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                                                                                                                                  Date: 20010206

                                                                                                                     Dossier: IMM-1348-99

                                                                                                                  Référence: 2001 CFPI 26

Ottawa (Ontario), le 6 février 2001

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

HONG SA YEH

                                                                                                                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agent des visas a refusé, le 9 mai 1999, la demande que la demanderesse avait présentée en vue d'obtenir des visas d'immigrant à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes.

Les faits


[2]         La demanderesse a plusieurs années d'expérience à titre de professeur de langue à Taïwan. Elle a obtenu une licence d'enseignante en 1960 lorsqu'elle enseignait à l'école primaire. Elle a subséquemment été admise à titre de chargée de cours, et par la suite, à titre de professeur agrégé dans une université, à Taipei.

[3]         La demanderesse a demandé des visas d'immigrant pour elle-même ainsi que pour son mari et ses enfants. Elle a déclaré présenter sa demande à titre de membre de la catégorie des travailleurs autonomes et avoir l'intention d'ouvrir un centre d'enseignement tutoriel au Canada en vue d'enseigner le chinois, langue seconde.

[4]         La demanderesse a assisté à une entrevue le 9 mars 1999. L'agent des visas l'a interrogée au sujet de son expérience dans le domaine de l'enseignement ainsi qu'au sujet de ses projets, une fois arrivée au Canada. Plus précisément, l'agent des visas a interrogé la demanderesse au sujet de son manque d'expérience dans les affaires à Taïwan et au sujet de la façon dont elle entendait gérer un centre d'enseignement tutoriel au Canada compte tenu du fait qu'elle n'avait pas d'expérience dans les affaires et qu'elle ne connaissait pas les lois ou pratiques commerciales locales. La demanderesse a répondu qu'elle avait de l'expérience dans l'enseignement, que son mari pourrait l'aider à exploiter l'entreprise et que toute question d'ordre juridique pourrait être réglée par un avocat ou par un comptable.

[5]         Lorsqu'on lui a demandé de quelle façon elle recruterait des clients, la demanderesse a répondu que la publicité se ferait verbalement ainsi qu'au moyen des médias locaux tels que les journaux. De plus, des amis qui étaient au Canada inscriraient leurs enfants au centre.


[6]         Enfin, l'agent des visas a demandé à la demanderesse si elle avait des connaissances juridiques au sujet de l'établissement d'un centre d'enseignement au Canada. La demanderesse ayant répondu qu'elle n'en avait pas, l'agent des visas l'a informée du rejet de la demande. L'agent des visas a fait savoir que cette décision était fondée sur le fait que la demanderesse n'avait pas d'expérience dans les affaires et qu'elle ne connaissait pas le droit canadien des affaires. En outre, la demanderesse ne savait pas trop si elle pouvait se créer une clientèle.

[7]         L'agent des visas a attribué 30 points d'appréciation à la demanderesse conformément au paragraphe 8(4) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172 (le Règlement).

[8]         L'agent des visas a conclu que la demanderesse ne pouvait pas être un travailleur autonome en vertu de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi).

Arguments de la demanderesse

[9]         La demanderesse soutient que les notes consignées dans le CAIPS et les notes manuscrites ne font pas vraiment partie du dossier dont dispose la Cour et que l'on ne devrait pas se fonder sur ces notes puisqu'elles ne sont pas étayées par un affidavit de l'agent des visas.


[10]       La demanderesse affirme que l'agent des visas a commis une erreur de droit en ce qui concerne la méthode qu'il a utilisée pour examiner ses compétences à titre de travailleur autonome. Elle soutient que l'immigrant qui exprime son intention de travailler pour son propre compte a le droit, comme tout autre immigrant, d'être apprécié à l'égard de la profession envisagée. S'il est jugé que l'immigrant sera probablement en mesure d'exploiter son entreprise avec succès, celui-ci a droit à 30 points supplémentaires. La disposition dans laquelle l'expression « travailleur autonome » est définie ne constitue pas un fondement approprié pour décider de refuser un visa – il suffit que l'immigrant ait l'intention de travailler à son compte pour être apprécié dans la catégorie des travailleurs autonomes.

[11]       En invoquant cet argument, la demanderesse soutient que le règlement concernant les travailleurs autonomes est invalide puisqu'il n'est pas sanctionné par la Loi sur l'immigration.

[12]       Subsidiairement, la demanderesse affirme que l'agent des visas a commis une erreur en concluant que parce qu'elle n'avait pas d'expérience dans les affaires et qu'elle ne connaissait pas le droit local, elle ne pouvait pas être admise à titre d' « entrepreneur » .

Arguments du défendeur

[13]       Le défendeur soutient qu'il n'est pas nécessaire de déposer un affidavit établi par l'agent des visas, que les notes consignées dans le CAIPS ont légitimement été soumises à la Cour et que cette dernière peut en tenir compte.


