge Mahoney a faites à ce sujet :

Considérer que cette action ne touche que les droits de l'intimé équivaut à ne pas tenir compte de la réalité. Si l'alinéa 14(4)e) est jugé nul en tout ou en partie, il sera nul en ce qui concerne tout prisonnier incarcéré au Canada. C'est pourquoi, en toute déférence, j'estime que le juge de première instance a commis une erreur en traitant la demande dont elle avait été saisie comme s'il s'agissait d'une demande ordinaire d'injonction interlocutoire dont il fallait connaître en considérant que les inconvénients devraient être répartis entre l'intimé et les appelants seulement.

[41]      Pour ce qui est de la façon dont il convient de traiter de telles demandes, il est utile de se rappeler les remarques que la Cour suprême du Canada a faites à ce sujet dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, au paragraphe 45, tout juste avant de renvoyer à l'arrêt Gould, précité :

De plus, dans bien des affaires relevant de la Charte, il peut arriver, à l'instar de la présente instance, qu'une partie juge nécessaire ou prudent de présenter des éléments de preuve tendant à établir que la disposition attaquée, bien qu'elle constitue à première vue une atteinte à un droit ou à une liberté garantis, est légitimée par l'article premier de la Charte. Toutefois, les éléments de preuve produits en vertu de l'article premier de la Charte portent essentiellement sur le fond du litige.

[42]      Compte tenu de la règle selon laquelle le juge qui tranche une requête en injonction interlocutoire ne doit pas statuer sur le fond de l'affaire, cette dernière ne doit être réglée qu'après la tenue de l'instruction. Voici les remarques que le juge Mahoney a faites à cet égard et que nous reproduisons par souci de commodité :

Cela constitue un jugement déclaratoire provisoire sur un droit qui, en toute déférence, ne peut être rendu à bon droit avant l'instruction. Le défendeur dans une action a droit tout autant que le demandeur à une instruction équitable et complète, et il en est de même lorsque le litige est de nature constitutionnelle. [Non souligné dans l'original.]

[43]      Dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, au paragraphe 76, la Cour suprême du Canada a conclu, sur la base de ce qui précède, que de telles décisions ne doivent donc pas être rendues dans le cadre d'un jugement interlocutoire :

[...] le juge Mahoney a conclu que l'injonction interlocutoire devait être refusée en outre parce que l'injonction constituait une décision sur le fond, ce qui était hors de propos au stade interlocutoire.

[44]      La conclusion à laquelle cela mène est que les injonctions qui, en définitive, déterminent des droits et qui, par conséquent, équivalent à un jugement déclaratoire portant sur des droits, ne devraient pas être rendues sur une base interlocutoire.

[45]      La demanderesse fait valoir que l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale prévoit la compétence pour accorder des réparations de nature provisoire et interlocutoire :

18.2 On an application for judicial review, the Trial Division may make such interim orders as it considers appropriate pending the final disposition of the application.

18.2 La Section de première instance peut, lorsqu'elle est saisie d'une demande de contrôle judiciaire, prendre les mesures provisoires qu'elle estime indiquées avant de rendre sa décision définitive.


[46]      Le principe que la Cour a toujours le pouvoir d'intervenir pour empêcher une mesure gouvernementale illégale est liée à l'octroi de la compétence. Dans le cas où, comme on le soutient, le ministre aurait eu une conduite illégale, la Cour doit être en mesure d'accorder une réparation. Bien qu'il s'agisse d'un principe qui soit fondé, cela n'a pas nécessairement le même poids dans le cas des instances interlocutoires que dans celui des injonctions rendues après la tenue d'une instruction en bonne et due forme.

[47]      Comment l'arrêt Gould s'applique-t-il à ces faits? Il y a un certain élément d'opportunité en l'espèce, comme c'était le cas dans l'affaire Gould, dans la mesure où l'injonction que l'on cherche à obtenir vise une période se terminant le 15 octobre 2000. La nature de la demande sous-jacente est telle qu'il serait probablement très difficile de l'entendre et de la trancher avant cette date, surtout étant donné que le défendeur a déjà avisé la demanderesse qu'il avait l'intention de présenter une demande visant à obtenir que la demande soit convertie en action. Il se peut qu'une telle demande ne soit pas accueillie, mais elle laisse entrevoir la façon dont le défendeur considère la présente affaire. Il est fort probable que l'octroi de l'injonction interlocutoire aura effectivement pour effet de trancher la question que soulève l'avis de demande.

