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Date : 20191203


Dossier : IMM-421-19

Référence : 2019 CF 1542

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

BOUTROS MASSROUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La présente affaire concerne une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR). En application de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) et sur le fondement de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés), la SPR et la SAR ont toutes les deux conclu que la qualité de réfugié devait être refusée au demandeur parce qu’il s’était rendu complice de crimes contre l’humanité.

[2]  Le demandeur, un citoyen du Liban qui craint d’être victime de persécution ou de subir un préjudice aux mains du groupe État islamique en Iraq et en Syrie (l’EIIS ou le groupe EIIS) ou de Daech et le Hezbollah (les termes EIIS et Daech seront ci-après utilisés indifféremment), est un chrétien de Zahlé, ville située près de la frontière avec la Syrie. Il y vivait avec son épouse et y travaillait comme mécanicien. L’EIIS l’a un jour abordé pour lui demander de réparer des véhicules. Au début, le demandeur ignorait qu’il s’agissait de l’EIIS, et il a réparé les véhicules que les membres du groupe apportaient à son garage. Après quelques semaines, le demandeur s’est vu proposer un travail mieux rémunéré, à exécuter après les heures normales à un autre endroit, et il a accepté l’offre. Au cours des quelques mois suivants, le demandeur a réparé des véhicules et supervisé d’autres mécaniciens dans un hangar appartenant à l’EIIS.

[3]  Le demandeur a fini par se rendre compte qu’il s’agissait du groupe EIIS, et il a commencé à trouver des prétextes pour ne pas se rendre au travail. Il a été emmené quelques fois de plus au hangar et à d’autres endroits pour réparer des véhicules. Le demandeur dit qu’il avait aussi été approché par le Hezbollah. Au début, le Hezbollah lui avait défendu de travailler pour l’EIIS, mais, plus tard, l’organisation l’a approché à nouveau pour lui demander d’être son espion au sein de l’EIIS. Par la suite, le demandeur a pris des dispositions pour rendre visite à la sœur de son épouse au Canada. Les visas du demandeur et de son épouse ont été approuvés quelques semaines plus tard. Leurs visas canadiens prêts, le demandeur et son épouse se sont rendus à Beyrouth et y sont restés une semaine chez des parents, jusqu’à ce que leurs visas leur soient délivrés. Le demandeur et son épouse ont quitté le Liban pour le Canada le 23 mai 2015. Ils ont demandé l’asile le 4 septembre 2015.

[4]  Le 4 mai 2016, la Section de l’immigration (SI) a tenu une enquête et a conclu que le demandeur et son épouse n’étaient pas interdits de territoire au Canada au regard de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Puis, le 12 octobre 2016, la SPR a rendu sa décision dans laquelle elle rejetait la demande d’asile du demandeur, au motif qu’il était exclu de la protection offerte aux réfugiés, au titre de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. L’épouse du demandeur a pour sa part obtenu l’asile. Le 21 décembre 2018, il a été interjeté appel de la décision de la SPR concernant le demandeur. La SAR a confirmé en appel la décision de la SPR.

[5]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient : que les conclusions de la SAR sur la vraisemblance ne s’appuient pas sur des faits répondant à la norme des « cas les plus manifestes »; que la SAR a omis de prendre en considération le témoignage crédible de son épouse; et que la conclusion de la SAR à propos du caractère volontaire de sa contribution était déraisonnable, étant donné qu’il n’avait aucun moyen de s’en sortir sans danger au Liban et qu’il avait agi sous la contrainte. Par conséquent, le demandeur allègue que la décision de la SAR est déraisonnable.

[6]  Tout d’abord, je tiens à souligner que la décision écrite de la SAR est précise et claire. Pour les motifs énoncés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Faits

A.  Le demandeur

[7]  Monsieur Boutros Massroua (le demandeur) est âgé de 54 ans et est citoyen du Liban. Il est chrétien et vient de Zahlé, une ville située près de la frontière avec la Syrie, où il vivait avec son épouse, Mirna Ajaj. Au Liban, le demandeur travaillait comme mécanicien pour une petite entreprise.

[8]  En décembre 2014, Abu Mohamad, un nouveau client, s’est présenté au garage où le demandeur travaillait et lui a demandé de réparer son véhicule utilitaire sport (VUS). Soulignons que, dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA), le demandeur a indiqué qu’il était spécialiste des réparations difficiles et que ses compétences étaient supérieures à celles des autres mécaniciens. Au cours des quelques semaines qui ont suivi, Abu Mohamad a apporté plusieurs autres véhicules au demandeur pour qu’il les répare. Abu Mohamad a ensuite proposé au demandeur de lui verser un salaire plus élevé que son salaire habituel s’il était prêt à travailler après ses heures normales de travail. Le demandeur a accepté l’offre, et pendant plusieurs semaines, il a travaillé dans un endroit situé à 30 ou 40 minutes de route où il devait réparer des véhicules ou superviser et encadrer d’autres mécaniciens travaillant sur toutes sortes de véhicules.

