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Date : 20191204


Dossier : T-558-19

Référence : 2019 CF 1556

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

MAJD KHATTAB

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 mars 2019 [la décision], par laquelle une agente de la citoyenneté [l’agente] a refusé sa demande de citoyenneté canadienne. L’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada, comme l’exige l’alinéa 5(1)d) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [la Loi].

[2]  Ainsi que je l’expliquerai ci-après, la présente demande est rejetée car je conclus que la décision était raisonnable et qu’il n’y a eu aucun manquement aux principes d’équité procédurale à l’égard de la demanderesse dans le processus ayant mené à la décision.

II.  Contexte

[3]  La demanderesse, Majd Khattab, est une citoyenne de la Jordanie qui, avec son mari et ses enfants, a obtenu le statut de résident permanent du Canada [RP] le 3 août 2012. La famille s’est établie à Frédéricton, au Nouveau-Brunswick. Le mari de la demanderesse est retourné en Jordanie pour continuer d’exercer la dentisterie et a perdu son statut de RP car il ne satisfaisait plus à l’exigence de résidence.

[4]  En mai 2017, alors que la demanderesse était en vacances en Jordanie, son mari a subi un arrêt cardiaque. Elle a décidé de rester en Jordanie afin de prendre soin de son mari, dont la santé demeure précaire. La demanderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne en octobre 2017, et a fait les déplacements voulus entre le Canada et la Jordanie pour l’accomplissement des démarches nécessaires à l’obtention de la citoyenneté.

[5]  Dans le cadre de sa demande de citoyenneté, la demanderesse a présenté un certificat constatant qu’elle avait réussi le programme Cours de langue pour les immigrants au Canada (CLIC) après avoir obtenu un résultat global correspondant au niveau de compétence linguistique 6 [NCLC 6]. Le 21 novembre 2018, elle a passé en anglais, sans l’aide d’un interprète, un examen de citoyenneté, pour lequel elle a obtenu un résultat de 16/20, supérieur à la note de passage. Le même jour, elle s’est présentée à une entrevue avec deux agents de la citoyenneté. À la fin de l’entrevue, l’un des agents a mentionné que la demanderesse pourrait être convoquée à une audience.

[6]  Le 23 novembre 2018, la demanderesse a reçu un questionnaire sur sa présence effective au Canada. Elle a retenu les services d’un conseil, chargé de remplir ce questionnaire en son nom. Le 15 janvier 2019, le conseil a remis le questionnaire, auquel il a joint – pour que les résultats des compétences linguistiques de la demanderesse soient versés en preuve – la documentation déjà produite confirmant la participation de la demanderesse au programme CLIC et l’obtention du NCLC 6. L’agente confirme dans sa décision que les réponses au questionnaire démontrent que Mme Khattab satisfait à l’exigence de présence effective. Ce point n’est donc pas en litige.

[7]  Le 1er février 2019, la demanderesse a reçu un document intitulé [traduction] « Avis de convocation – Entrevue avec un agent de la citoyenneté », l’informant qu’elle devait se présenter à une entrevue le 21 février 2019 [l’avis]. La demanderesse a discuté de cet avis avec son conseil, et ils ont convenu qu’elle se présenterait seule à cette entrevue. À l’entrevue du 21 février 2019, elle s’est entretenue avec deux agents, dont l’agente qui a pris la décision visée par le contrôle judiciaire.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[8]  Dans sa décision, énoncée dans une lettre datée du 5 mars 2019, l’agente renvoie à une audience tenue en anglais devant elle, à laquelle la demanderesse s’est présentée relativement à sa demande de citoyenneté. L’agente affirme qu’au cours de l’audience, elle a posé des questions à la demanderesse en vue de déterminer si elle répondait aux exigences linguistiques pour l’obtention de la citoyenneté, et a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré une capacité élémentaire à communiquer dans cette langue. Citant l’article 14 du Règlement sur la citoyenneté, DORS/93-246, l’agente a expliqué avoir tiré cette conclusion parce que la demanderesse était incapable de « prendre part à de brèves conversations sur des sujets de la vie courante » ou d’« utiliser un vocabulaire adéquat pour communiquer oralement au quotidien ».