[48]      En outre, l'octroi de l'injonction aurait une incidence sur les droits de personnes autres que la demanderesse. La demanderesse fait partie d'un groupe de 34 collectivités qui soutiennent avoir droit aux avantages que confèrent les traités de paix et d'amitié. Chacune de ces 34 collectivités peut invoquer le fondement sur lequel la demanderesse a basé sa demande étant donné que chacune d'entre elles pourrait soutenir, comme le fait la demanderesse, que comme elle a droit aux avantages que confèrent ces traités et comme la législation n'a pas été modifiée depuis que l'arrêt Marshall no 1 a été rendu, la législation (dont les règlements) ne s'applique pas, de la même façon, à son égard. Le fait que le présent litige porte sur une saison définie dans une zone de pêche du homard particulière et sur certains engagements auxquels on a volontairement souscrit ne veut pas dire que ces questions constituent une exigence en vue d'obtenir la réparation en cause.

[49]      J'estime donc que le principe de Gould s'applique à la présente demande en ce sens qu'il est très probable qu'elle tranche définitivement l'affaire, qu'elle aura une incidence sur des droits de personnes autres que les parties à l'instance, et qu'en conséquence, elle ne doit pas faire l'objet d'un jugement interlocutoire.

[50]      Examinons de nouveau la question du forum approprié pour trancher de telles questions afin de considérer les remarques qui ont été faites dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, selon lesquelles dans les cas où une injonction interlocutoire tranchera une action, il convient d'étudier celle-ci sur le fond:

Il existe deux exceptions à la règle générale selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond. La première est le cas où le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l'action. Ce sera le cas, d'une part, si le droit que le requérant cherche à protéger est un droit qui ne peut être exercé qu'immédiatement ou pas du tout, ou, d'autre part, si le résultat de la demande aura pour effet d'imposer à une partie un tel préjudice qu'il n'existe plus d'avantage possible à tirer d'un procès.

     RJR-MacDonald, au paragraphe 55

[51]      Cela va à l'encontre des remarques précitées selon lesquelles les décisions définitives en matière de droits ne doivent pas être rendues sur une base interlocutoire, mais seulement après qu'un dossier complet faisant état de la preuve a été préparé, remarques qui ont été approuvées dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité. On peut concilier ces positions opposées en limitant la portée de la déclaration que la Cour suprême du Canada a faite dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité, aux deux cas qu'elle a cités, c'est-à-dire lorsque les droits doivent être exercés immédiatement ou pas du tout, ou lorsque le préjudice que causera le refus d'accorder l'injonction rendra futile toute décision favorable rendue après l'instruction. Vu l'absence d'une quelconque indication que l'arrêt RJR-MacDonald visait à infirmer les arrêts Metropolitan Stores et Gould, ces arrêts doivent être considérés comme complémentaires.

[52]      Il n'y a pas de circonstances exceptionnelles en l'espèce. Bien que la question particulière que soulève la présente demande puisse se limiter au 15 octobre 2000, la question sous-jacente en ce qui concerne la validité de la législation est une question qui demeure pertinente et qui peut être tranchée sur la base d'une dossier complet, dans le cadre d'autres instances. Par ailleurs, le préjudice que subit la demanderesse n'est pas si important au point de rendre illusoire toute décision favorable rendue après l'audition. Les droits en cause dans la présente affaire ont une grande portée pour l'avenir. En conséquence, je n'estime pas que la présente affaire soit visée par l'exception limitée qui a été décrite dans l'arrêt RJR-MacDonald, précité.

[53]      Pour ces motifs, je conclus que cette objection préliminaire est fondée et que la requête en injonction interlocutoire doit être rejetée sur ce fondement.