[9]  Vers la fin de février ou le début de mars 2015, le demandeur a été conduit, le soir, à un autre établissement dirigé par un homme du nom d’Abu Arafat. Il s’agissait d’un endroit clos, à peu près aussi grand qu’un stationnement de 20 places et doté d’un bon éclairage artificiel. Notons que, pour une raison ou une autre, le demandeur appelle cet endroit un hangar. Le demandeur a remarqué que les hommes présents avaient de longues barbes et ne s’exprimaient pas avec un accent libanais. Ils installaient des métaux lourds sur le plancher des camions pour les renforcer et, selon ce qu’a déclaré le demandeur dans son témoignage, les barres et châssis de métal ne pouvaient avoir que des usages militaires. Le demandeur a aussi dit avoir vu des trous de balle sur certains véhicules. Abu Arafat a demandé au demandeur de réparer un grand camion dépourvu de plaque d’immatriculation, et l’a rémunéré pour ce travail.

[10]  Le demandeur a été conduit plusieurs fois à ce hangar, toujours la nuit. Il a indiqué qu’on le fouillait chaque fois qu’il arrivait sur les lieux, et qu’on lui retirait sa croix et son téléphone cellulaire. Le demandeur se conformait volontiers aux exigences, parce qu’il était bien payé et que les hommes étaient satisfaits de son travail.

[11]  Durant sa troisième nuit de travail au hangar, le demandeur a touché du sang encore humide à l’intérieur du véhicule qu’il réparait. Le demandeur a mentionné qu’il s’était alors senti effrayé pour la première fois. À la suite de cet incident, il a invoqué divers prétextes pour ne pas retourner au hangar. Il y a cependant été contraint lorsque des hommes portant des armes de poing se sont présentés chez lui. Ils l’ont ainsi conduit au hangar à cinq ou six autres occasions.

[12]  À un moment donné, en mars 2015, trois personnes sont venues chez lui, ont pris son passeport et y ont inséré un visa chinois. Elles lui ont dit de se préparer à aller en Chine, parce qu’elles voulaient qu’il achète quelque chose pour elles là-bas.

[13]  Le demandeur a été conduit en Syrie à trois occasions pour effectuer des réparations à un autre endroit, où il a été témoin de bombardements. Le demandeur a affirmé qu’il avait acquis la conviction, à ce moment‑là, que le groupe avec lequel il travaillait était l’EIIS. Plus tard, Abu Al Hassan, du Hezbollah, a rendu visite au demandeur et l’a accusé de travailler pour le groupe EIIS. Il lui a laissé une semaine pour cesser de travailler pour cette organisation. Le demandeur a tenté de communiquer avec son contact de l’EIIS, Abu Mohamad, pour lui faire savoir qu’il voulait arrêter de travailler pour eux. Incapable de joindre Abu Mohamad, le demandeur, avec son épouse, a décidé de prendre des dispositions pour aller rendre visite à la sœur de celle-ci, qui vivait au Canada. La sœur de Mme Ajaj a envoyé une lettre d’invitation le 22 avril 2015.

[14]  Selon le demandeur, des membres de l’EIIS se sont de nouveau présentés chez lui le 26 avril 2015 et l’ont contraint de retourner au hangar pour faire un travail important. Le demandeur a réparé un véhicule, puis a été reconduit chez lui. Une semaine plus tard, des membres du Hezbollah sont de nouveau allés voir le demandeur chez lui et l’ont accusé de leur avoir menti, parce qu’ils savaient que le demandeur avait encore travaillé pour l’EIIS. Le demandeur a expliqué aux membres du Hezbollah qu’il y avait été forcé. Il a affirmé que les membres du Hezbollah l’avaient alors menacé.

[15]  Le 5 mai 2015, des membres de l’EIIS se sont présentés encore une fois chez le demandeur. Alors qu’il était au lit et en pyjama, ils ont réveillé le demandeur et l’ont emmené en Syrie. Cependant, ils ne sont pas arrivés à destination, car le véhicule a dû s’arrêter peu de temps après en raison d’une crevaison, et le demandeur a été ramené chez lui sans avoir eu à effectuer quelque travail que ce soit.

[16]  Abu Al Hassan et deux membres du Hezbollah sont allés voir le demandeur à son travail. Ils lui ont dit qu’ils voulaient que le demandeur soit leur espion lorsqu’il retournerait en Syrie avec Daech. Ils lui ont promis 1 000 $ par nuit pour ses efforts.

[17]  Le soir même, des membres de Daech sont allés chercher le demandeur chez lui et l’ont emmené au hangar au Liban. Le demandeur leur a dit qu’il serait prêt à aller en Syrie s’ils le payaient davantage. Cette nuit‑là, il a été emmené en Syrie pour réparer un VUS. Le demandeur a mentionné qu’il avait essayé d’étirer les réparations, conformément aux instructions du Hezbollah, mais que le travail était peu complexe et qu’il avait été ramené chez lui vers 2 heures.

