Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191210


Dossier : IMM-429-19

Référence : 2019 CF 1576

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ZAHID ABBAS

KHASHAF ZAHRA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Les demandeurs sont des citoyens du Pakistan, et sont un père et sa fille. Ils ont demandé l’asile aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), en août 2017. Ils craignent d’être persécutés pour des motifs liés à la religion et à la déficience. Le demandeur principal est un musulman chiite et son épouse, madame Rohi Bano (Mme Bano), est une musulmane sunnite. La famille du demandeur principal n’a pas accepté ce [traduction] « mariage mixte » et, pour cette raison, Mme Bano a été harcelée et attaquée physiquement par sa belle‑famille et des membres de la communauté chiite. La fille du demandeur principal, Khashaf, est une enfant de neuf ans qui souffre du syndrome de Poland, qui se manifeste par l’atrophie musculaire du côté droit de la poitrine et de l’épaule, et des doigts palmés. La famille du demandeur principal a considéré le problème médical de la demanderesse mineure comme un signe montrant que le mariage mixte était illégitime et une erreur. La demanderesse mineure craint d’être torturée et enlevée par les membres de sa famille à cause de sa déficience.  

[2]  La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a entendu la demande d’asile des demandeurs le 22 novembre 2017 et l’a rejetée dans une décision (la décision de la SPR) en date du 2 janvier 2018. La décision de la SPR a été portée en appel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR), et dans une décision (la décision de la SAR) en date du 2 janvier 2019, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel. La SAR, en affirmant que la question déterminante dans l’appel était la possibilité de refuge intérieur (la PRI), a souscrit aux conclusions de la SPR selon lesquelles les demandeurs avaient une PRI raisonnable à Islamabad, au Pakistan. La SAR a examiné les éléments de preuve documentaire et les témoignages et a conclu que le tout étayait les conclusions de la SPR selon lesquelles il n’y avait qu’une simple possibilité que les demandeurs soient exposés à des préjudices graves aux mains de leur famille s’ils déménageaient à Islamabad. La SAR a également conclu que la discrimination qu’avait subie la demanderesse mineure n’équivalait pas à de la persécution. Elle a conclu que les demandeurs ne connaîtraient pas de difficultés excessives s’ils déménageaient.

[3]  Dans leur demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour, les demandeurs avancent trois arguments : la SAR a omis de prendre en compte les agents de persécution craints appropriés dans l’appréciation de la PRI; le paragraphe 110(4) de la LIPR ne s’applique pas à l’information sur les conditions dans le pays; et la SAR a omis de prendre en compte la question de savoir si le harcèlement subi par la demanderesse mineure, cumulativement, équivalait à de la persécution. Le défendeur soutient que, étant donné que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État, il n’est pas pertinent qu’ils contestent d’autres aspects de la décision de la SAR.

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision de la SAR est déraisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. 

II.  Faits

A.  Les demandeurs

[5]  Zahid Abbas (le demandeur principal) et Khashaf Zahra (la demanderesse mineure) (collectivement, les demandeurs) sont un père âgé de 35 ans et sa fille âgée de 9 ans, originaires du Pakistan. L’épouse du demandeur principal, Mme Rohi Bano, et sa fille cadette âgée de 5 ans, Tehreem Zahra, sont toujours au Pakistan.

[6]  Le demandeur principal et Mme Bano se sont rencontrés à Islamabad en 2003, et se sont mariés en mai 2009. Le demandeur principal est chiite, et Mme Bano, sunnite. Pendant leurs fréquentations à Islamabad, leur appartenance à des courants religieux différents n’a pas posé problème. Toutefois, lorsqu’ils se sont mariés et ont déménagé à Multan, la ville natale du demandeur principal, des problèmes ont surgi. La famille du demandeur principal a ouvertement condamné ce « mariage mixte » entre personnes de courants religieux différents et manifesté sa désapprobation à l’égard de celui-ci, et a commencé à harceler Mme Bano pour qu’elle change ses pratiques religieuses. Mme Bano a accepté et a essayé de changer certains éléments de ses pratiques, mais le demandeur principal souligne que le harcèlement s’est poursuivi et que sa famille a aussi attaqué physiquement Mme Bano.