[54]      Je suis conscient de l'importance que la présente affaire revêt pour les parties et je souligne la mise en garde que la Cour suprême du Canada a faite dans l'arrêt Metropolitan Stores, précité, selon laquelle une cour d'appel ne doit pas exercer son propre pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle entend l'appel qui a été formé contre une ordonnance discrétionnaire comme c'est dont il est question en l'espèce. Dans l'arrêt Metropolitan Stores, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation le passage suivant de la décision que la Chambre des lords a rendue dans Hadmor Productions Ltd. v. Hamilton, [1982] 1 All E.R. 1042 :

[TRADUCTION] Vos Seigneuries, j'estime avec grande déférence que la production devant la Cour d'appel d'éléments de preuve supplémentaires, chacun desquels se rapportait à des événements qui avaient eu lieu antérieurement à l'audition devant le juge Dillon, ne suffit pas en soi pour autoriser la Cour d'appel à faire abstraction de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge et à exercer son propre pouvoir discrétionnaire. La façon dont un tribunal d'appel doit procéder consiste à examiner les éléments de preuve nouveaux afin de déterminer dans quelle mesure, le cas échéant, les faits qui s'en dégagent réfutent les raisons données par le juge pour sa décision. Seulement dans ce cas est-il loisible au tribunal d'appel de considérer les éléments de preuve nouveaux comme constituant en eux-mêmes un motif d'exercer son propre pouvoir discrétionnaire et d'accorder ou de refuser le redressement interlocutoire.

À mon avis, cela signifie que dans le cas où l'on formerait un appel contre la présente décision et où il serait conclu que j'ai mal apprécié le point préliminaire, il est probable qu'une décision ne serait pas rendue sur le fond de l'affaire. Pour venir en aide aux parties et à la Cour d'appel, j'examinerai maintenant l'application du critère en trois volets.

[55]      La première question est de savoir si l'affaire soulève une question grave qui doit être tranchée. Il serait inutile de s'attarder longuement à cette question. La véritable question litigieuse est de savoir si l'affaire doit être tranchée sur le fond parce qu'elle est visée par la deuxième exception à la règle générale selon laquelle le juge des requête ne doit pas examiner une demande interlocutoire sur le fond :

La deuxième exception à l'interdiction, formulée dans l'arrêt American Cyanamid, de procéder à un examen approfondi du fond d'une affaire, vise le cas où la question de constitutionnalité se présente uniquement sous la forme d'une pure question de droit.

     RJR-MacDonald, précité, au paragraphe 55

[56]      L'avocat de la demanderesse a cité le passage suivant de l'arrêt Marshall no 1 pour étayer sa position selon laquelle la question de savoir si la Loi sur les pêches et son règlement d'application sont inopérants à l'égard de la demanderesse constitue strictement une question de droit :

Dans l'arrêt Badger, précité, au par. 79, le juge Cory a conclu que le critère applicable pour déterminer s'il y a atteinte à un droit visé au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 était le même et pour les droits ancestraux et pour les droits issus de traités, de sorte que, même si les propos du juge en chef Lamer dans l'arrêt Adams portaient sur une atteinte à des droits ancestraux, ils s'appliquent également en l'espèce. À l'époque, les fonctionnaires de la Couronne ne disposaient pas des « directives suffisantes » nécessaires pour être en mesure d'assurer le respect des droits issus de traité de l'appelant. Pour paraphraser les propos tenus dans l'arrêt Adams, au par. 51, dans le cadre du régime de réglementation applicable, l'appelant ne pouvait exercer son droit issu de traité de pêcher et de commercer à des fins de subsistance qu'à l'entière discrétion du ministre. Les règlements ne tiennent pas compte des droits issus de traités des Mi'kmaq parce que, peut-on présumer, la position de la Couronne a été et continue d'être que de tels droits n'existent pas. Par conséquent, les prohibitions censément établies par les règlements, c'est-à-dire l'interdiction de pêcher sans permis (Règlement de pêche des provinces maritimes, al. 4(1)a)) et l'interdiction de vendre des anguilles sans permis (Règlement de pêche (dispositions générales), par. 35(2)), portent à première vue atteinte aux droits conférés à l'appelant par les traités de 1760 et 1761 et sont inopérantes à son égard sauf si elles sont justifiées suivant le critère établi dans l'arrêt Badger.

