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Date : 20191203


Dossier : IMM-6229-18

Référence : 2019 CF 1548

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

DAN SUN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Dan Sun (la demanderesse), née en 1984, est citoyenne de la Chine. Pendant qu’elle vivait en Chine, elle a travaillé plusieurs années dans l’industrie des cosmétiques et des stations thermales. Le 17 juillet 2018, elle a demandé un permis de travail pour agir à titre de directrice de la station thermale « Signature MediSpa » pour une période de deux ans.

[2]  Dans sa demande de visa, la demanderesse a demandé que son époux et leur fils de quatre ans figurent à titre de membres de la famille qui l’accompagnent.

[3]  Finalement, dans une décision datée du 7 novembre 2018, un agent des visas au consulat général du Canada à Hong Kong (l’agent) a rejeté la demande de la demanderesse. De l’avis de l’agent, la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle serait en mesure d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail était demandé, comme l’exige l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le RIPR), parce qu’elle n’a pas fourni de preuve satisfaisante de ses compétences linguistiques en anglais.

[4]  Devant la Cour, la demanderesse allègue que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale et que la décision de l’agent de refuser de lui délivrer un permis de travail n’est pas raisonnable.

[5]  Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse sur ces deux allégations. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.   Contexte et décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Le 9 mai 2018, l’employeuse de la demanderesse, Mme Eva Jin, a obtenu une étude d’impact sur le marché du travail (l’EIMT) favorable pour le poste de « Directeur/directrice de station thermale » (Classification nationale des professions (CNP) 0651, « Directeurs/directrices du service à la clientèle et des services personnels ») de façon permanente, non saisonnière et à temps plein. Selon l’EIMT, le poste exigeait des compétences en anglais à l’oral et à l’écrit. Le dossier contient une copie de l’offre d’emploi de la demanderesse, datée du 14 juin 2018. L’offre énonce les principales fonctions et responsabilités, le salaire annuel ainsi que les heures de travail prévues.

[7]  Le 17 juillet 2018, l’avocate de la demanderesse a déposé des observations à l’appui de la demande de permis de travail de sa cliente. Il convient de souligner que dans ces observations, la demanderesse avait indiqué avoir une année d’expérience en service-conseil pour une station thermale, quatre années d’expérience en gestion de station thermale et une expérience de travail antérieure auprès de la propriétaire de Signature Medispa, Mme Eva Jin, en Chine. La demanderesse a fourni des lettres de recommandation de ses employeurs précédents attestant de son expérience en gestion de station thermale en Chine.

[8]  Dans les observations présentées à l’agent, l’avocate de la demanderesse a déclaré ce qui suit au sujet de l’expérience antérieure de sa cliente au service de Mme Jin et de ses qualifications en anglais :

[traduction]
[La demanderesse] a travaillé pour Mme Jin, propriétaire de Signature MediSpa (employeuse éventuelle au Canada) lorsque cette dernière était en Chine, de sorte qu’elle connaît bien les compétences [de la demanderesse] et c’est pourquoi elle lui a offert ce poste.

La langue requise pour ce poste est l’anglais seulement, et Mme Sun est en mesure de communiquer en anglais. Elle est ainsi en mesure de mettre les clients à l’aise, de résoudre les différends et de leur expliquer les procédures et les produits d’une manière efficace.

[9]  Selon la description d’Emploi et Développement social Canada (EDSC) des postes relevant de la CNP 0651 (directeurs/directrices du service à la clientèle et des services personnels), « [l]es directeurs dans ce groupe de base exercent une partie ou l’ensemble des fonctions suivantes » :

A. planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités d’établissements fournisseurs de services tels que nettoyage à sec, coiffure ou nettoyage à domicile, ou d’écoles offrant de la formation non professionnelle telles que des écoles de conduite, de langues, de musique, de danse, d’art, de cuisine ou de mode;

B. élaborer et mettre en œuvre les politiques et les procédures pour les employés;

C. planifier et gérer les budgets de fonctionnement et l’inventaire;

D. répondre aux demandes de renseignements ou aux plaintes et résoudre les problèmes;

E. gérer des contrats visant des stratégies de publicité et de marketing;

F. embaucher le personnel, et assurer sa formation et sa supervision. 

[10]  Dans les observations présentées par son avocate, la demanderesse a énuméré plusieurs fonctions essentielles au poste, notamment bon nombre des fonctions énoncées ci-dessus.