[18]  Le 5 mai 2015, le demandeur a reçu un courriel l’avisant de l’approbation de son visa canadien. Il s’est rendu à l’ambassade pour faire prendre ses empreintes digitales.

[19]  Vers le 10 mai 2015, Abu Arafat a appelé le demandeur et lui a dit de se rendre à un nouvel endroit, où il a été accueilli par des hommes à bord d’un VUS muni de mitrailleuses. Ils ont dit au demandeur qu’il devait se tenir prêt à se rendre en Chine. Ils l’ont aussi conduit en Syrie pour qu’il répare des véhicules. Le lendemain, des membres du Hezbollah ont dit au demandeur qu’ils installeraient un micro sur lui. Ils ont aussi menacé de les tuer lui et son épouse s’il n’obéissait pas.

[20]  Le 15 mai 2015, le demandeur a été avisé que son visa canadien était prêt. Le 16 mai 2015, le demandeur s’est rendu, avec son épouse, chez sa belle-famille à Beyrouth. Ils y sont restés jusqu’à ce que leurs visas leur soient délivrés, le 22 mai 2015. Le 23 mai 2015, le demandeur et son épouse sont partis au Canada.

B.  Historique des procédures

[21]  Le demandeur et son épouse ont présenté leurs demandes d’asile le 4 septembre 2015. Le 20 octobre 2015, le demandeur a été reçu en entrevue par un conseiller aux audiences de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), qui voulait examiner les motifs éventuels d’une interdiction de territoire au titre de la LIPR. Le 2 novembre 2015, la SPR a instruit l’affaire. Avant qu’une décision finale ne soit rendue, le ministre a demandé la suspension des procédures aux fins de la tenue d’une enquête.

[22]  Le 11 décembre 2015, le ministre a témoigné devant la SPR et a soulevé la question de l’exclusion au titre de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, parce qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité en raison de ses relations avec l’EIIS. Le 4 mai 2016, la SI a tenu une enquête et a conclu que le demandeur et son épouse n’étaient pas interdits de territoire au Canada au regard de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[23]  L’audience de la SPR a repris le 22 septembre 2016. Dans sa décision du 12 octobre 2016, la SPR a accordé l’asile à l’épouse du demandeur, mais a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il était exclu en application de l’article 98 de la LIPR et de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés. La SPR a conclu qu’il y avait des raisons sérieuses de penser que le demandeur s’était rendu complice de crimes contre l’humanité, parce qu’il avait volontairement contribué, de manière significative et consciente, aux activités de l’EIIS en réparant des véhicules utilisés pour faire avancer les objectifs de l’organisation. La SPR a rejeté les arguments du demandeur, qui soutenait que son travail pour l’EIIS avait été de courte durée, qu’il n’avait pu se dissocier de l’organisation une fois qu’il avait eu compris de qui il s’agissait, et que le groupe EIIS l’avait contraint à poursuivre son travail pour lui.

[24]  Le 14 décembre 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Après avoir examiné le dossier de façon indépendante, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en concluant que le demandeur avait volontairement contribué, de manière significative et consciente, aux activités de l’EIIS/Daech, et qu’en conséquence, il était exclu de la protection offerte aux réfugiés.

III.  Disposition pertinente

[25]  L’article 98 de la LIPR est libellé comme suit :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98 La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

98 A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

[26]  Par application de l’alinéa Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés visé à l’article 98 de la LIPR, ne peuvent avoir qualité de réfugié les personnes dont il y a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité. Dans l’arrêt Ezokola, la Cour suprême du Canada a précisé le critère à appliquer pour déterminer s’il y a eu complicité au sens de l’alinéa Fa) (Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CSC 40 (CanLII) [Ezokola]) : ainsi, pour refuser l’asile à un demandeur sur le fondement de cette disposition, il doit exister des raisons sérieuses de penser qu’il a volontairement contribué, de manière significative et consciente, aux crimes ou au dessein criminel d’une organisation (Ezokola, au par. 84).

[27]  Comme la SAR l’a à juste titre souligné, la norme de preuve à utiliser pour déterminer s’il y a ou non complicité est celle des « raisons sérieuses de penser ». Cette norme est moins stricte que celle dite de la « prépondérance des probabilités » en matière civile, mais plus stricte que celle des « motifs raisonnables de croire » (Ezokola, au par. 101).

IV.  Question à trancher

[28]  La question à trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable, et en particulier :

  1. si la SAR a commis une erreur en concluant qu’il était invraisemblable que le demandeur ne se soit pas rendu compte, dès sa première visite au hangar, que l’organisation était l’EIIS/Daech;

  2. si la SAR a commis une erreur en concluant que le demandeur avait travaillé volontairement pour l’EIIS/Daech;

  3. si la SAR a omis de prendre en considération le témoignage de l’épouse du demandeur.

