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Date : 20191129


Dossier : IMM-1165-19

Référence : 2019 CF 1536

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]


Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2019

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

ENXIAN ZHANG et YUN LING

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Le contexte

[1]  Les demandeurs, M. Zhang et Mme Ling, sont devenus résidents permanents le 17 mars 2006.

[2]  En avril 2010, les demandeurs sont retournés en Chine pour prendre soin des parents malades de M. Zhang. Son père était alité à la suite d’un accident cérébrovasculaire, et sa mère souffre de la maladie d’Alzheimer. En novembre 2010, les demandeurs ont commencé à travailler pour le groupe Canada Dawa Business Press/Group Inc. [Dawa] à titre de chercheurs interculturels et de professionnels du marketing. Ils expliquent que Dawa est un groupe de médias et d’affaires chinois qui fait la promotion d’échanges économiques, technologiques et éducatifs entre le Canada et la Chine.

[3]  Le père de M. Zhang est décédé le 30 janvier 2011, et l’état de santé de sa mère continue de se détériorer jusqu’à ce jour. Jusqu’au début de 2011, les demandeurs ont partagé leur rôle d’aidant naturel avec le frère cadet de M. Zhang. Cette situation a changé lorsque son frère a accepté un nouvel emploi de vendeur qui l’a obligé à voyager fréquemment. De plus, il semblerait que la mère de M. Zhang n’acceptait volontairement de l’aide que de Mme Ling et de l’aide‑infirmière.

[4]  Les 18 et 19 octobre 2017, les demandeurs ont reçu un avis indiquant qu’un agent des visas [l’agent] avait jugé qu’ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de résidence. Ils ont interjeté appel de cette décision. À l’appui de leur appel, les demandeurs ont présenté des observations supplémentaires, et Mme Ling a participé par téléconférence à deux audiences devant la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] les 17 octobre 2018 et 17 janvier 2019.

[5]  La SAI a rendu sa décision le 31 janvier 2019, et a rejeté l’appel des demandeurs interjeté contre la décision de l’agent au titre du paragraphe 69(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SAI a confirmé la décision du bureau des visas selon laquelle les demandeurs n'avaient pas respecté leur obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR, les rendant ainsi interdits de territoire aux termes de l’article 41 de la LIPR, et a conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[6]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAI est rejetée.

II.  La décision contestée

[7]  La SAI a décrit en détail la chronologie des faits qui ont mené à la décision initiale de l’agent, au titre de l’article 28 de la LIPR :

  • - Les demandeurs ont occupé divers postes au Canada de 2006 à 2011;

  • - Entre 2010 et 2011, les demandeurs sont retournés en Chine pendant environ un an pour s’occuper des parents de M. Zhang, en particulier de son père, qui était gravement malade;

  • - Après le décès du père de M. Zhang en janvier 2011, les demandeurs sont revenus au Canada pour seulement une semaine en 2011, avant de retourner en Chine, où ils sont principalement restés jusqu’à maintenant;

  • - Les demandeurs ont passé 172 jours au Canada depuis 2011, dont l’essentiel se résume à 158 jours, de mars à août 2016;

  • - Le 12 août 2016, les demandeurs sont retournés en Chine pour prendre soin de la mère de M. Zhang dont la maladie d’Alzheimer s’était aggravée;

  • - Les demandeurs ont laissé leur carte de résidence permanente expirer durant leur absence et, par conséquent, ils ont présenté des demandes de titres de voyage pour résident permanent afin de pouvoir revenir au Canada;

  • - L’agent qui a examiné la demande a déterminé qu’ils n’avaient pas respecté l’obligation de résidence prévue à l’article 28 de la LIPR, puisqu’ils n’avaient été effectivement présents au Canada que 172 jours pendant la période quinquennale précédente, et ils ont donc perdu leur statut de résidents permanents.

[8]  Après examen, la SAI a apprécié la légalité de la décision rendue par l’agent au titre de l’article 28 de la LIPR, ainsi que la question de savoir si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient néanmoins la prise de mesures spéciales au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

A.  L’article 28 de la LIPR : l’obligation de résidence

[9]  La SAI a souligné qu’au titre de l’article 28 de la LIPR, un résident permanent doit être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, sous réserve de certaines exceptions, y compris un résident permanent qui travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne : article 61 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le RIPR]. La SAI a noté un certain nombre de facteurs pertinents pour déterminer si l’article 61 du RIPR s’applique, notamment :

  1. L’entreprise canadienne est-elle une société constituée sous le régime du droit fédéral, dont la majorité des actions est détenue par des citoyens canadiens ou des résidents permanents, et est exploitée de façon continue au Canada?