[11]  Le 7 novembre 2018, l’agent a envoyé à la demanderesse une lettre de décision rejetant sa demande de permis de travail. L’agent a déclaré qu’il avait rejeté la demande parce que la demanderesse n’était [traduction] « pas en mesure de démontrer qu’elle pourra exercer adéquatement l’emploi pour lequel elle [a demandé] un permis de travail ». L’agent a invité la demanderesse à [traduction] « présenter une nouvelle demande si [elle] estim[e] pouvoir répondre à ces préoccupations et démontrer que [sa] situation satisfait aux exigences ».

[12]  Une entrée dans les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC), également datée du 7 novembre 2018, permet de mieux comprendre les motifs invoqués par l’agent pour refuser la demande. Dans cette entrée, l’agent a déclaré ce qui suit:

[traduction]

Offre d’emploi au Canada en tant que directrice de station thermale. Je constate que l’offre d’emploi requiert une maîtrise de l’anglais tant à l’oral qu’à l’écrit. J’ai examiné attentivement les fonctions requises pour l’emploi et je suis convaincu que les exigences linguistiques sont vraisemblablement impératives à l’exercice des fonctions de directrice au sein de l’établissement. Dans sa demande, la demanderesse n’a pas présenté de preuve tangible de ses compétences linguistiques. D’après les renseignements au dossier, je ne suis pas convaincu que la demanderesse a présenté une preuve tangible suffisante pour établir qu’elle satisfait aux exigences linguistiques de l’offre d’emploi au Canada. La demande est refusée. [Non souligné sans l’original.]

[13]  Il est bien établi que les notes versées au SMGC font partie des motifs de la décision faisant l’objet du contrôle (Pushparasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 828, au par. 15).

III.   Questions en litige et norme de contrôle

[14]  Je conviens avec la demanderesse que la présente demande soulève les deux questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il violé le droit à l’équité procédurale de la demanderesse en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à ses préoccupations?

  2. La décision de l’agent selon laquelle la demanderesse ne serait pas en mesure d’effectuer le travail d’une directrice de station thermale en raison de ses compétences en anglais était‑elle raisonnable?

[15]  La question de l’équité procédurale sera examinée par la Cour selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au par. 43). La deuxième question sera examinée selon la norme de la décision raisonnable, car pour déterminer si un demandeur de permis de travail satisfait aux exigences, l’agent doit évaluer des questions mixtes de fait et de droit (Singh Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, au par. 5).

IV.   Analyse

[16]  Avant d’aborder le fond de la présente affaire, je vais d’abord exposer les dispositions en cause en l’espèce.

[17]  Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), LC 2001, c 27, prévoit ce qui suit :

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[18]  L’alinéa 200(3)a) du RIPR prévoit ce qui suit :

200 […] (3) Le permis de travail ne peut être délivré à l’étranger dans les cas suivants :

a) l’agent a des motifs raisonnables de croire que l’étranger est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé;

200 […] (3) An officer shall not issue a work permit to a foreign national if

(a) there are reasonable grounds to believe that the foreign national is unable to perform the work sought;

A.  Équité procédurale

[19]  La demanderesse soutient que l’agent a violé son droit à l’équité procédurale en ne lui donnant pas l’occasion de répondre aux préoccupations qu’il avait concernant ses compétences en anglais. À son avis, elle aurait dû avoir l’occasion de fournir la preuve documentaire de ses compétences linguistiques ou d’être interrogée par l’agent. La demanderesse renvoie au Bulletin opérationnel (BO) concernant les évaluations linguistiques dans le contexte des demandes de permis de travail temporaire, qui énonce que les capacités linguistiques peuvent être évaluées au moyen d’une entrevue ou d’un examen officiel.