[9]  L’agente conclut dans sa décision que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait une connaissance suffisante de l’anglais, malgré les éléments de preuve joints à sa demande démontrant ses connaissances en anglais. Par conséquent, l’agente a refusé la demande de citoyenneté de la demanderesse au motif qu’elle n’avait pas satisfait aux conditions énoncées au paragraphe 5(1) de la Loi.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[10]  La demanderesse soumet les questions suivantes à l’examen de la Cour :

  1. L’agente a-t-elle eu tort de prendre sa décision sans tenir compte des éléments objectifs établissant les compétences linguistiques de la demanderesse joints à la demande de citoyenneté canadienne et au questionnaire sur la présence effective?

  2. L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en convoquant la demanderesse à une « entrevue de citoyenneté » le 1er février 2019, qu’elle a ensuite menée comme une audience aux fins de la citoyenneté, au cours de laquelle elle a omis de tenir compte des circonstances particulières prévues au paragraphe 5(3) de la Loi?

[11]  Les parties conviennent – et je suis d’accord avec elles – que la norme de la décision raisonnable s’applique à la première question, et que la norme de la décision correcte s’applique à la seconde.

V.  Analyse

A.  L’agente a-t-elle eu tort de prendre sa décision sans tenir compte des éléments objectifs établissant les compétences linguistiques de la demanderesse joints à la demande de citoyenneté canadienne et au questionnaire sur la présence effective?

[12]  Selon la demanderesse, la décision est déraisonnable, car elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables eu égard aux éléments de preuve dont l’agente disposait. La demanderesse se fonde sur sa réussite du programme CLIC, sur son résultat de 16/20 à l’examen écrit pour l’obtention de la citoyenneté, et sur l’affidavit qu’elle a déposé dans le cadre de la présente instance où sont relatés ses souvenirs des entrevues de novembre 2018 et de février 2019.

[13]  Est jointe à l’affidavit le plus récent de la demanderesse, sa réponse aux notes des agents qui ont mené les deux entrevues, ces notes lui ayant été remises parce qu’elles font partie du dossier certifié du tribunal [le DCT]. Plus précisément, la demanderesse relate ce dont elle se souvient de ces deux entrevues. Concernant l’entrevue de février 2019, pour laquelle les notes dans le DCT sont plus étoffées, la demanderesse précise en quoi ce dont elle se souvient diffère de ce qui y est inscrit. Elle affirme que ces notes ne reprennent pas toutes les questions qui lui ont été posées, ou toutes ses réponses. Elle relate ce dont elle se souvient de ses réponses aux questions posées par l’agente.

[14]  La demanderesse soutient que les documents produits au DCT n’indiquent pas si les notes de l’agente sont un compte rendu mot à mot ou une version abrégée de ses réponses. En outre, elle ajoute que le défendeur a choisi de ne pas produire d’affidavit dans lequel l’agente aurait pu contredire ses éléments de preuve, et de ne pas la contre-interroger. Par conséquent, elle soutient que ses éléments de preuve demeurent essentiellement incontestés, et qu’en conséquence un poids important devrait leur être accordé en l’espèce.

[15]  En réponse, le défendeur soutient qu’il serait inhabituel de produire l’affidavit que la demanderesse lui reproche de ne pas avoir déposé au dossier, et qu’un tel affidavit ne servirait qu’à alourdir le dossier d’une manière inappropriée. Le défendeur s’appuie sur un document en matière de pratiques exemplaires figurant dans le DCT, selon lequel les agents de la citoyenneté doivent rédiger les réponses de l’auteur de la demande de citoyenneté sur les feuilles de réponses qui suivent les pages de questions. De plus, le défendeur fait valoir que certains éléments sont inscrits dans les notes – par exemple [traduction] « et aussi un grand stationnement, un bon stationnement » – dont le format ne démontre pas qu’il s’agit d’éléments abrégés de manière intuitive, mais plutôt de réponses reprises mot à mot.

[16]  J’estime que les arguments du défendeur sur ce point sont convaincants. De plus, la demanderesse relate dans son affidavit ses souvenirs de l’entrevue de février 2019, exercice auquel elle s’est livrée environ huit mois après sa tenue, alors que l’agente a pris ses notes au moment de l’entrevue. Je reconnais que les notes ne sont pas une transcription exacte de l’entrevue, mais je leur accorde tout de même un poids plus important que celui accordé aux souvenirs de la demanderesse.

[17]  J’examinerai maintenant l’argument de la demanderesse selon lequel la décision est déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve dont l’agente disposait relativement à ses compétences en anglais. Comptent parmi ces éléments de preuve, la confirmation de sa réussite de l’examen écrit pour l’obtention de la citoyenneté, ainsi que du programme CLIC. Ces éléments ne minent pas, à mon avis, l’évaluation de l’agente concernant les capacités linguistiques à l’oral de la demanderesse.

