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Date : 20191119


Dossier : T‑2190‑18

Référence : 2019 CF 1445

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2019

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

AAREN JAGADEESH

demandeur

et

BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC)

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Dans le jugement et les motifs rendus le 24 septembre 2019 à l’égard de la présente procédure, et dont la référence neutre est 2019 CF 1224 [le jugement et les motifs], j’ai accordé des dépens au demandeur, qui a eu gain de cause. Les parties disposaient d’un délai de 30 jours pour s’entendre sur le montant des dépens ou, à défaut d’entente, pour présenter des observations écrites sur les dépens. Incapables de s’entendre, les deux parties ont déposé des observations qui ont été examinées avec soin.

[2]  Comme il est indiqué au paragraphe 67 du jugement et des motifs, les parties ont présenté de brèves observations sur les dépens à l’audience. Monsieur Jagadeesh a demandé au moins 438,10 $ pour couvrir ses débours, tandis que la CIBC a demandé des frais d’indemnisation partiels estimés à 5 000 $. Les parties sont toujours en désaccord; M. Jagadeesh demande maintenant des dépens fixes (essentiellement, une somme globale) de 6 646,57 $, tandis que la CIBC soutient que des dépens de 500 $ devraient être adjugés à M. Jagadeesh.

[3]  L’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles] constitue le point de départ de toute adjudication de dépens par la Cour. Le paragraphe 400(1) des Règles précise que la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer ». En outre, la Cour peut « adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés »: paragraphe 400(4) des Règles. En vertu du paragraphe 400(3), la Cour peut notamment tenir compte des facteurs pertinents suivants : le résultat de l’instance; l’importance et la complexité des questions en litige; la charge de travail; la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance; la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou si elle a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection; ou toute autre question que la Cour juge pertinente.

[4]  Comme l’a constaté la Cour d’appel fédérale au paragraphe 11 de l’arrêt Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 [Nova Chemicals], les « tribunaux privilégient de plus en plus l’adjudication de sommes globales au titre des dépens ». La Cour d’appel a également indiqué ce qui suit dans l’arrêt Nova Chemicals :

[17]  Il ressort d’un examen de la jurisprudence que les dépens majorés adjugés sous forme de somme globale correspondent généralement à un pourcentage allant de 25 à 50 % des frais effectivement engagés. Toutefois, certaines circonstances pourraient justifier un pourcentage plus ou moins élevé.

[18]  Lorsqu’une partie demande l’adjudication de dépens sous forme de somme globale fixée selon un pourcentage des frais judiciaires effectivement engagés et que cette somme est supérieure au barème prévu au tarif, il est indiqué pour la partie de produire un mémoire de frais et des éléments de preuve étayant les frais effectivement engagés. Il est également indiqué de fournir une description des services rendus en contrepartie qui permet de justifier l’indemnisation de la partie. Ainsi, la preuve de la nature et de l’étendue des services fournis doit être suffisante pour permettre à la partie de prendre une décision éclairée quant au règlement des frais ou à leur contestation et à la Cour de conclure au caractère raisonnable des frais effectivement engagés et du pourcentage adjugé dans le cadre d’un litige.

[5]  Bien que M. Jagadeesh n’ait pas fourni de preuve à l’appui des débours réclamés, je suis d’avis que la Cour se doit de faire preuve d’une certaine souplesse à l’égard d’un plaideur qui se représente lui‑même : Herrington c Canada (Agence du revenu), 2016 CF 953, au par. 2.

[6]  Dans ses observations, M. Jagadeesh a mentionné la décision de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Blustein c Kronby, 2010 ONSC 1718 [Kronby]. À mon avis, les principes d’adjudication des dépens décrits aux paragraphes 4 et 5 de l’arrêt Kronby sont pertinents en l’espèce :

[traduction]

[4]  En pratique, et conformément aux règles et aux décisions de la Cour d’appel, l’adjudication des dépens correspond habituellement à une indemnisation partielle. L’un des principes qui sous‑tendent le système de règlement des litiges de la province est le suivant : les litiges ne sont pas gratuits, et la partie qui a gain de cause ne recouvre normalement qu’une partie — généralement le tiers ou la moitié — de ses frais juridiques réels auprès de la partie déboutée. Le niveau suivant de dépens, à savoir l’indemnisation substantielle, n’est accordé que dans trois situations : si une telle indemnisation est précisée dans une entente contractuelle; s’il existe des offres de règlement qui entraînent l’application de l’article 49; ou si le comportement de la partie déboutée était « répréhensible » ou « outrageux », et méritait donc d’être sanctionné.

[5]  Dans la mesure où l’une des parties plaide conformément aux règles, même si elle le fait de façon agressive et implacable, ainsi que d’une manière qui pourrait très bien mécontenter l’autre partie, cela ne constitue pas en soi un comportement « répréhensible ». Les tribunaux exigent généralement une preuve d’abus de procédure ou de malveillance, ou encore d’une forme de conduite qui est par ailleurs « évidente ». Une indemnisation substantielle peut alors être accordée à titre de châtiment et de sanction.

[7]  Malgré les affirmations contraires de M. Jagadeesh, je ne suis pas convaincue que l’avocat de la CIBC ait adopté une conduite qui justifie de quelque manière que ce soit une indemnisation substantielle. Les deux parties ont vigoureusement et respectueusement fait valoir leur position à l’audience orale et dans leurs observations écrites. En outre, comme la Cour d’appel l’a précisé dans l’arrêt Galati c Harper, 2016 CAF 39, au paragraphe 22, « [p]ar définition, un plaideur qui se représente lui‑même n’a pas d’avocat; par conséquent, il n’engage aucuns frais relativement auxquels l’indemnisation intégrale est appropriée ».

[8]  Les plaideurs qui se représentent eux‑mêmes sont admissibles à des dépens raisonnables en plus de leurs débours pour le temps et les efforts qu’ils ont consacrés à la préparation et à la présentation de leur cause, et dans la mesure où ils ont cessé d’exercer d’autres activités rémunératrices : Sherman c Canada (Ministre du revenu national), 2003 CAF 202, aux par. 46 à 52; Yu c Canada (Procureur général), 2011 CAF 42, au par. 37. Ces dépens ne devraient pas excéder ceux auxquels un avocat aurait été admissible selon le tarif s’il avait été nommé : Air Canada c Thibodeau, 2007 CAF 115, au par. 24.

Par conséquent, M. Jagadeesh a droit, tout au plus, à une indemnisation partielle que je fixe, au moyen de mon pouvoir discrétionnaire, à 50 % du montant de 6 646,57 $ qu’il demande maintenant, pour un total de 3 332,30 $ (arrondi à la hausse), tout compris. Ces dépens se situent entre la valeur du milieu et la valeur maximale de la fourchette de la colonne IV du tarif B des Règles. Bien que cette adjudication des dépens s’écarte de ce qui est prévu à l’article 407 des Règles, il m’appartient néanmoins de l’accorder.


ORDONNANCE dans le dossier T‑2190‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. Les dépens adjugés au demandeur sont fixés à 3 332,30 $ et payables sans délai par la défenderesse.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de décembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2190‑18

 

INTITULÉ :

AAREN JAGADEESH c BANQUE CANADIENNE IMPÉRIALE DE COMMERCE (CIBC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 SeptembRE 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 19 NovembRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Aaren Jagadeesh

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Elisha Jamieson‑Davies

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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