[20]  La demanderesse soutient en outre que l’agent [traduction] « a manifestement conclu que l’évaluation qu’elle a faite de ses propres compétences linguistiques n’était pas crédible » (citant Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, aux par. 24, 28). En mettant en doute la déclaration de la demanderesse au sujet de ses compétences linguistiques, l’agent mettait essentiellement en doute sa crédibilité. De l’avis de la demanderesse, étant donné que la crédibilité était en cause, l’agent était tenu de lui donner l’occasion de répondre à ses préoccupations, et le défaut de l’agent de le faire constituait un manquement à l’équité procédurale.

[21]  Le défendeur soutient qu’il n’existe aucun droit fondamental de recevoir un permis de travail et que, puisque les demandeurs de visa n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada, le niveau d’équité procédurale est faible. Le défendeur soutient en outre qu’il incombe au demandeur de visa de fournir suffisamment de renseignements à l’appui de sa demande. Par conséquent, le demandeur de visa doit anticiper les inférences défavorables qui peuvent être tirées des éléments de preuve et y répondre. Le défendeur soutient que la demanderesse ne l’a pas fait.

[22]  Le défendeur fait remarquer que, selon le BO, l’agent des visas devrait évaluer les exigences linguistiques énoncées dans l’EIMT et que la liste de contrôle des documents comprend « [l]a preuve que [la demanderesse] répond [...] aux exigences de l’emploi offert ». L’EIMT de la demanderesse exigeait la maîtrise de l’anglais; par conséquent, la liste de contrôle l’exigeait aussi par extension et la demanderesse aurait dû s’attendre à ce que l’agent évalue ses compétences linguistiques. Selon le défendeur, l’agent n’était pas tenu de rappeler à la demanderesse qu’elle n’avait pas présenté d’éléments de preuve démontrant qu’elle satisfaisait aux exigences linguistiques de l’offre d’emploi ni de lui accorder une entrevue.

[23]  Je voudrais tout d’abord faire remarquer que la Cour a établi une distinction entre les conclusions défavorables quant à la crédibilité et l’insuffisance de la preuve dans le contexte des demandes de visa. Lorsque l’agent des visas soulève des doutes quant à crédibilité, la véracité ou l’authenticité des renseignements présentés à l’appui d’une demande, l’agent a alors l’obligation de donner au demandeur l’occasion de répondre à ces préoccupations (Tine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 231, au par. 11).

[24]  Toutefois, lorsque la décision de l’agent des visas est fondée sur le caractère suffisant des éléments de preuve présentés par le demandeur, ou sur les exigences du RIPR et du régime législatif en général, y compris les compétences linguistiques en vertu de l’alinéa 200(3)a) du RIPR, il n’y a généralement aucune obligation d’en informer le demandeur (Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669, au par. 18; Anenih c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 718, aux par. 15-16; Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, aux par. 8-22). Par conséquent, il incombe au demandeur de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre l’agent des visas qu’il est capable d’accomplir les tâches liées à l’emploi en question, selon la prépondérance des probabilités (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 115, au par. 25).

[25]  Autrement dit, l’agent des visas n’est nullement tenu de fournir à un demandeur de visa une lettre d’équité procédurale ou de lui accorder une entrevue lorsqu’il tire simplement des conclusions à partir de la preuve présentée (Alaje c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 949, au par. 19).

