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Date : 20191209

Dossier : T-1345-18

Référence : 2019 CF 1571

Montréal (Québec), le 9 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

VILLE D'OTTERBURN PARK

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

TELUS COMMUNICATIONS INC.

 défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Malgré l’opposition de centaines de résidents, la défenderesse, TELUS Communications inc. [TELUS], a décidé d’ériger une tour de télécommunications sur un terrain vert situé à Otterburn Park, dans la province de Québec. Le projet controversé a été suspendu jusqu’à ce que cette Cour ait statué de façon finale sur la demande de contrôle judiciaire, déposée en juillet 2018 par la demanderesse, la ville d’Otterburn Park [Ville].

[2]  Le Procureur général du Canada [PGC] et TELUS s’opposent à la demande de la Ville. L’intitulé de cause est amendé pour supprimer la mention du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique à titre d’office fédéral (article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles]).

[3]  Toute question concernant l’applicabilité de la législation provinciale en matière d’environnement au projet de TELUS a été écartée plus tôt cette année par la Cour parce que ce moyen particulier d’attaque avait été soulevé tardivement par la Ville (Otterburn Park (Ville) c Canada (Procureur général), 2019 CF 777). Il s’agit en l’espèce de se demander si le ministre de l’Industrie [ministre] a manqué aux obligations d’équité procédurale et/ou a autrement rendu une décision déraisonnable en approuvant l’emplacement d’un système d’antennes et la construction d’un pylône porteur d’antennes [le pylône], situé au 591, rue Mountainview, à Otterburn Park [le site Mountainview].

[4]  Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que l’approbation du site Mountainview constitue une issue possible acceptable. D’autre part, bien qu’il y ait pu avoir un manquement à l’équité procédurale, il n’y a pas lieu d’annuler la décision contestée et de retourner le dossier au ministre.

I.  Cadre général

[5]  La compétence constitutionnelle du Parlement en matière de télécommunications ne fait l’objet d’aucun débat. (Voir à cet égard, Rogers Communications Inc c Châteauguay (Ville), 2016 CSC 23 [Rogers]).

[6]  Du point de vue statutaire, l’alinéa 5(1) f) de la Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R-2, confère au ministre le pouvoir explicite d’approuver l’emplacement et la construction des ouvrages de radiocommunication y énumérés, à savoir :

5(1) Sous réserve de tout règlement pris en application de l’article 6, le ministre peut, compte tenu des questions qu’il juge pertinentes afin d’assurer la constitution ou les modifications ordonnées de stations de radiocommunication ainsi que le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada : […]

 

5(1) Subject to any regulations made under section 6, the Minister may, taking into account all matters that the Minister considers relevant for ensuring the orderly establishment or modification of radio stations and the orderly development and efficient operation of radiocommunication in Canada, […]

f) approuver l’emplacement d’appareils radio, y compris de systèmes d’antennes, ainsi que la construction de pylônes, tours et autres structures porteuses d’antennes;

(f) approve each site on which radio apparatus, including antenna systems, may be located, and approve the erection of all masts, towers and other antenna-supporting structures;

[Je souligne]

[My underlining]

[7]  L’exercice de la compétence fédérale dans le domaine des télécommunications est par ailleurs encadré par divers règlements et les politiques du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique [ISDE ou ministère] (auparavant Industrie Canada). Au demeurant, tout titulaire de licence doit se conformer à diverses conditions de licence, dont celles que l’on retrouve dans la Circulaire CPC-2-0-17 – Conditions de licence concernant l’itinérance obligatoire, le partage des pylônes d’antennes et des emplacements ainsi que l’interdiction des emplacements [la Circulaire CPC-2-0-17].

[8]  En pratique, le choix de l’emplacement d’un site cellulaire abritant un système d’antennes dépendra de la configuration du réseau de télécommunications et, incidemment, des sites déjà construits sur le territoire particulier à desservir. Afin d’empêcher la prolifération de pylônes et le développement désordonné de systèmes d’antennes, le partage des installations de radiocommunication existantes doit être favorisé, sous réserve de la faisabilité technique de cette dernière option. Dans la Circulaire CPC-2-0-17, le ministre exige d’ailleurs du titulaire de licence qu’il facilite le partage des installations existantes avec tout compétiteur qui lui en fait la demande. En cas d’impasse, c’est le ministère qui va trancher la question.