[18]  Premièrement, le résultat à l’examen écrit n’affaiblit en rien le caractère raisonnable de la décision puisqu’il ne porte pas sur les capacités orales de la demanderesse.

[19]  Deuxièmement, s’agissant du programme CLIC, la demanderesse souligne qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] indique sur son site Web que le niveau NCLC 4 constitue le seuil minimal pour l’obtention de la citoyenneté. En outre, la demanderesse renvoie aux descriptions, sur le site Web d’IRCC, des compétences d’expression orale et de compréhension de l’oral qui doivent être démontrées pour l’obtention d’un niveau 6, ce qu’elle a obtenu. Elle soutient que ces descriptions ne concordent pas avec les conclusions de l’agente sur ses lacunes du point de vue linguistique.

[20]  À mon avis, les résultats obtenus dans le cadre du programme CLIC n’enlèvent rien au caractère raisonnable de la décision. Je conviens certes que ces résultats témoignent d’un niveau de compétences linguistiques supérieur à celui qu’a estimé l’agente, mais je souscris à l’argument du défendeur selon lequel ils ne remplacent pas une évaluation effectuée en personne. Selon le dossier, les résultats ont été obtenus au terme d’un programme suivi entre septembre 2015 et avril 2016, c’est-à-dire, près de trois ans avant l’entrevue de février 2019 menée par l’agente. L’agente souligne dans sa décision qu’elle a tenu compte des éléments de preuve joints à la demande, dont ces résultats. Cependant, l’agente conclut à l’incapacité de la demanderesse à communiquer en anglais en se fondant principalement sur ses réponses aux questions qu’elle lui a posées le 21 février 2019. Je ne vois rien dans ce raisonnement qui n’appartienne pas aux issues possibles acceptables.

[21]  La demanderesse soutient aussi que le compte rendu de l’entrevue de février 2019 n’appuie pas la conclusion de l’agente, et que, vu le caractère subjectif d’une évaluation des compétences linguistiques orales, l’agente n’a pas expliqué en quoi les réponses de la demanderesse étaient inadéquates. Bien que l’agente justifie peu sa conclusion, les observations qu’elle a consignées au moment de l’entrevue indiquent que la demanderesse répondait en peu de mots à chaque question, et ses phrases étaient très courtes et souvent incomplètes. Compte tenu des notes de l’agente concernant les réponses de la demanderesse, sa façon de les consigner est raisonnable. À mon avis, c’est ce qui a permis à l’agente de tirer sa conclusion selon laquelle la demanderesse était incapable de prendre part à de brèves conversations sur des sujets de la vie courante ou d’utiliser un vocabulaire adéquat pour communiquer oralement au quotidien.

[22]  Enfin, j’ai examiné les observations de la demanderesse concernant les notes que l’agente a, d’après le DCT, attribué aux réponses données par la demanderesse aux questions qu’elle lui a posées à l’entrevue de février 2019. La demanderesse souligne qu’elle a obtenu une note de 0/1 aux six premières questions et une note de 1/1 aux deux dernières. Elle soutient que cette incohérence injustifiée remet en question le caractère raisonnable de la décision.

[23]  Sur ce point, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que ces résultats concordent avec les notes consignées par l’agente – selon lesquelles la demanderesse avait un peu mieux répondu aux questions supplémentaires, mais que dans l’ensemble, elle ne pouvait faire des phrases complètes. L’agente a tenu compte du fait que la capacité orale de la demanderesse s’était améliorée aux deux dernières questions, mais elle a néanmoins conclu que, dans l’ensemble, sa capacité orale ne répondait pas aux exigences linguistiques.

[24]  Après avoir examiné les arguments de la demanderesse concernant le caractère raisonnable de la décision, j’estime que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

B.  L’agente a-t-elle manqué à l’équité procédurale en convoquant la demanderesse à une « entrevue de citoyenneté » le 1er février 2019, qu’elle a ensuite menée comme une audience aux fins de la citoyenneté, au cours de laquelle elle a omis de tenir compte des circonstances particulières prévues au paragraphe 5(3) de la Loi?

