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Date : 20191205


Dossier : T‑94‑19

Référence : 2019 CF 1561

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ARNOLD STENGER

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire vise à contester la décision rendue par un délégué du ministre de l’Emploi et du Développement social (le délégué) au titre du paragraphe 66(4) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985 c C‑8 (RPC). Le demandeur, Arnold Stenger, prétend que la décision de refuser sa demande de prestation d’invalidité pour les années 2004 à 2012 est le résultat d’une erreur administrative que le délégué n’a pas corrigée et qu’elle est, par conséquent, déraisonnable.

I.  Contexte

[2]  Depuis de nombreuses années, M. Stenger poursuit ses démarches administratives pour l’obtention de prestations d’invalidité au titre du RPC. Il a présenté sa première demande de prestations en 2004. Le 2 février 2005, une évaluatrice médicale a refusé cette demande pour les motifs suivants :

[traduction]

Nous avons pris connaissance de tous les renseignements et documents figurant à votre dossier, y compris l’ensemble des rapports que vous nous avez transmis et ceux que nous avons demandés. Voici les rapports dont nous disposons :

  votre demande et votre questionnaire

  le rapport rédigé par votre médecin de famille en date du 15 avril 2004, y compris les pièces jointes, à savoir des copies du rapport d’un rhumatologue daté du 20 octobre 1997, des copies des rapports d’un deuxième rhumatologue, qui portent les dates du 19 juillet 2000, du 5 novembre 2001 et du 15 avril 2002, une copie du rapport d’un pneumologue daté du 19 décembre 2001, des notes provenant de dossiers cliniques et datées du 22 janvier 2001 et du 7 février 2001 et des copies des rapports de médecins de famille datés du 16 février 2001 et du 2 décembre 2002

  votre questionnaire sur le travail indépendant, daté du 20 janvier 2005, et les feuillets T4A qui vous ont été délivrés par Royal Lepage Noralta Real Estate pour les années 2001, 2002 et 2003

Nous reconnaissons que vous avez certaines limitations résultant de problèmes de santé liés à la spondylarthrite ankylosante. Cependant, nous sommes arrivés à la conclusion que votre état ne vous a pas empêché de travailler en décembre 2001. Pour rendre notre décision, nous avons tenu compte des facteurs suivants :

  d’après votre pneumologue, en décembre 2001, vous sembliez bien vous porter et vous jouissiez toujours d’une ampliation thoracique raisonnable;

  d’après votre questionnaire sur le travail indépendant, vous avez réduit radicalement votre horaire de travail en 2003, soit bien après la fin de la période durant laquelle vous étiez admissible aux prestations d’invalidité du RPC;

  d’après vos feuillets T4A, vous avez tiré des gains d’un travail indépendant en 2001, 2002 et 2003 et en 2002, vos gains étaient ceux d’une occupation véritablement rémunératrice.

Nous avons conclu que vous étiez en mesure d’effectuer un certain type de travail depuis le début de décembre 2001.

[3]  M. Stenger aurait pu demander le réexamen de la décision reproduite ci‑dessus, puis interjeter appel au besoin. Il n’a rien fait de cela.

[4]  En 2012, M. Stenger a présenté une nouvelle demande de prestations d’invalidité. Après avoir initialement essuyé un refus, il est parvenu à conclure avec le ministre, le 26 janvier 2017, une entente reconnaissant son invalidité et son droit à des prestations avec effet rétroactif à janvier 2012.

[5]  En 2015, invoquant le refus de lui accorder des prestations en 2005 puis en 2012, M. Stenger a demandé au ministre de lui accorder la réparation prévue au paragraphe 66(4) du RPC. Cette disposition accorde au ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler, dans certains cas, la décision par laquelle une demande de prestations a été refusée. S’agissant de la décision de 2012, la demande de M. Stenger est devenue théorique lorsque le ministre a accepté de lui verser des prestations d’invalidité à compter de 2012. En ce qui concerne les prestations refusées en 2005, M. Stenger a maintenu sa demande de réparation au titre du paragraphe 66(4). Cette demande a été rejetée par le délégué dans une décision rendue le 11 décembre 2018. La présente demande découle de cette décision.

II.  La norme de contrôle

[6]  Les parties conviennent que la décision du délégué soulève une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée au regard de la norme de la décision raisonnable, laquelle commande la retenue. Cette conclusion est conforme à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Torrance, 2013 CAF 227, au paragraphe 34, 366 DLR (4th) 556. 

