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Date : 20191128


Dossier : IMM-1373-19

Référence : 2019 CF 1520

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2019

En présence de l’honorable juge Shore

ENTRE :

MAI, VAN ANH

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue le 13 février 2019 par le service des visas du Consulat général du Canada au Vietnam. Dans cette décision, l’agent refuse l’émission d’un permis d’études à la demanderesse.

II.  Faits

[2]  Le récit est très simple (basé sur les origines d’une enfant qui n’a pas pu être élevée par sa mère biologique pour cause de pauvreté). Une demande pour un visa d’étudiant a été soumise outre-mer aux autorités canadiennes. La demande a été refusée.

[3]  Le refus est basé sur un manque de compréhension entourant la situation d’une enfant âgée de neuf ans au moment de la décision. Les circonstances entourant l’enfant ont mené aux spéculations sur la situation de celle-ci, qui est adoptée et qui vit présentement avec son père adoptif. Son père adoptif n’a pas vécu avec l’enfant pendant quelques années suite à l’adoption. Pendant le temps où l’enfant n’a pas vécu avec son père adoptif, elle a vécu avec la mère de ce dernier, donc une grand-mère de fait dans les circonstances vécues par l’enfant.

[4]  La raison pour la demande de visa est basée sur le fait qu’une tante de l’enfant (sœur du père adoptif), qui habite au Canada avec son mari, aimerait héberger l’enfant pendant ses études. Cette tante et cet oncle se sont par ailleurs engagés à subvenir aux besoins financiers de l’enfant.

[5]  Le refus de visa a été basé sur le jeune âge de l’enfant et la croyance que l’enfant ne retournerait pas dans son pays natal.

[6]  D’abord, il est ici utile de rappeler qu’il est tout à fait légitime et légal pour un étranger d’avoir une double intention lorsqu’il souhaite devenir résident temporaire (paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27; Bteich c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1230).

[7]  Ensuite, les spéculations quant aux intentions de la demanderesse tournent autour de la situation de la jeune enfant adoptée et des personnes entourant l’enfant, tout ceci à cause des degrés de liens que ces personnes détiennent envers cette enfant.

[8]  Donc, comment combler les trous ou les vides pour envisager l’histoire et l’histoire derrière l’histoire à l’intérieur du récit, si en effet une telle histoire derrière l’histoire existe.

[9]  Réponse facile et simple, l’équité procédurale est l’art de l’écoute active (Reyes Tolosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 791 au para 2). Cela est d’autant plus vrai à l’égard d’un enfant qui a atteint l’âge de raison depuis l’âge de sept ans, compte tenu que cette enfant a neuf ans (Voir Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149, et Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451 [Li]).

[10]  Le vrai bon sens et la raisonnabilité dictent que l’enfant devrait être interviewée pour qu’elle se prononce à l’égard de sa situation et des circonstances qui ont mené à la demande de visa d’étudiant. Les propos ou réflexions d’un enfant devraient être pris en considération dans un cas où l’enfant est le seul demandeur.

[11]  Le Dr Janusz Korczak est le père spirituel de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies. Soixante ans après la première déclaration des droits de l’enfant de l’Assemblée générale des Nations unies et trente ans après l’adoption de la Convention, il est de bon augure de se rappeler les mots du Dr Korczak :

Les enfants ne sont pas les personnes de demain; ils sont des personnes dès aujourd’hui. Ils ont le droit d’être pris au sérieux; ils ont le droit d’être traités avec tendresse et respect. Il faut leur donner les moyens de s’accomplir – quel qu’il soit, l’inconnu que chacun d’entre eux porte en lui est notre espoir pour l’avenir.

[12]  Comme cette Cour l’écrivait dans la décision Li, ci-dessus, l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, constitue une décision judiciaire historique, car elle touche véritablement toutes les décisions présentes et futures à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ainsi, il est essentiel de regarder les faits de la présente à l’aune de cet arrêt de principe.

[13]  La raisonnabilité, la logique et l’équité procédurale dictent en faveur de s’assurer qu’un représentant des autorités canadiennes demande à l’enfant de s’exprimer pour que l’histoire soit comblée autant que possible. Il s’agit de la seule façon de s’assurer que l’intérêt supérieur de l’enfant soit réellement pris en compte en l’espèce. Sans avoir la possibilité d’avoir le témoignage de l’enfant, un trou béant ou un vide évident mènent à une spéculation sans résolution, et donc une absurdité qui nécessite au moins qu’on essaie de trouver la vérité de la situation autant que possible; et, donc, le cas est renvoyé pour que l’enfant se prononce sur sa situation; autant que cette situation pourrait se faire comprendre avec plus de clarté pour qu’une décision raisonnable diminue les chances de spéculations. C’est la seule manière dans ce cas de s’assurer que la clarté règne autant que possible.

[14]  La décision en l’espèce n’est pas raisonnable. Pour toutes ces raisons, le dossier est renvoyé à un autre agent pour que le cas soit considéré de nouveau en donnant la chance à l’enfant de s’exprimer entièrement sur sa situation face au visa d’étudiant.

III.  Conclusion

[15]  Pour les motifs mentionnés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accordée. Le dossier est renvoyé à un agent différent pour considération à nouveau.


JUGEMENT au dossier IMM-1373-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée, la décision soit annulée et le dossier soit renvoyé à un autre agent pour un nouvel examen. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier. En vertu de la Loi sur le ministère de la citoyenneté et de l'immigration, LC 1994, c 31, le nom légal du défendeur à l’instance est ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. L’intitulé de cause est amendé en conséquence.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1373-19

 

INTITULÉ :

MAI, VAN ANH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Duc Anh Thu Tran

 

Pour la partie demanderesse

 

Edith Savard

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Duc Anh Thu Tran

Montréal (Québec)

 

Pour la partie demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la partie défenderesse

 

 

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