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Date : 20060410

Dossier : IMM-712-05

Référence : 2006 CF 413

ENTRE :

MENA GUIRGUIS, MARIE GOORGY,

MONICA GUIRGUIS, MALAK GUIRGUIS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Les demandeurs sont un mari et sa femme ainsi que leurs deux enfants. Ils sont citoyens égyptiens et chrétiens coptes. Ils sont arrivés au Canada le 14 janvier 2004 et, peu de temps après, ils y ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention ou une protection équivalente à celle qui est fournie par le statut de réfugié au sens de la Convention. Dans une décision en date du 10 janvier 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leurs demandes. Les présents motifs sont rendus à la suite de l'audition d'une partie de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission.

LES FAITS

[2]                Comme il est indiqué plus haut, les demandeurs sont chrétiens coptes et citoyens égyptiens. Ils affirment qu'ils occupaient un appartement à Alexandrie, en Égypte, dans un immeuble où il y avait une mosquée au rez-de-chaussée. Ils allèguent que les intégristes ont pris le contrôle de la mosquée. À la fin de septembre 2003, le demandeur Malak, alors âgé de six ans, aurait provoqué la colère d'un individu qui fréquentait la mosquée. Cet individu a agressé Malak qui s'est entaillé la lèvre, ce qui aurait nécessité deux points de suture.

[3]                En octobre 2003, le pare-brise de la voiture du demandeur adulte, qui y avait pris place, a été fracassé par une roche lancée par un homme barbu portant une galabia. Le demandeur n'a pas été blessé. La demanderesse adulte allègue que, plus tard le même mois, un intégriste lui a lancé de l'acide, la blessant aux jambes. Les demandeurs n'ont apparemment pas signalé les incidents à la police et la demanderesse adulte n'a pas cherché à se faire soigner.

[4]                Les demandeurs allèguent que, plus tard le jour même où la demanderesse adulte a été agressée, une musulmane a rendu visite à celle-ci et a insisté pour qu'elle se convertisse à l'islam sous peine d'être tuée. Le même soir, les demandeurs ont quitté leur domicile à Alexandrie pour s'installer à Mansourah, dans un logement qui appartenait au père de la demanderesse adulte. Les demandeurs ont pris des dispositions en vue d'obtenir des visas pour faciliter leur voyage au Canada. Ils ont également pris des dispositions pour acheter des billets d'avion. La demanderesse adulte allègue avoir reçu, peu de temps après avoir réservé leur vol vers le Canada, un appel téléphonique de menaces au cours duquel son interlocuteur l'a bien avertie que sa famille et elle ne pourraient pas se cacher des intégristes.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[5]                Devant la Commission, l'avocat des demandeurs s'est opposé à l' « ordre inversé des interrogatoires » , parfois désigné sous le nom de question relative aux Directives no 7 du président. La Commission a décidé d'inverser l'ordre des interrogatoires. La Cour a été saisie de cette décision dans le cadre du présent contrôle judiciaire et l'affaire a été, ou sera, tranchée par un juge différent à la suite d'une audience distincte portant sur des questions découlant de l' « ordre inversé des interrogatoires » .

[6]                La Commission a longuement examiné la question de la situation des chrétiens coptes en Égypte. Elle a fait remarquer ce qui suit :

Les documents présentés par l'APR indiquent qu'il y a deux courants d'opinions concernant les coptes en Égypte. Selon certains sénateurs des États Unis, appuyés par des groupes internationaux coptes des États-Unis, du Canada et d'autres pays, les coptes sont persécutés en Égypte. Par contre, l'Organisme de défense des droits de la personne d'Égypte a déclaré que ces accusations étaient exagérées et non fondées. Le Conseil des églises de New York déclare également que les coptes ne sont pas persécutés en Égypte[1].

[7]                Au sujet de la situation des chrétiens coptes en Égypte, la Commission a conclu ce qui suit :

Dans l'ensemble, bien que j'estime que la preuve documentaire appuie l'allégation selon laquelle les coptes d'Égypte font l'objet de discrimination, je ne crois pas qu'elle appuie l'allégation selon laquelle les coptes sont persécutés. La preuve documentaire est, de toute évidence, contradictoire. Toutefois, je suis d'avis que, même si la prépondérance de la preuve établit que les coptes peuvent faire l'objet de discrimination en Égypte, cela n'équivaut pas à de la persécution au sens de l'article 96 de la LIPR ni au type de mauvais traitements prévus au paragraphe 97(1) de la même Loi[2].

[8]                La Commission a ensuite examiné la preuve concernant les incidents qu'auraient vécus les demandeurs. Elle a conclu que les témoignages des demandeurs adultes au sujet des incidents qui les auraient opposés à des intégristes n'étaient pas crédibles. En ce qui concerne l'incident de la roche lancée sur le pare-brise, la Commission a conclu qu'il ne s'agissait que d'un hasard. Elle n'a pas cru le demandeur adulte quand il a affirmé que celui qui avait lancé la roche était un intégriste. La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse adulte au sujet de l'incident au cours duquel on lui aurait lancé de l'acide était « extrêmement vague » et elle l'a écarté étant donné l'absence d'éléments de preuve indépendants tels qu'un rapport médical ou un rapport de police.