III.  La décision du délégué était‑elle déraisonnable?

[7]  Selon le paragraphe 66(4) du RPC, le ministre jouit d’un certain pouvoir l’autorisant à corriger une décision de refuser des prestations si cette décision est la conséquence d’un avis erroné ou d’une erreur administrative. Ce paragraphe est ainsi libellé :

66(4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

 

66(4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

 

 

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

 

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

 

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

 

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

 

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1, le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1, the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

[8]  M. Stenger prétend que le délégué a omis de reconnaître deux erreurs « administratives » commises par l’évaluatrice médicale lors du rejet de sa première demande, en 2005. Il affirme que le délégué a en quelque sorte [traduction« gravé dans le marbre » ces erreurs, lesquelles font que la décision rendue en 2018 sous le régime du paragraphe 66(4) est déraisonnable. La première erreur découlerait du fait que l’évaluatrice médicale s’est fondée sur le revenu brut gagné par M. Stenger au titre de son travail indépendant d’agent immobilier à temps partiel, plutôt que sur son revenu net, un indicateur plus pertinent. La seconde erreur tiendrait au défaut que le délégué n’a pas relevé le traitement apparemment sélectif que l’évaluatrice médicale aurait réservé à la preuve médicale pertinente et n’y a pas non plus remédié. M. Stenger soutient que l’évaluatrice médicale n’a pas accordé l’importance qui convenait aux affections de fibromyalgie et de fatigue chronique pour lesquelles il a reçu un diagnostic, ce qui constitue selon lui une erreur administrative.

[9]  Les paragraphes suivants de la lettre de décision illustrent comment le délégué a traité ces questions :

[traduction]

En ce qui concerne l’allégation voulant que le refus d’accorder des prestations ait été fondé principalement sur le constat qu’un emploi véritablement rémunérateur avait été occupé après décembre 2001, notre examen révèle que vos demandes n’ont pas été rejetées sur la base de vos seuls revenus, mais bien de l’ensemble de la preuve médicale et non médicale disponible. Le Cadre d’évaluation de l’invalidité, sous la rubrique « Critère "grave" pour évaluer si une personne est "régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice" », informe les évaluateurs médicaux qu’ils doivent examiner les renseignements médicaux de pair avec les renseignements sur le travail indépendant figurant au dossier pour déterminer si la situation d’une personne répond aux critères de l’invalidité « grave » et « prolongée ». Cette politique explique que lorsqu’il évalue l’admissibilité d’un travailleur indépendant, ce n’est pas tant la rentabilité de l’activité qui compte, mais comment cette rentabilité, conjuguée à la productivité et au rendement, témoigne de la capacité régulière de travailler de la personne. Les renseignements relatifs à la rémunération ne fournissent qu’une indication partielle de la capacité d’une personne à travailler et ne sont pertinents que s’ils sont examinés en parallèle avec ceux qui ont trait à son état pathologique.

S’agissant de l’allégation particulière selon laquelle les évaluateurs médicaux se serviraient du revenu brut plutôt que du revenu net pour rendre une décision quant à la question de l’emploi véritablement rémunérateur, notre examen indique que l’évaluatrice médicale a pris des mesures pour analyser votre niveau d’activité en tant qu’agent immobilier indépendant, et ce, afin de déterminer si vous étiez régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice, et non pas uniquement de faire le travail que vous faisiez en tant que travailleur indépendant. L’évaluatrice médicale a pris des mesures pour obtenir des précisions au sujet des feuillets T4A relatifs à votre travail en demandant que lui soient présentés des états des résultats et le questionnaire sur le travail indépendant. Comme elle n’a reçu de vous aucun état des résultats étayant les revenus nets indiqués, l’évaluatrice médicale s’est servi des renseignements sur les revenus bruts qui étaient au dossier afin d’analyser l’élément de rentabilité en fonction de l’information sur la productivité et le rendement et ainsi évaluer votre capacité d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Ces mesures prises aux fins de l’évaluation sont conformes aux indications formulées dans le Cadre d’évaluation de l’invalidité : « Critère "grave" pour évaluer si une personne est "régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice" ».

[…]

Concernant l’allégation voulant que l’évaluation médicale n’ait que peu ou pas tenu compte de votre état pathologique au moment de votre première demande, notre examen indique que pour déterminer votre admissibilité aux prestations d’invalidité du RPC, l’évaluatrice médicale a pris connaissance et tenu compte de tous les rapports médicaux au dossier, de la nature de votre état, de vos limitations fonctionnelles, de l’incidence des traitements et des pronostics. Cette façon de procéder est conforme aux indications formulées dans le Cadre d’évaluation de l’invalidité : « Critère de gravité pour l’indicateur principal (état pathologique) ».