[7]  En 2009, Mme Bano a subi un stress intense pendant qu’elle était enceinte de la demanderesse mineure, car elle recevait des menaces de mort de sa belle-famille et de parents éloignés. En février 2010, la demanderesse mineure est née avec le syndrome de Poland, malformation congénitale rare qui se manifeste par l’atrophie du côté droit de la poitrine et de l’épaule droite, et par des doigts palmés. Le demandeur principal croit que le stress intense ressenti par son épouse durant sa grossesse a contribué au problème médical de la demanderesse mineure. La famille du demandeur principal a quant à elle interprété le problème médical de la demanderesse mineure comme un signe montrant que le mariage était illégitime et a continué de causer des préjudices à Mme Bano et à la demanderesse mineure. En juin 2013, le demandeur principal a décidé de quitter le domicile familial avec son épouse et sa fille. La famille n’a pas pu aller bien loin en raison de l’emploi d’agent de police occupé par le demandeur principal dans la province du Pendjab, qui l’empêchait de déménager dans une autre province. En février 2016, le demandeur principal a retiré la demanderesse mineure de l’école de crainte qu’elle ne soit torturée et enlevée par des membres de la famille et de la communauté chiite, et qu’elle ne soit intimidée par ses camarades de classe.

[8]  Le 17 avril 2016, Mme Bano a été attaquée physiquement à son domicile par trois femmes, dont l’une a été identifiée comme la cousine du demandeur principal. Ce fait a incité le demandeur principal à conclure que les femmes appartenaient au courant chiite. Les intruses ont frappé Mme Bano au visage et au ventre. Mme Bano attendait alors son troisième enfant, et les coups reçus ont entraîné une fausse couche. Envahi par un stress immense, le demandeur principal a déménagé son épouse et ses deux filles au domicile de sa belle-famille à Islamabad en octobre 2016. Il est demeuré à Multan en raison de son travail. Il a par la suite présenté une demande de visa de visiteur pour les États-Unis (É.‑U.) en février 2017 pour que sa famille puisse quitter le Pakistan et échapper au harcèlement et aussi pour faire subir à la demanderesse mineure des traitements liés à son problème médical. Toutefois, seuls les demandeurs ont obtenu un visa. Les demandes de Mme Bano et de la fille cadette ont été rejetées. Le demandeur principal et Mme Bano ont alors décidé que les demandeurs iraient d’abord aux É.‑U. et prendraient ensuite les dispositions voulues pour faire venir le reste de la famille.

[9]  Les demandeurs sont arrivés aux É.‑U. le 12 mars 2017. La demanderesse mineure a subi une chirurgie mineure à la main droite à l’hôpital Shriners pour enfants de Tampa, en Floride, en avril 2017. Comme les visas de visiteurs pour les É.‑U. devaient expirer en septembre 2017, et parce qu’ils craignaient d’être renvoyés au Pakistan, les demandeurs se sont rendus vers le Nord jusqu’au Canada, et ils ont demandé l’asile.

B.  Historique des procédures

1)  Décision de la SPR

[10]  La demande d’asile des demandeurs a été entendue par la SPR le 22 novembre 2017. La SPR a rendu sa décision le 2 janvier 2018, rejetant la demande d’asile au motif que le demandeur principal n’était pas un témoin fiable, et que les éléments de preuve n’étaient pas crédibles. La SPR a souligné des préoccupations sérieuses au sujet de la crédibilité des mauvais traitements subis aux mains de membres de la famille et des différences dans les témoignages étayant la désapprobation de la famille à l’égard du mariage mixte. La SPR a contesté l’exposé circonstancié supplémentaire déposé six semaines après la présentation du formulaire Fondement de la demande d’asile (formulaire FDA) original, lequel comportait des précisions sur l’invasion du domicile familial des demandeurs et l’attaque subie par Mme Bano. La SPR a estimé qu’il était [traduction] « difficile de comprendre comment un événement aussi dramatique ait été omis dans l’exposé original ».