  2. S’agit-il d’une entreprise exploitée de façon continue au Canada dans un but lucratif et susceptible de produire des recettes?

  3. Les appelants sont-ils des employés à temps plein de l’entreprise canadienne ou des fournisseurs de services à contrat de l’entreprise canadienne?

  4. Les appelants sont-ils des employés ou des fournisseurs de services à contrat de l’entreprise canadienne qui sont aussi affectés à temps plein, au titre de leur emploi ou du contrat de fourniture, soit à un poste à l’extérieur du Canada, soit à un client de l’entreprise canadienne se trouvant à l’extérieur du Canada?

[10]  Essentiellement, la SAI a tiré des conclusions défavorables à l’égard de chacun de ces facteurs. La SAI a conclu que les demandeurs avaient établi que Dawa était une société canadienne, mais qu’ils n’avaient pas démontré les éléments suivants : (i) que Dawa est exploitée de façon continue au Canada; (ii) qu’ils entretiennent une relation contractuelle avec Dawa; (iii) qu’ils étaient affectés à temps plein aux activités de Dawa en Chine; (iv) que l’entente qu’ils avaient avec Dawa était temporaire, puisqu’il n’y a pas de date limite claire; (v) qu’ils avaient un poste qu’ils pouvaient réintégrer chez Dawa s’ils revenaient au Canada. Par conséquent, la SAI a confirmé la décision rendue au titre de l’article 28 de la LIPR.

B.  Les motifs d’ordre humanitaire

[11]  La SAI a ensuite examiné si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient néanmoins la demande : article 67(1)(c) de la LIPR. La SAI a examiné chacun des facteurs pertinents ci‑dessous, en notant que la liste n’était pas exhaustive et que le poids accordé à chacun d’eux variait selon les circonstances de chaque affaire : Bufete Arce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CanLII 54304 (CA CISR); Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CanLII 80733.

[12]  L’ampleur du manquement : la SAI a qualifié le manquement à l’obligation de résidence de considérable, puisque les appelants comptent 172 jours de présence au Canada sur les 730 jours requis.

[13]  Les motifs du départ des demandeurs du Canada : la SAI a reconnu que les membres de la fratrie de M. Zhang ne pouvaient pas aider à prodiguer des soins à ses parents à l’époque, pour diverses raisons, et que, comme M. Zhang est l’aîné, il avait l’obligation culturelle de s’occuper de sa mère. Notant que la LIPR autorise l’absence du Canada pour une période pouvant aller jusqu’à trois années sur cinq dans ces conditions, la SAI a conclu que le motif du départ du demandeur était un facteur favorable à la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire.

[14]  Les motifs du séjour prolongé à l’étranger : reconnaissant que la principale raison pour laquelle les demandeurs avaient choisi de rester à l’étranger était de prendre soin de la mère de M. Zhang, la SAI a néanmoins conclu qu’il s’agissait d’un facteur défavorable. Notant l’explication de Mme Ling selon laquelle elle est restée pour aider l’aide familiale ou aide‑infirmière à prendre soin de la mère de M. Zhang (parce que cette dernière n’acceptait de l’assistance que de son aide‑infirmière et de Mme Ling, et qu’elle battait M. Zhang chaque fois qu’il l’aidait), la SAI a conclu que les demandeurs étaient tenus de trouver un équilibre entre les soins qu’ils fournissaient et leur obligation de résidence. La SAI a conclu que le frère de M. Zhang se trouvait en Chine et qu’il aurait pu apporter son aide malgré son horaire de travail. En outre, la SAI a conclu que les demandeurs n’étaient pas revenus au Canada à la première occasion, soit lorsqu’ils avaient trouvé une aide familiale ou aide‑infirmière à temps plein.

[15]  Les attaches dans le pays étranger : la SAI a conclu que les demandeurs avaient des attaches familiales et professionnelles en Chine, en raison du lieu de résidence de leur famille, de leurs entreprises et de leurs études. Ces attaches ont été retenues comme facteurs défavorables à leur égard.

[16]   Le degré d’établissement des demandeurs au Canada : la SAI a conclu que les demandeurs avaient un degré d’établissement économique et social minime au Canada, soulignant qu’ils possédaient tous deux un permis de conduire canadien expiré, que seule Mme Ling avait un compte bancaire, qu’ils ne possédaient aucun bien au Canada et qu’ils n’avaient pas d’adresse au Canada. La SAI a noté que les deux demandeurs avaient payé des impôts au Canada. Cependant, l’ensemble de ces facteurs pris en compte leur étaient défavorables.