V.  Analyse

A.  Conclusion de la SAR sur la vraisemblance

[29]  La SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que le demandeur n’ait pas pris conscience qu’il travaillait pour l’EIIS dès la première fois où il était allé au hangar. Dans sa décision, la SAR a examiné la question à la lumière d’un des facteurs énoncés dans l’arrêt Ezokola, soit celui de la durée de l’appartenance du demandeur à l’organisation, surtout après qu’il a pris connaissance de ses crimes ou de son dessein criminel.

[30]  Le demandeur soutient que les conclusions de la SAR sont fondées sur des conclusions déraisonnables quant à la vraisemblance, étant donné qu’il avait affirmé, dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et dans sa déclaration sous serment, qu’il avait seulement commencé à soupçonner le dessein criminel du groupe la troisième fois qu’il était allé au hangar. Le demandeur cite à cet égard la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 (CanLII), et la décision Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 225 (CanLII), selon lesquelles le tribunal ne devrait conclure à l’invraisemblance que dans les « cas les plus manifestes », parce que les conclusions d’invraisemblance sont, en soi, des évaluations subjectives qui dépendent largement de l’idée que les commissaires se font de ce qui constitue un comportement sensé.

[31]  Le demandeur soutient que les commissaires de la SPR et de la SAR n’ont pas pris en considération le contexte culturel dans leur conclusion sur la vraisemblance. Les mesures prises au hangar (c.‑à‑d. la fouille sommaire et la confiscation du téléphone cellulaire et de la croix) ne sont pas inhabituelles au Liban, où il y a des conflits religieux armés, même si elles pourraient éveiller des soupçons au Canada. Le demandeur a dit que les fouilles sommaires n’étaient pas inhabituelles, par exemple, dans les endroits à niveau de sécurité élevée. Le demandeur soutient donc que son compte rendu et sa propre compréhension des événements étaient exacts et vraisemblables, et que les faits ne répondent pas au critère des « cas les plus manifestes ».

[32]  Le défendeur soutient de son côté que les conclusions de la SAR sur la vraisemblance sont raisonnables, parce qu’elle a analysé un large éventail d’éléments de preuve, subjectifs et objectifs, pour appuyer sa décision de confirmer la conclusion de la SPR sur cet aspect. Je suis d’accord avec le défendeur. La SAR ne s’est pas contentée d’examiner le témoignage du demandeur selon lequel il était emmené quelque part la nuit, était fouillé sommairement et devait remettre sa croix et son téléphone; elle a également analysé les faits relatifs à plusieurs autres facteurs. La SAR a d’ailleurs fait remarquer ce qui suit dans ses explications sur ses conclusions quant à la vraisemblance :

La SPR a tiré cette conclusion en se fondant sur plusieurs facteurs :

- L’EIIS était entré dans la vallée de la Bekaa au Liban, région où vivait l’appelant. La SPR a fait remarquer que la preuve objective indique que, en 2015, cette région a souvent été pénétrée par divers groupes islamiques sunnites de la Syrie, en particulier l’EIIS.

- Le rapport sur la criminalité et la sécurité de l’Overseas Security Advisory Council souligne que l’EIIS est basé au Liban, où il mène ses activités. Le Liban est réputé pour sa sécurité déficiente et son accès facile aux armes dans de nombreuses zones de contrôle non gouvernemental, ce qui en fait un environnement idéal pour les organisations terroristes comme l’EIIS qui souhaitent se déplacer ou préparer des opérations.

- Selon des rapports, l’EIIS publie des vidéos sur Internet montrant la décapitation de soldats libanais pris en otage lors de combats près de la frontière libanaise, dans la région où l’appelant vivait. La zone frontalière a été brièvement saisie par l’EIIS, qui est entré au Liban.

- La guerre se poursuit en Syrie, pays voisin du Liban où l’EIIS joue un rôle clé. L’appelant a déclaré qu’il avait été témoin des activités menées par l’EIIS en regardant la télévision et qu’il connaît son existence. Il a décrit les objectifs de l’organisation ainsi que l’habillement de ses membres, et a parlé de leur longue barbe et de leur haine pour les chrétiens. L’appelant a dit qu’il savait que l’EIIS était présent dans la zone frontalière où il travaillait et vivait. Il a affirmé que l’EIIS menait ses activités depuis le Liban dans le but d’entrer en Syrie.

- La première fois qu’il s’était rendu au hangar, l’appelant savait qu’il y était amené parce que personne d’autre ne pouvait réparer les véhicules.

- L’appelant a fourni des détails importants sur sa première visite au hangar. Il a été conduit dans une zone sunnite pendant la nuit; il a dû enlever la croix qu’il portait; son téléphone lui a été retiré et il a été fouillé pour s’assurer qu’il n’avait pas d’armes. La SPR a conclu qu’une telle introduction aux activités avait mis l’appelant en garde contre le fait qu’il participait à une opération criminelle avant même d’entrer dans le hangar la première nuit.