[11]  De plus, la SPR s’est demandé comment la famille [traduction] « avait pu survivre, si elle avait reçu des menaces depuis le mariage, en 2009 ». Elle a aussi conclu que les demandeurs avaient une PRI viable à Islamabad. En ce qui concerne la déficience de la demanderesse mineure, la SPR a conclu que celle-ci n’était pas exposée à une possibilité raisonnable de persécution ou de préjudices graves de la part de la société en général au Pakistan.

2)  Décision de la SAR et contrôle judiciaire

[12]  Les demandeurs ont interjeté appel devant la SAR le 16 janvier 2018. Dans une décision en date du 2 janvier 2019, la SAR a rejeté l’appel, confirmant la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile des demandeurs. 

[13]  À la suite de la décision de la SAR, les demandeurs ont présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 21 janvier 2019. La décision de la SAR fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

C.  Décision faisant l’objet du contrôle

[14]  Les demandeurs ont voulu faire admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de l’appel interjeté devant la SAR. Deux articles se rapportant aux conditions dans le pays qui ont été publiés avant l’audience devant la SPR n’ont pas été admis en preuve. La SAR a jugé que le rapport médical d’un chirurgien orthopédique se rapportant à la demanderesse mineure était crédible, pertinent et nouveau et l’a admis en preuve.

[15]  La SAR a souligné que la question déterminante dans l’appel était la PRI. Après avoir procédé à son propre examen et à sa propre appréciation des éléments de preuve, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs avaient une PRI raisonnable à Islamabad, au Pakistan. Elle a aussi conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la notion de la disponibilité de la protection de l’État.

[16]  Dans l’appréciation de la PRI, la SAR a appliqué le critère à deux volets défini dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, p. 710 :

1) La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une PRI et/ou que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture dans la PRI;

2) La situation dans la partie du pays qui est considérée comme étant une PRI doit être telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’asile, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles qui sont particulières au demandeur d’asile, de s’y réfugier. 

[17]  En appréciant le premier volet du critère, la SAR a pris en compte les éléments de preuve documentaire sur les conditions dans le pays au plan religieux. Elle a conclu qu’un rapport du Home Office du Royaume‑Uni attestait la viabilité d’une PRI au Pakistan pour les minorités religieuses et les personnes recherchées à la suite d’interactions avec divers groupes religieux. Elle a souligné que le rapport [traduction] « envisage explicitement la possibilité de déménagements viables pour les musulmans chiites au Pakistan ».

La SAR a désigné les agents de persécution comme étant la famille et des membres de la communauté appartenant au même courant religieux que le demandeur principal, et a conclu que l’épouse et la fille cadette n’ont pas été inquiétées par les agents de persécution après leur déménagement à Islamabad, qui se situe à quelque 500 kilomètres de Multan, où ont eu lieu les attaques et les menaces auparavant. La SAR a jugé que les déclarations du demandeur au sujet du moment où ont eu lieu les [traduction] « attaques » étaient contradictoires, étant donné qu’il avait prétendu que sept années s’étaient écoulées avant que ne se produisent les premières attaques, mais qu’il avait aussi souligné que [traduction] « la torture et le harcèlement » avaient débuté en 2009. La SAR a conclu que la capacité de Mme Bano et de la fille cadette à échapper aux attaques au cours des quatorze mois précédents étayait la proposition selon laquelle Islamabad représentait une PRI viable.

