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Date : 20010426

Dossier :IMM-4721-99

OTTAWA (ONTARIO), le 26 avril 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dolores M. Hansen

ENTRE :

NAZIM VAGIF OGLI EMIRBEKOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE

Une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié a rejeté, le 19 août 1999, la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur ayant été présentée;

Les documents qui ont été déposés ayant été lus et les observations des parties ayant été entendues;


Pour les motifs de l'ordonnance délivrée en ce jour;

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

1.                    La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par une formation différente.

2.                    Aucune question n'est certifiée.

« Dolores M. Hansen »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad .a.


Date : 20010426

Dossier : IMM-4721-99

Référence neutre : 2001 CFPI 391

ENTRE :

NAZIM VAGIF OGLI EMIRBEKOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

[1]         Le demandeur Nazim Emirbekov sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) a rejeté, le 19 août 1999, la revendication qu'il avait présentée.


[2]         Au mois de septembre 1998, le demandeur, en compagnie de sa grand-mère, est arrivé au Canada depuis l'Azerbaïdjan et a demandé refuge en alléguant qu'il était persécuté. La grand-mère a fondé sa revendication sur le fait qu'elle craignait avec raison d'être persécutée à cause de sa nationalité et le demandeur a fondé sa revendication sur sa nationalité et sur ses opinions politiques. La revendication de la grand-mère a été accueillie pour le motif qu'elle était d'origine ethnique juive; la revendication du demandeur a été rejetée.

[3]         Le demandeur, qui est citoyen de l'Azerbaïdjan, est d'origine ethnique mixte. Il est le fils d'un père Lezguien arménien et d'une mère juive russe. Le demandeur déclare avoir fait face à un certain nombre de problèmes dès l'âge de dix ou onze ans, problèmes qu'il attribue au fait qu'il est d'origine ethnique arménienne. Les Azeris l'accablaient de sarcasmes, l'insultaient et le battaient. Cette situation l'a contraint à changer d'école lorsqu'il était en dixième année et, en fin de compte, à abandonner ses études universitaires.

[4]         Le demandeur affirme que pendant qu'il fréquentait l'université, il a été harcelé à maintes reprises par d'autres étudiants. Il a été battu à deux reprises par des étudiants : au mois de mars 1997, il a été battu, mais l'agent de police qui a mis fin à l'altercation n'a pas pris de mesures contre les agresseurs. Il a plutôt dit au demandeur que les assaillants avaient raison et qu'il devrait partir avant que les choses aillent plus loin. Au mois de mai 1998, des étudiants ont empêché le demandeur d'entrer sur le campus; ils lui ont dit de ne pas revenir, à défaut de quoi ils le [TRADUCTION] « détruiraient » . Le demandeur ayant expliqué qu'il était étudiant et qu'il avait le droit d'assister aux cours, ils l'ont battu. On n'a pas communiqué avec la police. La grand-mère du demandeur a ajouté le nom de celui-ci sur son passeport et a pris des dispositions en vue de quitter le pays.


[5]         Le demandeur affirme qu'en plus de craindre d'être persécuté d'une façon quotidienne, il risque maintenant d'être recruté dans ce qui est, selon lui, un milieu militaire violent. Cela étant, il craint d'être traité sévèrement ou d'être tué parce que, en sa qualité d'Arménien non-azeri identifiable, il sera considéré comme un ennemi.

[6]         La SSR a reconnu que la grand-mère du demandeur était une réfugiée au sens de la Convention. Même si elle est non-pratiquante, la grand-mère est juive et, en tant que telle, elle est facilement identifiable puisque son nom de famille se termine par le suffixe « shvili » . La formation a conclu que la grand-mère avait été contrainte à quitter son emploi, qu'elle avait été harcelée et victime d'actes de violence physique et qu'elle ferait face à plus qu'une simple possibilité de préjudice sérieux si elle retournait en Azerbaïdjan puisqu'elle est d'origine ethnique juive.