[9]  D’autre part, avant d’obtenir l’approbation de son projet de construction, l’entreprise de télécommunications requérante [le promoteur] doit également convaincre le ministère que les exigences procédurales mentionnées à la circulaire CPC-2-0-03 — Systèmes d’antennes de radiocommunications et de radiodiffusion [Circulaire CPC-2-0-03] sont satisfaites, et ce, en sus de toute autre exigence technique ou réglementaire. Ainsi, le ministère doit être satisfait que le promoteur a démontré la nécessité d’ériger le pylône en question et que le partage d’un pylône existant avec un compétiteur n’est pas une meilleure alternative. Du même coup, de façon concurrente, le promoteur doit consulter la population locale et l’autorité responsable de l’utilisation des sols [ARUS]. Selon la Circulaire CPC-2-0-03, ces consultations peuvent généralement être complétées à l’intérieur de 120 jours. En cas d’impasse entre les parties, la Circulaire CPC-2-0-03 prévoit que le ministère pourra rendre une décision finale sur la ou les questions en litige.

II.  Le projet de TELUS

[10]  TELUS est une entreprise de télécommunications détenant plusieurs licences de spectre l’autorisant à exploiter diverses fréquences au Canada aux fins de fournir des services de télécommunications sans fil – service de voix, transmission de données et service de messagerie (message court ou SMS). Pour assurer une couverture de réseau adéquate – ce qui inclut le territoire d’Otterburn Park –, des pylônes porteurs d’antennes doivent être érigés à des endroits stratégiques [sites cellulaires] afin de permettre l’exploitation optimale d’ondes radio sur les bandes fréquences 700 MH2, 800 MH2, 1900 MH2 et 2100 MH2 notamment.

[11]  La ville d’Otterburn Park est située au cœur de la Montérégie, au sud de la région de Montréal. Elle compte environ 8 000 habitants. La quasi-totalité de son territoire est occupée par des résidences, des parcs et des espaces verts. Elle est enclavée par la rivière Richelieu et les municipalités de Mont-Saint-Hilaire et de Saint-Mathias-sur-Richelieu. De l’autre côté de la rivière, il y a les municipalités de McMasterville et de Beloeil. Au cœur de son territoire se trouve le Bosquet Albert-Hudon [Bosquet], un boisé non développé et privé, dont l’utilisation est permise aux résidents et que la Ville considère comme une « zone de conservation ».

[12]  Il n’y a actuellement aucun pylône sur le territoire de la Ville.

[13]  En périphérie, soit à l’extérieur du territoire de la Ville, TELUS, Vidéotron et Rogers ont des sites cellulaires. En particulier, de l’autre côté de la rivière Richelieu, soit à McMasterville, TELUS possède déjà des équipements dans une tour appartenant à Vidéotron [site Fibrobec]. Le site Fibrobec est lui-même situé à quelque 700 mètres d’une tour appartenant à Rogers [site Caserne]. On retrouve par ailleurs deux autres sites cellulaires au nord de la Ville et un autre site cellulaire au sud-est de la Ville, les trois sites étant sur le territoire de la municipalité de Mont-Saint-Hilaire. [Voir P-9 à la page 114 du volume 1 du demandeur pour la carte].

[14]  En 2011, TELUS a constaté une couverture radio insuffisante (réseau HSPA et LTE) sur le territoire d’Otterburn Park. En janvier 2012, conformément à la Circulaire CPC-2-0-03, TELUS entreprend des pourparlers avec les officiers et élus municipaux afin de trouver un emplacement convenable pour ériger un pylône de quarante mètres. Après avoir discuté et écarté pour diverses raisons valables plusieurs sites possibles, en décembre 2012, TELUS arrête son choix sur le site Mountainview. Il s’agit d’un terrain privé, vacant, situé en bordure de la voie publique et du boisé du Bosquet. Une surface totale de 251,6 mètres carrés est alors requise. Celle-ci inclut une aire de virage de 103,6 mètres carrés, adjacente à l’aire clôturée où se retrouveront l’antenne et l’abri. Une soixantaine d’arbres seront coupés [le projet initial].

