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     Date : 19980310

     Dossier : IMM-914-98

ENTRE

     VALERIE PAVALAKI,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]          Les présents motifs se rapportent au sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi. Le demandeur a reçu l'ordre, en date du 28 janvier 1998, de se présenter aux fins de renvoi du Canada le 14 mars 1998. Selon cet ordre, il serait renvoyé en Ukraine, et il prendrait le vol 204 d'Air Ukraine, à 18 h 15.

[2]          Le demandeur s'était marié avec une citoyenne canadienne le 18 décembre 1997. Lui et sa femme affirment qu'ils cohabitent depuis décembre 1996. Sa femme soutient que son jugement de divorce prononcé contre un mariage précédent avait été obtenu seulement en décembre 1997, et que c'est la raison pour laquelle ils ne s'étaient pas mariés plus tôt. Une copie de ce jugement n'a pas été versée en preuve.

[3]          Le 9 février 1998, la femme du demandeur a présenté une demande pour parrainer son mari comme résident permanent.

[4]          Le 16 février 1998, l'avocat du demandeur a écrit au service des renvois d'Immigration Canada pour demander que le renvoi du demandeur, prévu pour le 14 mars 1998, soit reporté pour des raisons d'ordre humanitaire, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande de parrainage que la femme du demandeur avait déposée. L'avocat du demandeur a également joint deux lettres, l'une provenant du médecin de famille de la femme, et l'autre, de l'optométriste de celle-ci. Le médecin a estimé que si le demandeur était renvoyé du Canada, sa femme ferait encore une dépression, état où elle avait connu antérieurement par suite des mauvais traitements que son premier mari lui avait infligés. L'optométriste a déclaré que sans verres correcteurs, la femme du demandeur était aveugle au sens de la loi, que sa vue se détériorerait avec le temps et qu'[TRADUCTION] "[i]l serait très utile que quelqu'un s'occupe d'elle dans l'éventualité d'une nouvelle détérioration de la vue".

[5]          Le 19 février 1998, un membre du service des renvois a répondu par téléphone à la lettre en date du 16 février 1998 écrite par l'avocat du demandeur. La boîte vocale de l'avocat du demandeur a enregistré ce message : [TRADUCTION] "nous ne reportons pas les renvois pour des raisons d'ordre humanitaire, et nous ne reporterons pas son renvoi [le renvoi de Valerie Pavalaki]".

[6]          Le 30 décembre 1997, le demandeur avait saisi la Cour d'une demande contestant la décision d'un agent de révision des revendications refusées. Cette décision avait été prise le 12 décembre 1997, et il y avait été conclu que le revendicateur remplissait les conditions requises pour faire partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC), mais qu'il ne courait aucun danger s'il était renvoyé dans son pays de nationalité.

[7]          Le 3 février 1998, le demandeur avait déposé une deuxième demande. Il y était demandé une ordonnance qui annulerait l'ordre, en date du 27 janvier 1998, susmentionné, de se présenter aux fins de renvoi.

[8]          Le 3 mars 1998, l'avocat du demandeur a retiré ces deux demandes existantes. À la même date, une demande d'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la réponse téléphonique du 19 février 1998 a été déposée, comme l'a été une requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi du 14 mars 1998. Il est demandé qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur la demande d'autorisation d'intenter une action en contestation de la décision du 19 février 1998. Cette demande est fondée sur le motif que l'agente chargée du renvoi qui a pris la décision du 19 février 1998 a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il est allégué qu'elle a estimé à tort qu'elle ne pouvait reporter le renvoi alors que, en fait, elle le pouvait.

[9]          Il est fait état de la décision rendue par Madame le juge Simpson dans l'affaire Poyanipur c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (IMM-2879-95, décision en date du 7 novembre 1995, motifs prononcés le 26 juillet 1996). Voici un extrait de cette décision :

         Toutefois, ce qui est clair, c'est que les agents chargés du renvoi disposent d'un certain pouvoir discrétionnaire en vertu de la Loi sur l'immigration au sujet, notamment, de la rapidité avec laquelle ils peuvent procéder au renvoi une fois qu'ils ont commencé à prendre les mesures d'expulsion. L'affidavit de May indique au paragraphe 8 que les renvois doivent être exécutés aussi rapidement qu'il est "raisonnablement" possible de le faire. Cette formulation se retrouve également à l'article 48 de la Loi sur l'immigration . À mon avis, ce libellé couvre un large éventail de circonstances pouvant inclure une situation dans laquelle on pourrait se demander s'il est raisonnable d'attendre une décision imminente concernant une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avant de procéder au renvoi. Par conséquent, l'agent chargé du renvoi semble avoir un certain pouvoir de décision qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

         ...

