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Date : 20000907


Dossier : IMM-15-00



ENTRE :

     Abdillahi Abdi Ahmed

     Partie demanderesse


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ :


[1]      Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration ("la section du statut") rendue le 14 décembre 1999 rejetant la demande de réfugié du demandeur.

[2]      Le demandeur, un citoyen de Djibouti a revendiqué le statut de réfugié au motif qu'il craint d'être arrêté, torturé, voire tué, s'il devait retourner dans son pays, à cause de sa race ou de sa nationalité, ou en tant que membre de la tribu des Gadabourcis, ou à cause de ses opinions politiques. Il est militant du Parti du renouveau démocratique et du Syndicat des enseignants du premier degré.

[3]      Le demandeur allègue que le 12 novembre 1995, lors d'une grève, il a été arrêté et détenu en prison pendant 48 heures avec 200 autres enseignants. Le 3 octobre 1996, à l'amorce d'une manifestation, il a été arrêté avec quelque 300 autres enseignants et a été détenu en prison durant quatre jours. En janvier 1997, à l'occasion d'une marche menée contre la suppression des logements de fonction pour les enseignants, il a été arrêté, mené au Commissariat central, accusé de troubler l'ordre public, aspergé d'urine et libéré au bout de 30 heures de détention à la suite de pressions de son syndicat.

[4]      Finalement, en septembre 1997, au cours d'une perquisition à son domicile, les autorités ont saisi son passeport. Le 14 août 1998, il a quitté son pays pour venir chercher asile au Canada, en passant par l'Éthiopie, l'Italie et les États-Unis.

[5]      Dans une décision bien étoffée, le Tribunal a analysé les trois questions fondamentales au dossier à savoir, premièrement, si les Gadabourcis sont l'objet de persécution à Djibouti, deuxièmement, si les militants politiques et syndicaux le sont, et troisièmement, si le revendicateur a fait preuve d'une crainte subjective d'être persécuté. Le Tribunal a répondu négativement aux trois questions.


[6]      À la lecture même de la transcription de l'audition devant la section du statut, il appert que le demandeur est une personne articulée, politisée et engagée. Le Tribunal n'a pas mis en doute sa crédibilité et les commissaires ont pris pour avérés les événements décrits par le demandeur. Le Tribunal a pris pour acquis que le demandeur a été arrêté et detenu à trois reprises (une fois pendant 48 heures, une deuxième fois pendant quatre jours et une troisième fois pendant trente heures). Au cours de ces détentions, le demandeur a été accusé de troubler l'ordre public, tiré par la chemise, fouillé, insulté, frappé, menacé, bâtonné, aspergé d'urine, et tenu dans une pièce nauséabonde sans ventilateur, sans lumière et sans lit.

[7]      Pourtant, le Tribunal a conclu que ces arrestations et ces détentions n'ont pas le caractère grave ou systématique pouvant constituer de la persécution. Il a jugé que "ces mauvais traitements sont certes déplorables et malheureux, mais ils n'ont pas porté atteinte d'une manière grave à l'intégrité physique du revendicateur et ne représentent pas selon nous de la persécution".

[8]      Le Tribunal a également noté que le demandeur a séjourné en Égypte et aux États-Unis avant son arrivée au Canada sans pour autant revendiquer le statut de réfugié. Il en a conclu que le comportement du demandeur ne démontrait pas une crainte subjective.

[9]      Au départ, il faut retenir qu'il n'est pas facile d'établir une ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination. Dans le cas présent, la section du statut a conclu que les traitements infligés au demandeur, à trois reprises, ne constituaient pas de la persécution parce qu'ils n'atteignaient pas le niveau sérieux et systématique pouvant être qualifé de persécution au sens de la Convention. Cette distinction entre la persécution et la discrimination n'est pas purement une question de fait mais une question mixte de droit et de fait. C'est à la section du statut de déterminer après une analyse de la preuve et des événements ce qui constitue vraiment de la persécution1. La Cour ne peut s'immiscer que si la conclusion du Tribunal est capricieuse ou déraisonnable.

