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                                                                                                                                           Date : 20010611

                                                                                                                                       Dossier : T-320-01

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 636

Ottawa (Ontario), ce 11e jour de juin 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                             ELI LILLY AND COMPANY et ELI LILLY CANADA INC.

                                                                                                                                              défenderesses

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La défenderesse Eli Lilly and Company (Lilly U.S.) a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance radiant Lilly U.S. de la présente instance pour le motif qu'elle n'est pas une partie appropriée en ce sens que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable contre elle conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.


[2]                 La requête que la défenderesse Eli Lilly Canada Inc. (Lilly Canada) a présentée vise à l'obtention d'une ordonnance radiant la déclaration en entier pour le motif qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable. Subsidiairement, Lilly Canada sollicite, conformément à l'alinéa 221(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998), une ordonnance radiant les paragraphes de la déclaration mentionnés ci-dessous pour le motif qu'ils ne révèlent aucune cause d'action valable, à savoir :

a)         1.a)(v) - (vii);

b)         1.b) - d);

3)                    paragraphe 38e), d);

d)         paragraphes 40 - 46.

[3]                 Les deux requêtes susmentionnées sont présentées conformément à la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998), dans leur forme modifiée.

[4]                 La demanderesse dans l'action demande le recouvrement de toutes les pertes subies à l'égard de la drogue connue sous le nom de nizatidine pour le motif que les défenderesses ont engagé une instance en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (ci-après le Règlement). Dans cette instance-là, les défenderesses avaient sollicité une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité à Apotex à l'égard de la nizatidine tant que certains brevets dont les défenderesses sont titulaires ne seront pas expirés. Le 9 février 1995, une ordonnance d'interdiction a été rendue par la présente Cour. En fin de compte, et trois ans après que la demande eut été présentée, Apotex a eu gain de cause devant la Cour suprême du Canada et la demande d'ordonnance d'interdiction a été rejetée.


[5]                 La demanderesse Apotex allègue que le long retard occasionné par l'introduction des procédures d'interdiction a empêché la demanderesses de lancer son produit nizatidine pendant plus de deux ans et demi et qu'elle a subi un grave préjudice en conséquence.

[6]                 L'action de la demanderesse est entièrement fondée sur l'article 8 du Règlement, les soi-disant dispositions relatives aux conclusions, qui sont entrées en vigueur le 12 mars 1998. La défenderesse Lilly Canada soutient que la demande de la demanderesse est complètement dénuée de fondement en ce sens qu'elle vise à faire appliquer l'article rétroactivement alors que le Règlement ne prévoit pas clairement une application rétroactive et que la demande est fondée sur un règlement qui n'est entré en vigueur qu'après que la demanderesse eut reçu son AC.

[7]                 Dans l'arrêt Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Can., la Cour suprême du Canada a énoncé la norme qu'il convient d'appliquer aux requêtes visant à faire radier un acte de procédure :

Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas « au-delà de tout doute » ...[1]


[8]                 Il faut en outre noter qu'il incombe clairement à la requérante d'établir l'existence de motifs appropriés justifiant la radiation de la déclaration. Dans leurs observations, les défenderesses soutiennent que la demande de la demanderesse est dénuée de fondement parce qu'il n'y avait pas de demande en instance le 12 mars 1998 [date à laquelle l'article 8 du Règlement a été modifié]. La demanderesse ne peut pas se prévaloir de l'article 8 du Règlement de sorte qu'il n'y a pas de cause d'action valable et que la déclaration doit être radiée.

[9]                 La défenderesse Lilly Canada fonde essentiellement ses observations sur une analyse de la disposition transitoire, le paragraphe 9(6) du Règlement, et sur son application à la modification apportée à l'article 8 du Règlement. Lilly Canada essaie de faire une distinction entre le mot « demande » figurant dans cette disposition et le mot « appel » dans les Règles de la Cour fédérale (1998).

[10]            La demanderesse soutient que la défenderesse Lilly Canada n'a pas raison, que ce soit en droit ou en fait, et elle avance sa propre thèse en réponse à celle de Lilly Canada. Il suffit de dire que les questions à régler sont suffisamment complexes, qu'elles ne sont pas claires et évidentes et qu'elles ne devraient pas être réglées par le juge des requêtes dans le cadre d'une instance préliminaire.

[11]            Je retiens la position prise par la demanderesse, à savoir que la Cour doit faire preuve d'énormément de prudence en exerçant son pouvoir en vue de radier un acte de procédure et qu'elle doit le faire uniquement dans le cas où le demandeur n'a aucune chance de succès. Par conséquent, la Cour ne devrait radier un acte de procédure que dans des circonstances tout à fait claires, lorsqu'il n'existe aucun fondement défendable permettant d'inclure les questions visées par l'objection.


[12]            J'ai examiné la déclaration et j'ai appliqué le critère établi par la Cour suprême du Canada; je ne suis pas convaincu qu'il est « clair et évident » que l'acte de procédure contesté ne révèle aucune cause d'action valable.