[18]  En ce qui concerne la protection de l’État, la SAR a conclu que les éléments de preuve confirmaient que les autorités sont disposées à venir en aide aux membres de la communauté chiite et a estimé raisonnable que le fait que le demandeur principal ait été policier pendant de nombreuses années au Pakistan et connaisse le milieu policier facilite les démarches à entreprendre par les demandeurs pour demander l’aide des autorités. Qui plus est, selon les éléments de preuve documentaire disponibles et l’enregistrement de l’audience, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour établir que les membres de la famille du demandeur principal auraient [traduction] « la capacité organisationnelle ou la portée géographique voulues pour être informés du retour des appelants au Pakistan dès leur arrivée à un point d’entrée régulier du pays ou pour retracer les déplacements des appelants au Pakistan ». La SAR a conclu que la crainte des appelants était de portée locale, propre à la ville natale de Multan du demandeur principal, et a par conséquent conclu qu’il n’existait qu’une simple possibilité qu’ils subissent des préjudices graves aux mains de membres de la famille s’ils déménageaient à Islamabad.

[19]  En ce qui concerne le problème médical de la demanderesse mineure, la SAR a souligné que les rapports médicaux affirment que celle-ci [traduction] « semble fonctionner assez bien ». La SAR n’a relevé aucun élément de preuve montrant que des traitements suivis en physiothérapie et en ergothérapie ou des chirurgies reconstructives ne seraient pas disponibles au Pakistan. La SAR a conclu que, même si la demanderesse mineure avait fait l’objet de moqueries et de commentaires désobligeants de la part de camarades de classe et d’enseignants, selon la prépondérance des probabilités, le harcèlement n’équivaut pas à de la persécution.

[20]  Dans l’appréciation du second volet du critère applicable à la PRI, la SAR a conclu que le demandeur principal n’avait pas produit d’éléments de preuve pour confirmer qu’Islamabad constituerait une PRI déraisonnable. La SAR a pris note du niveau d’instruction, des longs états de service comme policier, des capacités linguistiques et de l’expérience des voyages à l’étranger du demandeur principal pour étayer la conclusion selon laquelle Islamabad constitue une PRI viable. L’argument des demandeurs selon lequel les agents de persécution finiraient par les retracer a été jugé insuffisant quand il s’agissait de justifier leur affirmation voulant qu’il leur soit impossible de déménager à Islamabad. 

III.  Question en litige

[21]  J’estime qu’une question se dégage de la présente demande de contrôle judiciaire : La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable?

IV.  Analyse

[22]  Les demandeurs affirment que la SAR a omis de désigner correctement les agents de persécution craints. Pour étayer leur affirmation, ils renvoient à l’analyse effectuée par la SAR au sujet des Talibans, de la population à Islamabad, et des opinions religieuses de leurs voisins réels ou potentiels à Islamabad.

[23]  J’estime que la SAR n’a pas fait erreur en renvoyant aux conditions dans le pays quant à la protection de l’État contre les tensions entre membres de différents courants religieux. Les demandeurs affirment que les agents de persécution sont les membres de la famille du demandeur principal, avec le soutien de certains membres de la communauté chiite, et non pas les tensions entre membres de différents courants religieux. Toutefois, le même problème essentiel sous-tend les tensions entre membres de différents courants religieux ou, en l’espèce, les menaces et les attaques isolées contre une famille : l’intolérance religieuse. Les membres de la famille du demandeur principal ont proféré des menaces et perpétré des attaques à l’encontre de Mme Bano précisément en raison des différences perçues entre leurs courants religieux et du ressentiment dirigé contre Mme Bano du fait de son appartenance au courant sunnite. Compte tenu de ce fait, en appréciant la disponibilité de la protection de l’État pour les minorités religieuses ou les personnes ayant subi des préjudices en raison de différences religieuses, il était raisonnable que la SAR renvoie à de l’information sur les conditions dans le pays au sujet de la protection de l’État contre les tensions entre membres de différents courants religieux. 

[24]  Toutefois, en dépit du fait que la SAR a, raisonnablement, renvoyé à de l’information sur les conditions dans le pays, sa conclusion selon laquelle les demandeurs avaient une PRI viable n’est pas raisonnable.