[15]  Le 21 mai 2013, le conseil de la Ville rejette la proposition de TELUS (résolution 2013‑05-144). Le 13 septembre 2013, TELUS revient avec un projet modifié. Il se démarque de la façon suivante du projet initial. Pour répondre aux préoccupations de la Ville, l’aire de virage sera supprimée et le site clôturé sera réduit. Cela réduira d’environ les deux tiers la superficie initialement mentionnée dans le projet initial. Les seuls arbres qui seront coupés ou retirés seront ceux à l’intérieur du site et ceux de l’accès au site, et TELUS s’engage à reboiser la façade du site après les travaux et reboiser les accès. De même, TELUS s’engage à harmoniser l’esthétique des équipements et du pylône de sorte qu’il s’intègre le mieux possible au paysage (couleur verte, enfouissement des fils, etc.) [les mesures d’atténuation environnementale et visuelle].

[16]  Le 3 novembre 2013, des élections municipales ont lieu à Otterburn Park. Le maire sortant est défait. Le 16 décembre 2013, le nouveau conseil entérine les recommandations du comité consultatif d’urbanisme de la Ville et se déclare favorable à la réalisation du projet de TELUS sur le site Mountainview (résolution 2013‑12-375).

[17]  En mai 2014, conformément à la Circulaire CPC-2-0-03, TELUS tient une première séance d’information publique au sujet du projet modifié. Le processus de consultation se poursuivra jusqu’en janvier 2015. Des centaines de résidents d’Otterburn Park font entendre leurs voix. Une pétition avec quelques 950 signatures d’opposants est déposée. Cinq ans plus tard, le mouvement d’opposition ne semble pas s’être essoufflé. En novembre 2019, un groupe de résidents – dont plusieurs portaient des t-shirts avec la mention « Ensemble contre TELUS » – a assisté aux audiences de la Cour afin de démontrer son appui à la Ville.

[18]  Dans l’intervalle, le 16 juin 2014, le conseil municipal a annulé la résolution de décembre 2013 : la Ville s’oppose non seulement au site Mountainview, mais également à l’érection de tout pylône sur « tout autre site » de son territoire (résolution du conseil 2014-06-164). L’opposition de la Ville sera subséquemment réaffirmée le 16 novembre 2015 (résolution du conseil 2015-11-370) et le 30 janvier 2017 (résolution du conseil 2017-01-018).

[19]  Qu’à cela ne tienne, en 2015, la Ville mandate l’ingénieur François Gagnon pour préparer un rapport d’expertise technique. Ce dernier conclut que le site Mountainview est le meilleur site possible, d’un point de vue technique. La Ville continue néanmoins d’examiner divers sites alternatifs avec TELUS, mais sans progrès apparent. Pour les fins du présent dossier, mentionnons les deux sites alternatifs suivants :

  • a) Le terrain du garage municipal, situé au 220 rue Bellevue [le site du garage];

  • b) Un terrain privé situé près de la clairière à l’intérieur même du Bosquet [le site de la clairière].

[20]  Le 11 mai 2017, TELUS demande au ministère de trancher l’impasse. Notons qu’une première demande d’intervention avait été faite par TELUS en juin 2016, mais avait été suspendue pour permettre aux parties d’en arriver à un accord.

III.  Intervention du ministère

[21]  Le 12 juin 2017, M. David Parcigneau, Directeur des opérations, Direction générale des opérations de la gestion du spectre, Région du Québec, fait parvenir aux deux parties une lettre, dans laquelle il détaille le processus d’impasse et les invite à faire parvenir et échanger des informations sur un nombre d’aspects précis, et ce, dans les trente jours. À la suite de cette période de trente jours, la Ville disposera d’une période additionnelle de quinze jours pour faire parvenir ses commentaires sur l’information que TELUS lui aura acheminée. Après cette période de commentaires, le ministère examinera les faits et pourra rendre une décision finale à moins de prolongation de délai.