[10]      Un jugement plus récent de mon collègue le juge Cullen dans l'affaire Omar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration)2 portait sur une demande de réfugié refusée à des citoyens de Djibouti. Les faits s'apparentent à ceux de la présente instance. La section du statut a trouvé que généralement les demandeurs étaient crédibles. Ce Tribunal s'est posé à peu près les mêmes questions que la section du statut dans la présente affaire. Le savant juge s'est référé à la décision de la Cour d'appel fédérale précitée dans l'affaire Saraghichi et en a conclu que la section du statut n'avait pas commis d'erreur réversible. Il a déterminé que le Tribunal était en droit de conclure que les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte subjective de persécution.



[11]      Il en résulte que même si les traitements infligés au demandeur sont éminemment répréhensibles, ils ne constituent pas nécessairement de la persécution au sens de la Convention. Le terme "persécution" n'est pas défini dans la Loi. La Cour s'est appliquée à plusieurs reprises à tenter de le définir, plus particulièrement dans l'affaire Rajudeen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration3, une décision de la Cour d'appel fédérale du Canada. Le passage suivant du juge Heald mérite d'être repris:

La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d'être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l'immigration ne comprend pas une définition du mot "persécution". Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le "Living Webster Encyclopedic Dictionary" définit [TRADUCTION] "persécuter" ainsi:
     [TRADUCTION] "Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d'opinions particulières ou de la pratique d'une croyance ou d'un culte particulier."
Le "Shorter Oxford English Dictionary" contient, entre autres, les définitions suivantes du mot "persécution":
     [TRADUCTION] "Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu'en soit l'origine.

[12]      Dans l'affaire Valentin c. Canada4, le juge Marceau, au nom de la Cour d'appel fédérale, a insisté sur la nécessité de satisfaire l'élément de répétition en ces termes "car il me semble d'abord qu'une sentence isolée ne peut permettre que fort exceptionnellement de satisfaire à l'élément répétition et acharnement qui se trouve au coeur de la notion de persécution".

[13]      Dans l'affaire Ihaddadene et Nacera Goucem c. Ministre de l'emploi et de l'immigration du Canada5, madame la juge Desjardins, au nom de la Cour d'appel fédérale, a confirmé la distinction entre la discrmination et la persécution en ces termes:

La Section du statut n'a pas mis en doute le témoignage de l'appelante. Elle a cependant rejeté sa demande au motif que les "embêtements" dont a parlé l'appelante dans son témoignage,6 les insultes, les bousculades et même les agressions dont elle a été l'objet ne constituaient pas de la persécution, et ce, même en cumulant ou en totalisant les différents incidents qui avaient été relatés par elle. Le Tribunal fut d'avis que le climat d'intolérance observé suite à la montée de l'intégrisme avait engendré de la discrimination et non de la persécution.

[14]      Dans les circonstances, il n'était pas déraisonnable pour la section du statut de déterminer que les traitements infligés au demandeur, si repréhensibles soient-ils, ne constituaient pas de la persécution au sens de la Convention. Il n'appartient donc pas au juge de substituer son opinion à celle de la section du statut.

[15]      Il faut retenir également que le Tribunal a jugé que le demandeur n'avait pas démontré une crainte subjective en s'abstenant de demander refuge en Italie ou aux États-Unis.

[16]      En conséquence, cette demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie. Les deux parties sont d'accord qu'il n'y a pas ici de question d'importance générale à être certifiée.





OTTAWA, Ontario

le 7 septembre 2000

    

     Juge

__________________

     1      voir l'arrêt Saraghichi c. M.E.I. (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.).

     2      [2000] F.C.J. No. 97.

     3      A-1779-83, July 4, 1984 (C.A.F.).

     4      [1991] 3 C.F. 390.

     5      A-546-91, 15 juillet 1993 (C.A.F.).

     6      D.A., à la p. 14.

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