[7]         Quant au demandeur, la SSR a reconnu qu'il était d'origine ethnique arménienne, et qu'il était non-Azeri, mais elle a conclu que les événements que celui-ci avait décrits constituaient de la discrimination plutôt que de la persécution. La formation a également conclu à l'inexistence d'un fondement objectif en ce qui concerne le fait que le demandeur craignait de retourner en Azerbaïdjan parce qu'il était d'origine ethnique arménienne et parce qu'il craignait d'avoir à effectuer son service militaire. La décision est ainsi libellée : [TRADUCTION] « Même si l'intéressé a affirmé qu'il aurait de la difficulté à trouver un emploi ou un lieu de résidence s'il retournait dans son pays, la situation bien établie de sa famille et le fait que sa soeur ne fait face à aucun problème démentent cette assertion. »


[8]         La SSR a également fait remarquer ce qui suit : [TRADUCTION] « L'intéressé a de son plein gré quitté l'université où il étudiait le droit lorsque sa famille l'a envoyé au Canada. La formation ne dispose d'aucun élément de preuve qui tende à montrer qu'il ne pourrait pas retourner dans son pays pour terminer ses études. »

[9]         Quant au fait que le demandeur craignait d'être recruté, la formation a dit ce qui suit : [TRADUCTION] « La preuve documentaire ne corrobore pas les allégations de l'intéressé, à savoir qu'il serait traité sévèrement dans l'armée et qu'il serait même tué. Elle traite de la modification des règles en ce qui concerne la libération des forces armées des personnes âgées de quarante-cinq ans ou plus [...] La seule mention précise défavorable que la formation a pu trouver dans la preuve documentaire, en ce qui concerne les restrictions imposées aux recrues, se rapportait au fait que la jeune personne qui veut voyager à l'extérieur du pays doit avoir des documents militaires. De l'avis de la formation, cette exigence ne constitue pas de la persécution [...] La formation conclut que la crainte qu'éprouve l'intéressé d'être tué dans une cérémonie d'initiation et ainsi de suite dans le militaire est uniquement de nature conjecturale. » En outre, rien ne montrait que la famille du demandeur eût reçu un avis de conscription concernant le demandeur.

[10]       Dans la demande de contrôle judiciaire, le demandeur a soulevé deux questions. Étant donné que la première question est déterminante, il n'est pas nécessaire d'examiner la seconde.


[11]       Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en arrivant à sa décision du fait qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents et qu'elle s'est fondée sur des éléments de preuve non pertinents en concluant à l'inexistence d'un fondement objectif justifiant la crainte qu'il avait d'être persécuté à cause de son origine ethnique mixte.

[12]       Dans l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1283, aux paragraphes 15 et 17, Madame le juge Tremblay-Lamer a conclu que « [...] la norme de contrôle appropriée lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en cas de renvoi en Inde est celle du caractère manifestement déraisonnable » et qu' « [e]n définitive, la Cour chargée du contrôle devra effectuer un examen approfondi de la décision afin d'évaluer si les motifs de la décision du tribunal sont fondés sur la preuve et de s'assurer qu'ils ne sont pas manifestement illogiques ou irrationnels » .


[13]       En l'espèce, le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve que la grand-mère avait fournie à l'appui de sa revendication. Le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et le témoignage de la grand-mère indiquent qu'un grand nombre des problèmes auxquels cette dernière a fait face n'étaient pas attribuables à son origine ethnique juive, mais au fait qu'elle était reconnue comme membre d'une minorité non-azeri et dans bien des cas comme une arménienne. La formation a conclu que le témoignage de la grand-mère était entièrement crédible; elle a fait remarquer que le témoignage avait été présenté d'une façon sincère, sans exagération et que la grand-mère n'avait pas tenté de l'embellir. Le demandeur maintient qu'en appréciant le risque qu'il courait en tant que personne considérée comme non-azeri et comme arménienne, la SSR aurait dû tenir compte de la preuve présentée par sa grand-mère. Le demandeur soutient qu'étant donné que la SSR a conclu que la preuve fournie par la grand-mère était tout à fait crédible et puisque cette dernière a témoigné avoir été persécutée parce qu'elle était souvent considérée comme une Arménienne, la conclusion de la SSR selon laquelle il n'existait aucun fondement objectif justifiant la crainte de persécution est abusive.

[14]       La grand-mère a déclaré que les problèmes qu'elle avait eus étaient en bonne partie attribuables au fait qu'elle était reconnue comme Arménienne, mais dans ses motifs la SSR met l'accent sur le fait que la grand-mère était facilement identifiable à titre de juive ainsi que sur la preuve documentaire se rapportant au peuple juif et aux actes de violence commis contre les femmes en Azerbaïdjan. La revendication de la grand-mère a été reconnue parce qu'elle était d'origine ethnique juive. Comme le défendeur le signale avec raison, le demandeur a attribué dans son FRP et dans son témoignage, les difficultés qu'il avait éprouvées au fait qu'il était d'origine ethnique arménienne plutôt qu'à son origine mixte ou juive. Dans ces conditions, le fait que la formation n'a pas tenu compte de la preuve de la grand-mère en examinant la revendication du demandeur ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[15]       Le demandeur conteste également les conclusions que la formation a tirées au sujet de la situation sociale et financière de sa famille ainsi qu'au sujet du fait que sa soeur ne fait face à aucun problème, qu'il pourrait poursuivre ses études s'il retournait en Azerbaïdjan et que la crainte qu'il a d'avoir à effectuer son service militaire est fondée sur des conjectures.