[14]       Le défendeur affirme en outre que l'argument que la demanderesse a invoqué au sujet de la procédure à suivre dans l'appréciation d'un travailleur autonome n'est pas fondé et qu'il a déjà été rejeté par le juge en chef adjoint dans la décision Pourghasemi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 161 F.T.R. 62 (C.F. 1re inst.).

[15]       Enfin, le défendeur déclare que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur en appréciant la demanderesse et n'a pas ajouté de conditions à la définition du travailleur autonome. Il soutient que le manque d'expérience auprès des enfants qui fréquentent l'école primaire ou l'école secondaire de premier cycle et le manque d'expérience dans le secteur privé constituent des facteurs raisonnables dont l'agent des visas pouvait tenir compte en décidant que la demanderesse ne pouvait pas obtenir de visa.

Le droit applicable

[16]       Diverses dispositions du Règlement sur l'immigration sont pertinentes aux fins qui nous occupent. La définition du « travailleur autonome » est ainsi libellée :


"self-employed person" means an immigrant who intends and has the ability to establish or purchase a business in Canada that will create an employment opportunity for himself and will make a significant contribution to the economy or the cultural or artistic life of Canada;

« travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.


[17]       Le Règlement prévoit que le travailleur autonome doit être apprécié selon les facteurs habituels énoncés à l'annexe I relativement aux visas d'immigrant :



8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

. . .

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint:

. . .

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;


[18]       En vertu du paragraphe 8(4) du Règlement, 30 points supplémentaires doivent être attribués au travailleur autonome si l'agent des visas estime que celui-ci sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès :


8(4) Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.

8(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.


[19]       Quant à l'argument selon lequel la définition du « travailleur autonome » n'est pas valide et ne peut pas être promulguée par règlement, le paragraphe 114(1) de la Loi prévoit ce qui suit :



114. (1) The Governor in Council may make regulations

(a) prescribing classes of immigrants and providing for the establishment, and the application to such classes, of selection standards based on such factors as family relationships, education, language, skill, occupational or business experience and other personal attributes and attainments, together with demographic considerations and labour market conditions in Canada, for the purpose of determining whether or not and the degree to which an immigrant will be able to become successfully established in Canada;

114. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement_:

a) préciser des catégories d'immigrants et prévoir à leur égard l'établissement et l'application de normes de sélection, fondées sur des critères tels que la parenté, l'instruction, la langue, la compétence, l'expérience professionnelle ou l'expérience de l'exploitation d'une entreprise ou toutes autres qualités et connaissances personnelles et tenant compte des facteurs démographiques et de la situation du marché du travail au Canada, dans le but de déterminer si l'immigrant pourra ou non réussir son installation au Canada et si oui, dans quelle mesure;


Analyse et décision

[20]       Le défendeur a soulevé une autre question en appel en ce sens qu'il a affirmé que l'agent des visas avait commis une erreur en attribuant à la demanderesse 30 points supplémentaires conformément au paragraphe 8(4) du Règlement et en concluant que la demanderesse n'était pas visée par la définition du « travailleur autonome » figurant au paragraphe 2(1) du Règlement.


[21]       À la fin de l'audience, j'ai accordé du temps aux avocats pour leur permettre de soumettre des observations écrites sur ce nouveau point. Toutefois, lorsqu'il a présenté ses observations, le défendeur a concédé que la présente affaire était identique à l'affaire Yeung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1336, A-43-99 (22 août 2000) (C.A.F.) et il a offert de consentir à la demande de contrôle judiciaire, en ajoutant toutefois qu'il devrait avoir droit à des dépens d'un montant de 2 000 $ que la demanderesse devrait payer immédiatement.

[22]       Par une lettre adressée à la Cour, la demanderesse s'est opposée au paiement de ce qu'elle a appelé les « dépens entre l'avocat et son client » .

[23]       Étant donné que le défendeur a concédé que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie par suite du nouvel argument invoqué par la demanderesse, j'accueille la demande en me fondant uniquement sur ce nouvel argument. Il n'est pas nécessaire de trancher les autres questions que la demanderesse a soulevées.

[24]       La demanderesse m'a demandé de certifier une question grave de portée générale conformément à l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Eu égard aux circonstances de l'espèce, je ne suis pas prêt à certifier la question.

[25]       Quant à la question des dépens, je ne suis pas prêt à les adjuger au défendeur puisque ce dernier était partie à l'affaire Yeung, supra, qui a entraîné le règlement de la présente affaire.

ORDONNANCE

[26]       IL EST ORDONNÉ, pour les motifs susmentionnés, que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie.


[27]       Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

              « John A. O'Keefe »              

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario),

le 6 février 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                             IMM-1348-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                Hong Sa Yeh c. le Ministre de la Citoyenneté

et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 7 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE du juge O'Keefe en date du 6 février 2001

ONT COMPARU :

Cecil Rotenberg                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Jeremiah Eastman                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil Rotenberg                                                             POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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