[10]  M. Stenger prétend que ces motifs ne sont pas suffisamment transparents pour lui permettre de comprendre le fondement de la décision du délégué. Je ne suis pas de cet avis, mais, quoi qu’il en soit, la décision du délégué est en outre étayée par un long compte rendu portant sur l’erreur administrative et rédigé en réponse aux allégations de M. Stenger. Ce compte rendu répondait de manière plus précise aux préoccupations de ce dernier :

[traduction]

Comme M. Stenger avait déclaré des revenus de travail indépendant de 5 733,50 $ pour 2001, de 16 582,00 $ pour 2002 et de 6 857,40 $ pour 2003, postérieurement à la [dernière date possible du début de l’invalidité], l’évaluatrice médicale a pris des mesures pour analyser le niveau d’activité du client afin de déterminer s’il était régulièrement incapable de détenir une quelconque occupation véritablement rémunératrice, et non pas uniquement de faire le travail qu’il faisait en tant que travailleur indépendant.

Le Cadre d’évaluation de l’invalidité, sous la rubrique « Critère "grave" pour évaluer si une personne est "régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice" », informe les évaluateurs médicaux qu’ils doivent examiner les renseignements médicaux de pair avec les renseignements sur le travail indépendant figurant au dossier pour déterminer si la situation du client répond aux critères de l’invalidité « grave » et « prolongée ».

Cette politique explique que lorsqu’il évalue l’admissibilité d’un travailleur indépendant, ce n’est pas tant la rentabilité de l’activité qui compte, mais comment la rentabilité, conjuguée à la productivité et au rendement, témoigne de la capacité régulière de travailler du client. Les renseignements relatifs à la rémunération ne fournissent qu’une indication partielle de la capacité d’une personne à travailler et ils ne sont pertinents que s’ils sont examinés en parallèle avec ceux qui ont trait à son état pathologique.

Pour évaluer l’interaction entre le rendement, la productivité et la rentabilité de M. Stenger et ainsi déterminer sa capacité à travailler, l’évaluatrice a demandé à ce dernier de lui remettre le questionnaire sur le travail indépendant et des états des résultats. M. Stenger a bien fourni à l’évaluatrice le questionnaire dûment rempli, mais au lieu de présenter des états des résultats, il a produit des copies de ses feuillets T4A, sur lesquels figuraient des chiffres manuscrits censés correspondre à ses revenus nets des années 2001 à 2003. À défaut de disposer de renseignements permettant de voir comment ces chiffres avaient été obtenus, l’évaluatrice s’est servi des revenus bruts inscrits sur les T4A afin d’analyser l’élément de rentabilité en fonction de l’information sur la productivité et le rendement versée au dossier et ainsi évaluer la capacité du client de travailler. Conformément à ce que prévoit la politique concernant la charge de la preuve, c’est à M. Stenger qu’il incombait de fournir les renseignements à l’appui de sa demande, comme les états des résultats.

Le résumé de la première évaluation daté de février 2005 montre que l’évaluatrice médicale a pris connaissance et tenu compte de l’ensemble de la preuve médicale et non médicale étayant la demande présentée par M. Stenger en 2004 avant de se prononcer sur son admissibilité. L’évaluatrice a fait référence aux rapports médicaux et aux renseignements non médicaux qu’elle avait examinés dans le cadre de son évaluation, ce qui comprenait tous les rapports médicaux, pronostics de votre médecin de famille et caractéristiques personnelles (âge, éducation, expérience de travail). La preuve médicale couvrait une période qui allait d’octobre 1997 à avril 2004 et qui précédait et suivait la PMA [période minimale d’admissibilité]. L’évaluatrice a noté que M. Stenger avait touché ses revenus de travail indépendant après la fin de sa PMA, en décembre 2001, et qu’il n’avait pas versé de cotisations au RPC pendant ces années où il avait eu des revenus. L’évaluatrice a aussi remarqué que M. Stenger a démarré ses activités de travailleur indépendant en 2001, qu’il a diminué radicalement son horaire de travail au début de 2003 et qu’il a entièrement cessé de travailler au printemps et à l’été de 2004. Toutes ces périodes de travail indépendant sont consécutives à la dernière date possible du début de l’invalidité de la PMA, soit décembre 2001.

La preuve examinée dans les motifs de la décision montre que l’évaluatrice s’est conformée à la ligne directrice du Cadre d’évaluation de l’invalidité intitulée « Critère “grave” pour évaluer si une personne est “régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice” » lorsqu’elle a analysé la preuve relative à l’état pathologique et à la capacité de travailler de M. Stenger (y compris ses revenus de travail indépendant) et qu’elle est arrivée à la conclusion que M. Stenger n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongée » au sens du RPC à la dernière date possible du début de son invalidité, le 31 décembre 2001.