[13]            En l'espèce, la requérante a décidé de demander à la présente Cour d'aborder une question plutôt complexe d'interprétation de la loi qui, soutient-elle, mènera à une conclusion justifiant la [TRADUCTION] « mesure draconienne » qu'est la radiation de la déclaration de la demanderesse. J'estime que l'interprétation de l'article 8 et la détermination de son objet est une question complexe d'interprétation de la loi et qu'il est préférable que cette question soit débattue à l'instruction, où il est possible de présenter les éléments de preuve appropriés, et que le juge des requêtes ne doit pas régler une telle question dans le cadre d'une procédure préliminaire.

[14]            Il semble être bien établi dans la jurisprudence que les questions de droit litigieuses se rapportant à l'interprétation de la loi ne doivent pas être réglées dans le cadre d'une requête visant à la radiation d'un acte de procédure. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex, Monsieur le juge Lemieux a examiné la question :

Dans le contexte des questions d'interprétation légale, Madame le juge Reed, dans la décision R. c. Amway, [1986] 2 C.F. 312, à la page 326, a dit que lorsqu'il faut trancher une question, cette question, puisqu'elle n'est pas évidente et manifeste, doit être débattue à l'audience plutôt que d'être tranchée par le juge des requêtes au cours d'une procédure préliminaire.


Dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, Madame le juge Wilson, au nom de la Cour, a examiné les principes applicables régissant la détermination d'une requête en radiation fondée sur le fait que la demande n'était pas raisonnable. Elle a examiné l'origine de la disposition qui est maintenant incorporée dans les règles de pratique ainsi que son application dans la jurisprudence anglaise et canadienne.

À mon avis, le juge Wilson a approuvé le principe selon lequel les arguments complexes concernant le droit et les faits devraient être examinés à l'audience une fois que tous les éléments de preuve ont été présentés parce que, en pareil cas, il est impossible de conclure qu'il n'existe en fait ou en droit aucune cause d'action.[2]

[15]            Pour les motifs susmentionnés, la requête que la défenderesse Lilly Canada a présentée en vue d'obtenir une ordonnance radiant la déclaration au complet, et subsidiairement certains paragraphes tel qu'il est plaidé, est rejetée.

[16]            La défenderesse Lilly U.S. a présenté une requête en vue d'obtenir une ordonnance la radiant de la présente instance pour le motif qu'elle n'est pas une partie appropriée en ce sens que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998).


[17]            L'avocat de la défenderesse soutient que l'article 8 du Règlement, tel qu'il est modifié, ne peut pas s'appliquer à la défenderesse Lilly U.S. étant donné qu'en parlant d'une « première personne » , l'article 8 vise uniquement à s'appliquer à « la personne qui dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité et a soumis une liste de brevets » . La demanderesse soutient que cette interprétation de l'article 8 du Règlement est inexacte parce qu'elle ne tient pas compte du but de l'article 8. Elle affirme en outre que Lilly U.S. exerçait un contrôle complet sur Lilly Canada, sa filiale en propriété exclusive, pendant toute la durée de la procédure d'interdiction ainsi qu'à l'égard de la commercialisation et de la vente de la nizatidine. La demanderesse soutient qu'à cause de cette entreprise commune, Lilly Canada et Lilly U.S. peuvent être considérées comme ne formant qu'une seule société aux fins de l'exercice de droits contre la société mère et la filiale.

[18]            Encore une fois, je tiens à faire remarquer que les points en litige sont d'une nature complexe et qu'il est préférable de les régler à l'instruction. La défenderesse Lilly U.S. n'a pas réussi à me convaincre « hors de tout doute » que la demande qui a été présentée à son encontre sera rejetée.

[19]            À ces motifs, je conclus que la défenderesse Lilly U.S. ne satisfait pas au critère rigoureux énoncé dans la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998). La requête que la défenderesse Lilly U.S. a présentée en vue d'être radiée à titre de partie est rejetée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête de la défenderesse Eli Lilly and Company (Lilly U.S.) est rejetée.

2.          La requête de la défenderesse Eli Lilly and Company (Lilly Canada) est rejetée.


3.         Les dépens sont adjugés à la demanderesse.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »            

                                                                                                                                                                 Juge                         

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               DIVISION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                     T-320-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                      APOTEX INC. c. ELI LILLY AND COMPANY ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                            OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :                                          19 AVRIL 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE :       11 JUIN 2001

ONT COMPARU:

H.B. RADOMSKI                                                            POUR LA DEMANDERESSE

ANDREW BRODKIN

ANTHONY CREBER                                        POUR LES DÉFENDERESSES

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

GOODMANS LLP                                                          POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP                 POUR LES DÉFENDERESSES

OTTAWA



[1]              Canada (P.G.) c. Inuit Tapirisat of Can., [1980] 2 R.C.S. 735, page 740.

[2]              [1999] A.C.F. no 959, par. 33 à 35.

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