     Marshall no 1, au paragraphe 64

[57]      À l'audition de la requête, le défendeur a fait valoir que l'arrêt Marshall no 2 établissait que les avantages que procurent les traités de paix et d'amitié étaient de nature locale, et il s'est fondé sur le passage suivant pour étayer sa proposition :

Si de nouvelles poursuites étaient intentées en vertu des dispositions réglementaires, le ministère public aurait (tout comme dans le présent cas) le fardeau de prouver les éléments factuels de l'infraction. Cela fait, il incomberait alors à l'accusé de démontrer qu'il est membre d'une communauté autochtone au Canada, communauté qui est partie à un des traités décrits dans l'opinion majoritaire du 17 septembre 1999, et qu'il exerçait le droit collectif de cette communauté de chasser ou de pêcher sur ses territoires de chasse et de pêche traditionnels. Il est souligné, au par. 5 de l'opinion majoritaire, que les Britanniques n'ont pas conclu de traité global avec la population mi'kmaq:
     . . . les Britanniques ont signé avec diverses communautés mi'kmaq une série d'ententes qu'ils entendaient consolider en un traité global avec les Mi'kmaq, mais qui, dans les faits, n'a jamais vu le jour. Le juge qui a présidé le procès, le juge Embree de la Cour provinciale de la Nouvelle-Écosse, a conclu que, à la fin de 1761, des traités similaires avaient été conclus avec tous les villages mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse. [Nous soulignons.]
Le gouverneur britannique à Halifax a agi ainsi parce qu'il considérait que le chef d'une communauté donnée n'avait pas l'autorité requise soit pour faire des promesses de paix et d'amitié au nom de chefs d'autres communautés, soit pour obtenir pour ceux-ci des avantages par voie de traité. Les traités et les avantages réciproques en découlant avaient un caractère local. En l'absence d'une nouvelle entente avec l'État, l'exercice des droits issus de traités se limite au territoire traditionnellement utilisé par la communauté locale qui a conclu un traité « similaire » . En outre, les droits issus de traités n'appartiennent pas personnellement à l'individu, mais ils sont exercés sous l'autorité de la communauté à laquelle ce dernier appartient, et ils ne peuvent être exercés qu'à seule fin de tirer des ressources mentionnées les biens à échanger pour les « choses nécessaires » .

     Marshall no 2, au paragraphe 17

[58]      Si c'est bien cela le droit applicable, la demanderesse doit donc, avant que ne se pose la question de savoir si des droits issus de traités ont été violés, établir que ses membres s'adonnent à la pêche traditionnelle dans le territoire traditionnel d'une bande qui a signé les traités de paix et d'amitié et démontrer le lien qu'il existe entre ceux-ci et le territoire. Il s'agit-là de questions de fait qui empêchent de trancher la présente requête strictement sur la base d'une question de droit.

[59]      À l'audition de la requête, cet argument a suscité une discussion de la question de savoir si les remarques sur la territorialité ont été faites per incuriam, c'est-à-dire sans que l'affaire n'ait été complètement appréciée, car il semble que la question n'a jamais été abordée par les avocats. À mon avis, il y a une réponse plus évidente à cette question, une réponse qui découle des mots qui paraissent à la fin du passage sur lequel la demanderesse s'est fondée, c.-à-d. « les prohibitions censément établies ... sont inopérantes à son égard sauf si elles sont justifiées suivant le critère établi dans l'arrêt Badger » [Non souligné dans l'original.]. Comme il a été souligné dans le même jugement, la justification est une question de fait. Rien n'empêche le défendeur ou l'un ou l'autre des intervenants de soulever la question de la justification à l'audition de la présente affaire sur le fond :

En dernier ressort, il est toujours loisible au ministre (comme il en avait la possibilité en l'espèce) de tenter de justifier la limitation du droit issu de traité en se fondant sur la nécessité de conserver la ressource en question ou sur d'autres objectifs d'intérêt public réels et impérieux, comme nous le verrons plus loin.

     Marshall no 2, au paragraphe 19

[60]      Non seulement la justification est-elle une question de fait, mais elle constitue également une question dont la réponse peut varier, tout dépendant des espèces de poissons ou d'autres animaux sauvages à l'égard desquels la justification est nécessaire :

Comme tend à l'indiquer la preuve d'expert déposée dans le cadre de la présente requête par l'Union of New Brunswick Indians, il est possible que, dans le cas de la pêche à l'anguille, l'établissement d'une période de fermeture soulève des questions très différentes -- en matière de conservation et à d'autres égards -- que dans le cas d'autres espèces marines tels le saumon, la morue, le crabe ou le homard, ou encore dans le cas de l'orignal ou d'autres espèces sauvages. Comme les difficultés que pose la gestion des ressources fauniques et halieutiques ainsi que les techniques utilisées à cette fin varient d'une espèce à l'autre, les restrictions devront être justifiées au cas par cas [page 550]. La preuve étayant la fermeture de la pêche au saumon n'est pas nécessairement applicable pour justifier la fermeture de la pêche à l'anguille.