[25]  Les demandeurs affirment que, au moyen de réseaux, les agents de persécution finiraient par les retracer à Islamabad. J’estime qu’il s’agit d’une affirmation raisonnable étant donné que le reste de la famille des demandeurs sont à l’heure actuelle à la résidence de la famille de Mme Bano. Il est tout à fait vraisemblable que les agents de persécution savent où habite leur belle-famille à Islamabad.

[26]  La SAR souligne que les agents de persécution devraient être informés du moment où les demandeurs rentreront au Pakistan, et trouver le lieu où résideraient les demandeurs à Islamabad, une ville comptant 1,35 million d’habitants. Toutefois, invoquer le nombre d’habitants à Islamabad peut induire en erreur. Avec les réseaux et les liens familiaux, il pourrait être facile de retrouver les demandeurs sans devoir passer au crible 1,35 million de personnes peuplant la ville. Je souscris à l’affirmation des demandeurs selon laquelle il serait déraisonnable que le demandeur principal coupe les liens avec tous les membres de sa famille et toutes ses connaissances. De plus, il est irréaliste de penser qu’une telle mesure les empêcherait d’être retracés.

[27]  Qui plus est, je n’adhère pas à la position du défendeur souscrivant à la conclusion de la SAR voulant qu’Islamabad représente une PRI viable du fait que la famille n’a aucunement été inquiétée par les agents de persécution depuis son déménagement dans cette ville. Même s’il n’y a pas eu d’attaques à ce jour, il reste une possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Islamabad si des membres de la famille du demandeur principal les retraçaient.

[28]  L’affaire en l’espèce est similaire à la décision Ng'aya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1136 (CanLII), dans laquelle le juge Barnes a appliqué le critère de la question de savoir si l’agent de persécution craint « finirait par […] retrouver » la demandeure d’asile dans la PRI. Par ailleurs, le même critère a été utilisé dans la décision Lopez Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 550 (CanLII).

[29]  Étant donné la gravité des attaques et de la persécution subies par la famille des demandeurs, p. ex. des incidents comme celui ayant entraîné la fausse couche de Mme Bano, il est déraisonnable de conclure qu’il n’existe qu’une simple possibilité que les demandeurs soient exposés à des préjudices graves aux mains de membres de leur famille s’ils déménagent à Islamabad, uniquement du fait qu’il n’y a pas d’élément de preuve objectif à l’heure actuelle. Par conséquent, l’analyse ayant permis à la SAR de conclure qu’il existait une PRI viable est déraisonnable.

V.  Question certifiée

[30]  Les demandeurs proposent la certification de la question suivante :

Le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, s’applique-t-il à l’information sur les conditions dans le pays?

 

[31]  Selon l’article 74 de la LIPR, les questions à certifier doivent soulever une question de portée générale qui permettrait de régler un appel. La question proposée aux fins de certification n’est pas une question de portée générale et ne permettrait pas de régler le présent appel.

[32]  Le critère applicable à la certification a récemment été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 (CanLII), où la Cour affirme ce qui suit : « La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Lunyamila, par. 46).

[33]  Qui plus est, cette même question aux fins de certification a été proposée dans la décision Jess c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1285 (CanLII), a été examinée par la juge McDonald, et a été rejetée.

[34]  Comme la juge McDonald le souligne dans la décision Jess, l’interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR a été entièrement traitée dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 (CanLII). 

[35]  La Cour refuse de certifier la question proposée parce qu’elle n’a pas de conséquences importantes et n’est pas de portée générale.

VI.  Conclusion

[36]  J’estime que l’analyse ayant permis à la SAR de conclure que les demandeurs avaient une PRI viable est déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-429-19

LA COUR STATUE que :

  1. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

  2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de janvier 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-429-19

 

INTITULÉ :

ZAHID ABBAS ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AOÛT 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

David Matas

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexander Menticoglou

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.