[22]  Le 15 août 2017, les deux parties répondent à la demande d’information du ministère et échangent du même coup un certain nombre de documents pertinents. En particulier, la Ville informe le ministère que le bien-être de ses citoyens et la protection de l’environnement sont toujours des priorités de la Ville et que celle-ci maintient son opposition à l’implantation d’une tour de télécommunications au site du 591 Mountainview. La Ville explique que « des efforts importants ont été déployés par la Ville pour la recherche d’un site alternatif » et dénonce « un manque de collaboration de [la part de TELUS] pour permettre la concrétisation [du site de la clairière] ». Bien que le 7 avril 2017 le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte pour les changements climatiques du Québec [MEQ] ait émis un avis préalable négatif concernant le site de la clairière, la Ville dit avoir besoin de temps pour continuer les démarches auprès du MEQ. En conséquence, la Ville demande au ministère de prolonger les délais jusqu’au 31 décembre 2017. Du même coup, la Ville informe le ministère qu’elle considère que TELUS devrait d’abord prioriser le partage des tours et structures existantes, en particulier le site Caserne pour lequel TELUS n’a pas fourni d’information.

[23]  Le 30 août 2017, la Ville fait parvenir au ministère ses commentaires sur l’information et les documents soumis par TELUS le 15 août 2017. La Ville se plaint que le MEQ, qui est « l’une des ARUS compétentes », n’a pas pu donner son avis sur le site Mountainview. La Ville informe du même coup le ministère qu’elle a d’ailleurs transmis, le 25 août 2017, une demande d’avis au MEQ. Enfin, la Ville réitère que les données relatives au partage du site Caserne n’ont toujours pas été fournies par TELUS.

[24]  Le 5 novembre 2017, des élections municipales ont lieu à Otterburn Park et un nouveau maire et conseil sont élus (la mairesse sortante ne s’étant pas représentée). Quelques jours après l’élection, le ministère fait un suivi au sujet de la demande d’avis au MEQ. En effet, le ministère désire prendre connaissance du rapport du MEQ lorsqu’il sera communiqué à la Ville. Le 17 novembre 2017, le MEQ rend son avis à propos du site Mountainview, et que la Ville échange quelques jours plus tard avec TELUS et le ministère. Le MEQ considère qu’il n’est pas en mesure de juger adéquatement de l’impact du projet sur l’environnement, alors qu’il faudrait plus d’informations et qu’une expertise devrait être faite. En tout état de cause, il y a de fortes probabilités que le site Mountainview « possède les mêmes sensibilités environnementales » que le site de la clairière qui a une « valeur écologique élevée ».

[25]  Le 20 décembre 2017, les représentants du ministère et de TELUS tiennent une rencontre en l’absence de la Ville, qui n’a pas été invitée. Apparemment, tandis que la question d’application de la loi provinciale en matière d’environnement est discutée, TELUS en profite pour se plaindre des « mesures dilatoires » de la Ville et demande au ministère d’approuver sans délai son projet.

[26]  Le 14 février 2018, le ministère reçoit un avis juridique du PGC concernant l’application de la loi provinciale en matière d’environnement. Le contenu même de cet avis juridique est protégé par le secret professionnel. Il n’empêche, le ministère considère qu’il n’est pas nécessaire, ni approprié d’obliger TELUS, ou toute autre entreprise de télécommunications, de suivre le processus d’évaluation environnementale prévu dans la loi provinciale.

[27]  Le 28 mai 2018, sur la base de la note de breffage, la sous-ministre adjointe, Mme Fiona Gilfillan, prend la décision d’autoriser la construction d’un système d’antennes et l’érection du pylône au site Mountainview. Le bureau du ministre est entretemps avisé de la décision qui a été prise en son nom. Le 3 juillet 2018, le Directeur des opérations informe TELUS et la Ville de la décision finale du ministère.

IV.  Décision sous étude

[28]  La décision contestée a été communiquée aux parties par voie de lettres, en date du 3 juillet 2018, toutes deux signées par le Directeur des opérations.