[25]  En premier lieu, s’agissant des arguments des parties relativement à l’équité procédurale, je souligne qu’elles ne s’entendent pas sur la norme d’équité procédurale à laquelle peut prétendre la demanderesse en l’espèce. Se fondant sur Qureshi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1081 [Qureshi], au paragraphe 23 (citant Sadykbaeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1018 [Sadykbaeva]), la demanderesse fait valoir qu’une norme assez élevée d’équité procédurale était exigée.

[26]  Dans Sadykbaeva, aux paragraphes 14 à 16, le juge de Montigny s’est fondé sur les facteurs énoncés dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], pour conclure qu’une norme assez élevée d’équité procédurale doit être à la base du processus décisionnel suivi dans le cadre d’une demande de citoyenneté. Si le juge de Montigny a reconnu que les refus de demandes de citoyenneté ne sont pas des décisions définitives (ces décisions peuvent être portées en appel devant la Cour fédérale), et que le pouvoir discrétionnaire conféré aux juges de la citoyenneté est assez vaste, il a néanmoins fondé sa conclusion sur la nature de la décision, laquelle ressemble à une décision de nature arbitrale, ainsi que sur l’importance de la décision pour la personne visée.

[27]  En outre, la demanderesse s’appuie largement sur le facteur énoncé dans Baker concernant l’importance de la décision pour la personne visée. Elle signale que si aujourd’hui elle ne répond pas à l’exigence de présence effective au Canada, c’est parce qu’elle était contrainte de retourner en Jordanie pour prendre soin de son mari qui a subi un arrêt cardiaque en 2017. Par conséquent, il lui est impossible pour l’instant de simplement refaire une demande de citoyenneté. Qui plus est, puisque la demande de citoyenneté de son plus jeune enfant, un mineur, est liée à la sienne, il est également touché par la décision.

[28]  À l’opposé, le défendeur s’appuie sur une décision plus récente, à savoir Fazail c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 111, aux paragraphes 42 à 46, dans laquelle la juge Kane a conclu que l’obligation d’équité procédurale envers les demandeurs par les juges de la citoyenneté est à l’extrémité inférieure du spectre. Afin d’établir une distinction avec Qureshi et Sadykbaeva, le défendeur souligne que ces deux affaires visaient des décisions rendues par des juges de la citoyenneté, qui, selon lui, sont issues d’un processus de nature plus accusatoire que celui suivi par un agent de la citoyenneté, comme en l’espèce.

[29]  À mon avis, aucune des deux parties n’a vraiment pu éliminer les incompatibilités entre les décisions manifestement divergentes sur ce point. Je tiens compte de l’argument du défendeur selon lequel les circonstances particulières de la demanderesse ne concernent qu’un seul des facteurs énoncés dans Baker, toutefois, j’estime que l’argument de la demanderesse concernant l’importance de la décision pour elle et sa famille est convaincant. Il n’est par contre pas nécessaire que je tire une conclusion définitive sur la norme exacte d’équité procédurale qui doit être appliquée en l’espèce, puisque ma décision n’en dépend pas. Même si je conviens que l’agente était tenue à une norme élevée d’équité procédurale envers la demanderesse, pour les raisons que j’expliquerai plus loin, j’estime qu’il n’y a eu aucun manquement à cette obligation.

[30]  L’argument de la demanderesse fondé sur l’équité procédurale repose en grande partie sur l’avis la convoquant à l’entrevue de février 2019 avec l’agente. Elle souligne que l’avis avait la forme d’une lettre dont le titre [traduction] « Avis de convocation – Entrevue avec un agent de la citoyenneté » était indiqué en objet. La demanderesse apporte une distinction entre ce titre et le terme « audience » que l’agente utilise dans sa décision pour renvoyer à la rencontre du 21 février 2019.

[31]  La demanderesse soutient que, si elle avait reçu un avis concernant une audience et non une entrevue, elle aurait probablement donné des réponses plus détaillées aux questions de l’agente, ou parlé plus amplement, afin de démontrer sa capacité à s’exprimer en anglais. Elle souligne également que l’avis comportait quatre cases à cocher pour préciser le but de l’entrevue (notamment [traduction] « déterminer si vous avez une connaissance suffisante du français ou de l’anglais »), mais qu’aucune ne l’était.

[32]  La demanderesse ajoute que, si elle avait su qu’elle se présentait à une audience, elle se serait prévalue de ses droits procéduraux : par exemple, elle se serait présentée à l’audience, accompagnée de son conseil, se serait préparée davantage aux rigueurs d’une audience à l’issue de laquelle une décision au fond est rendue et aurait fourni des observations écrites exposant sa position. Cet argument concerne la possibilité de présenter des observations par l’entremise de son conseil en vue de la prise de mesures spéciales conformément au paragraphe 5(3) de la Loi, qui confère au ministre le pouvoir discrétionnaire de lever, après examen des circonstances particulières d’une personne, l’exigence prévue à l’alinéa 5(1)d) de la Loi pour des raisons d’ordre humanitaire.