En ce qui concerne la remarque du Dr Wodak, à savoir que l’évaluatrice médicale a noté qu’il n’y avait pas eu de cotisations au RPC de 2001 à 2003 sans essayer de comprendre cette apparente contradiction, le fait de déclarer qu’il n’y a pas eu de cotisations au RPC de 2001 à 2003 tend à confirmer que l’évaluatrice a examiné les revenus tirés d’un travail indépendant et qu’elle n’a pas constaté de nouvelles cotisations. Si elle en avait constaté, l’évaluatrice aurait alors procédé à une évaluation de ces revenus afin de déterminer s’ils pouvaient avoir pour effet de repousser la PMA de M. Stenger à une date ultérieure. En l’occurrence, l’évaluatrice a noté dans son résumé d’évaluation qu’aucune cotisation n’avait été versée au regard des revenus tirés d’un travail indépendant. L’absence de cotisations pour les revenus d’un travail indépendant n’aurait pas été un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la capacité de travailler de M. Stenger.

Pour ce qui est du fait que l’évaluatrice médicale « n’a pas commenté les feuillets T5007 », comme le remarque le Dr Wodak dans sa lettre du 21 mai 2015, les prestations d’aide sociale ne sont pas considérées comme un revenu gagné et ne sont donc pas prises en considération par les évaluateurs dans le calcul des revenus.

En conclusion, la décision du 2 février 2005 de ne pas accorder de prestations d’invalidité au titre du RPC n’a pas été prise uniquement sur la base des revenus, mais en fonction de l’ensemble de la preuve disponible, conformément au Cadre d’évaluation de l’invalidité et aux politiques et procédures qui en découlent. L’évaluatrice médicale a procédé à un examen exhaustif de la preuve médicale et non médicale versée au dossier et elle a conclu que M. Stenger avait conservé la capacité d’occuper un emploi à temps partiel adapté après décembre 2001. En ce sens, M. Stenger n’était pas atteint d’une invalidité « grave et prolongée » à la dernière date possible du début de l’invalidité de décembre 2001, et sa demande de prestations d’invalidité de 2004 a donc été refusée.

[11]  La façon dont le délégué a traité la preuve relative aux revenus d’emploi de M. Stenger ne révèle aucune erreur susceptible de révision. Bien au contraire, l’analyse du délégué montre qu’il a abordé le dossier dans sa globalité, comme il convenait de le faire, en accordant la préséance à l’état de santé de M. Stenger plutôt qu’à ses antécédents professionnels. Le délégué a aussi souligné la faible valeur probante des renseignements fournis par M. Stenger pour étayer ses revenus nets et le fait que ce dernier n’avait pas produit les états des résultats demandés. Comme l’a fait observer le délégué, M. Stenger avait la charge de la preuve, mais il a n’a pas présenté un dossier solide pour parvenir à expliquer la baisse de ses revenus au cours de la période pertinente. 

[12]  Le dossier ne permet pas non plus d’étayer une autre préoccupation de M. Stenger, qui affirme que le délégué a négligé de tenir compte de l’interprétation [traduction« sélective » que l’évaluatrice médicale aurait faite de la preuve médicale de 2005. À l’époque en question, l’évaluatrice médicale a rédigé des résumés d’évaluation très précis. Ces résumés contiennent une description passablement détaillée des maux dont se plaignait M. Stenger, des affections observées et des traitements. Dans l’ensemble, si ces éléments démontrent que M. Stenger présente des [traduction« problèmes de santé importants », ils n’établissent pas son incapacité à détenir un emploi rémunérateur à temps partiel. En fait, le 28 janvier 2005, M. Stenger a signalé qu’il se trouvait au Yukon pour chercher un emploi.

[13]  Je suis convaincu que l’évaluation que le délégué a faite de la décision de l’évaluatrice médicale, y compris en ce qui a trait aux questions soulevées par M. Stenger, était à tous égards intelligible, justifiée et transparente ou, autrement dit, qu’elle était raisonnable.

[14]  Indépendamment de la conclusion à laquelle j’en arrive sur la question du caractère raisonnable de la décision du délégué, je formulerais une autre réserve relativement à la tentative de M. Stenger de se servir du paragraphe 66(4) pour contourner le refus de lui accorder des prestations en 2005. Ce paragraphe n’a jamais été conçu comme une alternative aux droits déjà très larges de réexamen et d’appel dont peuvent se prévaloir les requérants qui se voient refuser leur demande de prestations du RPC. M. Stenger tente dans les faits de monter une attaque indirecte contre le refus de lui accorder des prestations en 2005 alors qu’il aurait pu et qu’il lui aurait fallu contester cette décision à l’époque. Le fait de recourir de la sorte au paragraphe 66(4) constitue une tentative inappropriée d’introduire un appel sur le fond alors que ce recours est par ailleurs prescrit.