[29]  Dans la lettre adressée à la Ville, le Directeur des opérations note que TELUS a démontré la nécessité d’ériger le pylône en question sur le site Mountainview pour améliorer sa couverture en matière de radiofréquence sur le territoire de la Ville, ainsi que pour répondre à ses besoins technologiques actuels et futurs. De plus, la conception du pylône permettra d’accueillir des antennes d’autres opérateurs lorsque l’occasion se présentera, et par le fait même, d’encourager la concurrence dans les services de télécommunications dans cette collectivité. Du même coup, après avoir passé en revue l’ensemble des éléments qui ont été présentés, le ministère est d’avis que la démarche de TELUS satisfait à toutes les exigences de la Circulaire CPC-2-0-03. TELUS est donc autorisée à ériger le pylône. Le projet devra cependant être implémenté en conformité avec les mesures d’atténuation environnementale et visuelle auxquelles TELUS s’est engagée lors des consultations auprès des citoyens, de la municipalité, ainsi qu’envers le ministère.

[30]  Dans la lettre adressée à TELUS, le Directeur des opérations précise que suite à l’acceptation de la proposition d’emplacement au site Mountainview, cette installation devra être conforme en tous points au dossier de notification remis aux citoyens et devra être achevée dans un délai de trois ans. De plus, le projet devra être implémenté en conformité avec les mesures d’atténuation environnementale et visuelle auxquelles TELUS s’est engagée lors des consultations auprès des citoyens, de la municipalité ainsi qu’envers le ministère suivant la demande résolution de l’impasse déposée en août 2017.

V.  Requêtes préliminaires

[31]  Le 19 septembre 2019, le PGC a signifié et déposé un avis de requête recherchant la radiation des affidavits de Me Julie Waite du 22 novembre 2018, de M. François Gagnon du 14 novembre 2018, et de certaines pièces au soutien de l’affidavit de Me Julie Waite du 13 juillet 2018.

[32]  Le 15 octobre 2019, la demanderesse a fait parvenir un avis de requête pour faire rejeter les objections soulevées par les parties défenderesses lors du contre-interrogatoire sur affidavit de Mme Elisabeth Lander, lequel a eu lieu le 15 février 2019. Toutes les réponses aux questions faisant l’objet d’objections quant à leur pertinence avaient été fournies sous réserve.

[33]  Les deux requêtes préliminaires ont été présentées à l’audience de la demande de contrôle judiciaire, laquelle s’est tenue à Montréal les 18 et 19 novembre 2019. À ce stade avancé, deux options ont été abordées : 1) rendre une décision interlocutoire avant tout jugement final; 2) disposer dans le jugement final de toute question déterminante concernant l’admissibilité et la pertinence. Sans surprise, les procureurs ont préféré la seconde option.

[34]  Faut-il le rappeler, les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires – alors que la pertinence et l’admissibilité ne sont pas tranchées par des décisions interlocutoires, à moins que la Cour estime qu’il serait autrement justifié de rendre une décision préalable (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au para 11 [Access Copyright]). De façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, j’ai retenu la seconde option. Ce faisant, j’ai tenu compte de l’ensemble du dossier et des représentations des parties, ainsi que des principes suivants, et qu’il est ici utile de rappeler brièvement.

[35]  En principe, les dossiers des parties dans une demande de contrôle judiciaire se limitent aux éléments de preuve ayant été soumis au décideur ou dont ce dernier pouvait avoir connaissance d’office (Access Copyright, 2012 CAF 22 au para 19). Mais il y a quelques exceptions importantes.

[36]  Dans Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, la Cour d’appel fédérale note au paragraphe 98 :

Ces affaires démontrent qu’il existe trois exceptions reconnues et que cette liste n’est pas exhaustive :

· Il arrive parfois que la Cour reçoive un affidavit fournissant des renseignements généraux dans des circonstances où ces renseignements pourraient l’aider à comprendre les questions que soulève le contrôle judiciaire.

· Parfois, un affidavit est nécessaire pour signaler à la cour saisie du contrôle les manquements à l’équité procédurale sur lesquels le dossier de preuve est muet, pour que la cour puisse procéder à un véritable examen et décider s’il y a bel et bien eu manquement à l’équité procédurale.

· Parfois, un affidavit est recevable dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une certaine conclusion.