[17]  Les attaches familiales au Canada : la SAI a conclu que, malgré le fait que les demandeurs avaient tous les deux de fortes attaches familiales en Chine, ce facteur jouait aussi modérément en leur faveur, étant donné que la sœur de M. Zhang et la famille de celle-ci vivaient au Canada.

[18]  Le préjudice que subiraient les demandeurs en cas de rejet de l’appel : les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve selon lequel ils subiraient un préjudice s’ils devaient rester en Chine. Au contraire, ils sont éduqués, ayant obtenu des diplômes en droit en Chine pendant leur longue absence du Canada, et ont leur propre entreprise prospère.

[19]  L’intérêt supérieur de l’enfant directement touché : la SAI a conclu qu’il ne s’agissait pas d’un facteur pertinent dans la présente affaire, puisque les demandeurs n’ont pas d’enfants et qu’ils n’ont fourni aucun détail concernant la nièce de M. Zhang, l’enfant de sa sœur, qui vit au Canada.

[20]  Dans l’examen des facteurs susmentionnés, la SAI a fait remarquer que les motifs invoqués par les demandeurs au titre de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR devaient être très importants pour justifier la prise de mesures spéciales, compte tenu du temps considérable qu’ils avaient passé à l’étranger. La SAI a qualifié de facteurs favorables les motifs du départ des demandeurs et leurs attaches familiales au Canada. Toutefois, le motif de leur séjour prolongé à l’étranger, le fait qu’ils ne sont pas revenus au Canada à la première occasion, leurs attaches importantes en Chine, leur degré d’établissement minime au Canada et le fait qu’ils ne subiraient aucun préjudice s’ils restaient en Chine sont tous des facteurs défavorables qui ne justifient pas la prise de mesures spéciales. En effet, les objectifs pertinents de la LIPR exigent du résident permanent qu’il fasse son possible pour s’intégrer au Canada, ce que les demandeurs n’ont pas fait à long terme.

III.  Les questions en litige

  1. La décision de la SAI sur la question de savoir si l’entreprise pour laquelle travaillent les demandeurs est exploitée de façon continue au Canada était‑elle raisonnable?

  2. La décision de la SAI concernant les motifs d’ordre humanitaire proposés était‑elle raisonnable?

IV.  La norme de contrôle

[21]  Les deux parties, et la Cour, conviennent que les décisions de la SAI quant à savoir si les demandeurs ont respecté leur obligation de résidence et si des motifs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Parikh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 13, au par. 10. Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit « déférer à toute interprétation raisonnable du décideur administratif, même lorsque d’autres interprétations raisonnables sont possibles », tant que la décision fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au par. 40; Canada (Procureur général) c Heffel Gallery Limited, 2019 CAF 82, au par. 48; Delios c Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, aux par. 27 et 28; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au par. 47. Si les motifs du décideur, lorsqu’ils sont lus dans leur contexte conjointement avec la preuve, permettent à la Cour de comprendre pourquoi le tribunal a rendu sa décision, celle‑ci respectera les critères de l’arrêt Dunsmuir et sera justifiable, transparente et intelligible : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) [NL Nurses], 2011 CSC 62, aux par. 15 à 18.

V.  Les dispositions applicables

[22]  Veuillez consulter l’annexe A qui contient les dispositions législatives applicables de la LIPR et du RIPR.

VI.  Analyse

A.  La décision de la SAI sur la question de savoir si l’entreprise pour laquelle travaillent les demandeurs est exploitée de façon continue au Canada était‑elle raisonnable?

[23]  La question déterminante est de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant que M. Zhang et Mme Ling ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence prévue au sous‑alinéa 28(2)iii) de la LIPR, laquelle est assortie d’explications supplémentaires à l’article 61 du RIPR.

[24]  Bien que les demandeurs contestent la conclusion de la SAI selon laquelle ils n’étaient pas des employés de Dawa ou des entrepreneurs travaillant pour elle, ils ne contestent pas le fait que leurs ententes avec Dawa en Chine étaient à temps partiel, et non à temps plein. Toutefois, cette dernière condition doit être établie en leur faveur pour pouvoir s’appuyer sur l’exception relative à l’obligation de résidence prévue par la loi : sous‑al. 28(2)iii) de la LIPR et par. 61(3) du RIPR. La SAI a clairement fait savoir cela à Mme Ling et à son conseil au cours des audiences du 17 octobre 2018 et du 17 janvier 2019.