[33]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la demanderesse se livre à un exercice de sémantique en accordant de l’importance aux termes « entrevue » et « audience ». L’important est la teneur de l’avis et la question de savoir si, même si une norme plus élevée d’équité procédurale devait être appliquée, l’avis donné à la demanderesse lui permettait de comprendre qu’elle serait évaluée le 21 février 2019 et que cette évaluation pourrait porter à conséquence. Sur ce point, le défendeur fait remarquer que l’avis indique que, quelles que soient les raisons données pour justifier la tenue de l’entrevue, l’agent de la citoyenneté peut poser des questions visant à déterminer si le demandeur satisfait à toute autre exigence nécessaire à l’obtention de la citoyenneté. En outre, l’avis indique que selon les renseignements obtenus au cours de l’entrevue, l’un des résultats possibles est que l’agent de la citoyenneté rende une décision définitive sur la demande.

[34]  La demanderesse réplique en faisant valoir que le fait qu’aucune des quatre cases n’était cochée empêche le défendeur d’affirmer que l’argument de la demanderesse selon lequel l’avis n’était pas libellé en termes clairs concernait la possibilité que l’agente lui pose des questions liées à n’importe quelle exigence nécessaire à l’obtention de la citoyenneté. J’estime que cet argument est peu convaincant, puisque le libellé sur lequel le défendeur s’appuie ne souffre d’aucune ambiguïté. De plus, l’avis ne fait que deux pages, et la demanderesse a dit dans son témoignage qu’elle avait consulté son conseil avant de décider de se présenter seule à l’entrevue. Je ne puis conclure que la demanderesse n’avait pas été avisée que des questions visant à évaluer ses compétences linguistiques en anglais pouvaient lui être posées à l’entrevue.

[35]  J’accorde en outre peu de valeur aux arguments de la demanderesse qui découlent du fait qu’elle s’est présentée à l’entrevue sans son conseil. Elle affirme que le droit d’avoir un conseil présent à l’entrevue n’est pas mentionné dans l’avis. Par contre, comme je l’ai souligné plus haut, l’avis précisait quels étaient les résultats possibles de cette entrevue, et la demanderesse a consulté son conseil avant de s’y présenter. Rien ne permet de croire qu’on l’a empêchée ou dissuadée de se présenter à l’entrevue avec son conseil. Elle a plutôt pris la décision, conjointement avec son conseil, de se présenter seule à l’entrevue.

[36]  Il apparaît aussi clairement que le conseil de la demanderesse n’aurait pas pu l’aider à démontrer sa capacité à s’exprimer en anglais. Selon la demanderesse, son conseil aurait plutôt pu l’aider à préparer des observations à l’appui d’une demande de dispense fondée sur le paragraphe 5(3) de la Loi. Toutefois, comme l’explique la juge Mactavish dans Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 916 [Gill], au paragraphe 21, la possibilité de renoncer aux exigences linguistiques est énoncée dans la Loi et, puisqu’un demandeur n’est pas censé ignorer la loi, il n’est pas nécessaire de l’informer expressément des dispositions en question.

[37]  La demanderesse soutient qu’une distinction peut être établie avec l’affaire Gill, puisque M. Gill avait clairement été avisé qu’il devait se présenter à une audience, dont l’un des buts était de déterminer s’il avait une connaissance suffisante de l’anglais ou du français. À mon avis, cet argument n’aide en rien la demanderesse, puisqu’il était précisé dans l’avis que l’agente de citoyenneté pouvait lui poser des questions en vue de déterminer si elle répondait aux exigences nécessaires à l’obtention de la citoyenneté.

[38]  Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu manquement aux principes de l’équité procédurale, contrairement à ce qu’a prétendu la demanderesse.

[39]  N’ayant relevé aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification, et je n’en énoncerai aucune.


JUGEMENT dans le dossier T-558-19

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de décembre 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-558-19

INTITULÉ :

MAJD KHATTAB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Grace Allen

Justin Adams

POUR LA DEMANDERESSE

Heidi Collicut

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blois Nickerson & Ryerson LLP

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

pour le défendeur

 

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