- Lors de sa première nuit dans le hangar, il a vu de 15 à 20 jeeps ou véhicules 4x4 être réparés, soit les types de véhicules utilisés par l’EIIS.

- Lors de sa première nuit, il a remarqué que les plaques d’immatriculation de ces véhicules avaient été enlevées. Les véhicules avaient été repeints, et il a affirmé que des barres de métal ne pouvant servir que pour renforcer les véhicules en vue d’un conflit militaire avaient été installées

- L’appelant a reçu beaucoup d’argent comptant, dépassant de loin son salaire mensuel normal de mécanicien.

- La SPR a conclu que le témoignage de l’appelant concernant son premier voyage au hangar est tel qu’il aurait dû savoir qu’il n’aidait pas seulement des criminels qui achetaient et vendaient des véhicules. Il aurait plutôt dû savoir qu’il aidait des criminels impliqués dans des opérations militaires.

- De plus, la SPR a conclu que le témoignage de l’appelant révélait également qu’il s’agissait d’un groupe militaire illégal. L’appelant, qui savait que l’EIIS s’était infiltré au Liban à partir de la Syrie, a été conduit au hangar la nuit, de façon clandestine. Il a remarqué que les hommes parlaient en arabe dans un dialecte qui n’était pas libanais. Il a identifié l’accent comme étant syrien, voire irakien. Il a affirmé que les hommes dans le hangar avaient une longue barbe, ce qui est un autre signe indiquant leur appartenance à un groupe militant sunnite. Il a aussi dit qu’ils n’étaient pas des sunnites de la région, mais plutôt des étrangers.

- La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, l’appelant savait, après sa première visite au hangar, qu’il était impliqué dans le groupe EIIS et que, même s’il était au courant de ce fait, il avait continué de travailler volontairement pour l’organisation.

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]  L’effet cumulatif des conclusions de la SPR porte à croire que le demandeur a compris qu’il travaillait pour l’EIIS la première fois qu’il a visité le hangar. Le demandeur n’a présenté aucune hypothèse sur ce que pouvait être l’organisation, si ce n’était l’EIIS ou Daech. L’avocate du demandeur a fait remarquer qu’il y avait divers groupes militants dans la région. Cependant, je rappelle qu’il est indiqué, dans les documents sur les conditions dans le pays, qu’il y avait « divers groupes islamiques sunnites de la Syrie, en particulier l’EIIS ». Le groupe EIIS avait une très forte présence au Liban, surtout dans la région de la vallée de la Bekaa. Il avait pénétré dans la région, et y était très actif. Le demandeur a même précisé, dans son témoignage, qu’il avait vu à la télévision ce que faisait l’EIIS, et qu’il savait que le groupe était présent dans la zone frontalière où il travaillait et vivait. La SAR a donc raisonnablement conclu que les gens vivant dans la vallée de la Bekaa connaissaient l’EIIS et étaient au fait de ses activités. Le demandeur n’habitait pas dans une région isolée.

[34]  Le défendeur fait aussi observer que la SAR a pris en considération le témoignage de l’épouse du demandeur à propos de ce qu’ils avaient tous les deux observé. Madame Ajaj a déclaré qu’elle avait noté plusieurs indices avant de conclure que l’organisation était l’EIIS. Mis à part le fait qu’il avait vu et touché du sang la troisième fois qu’il était allé au hangar, le demandeur avait aussi remarqué d’autres choses la première fois qu’il avait visité le hangar.

[35]  À l’audience, l’avocate du demandeur a fait remarquer que ce dernier ne s’était pas méfié d’Abu Arafat la première fois qu’il lui avait été présenté, en raison de sa relation avec Abu Mohamad. J’estime que cela n’est pas convaincant, étant donné que le demandeur connaissait Abu Mohamad depuis quelques semaines seulement, ce qui n’est certainement pas suffisant pour établir ne serait‑ce qu’un début de relation de confiance. Au mieux, il s’agissait d’une relation d’affaires superficielle. L’avocate du demandeur a semblé vouloir revenir sur ses propres arguments en déclarant qu’au Canada aussi, les gens doivent retirer leurs symboles religieux. Toutefois, elle a affirmé l’inverse dans ses observations écrites, soit que ce genre de mesure éveillerait des soupçons au Canada.

[36]  Voici comment la SAR a résumé ses conclusions :

En ce qui concerne la présente affaire, la SPR a jugé tout à fait invraisemblable le témoignage de l’appelant selon lequel il ne savait pas qu’il travaillait pour le groupe EIIS avant sa troisième visite au hangar. La SPR n’a pas fondé cette conclusion sur une opinion subjective qui n’a rien à avoir avec le Liban. La commissaire a plutôt conclu que le témoignage de l’appelant était invraisemblable en raison d’une multitude de facteurs, y compris des éléments de preuve documentaire concernant l’EIIS, la connaissance qu’avait l’appelant de l’organisation, le fait que l’appelant était au courant que l’EIIS était présent dans certaines villes frontalières en 2015 et qu’il avait infiltré le Liban et la Syrie, ainsi que la description donnée par l’appelant de ses observations personnelles lors de son premier voyage au hangar. [Non souligné dans l’original.]