[25]  Comme la conclusion de la SAI selon laquelle les demandeurs ont seulement fourni des services à Dawa à temps partiel demeure non contestée, cela les empêche de satisfaire aux exigences prévues au sous‑alinéa 28(2)iii) de la LIPR. Par conséquent, la conclusion de la SAI selon laquelle les demandeurs n’étaient pas employés par Dawa ou ne lui fournissaient pas des services aux termes d’un contrat, à temps plein, rend transparente, justifiable et intelligible sa conclusion ultime selon laquelle les demandeurs n’ont pas satisfait à leur obligation de résidence : NL Nurses, précité, au par. 16.

B.  La décision de la SAI concernant les motifs d’ordre humanitaire proposés était‑elle raisonnable?

[26]  Le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire n’est pas de soupeser à nouveau la preuve, mais plutôt de veiller à ce que toute la preuve présentée soit raisonnablement prise en compte. Le juge Pentney l’a conclu récemment dans Oladihinde c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Oladihinde], 2019 CF 1246, au par. 16 :

[16]  En d’autres termes, dans le cadre d’un contrôle judiciaire selon la norme déférente de la raisonnabilité, il s’agit notamment de déterminer si le processus et la décision indiquent que le décideur a réellement « analysé » la preuve, en appliquant le critère juridique approprié. La norme ne commande pas la perfection. Il faut se rappeler que le législateur a confié à l’agent la tâche de réaliser une enquête initiale sur les faits. Il faut faire preuve d’une certaine retenue à l’égard d’un décideur, particulièrement dans un contexte où l’enquête est principalement factuelle et qu’elle relève du champ d’expertise du décideur, lorsqu’une plus grande exposition aux subtilités de la preuve ou une meilleure connaissance du contexte des politiques peut procurer un avantage. Si le raisonnement du décideur peut être compris, et s’il démontre que ce type d’analyse a eu lieu, la décision sera généralement jugée raisonnable : voir Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431.

[27]  Les demandeurs allèguent que la SAI a agi de façon déraisonnable en concluant que le frère de M. Zhang aurait pu aider davantage, malgré son horaire de travail et la préférence de la mère de M. Zhang pour Mme Ling et l’aide‑infirmière. Ils allèguent en outre que la SAI n’a pas tenu compte du fait que l’aide‑infirmière démissionnerait si ce n’était de l’aide de Mme Ling, se rapportant à une lettre fournie par l’aide‑soignante qui mentionnait ce qui suit :

[traduction]

Il est très difficile de prendre soin d’une telle patiente. J’ai essayé de démissionner à plusieurs reprises. Cependant, je suis encore ici, car j’ai été émue par leur insistance. Tante Ling ne dort pas bien depuis plusieurs années, et oncle Zhang tente de gérer le mieux possible la double pression de sa famille et de son travail. Ils gardent toujours le sourire et n’abandonnent jamais.

[Pas de caractères gras dans l’original.]

[28]  À mon avis, le fait de ne pas se reporter à l’extrait ci‑dessus et la preuve relative aux préférences de la mère de M. Zhang à l’égard des aides‑soignants ne constituent pas des erreurs déterminantes. Bien que l’aide‑infirmière ait exprimé à quelques reprises son désir de démissionner, elle ne dit pas, comme les demandeurs le soutiennent, qu’elle le ferait à moins d’avoir l’aide de Mme Ling. Elle dit plutôt qu’elle a été [traduction] « émue par leur insistance » et qu’elle est donc prête à rester. Il était loisible à la SAI de conclure que l’aide‑infirmière serait tout aussi émue si le frère de M. Zhang s’engageait à prendre soin de sa mère de la même façon. De plus, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que le frère de M. Zhang pouvait aider à prendre soin de sa mère. La SAI a fait remarquer qu’il occupait un poste avec un horaire de travail chargé qui l’amenait à l’extérieur, mais aucun élément de preuve n’a été présenté selon lequel le frère de M. Zhang serait réticent ou incapable de prodiguer des soins si les demandeurs n’étaient pas présents. Mme Ling a déclaré lors de son témoignage que la mère de M. Zhang vivait actuellement avec le frère. Bien qu’il soit peut‑être préférable pour les demandeurs et leur famille que le frère de M. Zhang ne soit pas le principal aide-soignant, en l’absence d’éléments de preuve que cela était impossible, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure qu’il s’agissait d’une solution de rechange qui aurait permis aux demandeurs de respecter leur obligation de résidence.