     Marshall no 2, au paragraphe 21

[61]      J'estime donc que la présente affaire soulève une question grave qui doit être tranchée, mais que cette question n'est pas strictement une question de droit.

[62]      L'étape suivante de ce critère appelle habituellement la considération de la question de savoir si un préjudice irréparable serait causé en cas de refus du redressement. Cependant, aucune règle ne prévoit que les éléments du critère en trois volets doivent être examinés dans un ordre particulier. J'examinerai donc la question du préjudice irréparable après avoir tranché celle de la prépondérance des inconvénients.

[63]      Dans les affaires constitutionnelles, la question de la prépondérance des inconvénients fait nécessairement intervenir une considération de l'intérêt public. Cependant, l'intérêt public ne se limite pas à l'intérêt du gouvernement. L'intérêt public peut en effet être défini par d'autres acteurs :

À notre avis, il convient d'autoriser les deux parties à une procédure interlocutoire relevant de la Charte à invoquer des considérations d'intérêt public. Chaque partie a droit de faire connaître au tribunal le préjudice qu'elle pourrait subir avant la décision sur le fond. En outre, le requérant ou l'intimé peut faire pencher la balance des inconvénients en sa faveur en démontrant au tribunal que l'intérêt public commande l'octroi ou le refus du redressement demandé. « L'intérêt public » comprend à la fois les intérêts de l'ensemble de la société et les intérêts particuliers de groupes identifiables.
     RJR-MacDonald, au paragraphe 66
[64]      Cependant, cela ne signifie pas qu'un demandeur particulier peut invoquer l'intérêt public en se contentant de faire valoir que le gouvernement ne représente pas l'intérêt public:
Dans l'examen de la prépondérance des inconvénients et de l'intérêt public, il n'est pas utile à un requérant de soutenir qu'une autorité gouvernementale donnée ne représente pas l'intérêt public. Il faut plutôt que le requérant convainque le tribunal des avantages, pour l'intérêt public, qui découleront de l'octroi du redressement demandé.
     RJR-MacDonald, au paragraphe 68
[65]      Dans le cas d'une demande visant à empêcher une autorité publique d'agir, l'obligation d'établir l'atteinte à l'intérêt public est plus facile à remplir :
On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés. Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public.
     RJR-MacDonald, au paragraphe 71
[66]      La jurisprudence permet d'établir une distinction entre les cas de dispense, dans lesquels on demande à la Cour de statuer qu'une personne ou un groupe est dispensé de l'application de la loi, et les cas de suspension, dans lesquels l'application de la loi est suspendue complètement. Dans certains cas, l'obligation d'établir la prépondérance des inconvénients est plus facile à remplir lorsque le demandeur cherche à obtenir une dispense de l'application de la loi, vu son incidence. Mais cela n'est pas toujours le cas :
Si les cas d'exemption sont assimilés aux cas de suspension, cela tient à la valeur jurisprudentielle et à l'effet exemplaire des cas d'exemption. Suivant la nature des affaires, du moment qu'on accorde à un plaideur une exemption sous la forme d'une suspension d'instance, il est souvent difficile de refuser le même redressement à d'autres justiciables qui se trouvent essentiellement dans la même situation et on court alors le risque de provoquer une avalanche de suspensions d'instance et d'exemptions dont l'ensemble équivaut à un cas de suspension de la loi.
     Metropolitan Stores, précité, au paragraphe 81