[37]  Je suis d’avis que le demandeur a nécessairement compris à quelle organisation il avait affaire dès sa première visite au hangar, mais qu’il a volontairement fermé les yeux et fait taire ses soupçons parce qu’il était généreusement payé pour son travail. Les éléments de preuve montrent que le demandeur a davantage résisté au Hezbollah qu’à l’EIIS/Daech. À cause de l’aveuglement volontaire et de la cupidité du demandeur, Daech a pu utiliser des véhicules en très bon état pour poursuivre ses objectifs cruels, qui ont entraîné, selon toute probabilité, des pertes de vies innocentes. La courte durée de la participation de M. Massroua à ces activités ne diminue en rien sa contribution significative au dessein criminel de Daech. Le défendeur cite, à juste titre, la décision Hadhiri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1284 (CanLII) [Hadhiri], selon laquelle une forme d’insouciance peut, même lorsqu’il n’y a pas d’aveuglement volontaire, appuyer une conclusion de contribution consciente aux activités d’une organisation. Citant l’analyse de l’arrêt Ezokola effectuée dans la décision Mata Mazima c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 531 (CanLII) [Mata Mazima], la Cour a déclaré, dans la décision Hadhiri, au par. 20 :

Un individu peut ainsi être complice d’un crime auquel il n’a ni assisté ni contribué matériellement s’il est prouvé qu’il a consciemment contribué de manière à tout le moins significative au crime perpétré par le groupe ou à la réalisation de son dessein criminel (au para 77). Cette contribution aux crimes commis n’a pas à être essentielle ou substantielle mais elle doit, pour être significative, être autre chose qu’une contribution infinitésimale (aux paras 56-57). Notamment, il n’est pas requis que la contribution vise la perpétration de crimes identifiables précis. Il suffit qu’elle vise un dessein commun plus large, comme la réalisation de l’objectif d’une organisation par tous les moyens nécessaires, y compris la commission de crimes de guerre (au para 87).

[38]  À tout le moins, le demandeur s’est montré insouciant parce qu’il souhaitait réaliser un gain économique, c’est-à-dire s’emplir les poches. Que ce soit par insouciance ou par aveuglement volontaire, la preuve donne à penser que le demandeur a compris très tôt dans ses relations avec l’organisation qu’il s’agissait de l’EIIS. Peut‑être souhaitait‑il fermer les yeux et faire taire ses soupçons sur l’identité de l’organisation. Cependant, un tel aveuglement dû à la cupidité n’excuse en rien l’aide que le demandeur a fournie à une organisation terroriste qui commet des crimes contre l’humanité. Par conséquent, les conclusions de la SAR sur la vraisemblance sont tout à fait raisonnables, en plus d’être bien étayées par des éléments de preuve subjectifs et objectifs. La SAR n’a pas omis de prendre en considération le contexte culturel; elle a même examiné attentivement les conditions dans le pays et le contexte politique du Liban, en particulier dans la région où le demandeur vivait et travaillait.

[39]  Je souhaite aborder brièvement une question qui a été soulevée à l’audience. L’avocate du demandeur a affirmé que les deux conclusions de fait, celle de la SI, d’une part, et celle de la SPR et de la SAR, d’autre part, étaient contradictoires et jetaient le doute sur la conclusion de la SAR quant à la vraisemblance. Par exemple, la SI a conclu que le demandeur ne savait pas qu’il travaillait pour Daech quand il a commencé à effectuer des travaux de mécanique pour Abu Arafat. Selon la SI, le fait que le demandeur ait cherché à se dissocier de l’organisation après avoir réalisé de qui il s’agissait était important. Cependant, la SPR et la SAR ont tiré des conclusions différentes. L’avocate du demandeur a soutenu que cette divergence avait pour effet de miner la conclusion de la SAR sur la vraisemblance et de démontrer que la conclusion de la SAR sur le caractère volontaire de la contribution du demandeur ne répondait pas à la norme des « cas les plus manifestes ». L’avocate du demandeur s’est référée à la décision Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 868 (CanLII) [Johnson] pour appuyer sa proposition selon laquelle il existait une certaine interdépendance entre la SI et la SPR en ce qui concerne les conclusions factuelles.

