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     Date: 19980403

     Dossier: IMM-1806-97

Entre :

     MARINA LIPATOVA

     OLESYA LIPATOVA

     ALEXANDR LIPATOV

     Partie requérante

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie intimée

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 21 avril 1997 par un délégué de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, à l'effet que les requérants (une mère et ses deux enfants) n'ont pas démontré qu'une dispense ministérielle était justifiée dans leur cas.

[2]      La partie requérante a soumis sa demande de dispense ministérielle en vertu de l'article 114(2) de la Loi sur l'immigration le 31 octobre 1996, fondant sa requête sur le mariage de la requérante principale, la mère, à Igor Kirilyuk. Ce dernier avait auparavant revendiqué et obtenu le statut de réfugié sur la base de sa crainte de persécution en raison de son orientation sexuelle.

[3]      Il importe de rappeler la lourdeur du fardeau de la preuve imposée à la partie requérante en l'espèce. Dans Shah c. Canada (M.E.I.) (1994), 170 N.R. 238, la Cour d'appel fédérale, aux pages 239 et 240, a traité du devoir d'un agent d'immigration d'agir équitablement en exerçant son pouvoir discrétionnaire sous le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration:

         In a case such as this one the applicant does not have a "case to meet" of which he must be given notice; rather it is for him to persuade the decision-maker that he should be given exceptional treatment and exempted from the general requirements of the law. No hearing need be held and no reasons need be given. The officer is not required to put before the applicant any tentative conclusions she may be drawing from the material before her, not even as to apparent contradictions that concern her. Of course, if she is going to rely on extrinsic evidence, not brought forward by the applicant, she must give him a chance to respond to such evidence [See Muliadi v. Minister of Employment and Immigration (1986), 66 N.R. 8; 18 Admin.L.R. 243 (F.C.A.)]. In the case of perceived contradictions, however, the failure to draw them specifically to the applicant's attention may go to the weight that should later be attached to them but does not affect the fairness of the decision. Any dicta arguably to the contrary in H.K. (An Infant), Re, [1967] 2 Q.B. 617; Kaur v. Minister of Employment and Immigration (1987), 5 Imm.L.R. (2d) 148 (F.C.T.D.), and Ramoutar v. Minister of Employment and Immigration, [1993] 3 F.C. 370; 65 F.T.R. 32 (T.D.), should be read in this light.                 
         [. . .]                 
         To succeed in his attack here the applicant must show that the decision-maker erred in law, proceeded on some wrong or improper principle or acted in bad faith. [See Vidal and Dadwah v. Minister of Employment and Immigration (1991), 41 F.T.R. 118; 13 Imm.L.R. (2d) 123 (T.D.). And generally as to the standard of review of statutory discretions see Fraser (D.R.) & Co. v. Minister of National Revenue, [1949] A.C. 24 (P.C.).] It is a heavy burden and the applicant has not met it. . . .                 

[4]      Ainsi, la Cour d'appel fédérale a souscrit à la norme sévère développée par le juge Strayer dans Vidal c. Canada (M.E.I.) (1991), 41 F.T.R. 118, où il a décrit ce fardeau comme suit, à la page 122:

             The Court should not interfere with the exercise of discretion by an officer or body authorized by statute to exercise that discretion unless it is clear that the discretion has been exercised in bad faith or on grounds unrelated to the purposes for which the discretion is granted [See e.g., Boulis v. Minister of Employment and Immigration, [1974] S.C.R. 875, at 877.].                 
                             (C'est moi qui souligne.)                 

[5]      Plus précisément quant à une décision non motivée, la Cour d'appel a décrit la seule instance où on pourrait obtenir le contrôle judiciaire d'une décision non motivée dans Williams c. Canada (M.C.I.), [1997] 2 C.F. 646, aux pages 672 et 673:

             On nous répète souvent que les principes de justice fondamentale résident dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique. À mon avis, ces préceptes fondamentaux n'ont jamais obligé les tribunaux à motiver leurs décisions lorsqu'une loi ne l'exige pas expressément [note omise]. C'est particulièrement vrai lorsque la décision en question est essentiellement une décision discrétionnaire [Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.), à la page 239.]. S'agissant des questions litigieuses en l'espèce, on ne nous a renvoyés à aucun précédent qui conteste sérieusement ces principes.                 
             Ce qui a été reconnu, c'est que lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat, il se peut qu'une cour de justice doive, en l'absence de motifs qui auraient pu expliquer comment le résultat est effectivement justifié ou comment certains facteurs ont été pris en considération mais rejetés, annuler la décision pour l'un des motifs reconnus de contrôle judiciaire comme l'erreur de droit, la mauvaise foi, la prise en considération de facteurs dénués de pertinence et l'omission de tenir compte de facteurs pertinents [note omise]. Dans de telles circonstances, la décision du tribunal est annulée non pas parce qu'elle n'est pas motivée, mais parce que sans motifs il n'est pas possible de surmonter l'obstacle que constitue la conclusion d'absurdité ou d'erreur dérivée du résultat ou des circonstances entourant la décision. . . .                 

[6]      En l'espèce, la chronologie des faits relatés dans le dossier de la partie requérante établit qu'elle a rencontré son mari en octobre 1995, qu'ils ont cohabité à compter d'avril 1996, et qu'ils se sont mariés en août 1996. Pendant cette même période de temps, M. Kirilyuk a témoigné dans le cadre de sa propre revendication pour le statut de réfugié devant la Section du statut en mars 1996; en mai 1996, la Section du statut lui a accordé le statut de réfugié en raison de sa crainte de persécution à cause de son orientation sexuelle, jugeant que les homosexuels ont raison de craindre la persécution en Lettonie; enfin, la requérante principale, qui avait elle-même revendiqué le statut de réfugié avec son ancien mari et ses deux enfants le 6 mars 1995, a eu son audience, à cet égard, le 30 mai 1996. C'est une décision négative qui, suite à cette dernière audience, a été rendue le 2 octobre 1996.

[7]      Une note inscrite au dossier certifié, à la page 3, indique ce qui suit:

         Subject, according to PIF & Refugee claim - she is married with ID 3122-5656 - Tsymbal Sergei. No mention about divorce in application - only - separated from Boyfriend [sic] - (conjoint) with whom they entered Canada R326 together & claimed CR.                 

[8]      En outre, la page 4 du dossier certifié comporte les observations suivantes:

         12FEB97 - 700 FEES PAID FOR SELF AND TWO CHILDREN. SUBJECT AND CHILDREN APPEAR TO HAVE ENTERED CANADA WITH SERGEY TSYMBAL (3122-5656). SUBJECT SAYS MARRIAGE TO SPONSOR IGOR KIRILYUK (3056-1957) IS HER FIRST. MARRIED ON 21JUN96, DEEMED NOT CR ON 03OCT96. SPONSOR WAS LANDED AS CR ON 06FEB97. CONDITIONAL DEPARTURE ORDER ON SYSTEM FOR SUBJECT DAUGHTER IS M5/S1. MARRIAGE WAS BY JUSTICE OF THE PEACE IN ONTARIO RATHER THAN QUEBEC. FEEL THIS CASE WARRANTS FURTHER INVESTIGATION. REFERRED TO CIC MONTREAL. LC/H CASE REFERRED TO CIC MONTREAL. 2948 FROM B0974 KIT RECU AU CIC MTL 2948 LE 20 FEV 97 IND 10                 

[9]      Vu tous ces faits, j'estime qu'il est tout à fait possible que le délégué du ministre n'ait pas accordé la dispense ministérielle requise pour la simple raison que la requérante n'était pas crédible ou qu'elle n'était pas de bonne foi, et ce, sans faire quelque discrimination que ce soit. Ainsi, je suis d'avis que la partie requérante ne s'est pas déchargée du lourd fardeau à elle imposé dans les circonstances, notamment celui de démontrer, comme l'enseigne Williams, supra, que les faits en l'espèce "exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat".

[10]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans les circonstances, la partie requérante n'a pas établi la base factuelle requise pour soutenir la seule question proposée pour fin de certification, question essentiellement reliée à la question de la discrimination. Il n'y a donc pas matière à certification.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 3 avril 1998

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