[9]                Par conséquent, comme il a été indiqué plus haut, la Commission a rejeté la demande d'asile des demandeurs.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]            Indépendamment des questions concernant l' « ordre inversé des interrogatoires » ou les Directives no 7 du président, l'avocat des demandeurs a soutenu que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle en interprétant mal la preuve concernant l'incident de la roche, l'incident de l'acide et la façon dont les demandeurs avaient obtenu leurs visas de visiteur canadiens ou en omettant de tenir compte de cette preuve, et qu'elle avait en outre commis une erreur dans l'appréciation de la situation des chrétiens coptes en Égypte en ne tenant pas dûment compte de la preuve étayant l'allégation des demandeurs selon laquelle les chrétiens coptes sont persécutés en Égypte.

ANALYSE

[11]            Il n'a pas été contesté devant la Cour que la norme de contrôle qui s'applique à une décision rendue par la Commission au sujet des questions résumées ci-dessus est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], le juge Pelletier, qui était alors juge à la Section de première instance, a dit ce qui suit au paragraphe 5 de ses motifs :

[...] La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR [la Commission en l'espèce] a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait clairement de son mandat et son champ d'expertise. Le point de vue que la SSR a adopté à l'égard de la preuve était raisonnable, tout comme l'aurait été le point de vue opposé. La preuve, comme c'est si souvent le cas, est ambiguë et équivoque. Certains éléments de preuve étayent le point de vue des demandeurs, alors que d'autres le minent. Il incombe à la SSR de tenir compte de tous les éléments de preuve (ce qui ne l'oblige toutefois pas à mentionner expressément chaque élément de preuve qu'elle examine), de les soupeser, et de parvenir à une conclusion. Toute conclusion qu'elle tire qui n'est pas erronée à première vue n'est pas manifestement déraisonnable [...] En l'espèce, la conclusion que la SSR a tirée n'est pas erronée à première vue, même si d'autres personnes seraient peut-être parvenues à une autre conclusion. Aucun motif n'appelle l'intervention de notre Cour.

[Une partie du texte et des références ont été omis.]

Je suis convaincu qu'il serait possible de dire exactement la même chose au sujet des faits de la présente espèce, tant en ce qui concerne le témoignage des demandeurs adultes au sujet des ennuis qu'ils auraient eus avec les intégristes qu'en ce qui concerne l'appréciation par la Commission de la preuve documentaire mise à sa disposition au sujet de la situation des chrétiens coptes en Égypte. De même, je suis convaincu qu'il était loisible à la Commission de rejeter l'explication fournie pour justifier le fait que les demandeurs ont utilisé l'adresse d'un endroit qu'ils avaient quitté lorsqu'ils ont demandé des visas de visiteur canadiens.

[12]            Plus précisément, en ce qui concerne la documentation portant sur la situation dans le pays, je conclus que l'extrait suivant de la décision que ma collègue la juge Snider a rendue dans l'affaire Gavoci c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4] est directement pertinent :

Dans l'affaire dont je suis saisie, l'erreur alléguée se rapporte à l'omission dans la décision de références explicites à certains passages extraits d'éléments de preuve documentaires. Étant donné les circonstances, les assurances de la Commission, selon lesquelles elle avait examiné l'ensemble des éléments de preuve, de même que ses références explicites à la nature de la preuve contraire, étaient suffisantes. La situation est visée par l'énoncé suivant du juge Evans dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, au paragraphe 16 :

Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[une citation antérieure de la décision Cepeda-Gutierrez a été omise]

CONCLUSION

[13]            Compte tenu des remarques qui précèdent et, en particulier, des passages tirés de la jurisprudence citée, je suis convaincu que, suivant la norme de de la décision manifestement déraisonnable, il était loisible à la Commission de rendre la décision qu'elle a rendue au sujet des questions qui sont ici en cause et ce, même si un tribunal de la Commission différemment constitué, examinant toute la preuve documentaire mise à sa disposition et ayant entendu les témoignages des demandeurs adultes, aurait pu tirer une conclusion différente.

[14]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée dans la mesure où elle est fondée sur des questions autres que celles qui ont trait à l' « ordre inversé des interrogatoires » ou aux Directives no 7 du président, dont la Cour a été saisie. Aucun des avocats n'a recommandé la certification d'une question. Je suis convaincu qu'il n'y a en l'espèce aucune question grave de portée générale qui permettrait de trancher les questions dont la Cour a été saisie. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 avril 2006

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-712-05

INTITULÉ :                                                    MENA GUIRGUIS et al.

                                                                        c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Hart Kaminker                                                POUR LES DEMANDEURS

John Provart                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kranc & Associates                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)



[1] Dossier du tribunal, page 9.

[2] Dossier du tribunal, page 12.

[3] [2000] A.C.F. no 300 (QL), (C.F. 1re inst.).

[4] 2005 CF 207.

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