[29]  De plus, je note que la SAI a expressément souligné la préférence de la mère de M. Zhang pour certains aides‑soignants :

[44] […] Invitée à dire pourquoi elle et [M. Zhang] n’étaient pas revenus au Canada en 2012, [Mme Ling] a déclaré que la mère de [M. Zhang] ne reconnaissait que l’aide familiale et elle, et qu’elles lui fournissaient donc des soins à tour de rôle.

[30]  Il serait donc faux d’affirmer que la SAI a fait abstraction de ce fait. La SAI a plutôt conclu que les demandeurs avaient l’obligation d’établir un équilibre entre ces défis en matière de soins à domicile et la nécessité pour eux de respecter l’obligation de résidence. Le désaccord sur ce point ne constitue pas une erreur susceptible de révision.

[31]  Je conclus que la SAI a soupesé tous les facteurs pertinents avant d’en arriver à sa conclusion. Il ressort clairement de l’analyse de la SAI que le temps que les demandeurs ont passé hors du Canada, leurs liens économiques et scolaires avec la Chine, leur établissement minimal au Canada et le défaut de revenir au Canada à la première occasion l’ont emporté sur des facteurs favorables comme la justification de leur départ. Bien qu’il y ait d’autres issues possibles au regard du dossier, y compris certaines sans doute plus favorables aux demandeurs, les motifs de la SAI permettent à la Cour de comprendre intelligiblement les facteurs qui ont influencé sa décision finale. Comme l’a fait remarquer le juge Pentney : « Il ne revient pas à un juge siégeant en contrôle judiciaire d’infirmer une décision simplement parce qu’une autre appréciation de la preuve était possible, ou qu’un autre résultat aurait pu être obtenu. L’agent s’est vu confier la tâche d’évaluer la preuve en première instance par le législateur, et l’approche adoptée par notre Cour à l’égard de l’examen de la décision ne doit pas perdre ce fait de vue » : Oladihinde, précitée, au par. 17.

VII.  Conclusion

[32]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SAI a examiné à juste titre si les demandeurs étaient visés par le sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR en raison de leurs activités avec Dawa, avant de conclure qu’ils ne l’étaient pas. Il n’était pas nécessaire d’examiner les observations des demandeurs concernant les activités commerciales de Dawa ou la nature de la relation contractuelle alléguée des demandeurs, étant donné que la preuve montrait que leur rôle n’était pas à temps plein, comme l’exigent le sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR et le paragraphe 61(3) du RIPR. En ce qui concerne l’analyse des motifs d’ordre humanitaire par la SAI, celle-ci a raisonnablement tenu compte de tous les éléments de preuve présentés. Bien que les demandeurs puissent ne pas être d’accord avec les conclusions de la SAI, je conclus qu’elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son traitement de la preuve.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1857-19

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a aucune question sérieuse de portée générale à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 17e jour de décembre 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1165-19

 

INTITULÉ :

ENXIAN ZHANG ET YUN LING c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge FUHRER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

Le 29 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corp.

Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 


Annexe A – Les dispositions applicables

[1]  Les résidents permanents doivent se conformer à une obligation de résidence, applicable à chaque période quinquennale, qui peut être remplie, entre autres, par la présence effective au Canada ou par le fait d’être employé à l’extérieur du Canada à temps plein par une entreprise canadienne : art. 28 de la LIPR.

28 (1) L’obligation de résidence est applicable à chaque période quinquennale.

28 (1) A permanent resident must comply with a residency obligation with respect to every five-year period.

(2) Les dispositions suivantes régissent l’obligation de résidence :

(2) The following provisions govern the residency obligation under subsection (1):

a) le résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(a) a permanent resident complies with the residency obligation with respect to a five-year period if, on each of a total of at least 730 days in that five-year period, they are

(i) il est effectivement présent au Canada,

(i) physically present in Canada,

(ii) il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents,

(ii) outside Canada accompanying a Canadian citizen who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent,

(iii) il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iii) outside Canada employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province,

(iv) il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale,

(iv) outside Canada accompanying a permanent resident who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent and who is employed on a full-time basis by a Canadian business or in the federal public administration or the public service of a province, or

(v) il se conforme au mode d’exécution prévu par règlement;

(v) referred to in regulations providing for other means of compliance;

[2]  Le manquement à l’obligation de résidence peut entraîner l’interdiction de territoire et la perte du statut : art. 41 et al. 46(1)b) de la LIPR.