[67]      En l'espèce, la demanderesse cherche à obtenir une injonction qui empêcherait le ministre de [TRADUCTION] « saisir les casiers à homards, les bateaux de pêche et l'équipement servant à la pêche du homard de la Bande indienne de Shubenacadie et de ses membres, et tout homard pris par eux dans la baie Sainte-Marie, dans la Zone de pêche du homard 34 (la ZPH 34), dans le comté de Digby de la Province de Nouvelle-Écosse, jusqu'au 15 octobre 2000 inclusivement, de cesser d'entraver ou de perturber de toute autre manière la pêche du homard et la vente de homards par la Bande et ses membres, et de cesser de harceler la Bande et ses membres au cours de leur pêche du homard en ce lieu et durant cette période » . La conduite qui fait l'objet de la plainte est la façon dont les fonctionnaires du ministre ont appliqué les dispositions de la Loi sur les pêches et de son règlement d'application à l'égard des membres de la demanderesse qui pratiquent la pêche sans permis ou encore ne respectent pas les limites que prévoient leurs permis. La demande d'injonction cherche à obtenir qu'un ministre et ses fonctionnaires cessent d'appliquer une loi sur la base qu'elle ne s'applique pas à la demanderesse ni à ses membres.
[68]      La requête vise donc à obtenir une dispense de l'application de la loi.
[69]      La demanderesse soutient que l'octroi de l'injonction profitera au public de la façon suivante :
     a)      La paix sur les eaux : [TRADUCTION] « Une injonction permettra une pêche dans des conditions contrôlées qui protégerait les ressources et préserverait la plupart des pouvoirs du ministre. L'atteinte mineure aux pouvoirs du ministre serait largement compensée par la paix publique qui résulterait de l'injonction, alors que les droits constitutionnels en cause seraient respectés » .
     b)      La clause de règlement de conflit des traités : les traités de paix et d'amitié contiennent une clause qui prévoit qu'en cas de [TRADUCTION] « litige ou malentendu » , la réparation consiste à [TRADUCTION ] « chercher à obtenir la réparation que prévoient les lois établies dans les dominions susmentionnés de Sa Majesté » . La demanderesse fait valoir que compte tenu de cette promesse de la part des Indiens, la Cour doit les aider à résoudre le conflit qui les oppose au ministre en interdisant à ce dernier de faire usage de la force pour faire valoir unilatéralement ses points de vue.
     c)      L'opposition du public à l'égard des mesures prises par le ministère pour appliquer la loi : la demanderesse mentionne certains rapports dans lesquels des individus s'opposent à la façon dont le ministre agit. L'octroi d'une injonction forcerait le ministre à respecter des normes de conduite qui rassureront le public que [TRADUCTION] « le problème des Indiens peut être réglé avec retenue et sensibilité » .
     d)      Le gouvernement de la Bande : La Bande et le conseil de la Bande indienne de Shubenacadie ont adopté un plan qu'ils ont soigneusement examiné en vue d'une gestion responsable des pêches. « On doit le respect au chef et au conseil » .
     e)      Relations de nation à nation : La politique de confrontation que le ministre a adoptée est préjudiciable à long terme pour ce qui est des relations de nation à nation qu'entretiennent le gouvernement du Canada et les peuples autochtones. [TRADUCTION] « Une relation de nation à nation ne peut être maintenue lorsque l'un des partenaires dispose de la force physique et menace de l'utiliser pour résoudre des conflits » .
[70]      Les confrontations malheureuses qui ont lieu dans la baie Sainte-Marie et à Burnt Church nous rappellent de façon dramatique que malgré les traités de paix et d'amitié, nous avons encore du chemin à faire avant de réaliser cet objectif. Cependant, je ne suis pas d'accord que l'octroi d'une injonction procurera les avantages que la demanderesse a décrits.
[71]      Comme il a été souligné dans l'analyse de l'arrêt Gould, dans le cas où la demanderesse aurait droit à l'injonction, toutes les autres bandes qui se réclament des avantages des traités de paix et d'amitié y auraient aussi droit. En conséquence, la présente affaire est autant un cas de suspension que de dispense. L'injonction empêcherait le ministre de faire respecter la loi à l'égard de toute autre bande, et ce pour une période dépassant la validité de l'injonction, car le fondement juridique de l'octroi de l'injonction ne prévoit pas de limite de temps. Il ne peut en résulter une pêche dans des conditions contrôlées qui protégerait les ressources et préserverait la plupart des pouvoirs du ministre, comme le fait valoir la demanderesse. Je ne dis pas cela parce que la demanderesse et ses membres ne sont pas responsables, mais plutôt parce que l'octroi de l'injonction créerait une situation où il n'y aurait pas d'autorité réelle. La demanderesse ne peut contrôler des individus qui ne font pas partie de ses membres. Chaque bande peut faire valoir ses droits sans renvoyer à ni l'une ni l'autre des autres bandes. Soutenir qu'il existe dans la collectivité autochtone des organisations représentatives qui peuvent coordonner ces demandes équivaut à transférer les obligations constitutionnelles du ministre à d'autres intervenants.