[26]  En l’espèce, je ne peux souscrire à l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a violé son droit à l’équité procédurale. En définitive, il appartenait à la demanderesse de fournir à l’agent suffisamment de renseignements indiquant qu’elle satisfaisait aux exigences du poste pour lequel elle demandait un permis de travail (c.-à-d. les exigences de l’alinéa 200(3)a) du RIPR). La demanderesse ne m’a pas convaincu que la conclusion de l’agent équivaut à une conclusion sur la crédibilité, qu’on ne l’aurait pas cru ou que l’agent a soulevé des questions concernant l’authenticité des documents présentés à l’appui.

[27]  Il ressort plutôt des notes du SMGC que la demanderesse n’avait pas, selon l’agent, fourni suffisamment d’éléments de preuve pour établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle serait en mesure de communiquer adéquatement en anglais comme l’exigent le poste et le paragraphe 200(3)a) du RIPR.

[28]  L’agent a invité la demanderesse à [traduction] « présenter une nouvelle demande si [elle] estim[e] pouvoir répondre à ces préoccupations et démontrer que [sa] situation satisfait aux exigences ». Ces motifs ne donnent pas à penser que l’agent doutait de sa crédibilité ou de l’authenticité des documents qu’elle a fournis. L’agent a plutôt conclu qu’en plus des observations présentées par son avocate, une preuve objective était nécessaire pour déterminer si la demanderesse satisfaisait aux exigences linguistiques du poste de directrice de station thermale. Je ne vois aucune raison de conclure que l’agent n’a pas respecté l’équité procédurale dans cette affaire.

B.  Le caractère raisonnable de la décision de l’agent

[29]  La demanderesse conteste la conclusion de l’agent selon laquelle elle n’a pas démontré qu’elle possède les compétences linguistiques requises en anglais. Sur cette question, elle soutient qu’elle n’était pas tenue de prouver ses compétences linguistiques, selon la liste de contrôle des documents à présenter en vue d’obtenir un permis de travail, et qu’elle a confirmé ses compétences linguistiques en anglais par l’entremise des observations de son avocate. La demanderesse soutient avoir déclaré qu’elle pouvait communiquer en anglais dans sa demande et dans les observations de son avocate. La demanderesse soutient également qu’elle avait déjà travaillé pour son employeuse, Mme Jin, alors qu’elle vivait en Chine, et que celle‑ci connaissait ses compétences linguistiques.

[30]  Le défendeur soutient que l’EIMT de la demanderesse indique explicitement que l’offre d’emploi exigeait des compétences en anglais, tant à l’écrit qu’à l’oral. Le fait que la preuve des capacités linguistiques ne soit pas clairement énoncée dans la demande de permis de travail ne dispense pas la demanderesse de son obligation de fournir une preuve suffisante à l’appui de sa demande. Le défendeur soutient en outre que les connaissances de l’employeuse quant aux compétences en anglais de la demanderesse ne constituent pas une preuve qu’elle maîtrise l’anglais. En outre, cette déclaration figure uniquement dans les observations de son avocate présentées à l’agent et ne constitue pas une preuve.

[31]  Je tiens d’abord à souligner que le BO concernant les évaluations linguistiques des demandeurs de permis de travail prévoit ce qui suit :

Les capacités linguistiques du demandeur peuvent être évaluées au moyen d’une entrevue, d’un examen officiel, comme le Système international de tests de la langue anglaise (IELTS) ou le Test d’évaluation de français (TEF), ou au moyen d’une pratique d’examen interne en vigueur dans une mission. Pour décider s’il est nécessaire de présenter des preuves de la capacité linguistique, les notes de l’agent doivent faire référence aux exigences prévues dans l’AMT, aux conditions de travail décrites dans l’offre d’emploi et aux exigences établies dans la CNP pour le type de poste précis, dans la détermination du niveau exact des compétences linguistiques nécessaires pour effectuer le travail prévu. Les notes inscrites dans le système doivent indiquer clairement l’évaluation linguistique effectuée par l’agent et, dans les cas où la demande est rejetée, elles doivent présenter clairement l’analyse portant sur la manière dont le demandeur n’a pas réussi à convaincre l’agent qu’il serait capable d’effectuer le travail souhaité. [Non souligné dans l’original.]