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41 A person is inadmissible for failing to comply with this Act

[EN BLANC/BLANK]

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

[EN BLANC/BLANK]

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

...

46 (1) Emportent perte du statut de résident permanent les faits suivants :

 

46 (1) A person loses permanent resident status

[…]

b) la confirmation en dernier ressort du constat, hors du Canada, de manquement à l’obligation de résidence;

(b) on a final determination of a decision made outside of Canada that they have failed to comply with the residency obligation under section 28;

[3]  De plus amples détails sur les exigences prévues au sous-alinéa 28(2)a)(iii) de la LIPR sont fournis dans le Règlement : art. 61 du RIPR.

61 (1) Sous réserve du paragraphe (2), pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi et du présent article, constitue une entreprise canadienne :

61 (1) Subject to subsection (2), for the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act and of this section, a Canadian business is

a) toute société constituée sous le régime du droit fédéral ou provincial et exploitée de façon continue au Canada;

(a) a corporation that is incorporated under the laws of Canada or of a province and that has an ongoing operation in Canada;

b) toute entreprise non visée à l’alinéa a) qui est exploitée de façon continue au Canada et qui satisfait aux exigences suivantes :

(b) an enterprise, other than a corporation described in paragraph (a), that has an ongoing operation in Canada and

(i) elle est exploitée dans un but lucratif et elle est susceptible de produire des recettes,

(i) that is capable of generating revenue and is carried on in anticipation of profit, and

(ii) la majorité de ses actions avec droit de vote ou titres de participation sont détenus par des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des entreprises canadiennes au sens du présent paragraphe;

(ii) in which a majority of voting or ownership interests is held by Canadian citizens, permanent residents, or Canadian businesses as defined in this subsection; or

c) toute organisation ou entreprise créée sous le régime du droit fédéral ou provincial.

(c) an organization or enterprise created under the laws of Canada or a province.

(2) Il est entendu que l’entreprise dont le but principal est de permettre à un résident permanent de se conformer à l’obligation de résidence tout en résidant à l’extérieur du Canada ne constitue pas une entreprise canadienne.

(2) For greater certainty, a Canadian business does not include a business that serves primarily to allow a permanent resident to comply with their residency obligation while residing outside Canada.

(3) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi respectivement, les expressions travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale et travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale, à l’égard d’un résident permanent, signifient qu’il est l’employé ou le fournisseur de services à contrat d’une entreprise canadienne ou de l’administration publique, fédérale ou provinciale, et est affecté à temps plein, au titre de son emploi ou du contrat de fourniture :

(3) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act, the expression employed on a full-time basis by a Canadian business or in the public service of Canada or of a province means, in relation to a permanent resident, that the permanent resident is an employee of, or under contract to provide services to, a Canadian business or the public service of Canada or of a province, and is assigned on a full-time basis as a term of the employment or contract to

a) soit à un poste à l’extérieur du Canada;

(a) a position outside Canada;

b) soit à une entreprise affiliée se trouvant à l’extérieur du Canada;

(b) an affiliated enterprise outside Canada; or

c) soit à un client de l’entreprise canadienne ou de l’administration publique se trouvant à l’extérieur du Canada.

(c) a client of the Canadian business or the public service outside Canada.

(4) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(ii) et (iv) de la Loi et du présent article, le résident permanent accompagne hors du Canada un citoyen canadien ou un résident permanent — qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents — chaque jour où il réside habituellement avec lui.

(4) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(ii) and (iv) of the Act and this section, a permanent resident is accompanying outside Canada a Canadian citizen or another permanent resident — who is their spouse or common-law partner or, in the case of a child, their parent — on each day that the permanent resident is ordinarily residing with the Canadian citizen or the other permanent resident.

(5) Pour l’application du sous-alinéa 28(2)a)(iv) de la Loi, le résident permanent se conforme à l’obligation de résidence pourvu que le résident permanent qu’il accompagne se conforme à l’obligation de résidence.

(5) For the purposes of subparagraph 28(2)(a)(iv) of the Act, a permanent resident complies with the residency obligation as long as the permanent resident they are accompanying complies with their residency obligation.

[4]  La SAI peut accueillir un appel s’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales, y compris l’intérêt supérieur de l’enfant : par. 63(4) et al.  67(1)c) de la LIPR.

63 (4) Le résident permanent peut interjeter appel de la décision rendue hors du Canada sur l’obligation de résidence.

63 (4) A permanent resident may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision made outside of Canada on the residency obligation under section 28.

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

[…]

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

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