Les deux dernières exceptions n’en forment en fait qu’une seule : lorsqu’un motif de contrôle défendable ne peut être établi qu’à partir d’éléments de preuve qui ne figurent pas au dossier du décideur administratif, la preuve est recevable.

[37]  D’autre part, en matière d’affidavit, l’article 81 des Règles prévoit que les allégués se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle. De plus, peuvent être radiés ou ignorés les allégués abusifs, non pertinents, ou renfermant une opinion, des arguments ou des conclusions de droit. S’agissant de l’affidavit de Me Waite du 22 novembre 2018, plusieurs paragraphes sont argumentatifs – notamment les paragraphes 94, 96 à 102, et 108 à 111 –, et ils ont été ignorés en conséquence.

[38]  Le PGC conteste également l’admissibilité des pièces P-3, P-4, P-32 et P-33 mentionnées dans l’affidavit de Me Waite du 13 juillet 2018. La pièce P-3 consiste en des photographies du site Mountainview et des lieux adjacents qui ont été prises le 11 juillet 2018 par Me Waite, soit après la décision contestée. La pièce P-4 est une version antérieure de la Circulaire CPC-2-0-03 qui n’est plus en vigueur depuis 2014. Les pièces P-32 et P-33 sont respectivement une mise en demeure envoyée le 6 juillet 2018, soit après la décision, et l’accusé de réception. Les photos des lieux n’étaient pas devant le décideur et m’apparaissent sans utilité pour disposer de la présente demande. Quant à la pièce P-4, les parties n’ont soulevé aucun argument particulier visant une différence notable entre la 4e et la 5e édition de la Circulaire CPC-2-0-03. De toute façon, c’est la 5e édition qui s’applique et c’est celle qu’a considérée la Cour dans cette affaire. S’agissant des pièces P-32 et P-33, elles n’ajoutent rien au dossier ou reprennent des arguments de droit; elles ont également été ignorées par la Cour.

[39]  S’agissant de l’affidavit de l’ingénieur Gagnon, ce dernier n’est pas admissible à titre de nouvelle preuve. Ceci étant dit, dans la mesure où l’affiant ne fait qu’expliquer son implication antérieure comme expert de la Ville et que son contenu n’introduit rien de nouveau, il n’y a aucune raison pour ne pas accorder un poids relatif à tout élément de contexte pertinent. S’agissant du questionnement de la Ville au sujet du site Caserne, c’est un fait déjà connu de TELUS et du ministère. (Voir, par exemple, les pièces P-11 à la page 7 et P-19 à la page 5).

[40]  S’agissant des objections du PGC à certaines questions formulées par la Ville lors du contre-interrogatoire de Mme Lander, rappelons que c’est elle qui, avec la collaboration d’autres fonctionnaires, a rédigé la note de breffage (pièce P-38) ayant servi de fondement rationnel à la décision contestée. L’implication exacte de Mme Lander a été contestée en contre-interrogatoire; je note simplement qu’elle est identifiée sur la note de breffage comme étant son autrice (« originator » en anglais). Les questions 144, 154 et 259 visent à obtenir respectivement les documents produits sous réserve, soit les pièces EL-21, EL-22 et EL-23. Les questions 279 et 301 concernent le contenu de la pièce EL-21. L’ensemble de ces questions, incluant les pièces EL-21 à EL-23, sont pertinentes. Ces éléments de preuve éclairent la Cour sur la rencontre du 20 décembre 2017, ainsi que sur l’ensemble du processus décisionnel, et permettent à la Cour de vérifier quels éléments techniques et autres considérations ont abouti sur la recommandation des fonctionnaires du ministère d’approuver le site Mountainview. S’agissant des objections touchant les questions 160, 165, 168, 170, 173, 175, 176, 194, 203, 204 et 206, il m’apparaît également que les questions concernent le degré de compréhension de Mme Lander de certains documents ou certaines informations alors qu’elle rédigeait la note de breffage. Enfin, toutes ces questions permettent à la Cour de vérifier si la décision contestée s’appuie ou non sur la preuve au dossier (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61).