[16]       Selon la transcription, aux pages 186 à 189 du dossier, le demandeur n'a pas fait savoir que sa famille est maintenant bien établie. Le président de l'audience a demandé au demandeur si sa famille vivait dans l'aisance; le demandeur a répondu par l'affirmative, mais que son père avait perdu son emploi à cause de son origine ethnique et que, depuis quatre ou cinq ans, il était sans emploi. Sa mère n'avait jamais travaillé. À la page 186 du dossier, la transcription montre que le demandeur a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Eh bien, notre famille a certaines économies, de sorte que - et il y avait également du matériel dans la maison, de sorte que ce matériel est vendu ainsi que d'autres effets, ils vendent tous les effets. »

[17]       Au lieu de décrire une famille aisée ne faisant face à aucune difficulté dans sa vie quotidienne, comme les motifs le laissent entendre lorsque l'on explique que le demandeur n'a aucune crainte objective, le témoignage du demandeur dépeint une famille qui a déjà vécu dans l'aisance, mais qui vend maintenant ses possessions, qui vit à l'aide des économies qui lui restent et qui déménage fréquemment de façon à éviter d'être en danger. Le demandeur a de fait témoigné que sa soeur n'avait pas eu de problèmes sérieux, mais il a également témoigné que c'était parce qu'elle était encore trop jeune, que ses parents déménageaient fréquemment et qu'elle avait changé d'école trois fois de façon que l'on ne découvre pas son origine ethnique.


[18]       Quant à la conclusion de la SSR selon laquelle la crainte qu'éprouve le demandeur d'être traité sévèrement ou d'être tué dans le militaire est conjecturale, le demandeur soutient que la SSR a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve et en tenant compte d'éléments de preuve non pertinents. Le demandeur signale le rapport de 1999 d'Amnistie internationale (dossier de la demande, page 61) dans lequel il est expressément fait mention des allégations de torture et de mauvais traitements infligés aux nouvelles recrues par les officiers supérieurs ou avec le consentement tacite de ceux-ci au cours de cérémonies d'initiation. Ce rapport ainsi que le fait bien documenté qu'en Azerbaïdjan, l'on s'en prend aux Arméniens et qu'il existe un conflit entre l'armée de l'Azerbaïdjan et l'Arménie étayent l'argument du demandeur. De plus, la preuve documentaire sur laquelle la formation s'est fondée, selon laquelle les personnes âgées de plus de 45 ans sont libérées de l'armée, n'est pas pertinente. Le fait que le demandeur lui-même sera assujetti au service militaire obligatoire s'il retourne en Azerbaïdjan et qu'il fera face à des sentiments anti-arméniens est à l'origine de la crainte qu'il a en ce qui concerne son service militaire. Dans ce contexte, la conclusion de la SSR selon laquelle la crainte du demandeur est conjecturale est déraisonnable.

[19]       Le défendeur a soutenu que même si la SSR a tiré une conclusion de fait abusive, cette conclusion n'est pas essentielle à la conclusion finale selon laquelle le demandeur n'a pas réussi à établir l'existence d'un fondement objectif à l'appui de sa crainte de persécution. Toutefois, en l'espèce, la conclusion que la SSR a tirée relativement au fondement objectif de cette crainte repose entièrement sur les conclusions qu'elle a tirées au sujet de la situation sociale et financière de la famille du demandeur, sur le fait que le demandeur pourrait poursuivre ses études s'il retournait en Azerbaïdjan et sur la nature conjecturale de la crainte que le demandeur éprouve en ce qui concerne le service militaire.

[20]       À mon avis, en tirant ses conclusions de fait, la SSR a interprété d'une façon erronée la preuve présentée par le demandeur, elle a tenu compte d'éléments de preuve non pertinents et elle a omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents.


[21]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour réexamen par une formation différente.

« Dolores M. Hansen »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad .a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                                              IMM-4721-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                              Nazim Vagif Ogli Emirbekov

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 le 16 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                         MADAME LE JUGE HANSEN

DATE DES MOTIFS :                                                         le 26 avril 2001

ONT COMPARU

John Grice                                                                               POUR LE DEMANDEUR

Andrea Horton                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

John Grice                                                                               POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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