[40]  J’estime cependant que cette décision n’est d’aucun secours pour le demandeur. Dans la décision Johnson, la question à trancher par la Cour était celle de savoir si l’agente d’immigration avait commis une erreur en reprenant à son compte les conclusions de la SPR, sans se livrer à une analyse indépendante des faits, pour établir si la personne concernée était interdite de territoire (Johnson, au par. 17). Dans son analyse, la juge Mactavish a souligné que les décisions que rend la SPR quant aux faits doivent être considérées comme des conclusions de fait ayant force de chose jugée au moment de déterminer l’admissibilité au regard de l’article 35 de la LIPR (Johnson, au par. 24). Elle a ajouté ceci : « Les agents d’immigration qui doivent prendre des décisions quant à l’admissibilité doivent plutôt examiner les conclusions de fait de la Commission à la lumière des dispositions de l’article 35 de la LIPR. »

[41]  L’interdépendance entre la SI et la SPR évoquée dans la décision Johnson se restreint à l’incidence des conclusions de la SPR sur la décision ultérieure de la SI, alors que l’inverse n’est pas vrai. En outre, comme la SAR l’a fait observer avec justesse, l’audience de la SPR et la décision de la SI reposent sur des processus différents, étant donné que la SPR est tenue d’effectuer sa propre évaluation fondée sur les éléments de preuve dont elle dispose et de tirer ses propres conclusions.

B.  Conclusion de la SAR sur le caractère volontaire

[42]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en concluant au caractère volontaire de son travail pour l’EIIS, étant donné qu’il n’avait aucun moyen de s’en sortir sans danger au Liban. Il ajoute également que la conclusion ne s’appuyait sur aucun élément de preuve documentaire. Le demandeur renvoie à des éléments de preuve documentaire selon lesquels : l’EIIS était actif au Liban; un nombre toujours croissant de ressortissants libanais se joignaient à l’organisation; l’EIIS avait, en novembre 2015, fait exploser une bombe à Beyrouth, où vit la belle-famille du demandeur; le Liban est un petit pays, et il est difficile d’y garder l’anonymat; et l’EIIS avait déclenché un génocide contre les chrétiens. Le demandeur mentionne aussi le témoignage de son épouse sur leurs possibilités de fuir ailleurs dans le pays.

[43]  Aux dires du demandeur, il avait tenté de se dissocier de l’EIIS jusqu’à ce qu’il ait pu trouver le moyen d’obtenir un refuge permanent au Canada. Il soutient que, compte tenu des circonstances, il a immédiatement pris des mesures pour pouvoir quitter le pays à la première occasion. Je ne suis pas convaincu par les affirmations du demandeur. J’estime qu’il disposait d’un moyen de s’en sortir sans danger, mais qu’il a choisi de ne pas l’utiliser.

[44]  Quant à lui, le défendeur soutient que la SAR a mené une analyse contextuelle détaillée des éléments de preuve et a correctement évalué ceux qui concernaient la décision sur le caractère volontaire des actions du demandeur et sur son allégation de contrainte. Les facteurs qui sous‑tendent le moyen de défense fondé sur la contrainte sont les suivants : l’ampleur des menaces proférées contre le demandeur; la question de savoir si le demandeur a pris des mesures pour se soustraire à la menace; et la possibilité pour le demandeur de s’en sortir sans danger.

[45]  Le défendeur fait judicieusement remarquer que le demandeur a reconnu, dans son témoignage, qu’il n’avait jamais été blessé physiquement ni menacé explicitement par des membres de l’EIIS. Le demandeur ne s’est jamais vraiment montré réticent à l’idée de travailler pour l’EIIS, même après avoir [traduction] « compris » de qui il s’agissait, nommément le groupe EIIS/Daech. Le demandeur a tenté de communiquer avec Abu Mohamad pour se distancier de l’organisation seulement après avoir été menacé directement par le Hezbollah. Il est difficile de savoir si, avant d’avoir des problèmes avec le Hezbollah, le demandeur éprouvait le besoin de se dissocier de l’EIIS ou de fuir l’organisation, qui le payait très bien.

[46]  Même si le demandeur a commencé à trouver des prétextes pour ne plus travailler pour le groupe EIIS, il n’a fait aucune tentative pour le fuir. Il était libre de poursuivre ses activités quotidiennes; il n’était pas prisonnier de l’EIIS. La SAR a aussi mis en évidence les conclusions de la SPR quant au fait que le demandeur aurait pu aller vivre chez des membres de sa famille à Beyrouth ou à Tripoli, puisqu’il n’y avait aucun barrage routier, qu’il possédait deux véhicules et qu’il disposait de ressources financières suffisantes. Il est difficile de croire qu’une personne ayant à sa disposition les moyens de quitter sa ville y resterait alors qu’elle est [traduction] « contrainte » de travailler pour une organisation terroriste comme l’EIIS/Daech. Comme le veut l’expression : « aux grands maux, les grands remèdes ». Si le demandeur n’a pris aucune mesure, c’est parce que les maux n’étaient pas grands. Il n’était pas désespéré; il réparait les véhicules de l’EIIS et gagnait plus d’argent. Il est donc tout simplement resté chez lui, dans le confort de sa maison. La SAR a aussi souligné ce qui suit :

Par conséquent, j’ai examiné la question de savoir si [le demandeur] avait continué de travailler pour l’EIIS sur la croyance qu’il existait une menace implicite de mort ou de lésions corporelles de la part de l’EIIS s’il n’obéissait pas.