[72]      La clause de règlement des traités doit être respectée, mais elle ne garantit pas un résultat particulier. La demanderesse peut faire valoir ses droits sans obtenir d'injonction empêchant la confrontation que suscite l'exercice de droits contestés. Aucune autre réparation ne s'offre à la demanderesse sur le plan juridique.
[73]      L'opinion publique n'appuie pas exclusivement l'une ou l'autre partie de ce conflit. Il y a consensus dans la mesure où l'on considère que chaque partie peut faire un compromis.
[74]      L'état des relations de nation à nation entre le gouvernement fédéral et les Premières nations est une question sur laquelle les dirigeants de l'un et l'autre camp doivent se pencher. Il ne s'agit pas d'une question que notre Cour peut trancher, et notre Cour ne saurait légiférer de façon à ce que le chef et le conseil de la Bande obtiennent le respect qu'ils méritent, même s'il s'agirait d'un résultat des plus souhaitables.
[75]      À mon avis, il irait à l'encontre de l'intérêt public de créer un vide d'autorité en ce qui concerne les ressources halieutiques avant que des négociations et des consultations aient lieu. Accorder cette injonction à cette bande reviendrait à accorder une telle injonction à toutes les autres bandes qui ont le droit de se réclamer des avantages que procurent les traités de paix et d'amitié. Il se pourrait bien que cela se produise une fois que les questions auront été tranchées sur le fond. Si la loi l'exige, cela se fera. Cependant, une telle détermination ne peut être faite qu'après une étude complète de toutes les questions en cause, y compris la question de la justification.
[76]      Il faut analyser la question dans le contexte de l'obligation que la Loi sur les pêches impose au ministre de protéger les ressources halieutiques pour le compte de toute la population canadienne. La demanderesse soutient que le ministre n'est pas dans la mesure d'établir qu'il agit conformément à un devoir public en appliquant la loi étant donné que l'arrêt Marshall a conclu que la loi est inopérante dans les mesure où elle s'applique à la demanderesse et ses membres. Avec égards, cela soulève au moins deux questions. Les remarques incidentes que contient l'arrêt Marshall no 2 sur la nature territoriale des droits issus de traités ont soulevé une question qui n'a toujours pas été tranchée. Deuxièmement, la demanderesse ne peut soutenir que la loi est invalide au regard du ministre alors que c'est plutôt la validité de la loi dans la mesure où elle s'applique à la pêche du homard qui est en cause. Je traite donc l'affaire sur la base que le ministre agit conformément à un devoir public jusqu'à preuve du contraire, preuve que la demanderesse pourra faire lorsque l'affaire sera entendue sur le fond.
[77]      En conséquence, j'estime que la prépondérance des inconvénients n'est pas favorable à la demanderesse. Comme la demanderesse devait satisfaire aux trois éléments du critère pour avoir gain de cause, il n'est pas nécessaire que je traite de la question du préjudice irréparable.
[78]      Pour résumer, la requête en injonction interlocutoire est rejetée sur la base que les questions qu'elle soulève ne peuvent être réglées dans le cadre d'une requête interlocutoire, étant donné que cela reviendrait à trancher définitivement la demande. Dans le cas où je devrais pousser l'analyse plus loin, j'estime, après avoir appliqué le critère en trois volets, que la demanderesse n'a pas établi que la prépondérance des inconvénients était favorable à l'octroi de l'injonction.