[15]  La Cour fédérale a décrit le champ d’application restreint de la réparation permise par le paragraphe 66(4) du RPC dans la décision Jones c Canada (Procureur général), 2010 CF 740, 373 FTR 142. Dans cette affaire, l’auteur de la demande de prestations d’invalidité avait exercé, sans succès, un certain nombre de recours en appel offerts par le RPC, après quoi il avait demandé une réparation au titre du paragraphe 66(4). Aux paragraphes 37 à 39 de la décision, la Cour explique clairement que cette disposition n’est pas applicable aux décisions prises dans le cadre du processus consistant à déterminer, sur le fond, s’il y a lieu d’accorder une pension d’invalidité :

37  La Cour d’appel fédérale explique en effet, aux paragraphes 28 à 32 de l’arrêt King 2009, que cette notion s’entend de renseignements inexacts donnés par un fonctionnaire à un membre du public, et non d’avis donnés par le ministère au ministre ou à ses représentants lorsqu’ils décident si une pension devrait ou non être accordée. Un avis erroné ne comprend pas non plus une « décision » erronée.

38  Par ailleurs, dans l’arrêt King 2009, le juge J. Edgar Sexton, s’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, précisait également que le fait qu’une décision du ministre ou de son représentant soit ultérieurement infirmée (même en l’absence de preuves nouvelles) ne prouve nullement qu’un avis erroné a été donné car alors le ministre serait privé de son pouvoir discrétionnaire. Ce point mérite d’être souligné, d’autant que, selon M. Jones, la Cour devrait présumer que, parce qu’il a réglé l’affaire en 2008, le ministère a implicitement admis que M. Jones remplissait en décembre 1989 les critères d’invalidité, au vu des pièces versées dans le dossier, notamment la lettre de 1987 du Dr O’Brien et les notes d’évolution de 1986‑1989 du Dr Clunas.

39  Tenant compte des principes susmentionnés et appliquant un raisonnement similaire là où il peut servir à interpréter l’expression « erreur administrative », on ne saurait dire qu’il y a eu avis erronés ou erreurs administratives dans les « décisions » de 1987 et 1994, à savoir le fait que M. Jones était encore capable d’occuper un emploi rémunérateur, et le fait que son état en 1987 ou 1994 n’était pas grave et prolongé au sens du RPC. Ces décisions ne pouvaient être contestées qu’à la faveur du généreux mécanisme d’appel prévu par le RPC16, et finalement à la faveur d’une procédure de contrôle judiciaire. La même conclusion vaut pour toutes les prétendues erreurs qui se rapportent directement à telles décisions, par exemple le fait que les motifs à l’origine du refus étaient prétendument déroutants et confus (voir les alinéas 104c), d), e) et les alinéas 106c) et d) de l’annexe B). [Renvois omis.]

[16]  Cette analyse s’applique tout autant à la demande de réparation de M. Stenger. Celui‑ci n’a pas le droit de contester une décision remontant à plus de dix ans parce que l’évaluatrice médicale aurait commis des erreurs relatives à la preuve, alors que ces erreurs auraient pu faire l’objet d’un appel.

[17]  Il me paraît évident que le délégué aurait pu rejeter la demande de M. Stenger pour la seule raison qu’elle soulevait des questions non susceptibles d’être réglées par le biais du paragraphe 66(4). En fait, cet aspect est mentionné dans le compte rendu relatif à l’erreur administrative, qui rappelle qu’il s’agit d’un point déjà porté à l’attention du représentant de M. Stenger dans une lettre qui lui a été adressée le 3 mars 2016 (voir le dossier certifié du tribunal (DCT), volume 1, à la page 14). Pour une raison quelconque, le délégué a choisi de se prononcer sur le fond de l’affaire et la preuve, mais il ne fait aucun doute que M. Stenger ne pouvait pas réclamer une réparation sous le régime du paragraphe 66(4) en se fondant sur les questions qu’il a soulevées. 

[18]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Le ministre n’a pas sollicité les dépens, et aucuns ne sont adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑94‑19

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

 « R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de décembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑94‑19

 

INTITULÉ :

ARNOLD STENGER c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

Le 5 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

James A. Wachowich

 

Pour le demandeur

 

Matthew Vens

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Wachowich & Company S.E.N.C.R.L, s.rl.

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

Pour le défendeur

 

 

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