Après avoir examiné les éléments de preuve, je ne peux accorder de poids à cette défense, car [le demandeur] a continué de demeurer dans sa maison en sachant que l’EIIS reviendrait chaque fois qu’il aurait besoin de lui pour réparer ses voitures, même s’il avait un moyen de s’en sortir sans danger. En fait, lorsqu’il a finalement quitté Zahlé à la [mi-mai] 2015, il a simplement conduit sans difficulté jusqu’à Beyrouth, où il a séjourné chez des membres de sa famille élargie jusqu’à ce qu’il obtienne son visa canadien.

[47]  L’avocate du demandeur a affirmé, à l’audience, que le fait que le demandeur ait été en mesure de conduire jusqu’à Beyrouth sans avoir à passer de barrages routiers, et d’y séjourner une semaine chez des membres de sa belle-famille, ne veut pas dire qu’il disposait d’un moyen permanent de s’en sortir sans danger. L’avocate du demandeur a aussi fait remarquer que le demandeur vivait caché et qu’il achetait chaque jour des billets d’avion pour ensuite les annuler, parce qu’il attendait que leurs visas canadiens soient délivrés.

[48]  À l’audience, la Cour a demandé pour quelle raison le demandeur ne s’était pas caché dès qu’il avait su que l’EIIS connaissait son adresse. L’avocate du demandeur a répondu que celui‑ci était resté chez lui jusqu’à ce qu’il trouve un endroit sécuritaire. Elle a aussi fait observer que le Hezbollah avait abordé le demandeur peu de temps après. Compte tenu de la portée nationale du Hezbollah, le demandeur ne croyait pas être en mesure de fuir cette organisation.

[49]  Malgré tout, il reste que le demandeur avait eu plus tôt l’occasion de quitter sa ville natale en toute sécurité pour, à tout le moins, rester temporairement chez des membres de sa famille à Beyrouth ou à Tripoli jusqu’à ce qu’il ait trouvé une solution permanente. Il a cependant décidé de ne rien faire, et a laissé passer de nombreuses semaines. Même lorsque le demandeur a, selon ses allégations, compris, à sa troisième visite au hangar, qu’il travaillait pour l’EIIS, il n’a pas cherché à s’extraire de cette situation. Entre les premières visites au hangar et le moment où le Hezbollah, plus tard, l’a abordé, le demandeur aurait pu se rendre chez son frère, dans le nord, où il croyait que l’EIIS n’avait pas d’influence. Or, il n’en a rien fait.

[50]  Comme il a été mentionné plus haut, le demandeur n’était pas prisonnier de l’EIIS. Il aurait pu sans problème aller ailleurs. Aucun élément de preuve ne donne à penser que l’EIIS observait ses déplacements quotidiens. Le demandeur avait un moyen de s’en sortir sans danger avant que la situation ne se détériore et que le Hezbollah ne l’aborde. Il a eu l’occasion de cesser de travailler pour l’EIIS, mais il ne l’a pas saisie.

[51]  À la lumière des éléments de preuve, il appert que la SAR a raisonnablement conclu au caractère volontaire de la contribution du demandeur aux activités de l’EIIS et au fait qu’il n’a pas réussi à établir le moyen de défense fondé sur la contrainte.

C.  Prise en considération du témoignage de Mme Ajaj

[52]  Le demandeur affirme que la SAR n’a pas pris en considération le témoignage de son épouse, Mme Ajaj, que la SPR a jugé crédible. Le demandeur avance que la SAR a omis de prendre en considération la déclaration de Mme Ajaj selon laquelle le demandeur ne s’était pas rendu compte qu’il s’agissait de l’EIIS à sa première visite au hangar et avait été contraint de continuer de travailler pour l’EIIS.

[53]  À l’inverse, le défendeur soutient que rien ne laisse croire que la SAR n’a pas pris en considération le témoignage de Mme Ajaj. Celle-ci, dans son témoignage, a dit que le demandeur avait conclu que l’organisation était l’EIIS à partir de nombreuses observations, et la SAR a évalué son témoignage en tenant compte de l’ensemble des éléments de preuve. En outre, d’après le défendeur, le demandeur demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, même si le demandeur conteste le poids accordé aux éléments de preuve sous‑tendant les conclusions de la SAR, il n’y a pas là d’erreur pouvant être examinée dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il est loisible à la SAR de tirer une conclusion raisonnable en se fondant sur les éléments de preuve à sa disposition.

VI.  Question certifiée

[54]  Il a été demandé à l’avocate de chacune des parties s’il y avait des questions à certifier. Chacune a indiqué qu’elle n’avait pas de questions à soulever à des fins de certification, et je suis d’accord.

VII.  Conclusion

[55]  La décision de la SAR est raisonnable et ne justifie pas que la Cour intervienne. Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-421-19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑421‑19

INTITULÉ :

BOUTROS MASSROUA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 septembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 3 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Amanda Aziz

 

pour Le demandeur

Jocelyne Mui

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR Le demandeur

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

pour le défendeur

 

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