ORDONNANCE
La requête en injonction interlocutoire est rejetée.
                                 « J.D. Denis Pelletier »
                                     juge







Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A.,LL.B.






















COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              T-1525-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Bande indienne de Shubeacadie c.

                     Le procureur général du Canada


LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 7 septembre 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

EN DATE DU :              21 septembre 2000


ONT COMPARU :

M. Bruce Wildsmith, c.r.          POUR LA DEMANDERESSE

M. Doug Brown              POUR LA DÉFENDERESSE LA UNION OF                          NOVA SCOTIA INDIANS

M. Harry Wruck, c.r.              POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR

Mme Esta Resnick              GÉNÉRAL DU CANADA

M. Eric Zscheile              POUR LA DÉFENDERESSE LA                                  CONFEDERACY OF MAINLAND MI'KMAQ

M. Alexander Cameron          POUR L'INTERVENANT LE PROCUREUR                          GÉNÉRAL DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

M. A. William Moreira, c.r.

Mme Michelle Higgins          POUR L'INTERVENANT LFA DISTRICT 34                          LOBSTER COMMITTEE & ATLANTIC                          FISHING INDUSTRY



M. Bruce Clarke              POUR L'INTERVENANT LE NATIVE                              COUNCIL OF NOVA SCOTIA

M. Gabriel Bourgeois              POUR L'INTERVENANT LE PROCUREUR                          GÉNÉRAL DU NOUVEAU-BRUNSWICK


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Bruce Wildsmith              POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Barss Corner (Nouvelle-Écosse)

M. Doug Brown              POUR LA DÉFENDERESSE LA UNION OF Avocat                  NOVA SCOTIA INDIANS

Halifax (Nouvelle-Écosse)

M. Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR

Sous-procureur général du Canada      GÉNÉRAL DU CANADA

Ottawa (Ontario)

M. Eric Zscheile              POUR LA DÉFENDERESSE LA              Avocat                  CONFEDERACY OF MAINLAND MI'KMAQ

Truro (Nouvelle-Écosse)

M. Alexander Cameron          POUR L'INTERVENANT LE PROCUREUR      Conseiller juridique              GÉNÉRAL DE LA NOUVELLE-ÉCOSSE

Procureur général de la Nouvelle-

Écosse

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Daley Black

Avocat                  POUR L'INTERVENANT LFA DISTRICT 34 Halifax (Nouvelle-Écosse)          LOBSTER COMMITTEE & ATLANTIC                          FISHING INDUSTRY


Burchell Hayman Barnes          POUR L'INTERVENANT LE NATIVE Avocats                  COUNCIL OF NOVA SCOTIA Halifax (Nouvelle-Écosse)     

__________________

1 L'avocat de la demanderesse a qualifié le droit reconnu par la Cour suprême dans l'arrêt Marshall no 1 de droit de pêche de subsistance, par opposition à une pêche commerciale, la distinction étant que la pêche de subsistance n'a pas pour but l'accumulation de richesses. Voir l'arrêt Marshall no 1, au paragraphe 59. Par souci de commodité, je qualifierai la pêche faite en vue d'en vendre le produit de pêche commerciale, afin de la distinguer de la pêche à des fins alimentaires ou de la pêche sportive. Par pêche de subsistance, on entend décrire l'étendue du droit d'accès reconnu et non l'objet visé par l'accès.

2 La Bande indienne de Shubenacadie se désigne elle-même comme la Première nation d'Indian Brook. Shubenacadie est un nom historique. Une bande indienne portant ce nom a signé un traité de paix et d'amitié en 1761. Cependant, la bande qui porte ce nom aujourd'hui ne le porte que parce qu'elle est désignée ainsi par le ministère des Affaires indiennes. Quant à elle, elle se désigne comme étant la Première nation d'Indian Brook, et c'est ainsi qu'on la connaît. Je vais donc appeler la demanderesse comme elle se désigne elle-même.

3 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce A.

4 Affidavit de M. Neil Bellefontaine, paragraphe 37.

5 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce E.

6 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce G.

7 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce H.

8 Affidavit de Neil Bellefontaine, pièce Y.

9 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce K.

10 Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce L.

11      Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce M.

12      Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce N.

13      Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce O

14      Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce P.

15      Affidavit du chef Reginald Maloney, pièce Q

16      La Bande n'a jamais contesté le droit du ministre de surveiller la pêche.

17      Il y a trois défendeurs en l'espèce, mais parmi eux, seul le procureur général du Canada conteste la requête. Pour cette raison, il sera désigné comme « le défendeur » et les autres défendeurs seront désignés de façon plus précise, au besoin.

18      (2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.
         (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

19      [1984] 2 R.C.S. 124.

20      Metropolitan Stores, précité, au paragraphe 48.

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