[32]  Les motifs de l’agent n’indiquent pas « clairement » qu’il a effectué une évaluation linguistique comme l’exige le BO. En l’espèce, la demanderesse n’a fourni aucune preuve objective concernant ses compétences en anglais, si ce n’est les observations de son avocate selon lesquelles elle est [traduction] « capable de communiquer en anglais » et le fait qu’elle avait déjà travaillé pour son employeuse, Mme Jin, en Chine. À mon avis, l’agent ne pouvait pas, sans disposer d’une preuve objective de ses compétences linguistiques, « analyser de façon détaillée » en quoi la demanderesse n’a pas démontré qu’elle serait capable d’effectuer le travail de directrice de station thermale. Comme l’agent n’avait aucune obligation générale d’informer la demanderesse de ses préoccupations quant à savoir si elle satisfaisait ou non aux exigences prévues par le RIPR, il incombait à la demanderesse de fournir des documents attestant de ses compétences en anglais aux fins de l’évaluation de l’agent.

[33]  Les principales fonctions du poste de directrice de station thermale, énoncées dans la lettre d’offre et dans la description de la CNP, consistent à communiquer avec les membres du personnel et les clients (répondre aux demandes de renseignements, traiter les plaintes et résoudre les problèmes, embaucher, former et superviser le personnel, établir ou mettre en œuvre des politiques et procédures pour le personnel, etc.), alors que l’EIMT précise que des compétences linguistiques en anglais écrites et orales sont requises. Dans ce contexte, il était raisonnable pour l’agent de conclure qu’une preuve objective des compétences en anglais de la demanderesse était nécessaire pour déterminer si elle pouvait exercer l’emploi de directrice de station thermale.

[34]  Dans le contexte du contrôle judiciaire des demandes de permis de travail temporaire, la Cour a jugé qu’il est raisonnable pour un agent des visas de s’attendre à ce qu’un demandeur fournisse d’autres éléments de preuve qu’une demande et une lettre d’accompagnement présentées en anglais pour vérifier sa capacité de parler et d’écrire en anglais, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que ces compétences linguistiques sont nécessaires afin d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé, comme le prévoit le paragraphe 200(3)a) du RIPR.

[35]  De même, dans un contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas avait refusé de délivrer un permis de travail temporaire (pour travailler comme monteur de charpentes métalliques), le juge Barnes a statué ce qui suit (Virk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 150) :

[5]  [...] l’agent a également conclu que M. Virk n’avait pas soumis d’élément de preuve démontrant sa capacité de communiquer en anglais. Or, l’avis relatif au marché du travail précisait clairement que le poste convoité exigeait des connaissances de base tant en anglais oral qu’en anglais écrit. Cette exigence n’est guère étonnante, si l’on tient compte du fait que le demandeur se proposait de travailler comme monteur de charpentes métalliques dans divers chantiers de construction à Surrey. La liste de contrôle jointe au document précisait également que le candidat doit fournir [traduction] « une preuve qu’[il] satisf[ait] aux exigences de l’offre d’emploi ».

[6] M. Virk n’a soumis à l’agent aucun élément confirmant ses compétences linguistiques en anglais. Je n’accepte pas l’argument [de l’avocat] suivant lequel le fait que la demande a été soumise en anglais et que la lettre d’accompagnement était également en anglais démontre d’une certaine façon les compétences linguistiques du candidat; d’ailleurs, même si c’était le cas, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agent d’exiger d’autres preuves. Je n’accepte pas non plus l’argument de M. Gautam suivant lequel l’agent avait l’obligation de chercher à obtenir les éléments de preuve manquants. M. Virk avait obtenu les renseignements au sujet des exigences en question et il les a ignorées, peut‑être parce qu’il ne pouvait pas lire les instructions Il s’agit là du type d’élément de preuve que le demandeur a l’obligation de soumettre sans qu’on doive le lui rappeler ou le lui demander. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale en l’espèce et la conclusion de l’agent suivant laquelle un aspect essentiel du poste proposé n’était pas respecté était raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

