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Dossier : IMM-7329-04

Référence : 2005 CF 1050

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2005

ENTRE :

DUNNIA PATRICIA SUAREZ MARTINEZ, DANIELA SUAREZ MARTINEZ

ET KEYLOR ANTONIO SUAREZ MARTINEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

[1]         La demanderesse (et ses enfants mineurs) ont vu leur demande de statut de réfugié/personne à protéger être rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La demande a été rejetée au motif qu'ils n'avaient pas réfuté la présomption de la protection de ltat au Costa Rica. Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision de la SPR.


Le contexte

[2]         La demanderesse est une citoyenne du Costa Rica. Elle a prétendu qu'elle craignait avec raison son ancien conjoint de fait qui l'aurait maltraitée, ainsi que ses enfants.

[3]         En novembre 1998, la demanderesse a signalé la violence de son conjoint à la police locale. Elle n'a reçu aucune aide. En décembre 1998, dans une autre ville, elle a tenté de faire un signalement à la police au sujet de son conjoint. On l'a avisée qu'on n'avait aucune compétence dans sa ville natale et qu'elle devait faire son signalement à la police locale. Elle n'a pris aucune autre mesure que celle de quitter le Costa Rica en août 2000.

[4]         La SPR a décidé que dans une démocratie comme le Costa Rica, la demanderesse devait faire plus que ce qu'elle avait fait pour solliciter la protection, puisqu'il y avait d'autres voies qu'elle pouvait suivre. L'explication qu'elle a donnée pour ne pas solliciter d'aide d'autres sources est qu'elle ne croyait pas qu'elle serait protégée.

[5]         Les principales questions en litige soulevées par la demanderesse sont celles de savoir (1) si la SPR a omis d'examiner les éléments de preuve contredisant la conclusion selon laquelle le Costa Rica offrait une protection de ltat adéquate pour les femmes victimes de violence et (2) si la SPR était tenue de mentionner expressément les motifs pour lesquels elle préférait certains éléments de preuve à d'autres éléments de preuve contraires.

Décision


[6]         Les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable à une décision relative au caractère adéquat de la protection de ltat est celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour a examiné cet aspect de la décision en se basant tant sur la norme de la décision manifestement déraisonnable que sur celle de la décision raisonnable simpliciter. Contrairement à ma décision dans l'affaire Malik c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), 2004 CF 189; [2004] A.C.F. no 217 (C.F.) (QL), dans laquelle la Commission fut tenue d'apprécier la crédibilité dans le cadre de son analyse et a donc bénéficié d'un degré de déférence élevé, la SPR ntait pas tenue de traiter de la crédibilité en l'espèce. De toute façon, la norme de contrôle ne constitue pas un point de distinction décisif en l'espèce.

[7]         Ce qui est décisif en l'espèce, c'est le fait que la demanderesse n'ait entrepris que deux tentatives pour solliciter de l'aide, dont l'une à un service de police qui n'avait aucune compétence locale pour traiter sa plainte. Elle a ensuite adopté l'opinion selon laquelle aucune autre aide ne viendrait. Cette perception purement subjective du caractère adéquat de la protection de ltat au Costa Rica ne constitue pas une preuve « directe, pertinente et convaincante » du caractère inadéquat de la protection de ltat.

[8]         Dans l'arrêt Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1376 (C.A.F.) (QL), la Cour d'appel a imposé une plus grande obligation de solliciter de l'aide lorsqu'il s'agit d'une démocratie développée :

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui.

[Renvoi omis.]


[9]         La détermination du caractère adéquat de la protection de ltat ne peut se fonder sur la crainte subjective d'un demandeur. Peu importe l'intensité de la croyance de la demanderesse, celle-ci doit faire plus que ce qu'elle a fait, compte tenu de la preuve de la nature de la structure politique, judiciaire et administrative du Costa Rica. La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse devait « faire plus » est, en soi, plus que raisonnable.

[10]       La demanderesse fait également valoir que la SPR n'a pas tenu compte des éléments de preuve qu'elle a présentés visant à démontrer que le Costa Rica avait de la difficulté à protéger les femmes victimes de violence. Ces éléments de preuve comprenaient une variété de pièces comme des articles de journaux, un courriel de carnet Web et un rapport préparé par une organisation de défense des droits de la personne concernant l'application par le Costa Rica de la Convention relative aux droits de l'enfant.

[11]       Malgré tous les efforts déployés par l'avocat, le fait demeure qu'il n'y a aucune preuve que la SPR n'a pas tenu compte de ces éléments de preuve contradictoires. Non seulement existe-t-il une présomption selon laquelle un tribunal a examiné les documents qui lui ont été présentés, mais en l'espèce, à la page 2 de la décision, on fait mention de quelques-uns des documents présentés par la demanderesse. On ne saurait présumer que, si la SPR a fait mention de quelques-uns de ces éléments de preuve, elle doit avoir fait abstraction du reste. On pourrait énoncer le postulat tout à fait contraire. Il n'y a tout simplement aucune preuve pour étayer l'argument de la demanderesse selon lequel on n'a pas tenu compte des documents présentés.


[12]       Enfin, la demanderesse fait valoir que la SPR n'a pas expliqué pourquoi elle a préféré certains éléments de preuve documentaire à d'autres éléments de preuve contraires. Une telle explication n'est pas absolument nécessaire. Les circonstances de l'affaire dictent la nature et la portée de l'obligation de motiver une décision, dont l'explication de la préférence pour certains éléments de preuve est une composante. L'omission d'expliquer peut avoir une incidence sur le degréde déférence dont il faut faire preuve ainsi que sur la capacité d'une cour de trancher la question de savoir si le tribunal a respecté la norme de contrôle à laquelle sa décision peut être assujettie.

[13]       En l'espèce, les documents de la demanderesse ne sont pas convaincants au point d'exiger une explication concernant leur rejet. On peut déceler la préférence de la SPR pour d'autres documents en lisant la décision dans son ensemble - elle repose sur la valeur des éléments de preuve préférés, sur leur objectivité et sur leur actualité.

[14]       De même, en l'espèce, le motif de rejet de la demande de la demanderesse ne reposait pas uniquement sur la préférence pour certains éléments de preuve documentaire. Il reposait également sur le témoignage de la demanderesse ainsi que sur ses efforts pour solliciter la protection.

[15]       À mon avis, la SPR a fourni suffisamment de motifs pour expliquer sa conclusion. Bien que dans de nombreuses affaires il puisse être non seulement souhaitable mais nécessaire de donner des explications additionnelles et explicites pour favoriser certains documents, tel n'est pas le cas en l'espèce.


[16]       Enfin, après avoir examiné la décision dans son ensemble, je ne puis voir aucun motif permettant à la Cour d'intervenir. La présente demande sera donc rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

      « Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                IMM-7329-04

INTITULÉ :                                                                 DUNNIA PATRICIA SUAREZ MARTINEZ ET AL

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 14 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                              LE 29 JUILLET 2005

COMPARUTIONS :

Boniface Ahunwan                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Brad Gotkin                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Boniface Ahunwan                                                     POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Brad Gotkin                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)


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