         L'agente chargée du renvoi n'a déposé aucun affidavit. Toutefois, l'affidavit du requérant indique que l'agente chargée de son cas avait reçu des instructions indiquant qu'elle devait renvoyer les intéressés le plus rapidement possible et qu'elle n'avait pas de pouvoir discrétionnaire. Ces éléments de preuve soulèvent une question sérieuse. Il semble que le pouvoir discrétionnaire de l'agente ait été entravé de façon erronée par la directive qu'elle a reçue.

[10]          Je note que la décision de Madame le juge Simpson reposait non seulement sur la conclusion que les agents chargés du renvoi disposaient d'un certain pouvoir discrétionnaire, mais aussi sur la conclusion que si le demandeur était expulsé en Iran, il pourrait ne pas être autorisé à revenir au Canada à partir de ce pays, même si la demande de parrainage présentée par sa femme était accueillie. De même, la Cour disposait de la preuve qu'une décision sur la demande d'examen des raisons d'ordre humanitaire serait prise dans peu de temps.

[11]          J'aborde maintenant la présente demande de sursis d'exécution sous les rubriques habituelles : 1) existe-t-il une question sérieuse à trancher? 2) l'expulsion entraînera-t-elle un préjudice irréparable? 3) en faveur de qui la prépondérance des inconvénients penchera-t-elle?

[12]          La question soulevée par la demande d'autorisation n'est pas une question sérieuse. Je reconnais que les agents chargés du renvoi peuvent, dans certaines circonstances, reporter l'exécution d'une mesure de renvoi (certainement si un demandeur était malade, ou si le vol prévu était annulé, de tels cas doivent exister). Toutefois, en l'espèce, les circonstances invoquées par l'avocat pour demander l'ajournement ne sont pas celles qui ont pris naissance juste avant la date de renvoi. Le message enregistré dans la boîte vocale qu'il a reçu est de nature très laconique. Que l'interprétation que l'avocat donne aux mots utilisés soit correcte (c'est-à-dire qu'ils démontrent l'existence d'une entrave de l'exercice du pouvoir discrétionnaire) ne semble évident ni pour moi ni pour lui. Les raisons invoquées pour demander un ajournement n'étaient pas du type qu'on s'attendrait à ce qu'il soit visé par le pouvoir d'un agent chargé du renvoi de modifier les dispositions de renvoi après que celles-ci eurent été prises. Ainsi que l'a prétendu l'avocat du défendeur, elles sont du type qui relève plus correctement d'une demande d'examen des raisons d'ordre humanitaire.

[13]          En tout état de cause, la demande échoue parce que l'existence d'un préjudice irréparable ne peut être démontrée. La preuve "médicale" concernant l'état de la femme du demandeur est, au mieux, spéculative; celle de l'optométriste est particulièrement peu convaincante et ne saurait étayer l'affirmation selon laquelle l'expulsion immédiate causerait un préjudice irréparable. On ne va pas renvoyer le demandeur vers un pays où il risque de subir du tort, ou d'où il devrait avoir de la difficulté à revenir si la demande de parrainage présentée en sa faveur par sa femme était accueillie.

[14]          De même, lorsque des demandes telles que la présente sont présentées à la dernière minute, cela ne joue pas en faveur du demandeur. Je dois demander : pourquoi une demande de parrainage du conjoint n'a-t-elle pas été présentée plus tôt, ne fût-ce qu'environ deux mois plus tôt? pourquoi la demande dont est maintenant saisie la Cour n'a-t-elle pas été déposée plus tôt? L'avocat du demandeur dit que son bureau était trop occupé. Les demandes de dernière minute peuvent signifier que la Cour dispose seulement d'une facette de l'histoire. De telles demandes peuvent faire que le défendeur n'a pas suffisamment de temps pour préparer sa cause. Je considère que tel a été le cas en l'espèce. J'estime que la balance des inconvénients penche en faveur du défendeur.

[15]          Pour ces motifs, la demande de sursis d'exécution sera rejetée.

                             B. Reed

                                 Juge

Toronto (Ontario)

Le 10 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                          IMM-914-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Valerie Pavalaki et Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 9 mars 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Reed

EN DATE DU :                      10 mars 1998

ONT COMPARU :

    Harvey Savage                      pour le demandeur
    Leena Jaakkimainen                  pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Harvey Savage
    Avocat
    Pièce 2000
    393, avenue University
    Toronto (Ontario)
    M5G 1E6                          pour le demandeur
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur
                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                  Date : 19980310
                                                  Dossier : IMM-914-98
                                             ENTRE
                                                  VALERIE PAVALAKI,
                                                  demandeur,
                                                  et
                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                                      défendeur.
                                            
                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE
                                                 
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