[36]  Dans une autre affaire, le juge Rennie a conclu qu’il était raisonnable pour un agent des visas de s’attendre à ce qu’un demandeur de permis de travail temporaire (pour travailler comme aide de cuisine) fournisse la preuve qu’il parle et écrit en anglais. À cet égard, le juge Rennie a déclaré ce qui suit (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 360, aux par. 12‑13) :

[12][...] le demandeur doit établir qu’il remplit les exigences du poste pour lequel il voudrait venir au Canada. En l’espèce, le demandeur n’a pas rempli son obligation de prouver qu’il répond aux exigences linguistiques de la description d’emploi. Des documents faisaient état de ses aptitudes linguistiques, notamment une lettre de son supérieur, un commandant de l’armée indienne, et une autre de son employeur à l’hôtel où il travaillait, mais ces lettres ne confirmaient pas son aptitude à parler ou écrire l’anglais; elles confirmaient simplement son aptitude à comprendre l’anglais.

[13]Les motifs de l’agent n’indiquent pas explicitement que les lettres sont déficientes en raison du fait qu’elles ne disent rien des aptitudes du demandeur à écrire ou à parler l’anglais. Cependant, il serait contraire aux directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union d’exiger qu’une telle indication apparaisse dans les motifs de la décision de l’agent. L’agent a pris en considération les lettres, mais il a conclu que la capacité du demandeur à s’exprimer en anglais ne justifiait pas l’attribution du permis de travail. Au vu du dossier, il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion, et la demande doit donc être rejetée. [Non souligné dans l’original.]

[37]  De même, en l’espèce, il était raisonnable pour l’agent de conclure que la preuve des capacités linguistiques de la demanderesse en anglais faisait défaut malgré l’argument de son avocate selon lequel elle est [traduction] « capable de communiquer en anglais » et le fait qu’elle avait déjà travaillé avec Mme Jin en Chine. Je conviens avec le défendeur que les simples affirmations du représentant légal d’un demandeur de visa ne constituent pas une preuve de ses compétences linguistiques. En ce qui concerne l’expérience de travail antérieure de la demanderesse pour Mme Jin en Chine, il n’y a aucune preuve objective dans le dossier selon laquelle la demanderesse a travaillé pour Mme Jin en anglais, qu’elle est capable de parler ou d’écrire en anglais ou de comprendre l’anglais parlé. Rien n’indique dans le dossier que Mme Jin connaissait les compétences linguistiques en anglais de la demanderesse ou qu’elle était convaincue que les compétences linguistiques de la demanderesse seraient adéquates pour le poste au Canada.

[38]  Pour ces motifs, la conclusion de l’agent selon laquelle la demanderesse n’a pas [traduction] « démontré qu’elle sera en mesure d’exercer adéquatement l’emploi » de directrice de station thermale en raison de l’absence d’une preuve de ses compétences linguistiques en anglais appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au par. 47). L’évaluation des exigences du poste et des compétences linguistiques attendues en anglais que l’agent a effectuée aurait certes pu être plus détaillée, mais les motifs sont étayés par le dossier, ce qui permet à la Cour de comprendre pourquoi l’agent a pris sa décision et de déterminer si sa conclusion appartient aux issues acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, aux par. 12‑16).

V.  Question à certifier

[39]  La Cour a demandé aux avocats des parties s’ils ont des questions à certifier. Ils ont chacun affirmé qu’il n’y en avait aucune, et je suis d’accord avec eux.

VI.  Conclusion

[40]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6229-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6229-18

 

INTITULÉ :

DAN SUN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 août 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 3 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

 

Pour la demanderesse

 

Nicholas Dodokin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Société professionnelle

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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