[41]  En conséquence, la Cour n’accordera aucune valeur aux paragraphes contestables des affidavits de Me Waite et M. Gagnon (incluant le cas échéant, les pièces produites à leur soutien), ainsi qu’à toute question non pertinente formulée lors du contre-interrogatoire de Mme Lander, le cas échéant. Les deux requêtes préliminaires sont rejetées sans frais.

VI.  Norme de contrôle

[42]  La norme de contrôle applicable ne fait pas l’objet de débat entre les parties.

[43]  S’agissant du mérite de la décision contestée, c’est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]). La tâche d’un tribunal judiciaire est alors de vérifier la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir au para 47).

[44]  Quant aux questions relatives à l’équité procédurale, celles-ci sont révisables selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54).

VII.  Raisonnabilité de la décision contestée

[45]  La Ville fait valoir plusieurs éléments d’ordre factuel ou juridique qui justifient selon elle l’annulation de la décision ministérielle et le renvoi du dossier du décideur, voire diverses conclusions déclaratoires. Tout est une question de perspective dans ce dossier des plus complexe. Nous ne sommes pas en appel, mais en révision judiciaire. En invitant la Cour à réévaluer l’ensemble de la preuve, la Ville demande, ni plus ni moins, à cette dernière de substituer son appréciation à celle du décideur administratif. En l’espèce, la demanderesse ne m’a pas convaincu que l’approbation du site Mountainview n’est pas une issue acceptable.

[46]  Premièrement, la décision contestée est claire et transparente. Celle-ci s’appuie également sur un ensemble de considérations techniques, factuelles et juridiques qui sont pertinentes en l’espèce. L’alinéa 5(1) f) de la Loi sur la radiocommunication, accorde une large discrétion au ministre. En particulier, les faits ayant été portés à l’attention du décideur dans la note de breffage (pièce P-38) n’ont pas été sérieusement contestés par la Ville. Il est clair, selon l’analyse minutieuse du ministère, que l’approbation de l’érection du pylône porteur d’antennes sur le site Mountainview est de nature à assurer le développement ordonné et l’exploitation radiocommunication cellulaire.

[47]  Deuxièmement, aucun des moyens particuliers soulevés par la Ville n’invalide la conclusion générale du décideur.

[48]  En particulier, selon la Ville, l’article 7.4 de la Circulaire CPC-2-0-03 exige que l’érection du pylône s’effectue « conformément à la législation pertinente en matière d’environnement ». Étant donné que le ministère a ignoré la possibilité que le site Mountainview contrevienne à la Loi sur la conservation du patrimoine naturel, RLRQ c C-61.01 [la loi provinciale], la demanderesse soutient que le ministère a contrevenu à la Circulaire CPC-2-0-03. Je ne peux retenir cet argument. Il est clair selon la preuve au dossier qu’aucune législation fédérale en matière d’environnement n’a été violée ou contournée par TELUS. D’autre part, la détermination de l’emplacement du lieu d’une tour de télécommunications va au cœur de la compétence fédérale, et donc ne saurait être entravée par la législation provinciale en matière d’évaluation environnementale (Rogers aux paras 69-70).

[49]  La Ville prétend également que le MEQ est une « ARUS » au sens de la Circulaire CPC-2-0-03, et que celui-ci devait conséquemment être consulté. Cette prétention est sans fondement. Dans le Guide destiné aux autorités responsables du sol pour la rédaction des protocoles visant les emplacements de systèmes d’antennes, publié par le ministre, une ARUS est ainsi définie :

Aux fins du guide, l’acronyme « ARUS » désigne toute autorité locale régissant les questions d’utilisation du sol. Il peut donc s’agir d’une municipalité, d’un conseil municipal, d’une commission régionale, d’une autorité en matière d’aménagement, d’un conseil de canton, d’un conseil de bande ou de tout organisme analogue. […]

[Je souligne]

[50]  Le MEQ n’est donc pas une « autorité locale » au sens de la Circulaire CPC-2-0-03. C’est plutôt une autorité provinciale. Au passage, cette conclusion s’accorde parfaitement avec l’article 1 de la Loi sur l’organisation territoriale municipale, RLRQ c O-9, qui définit le territoire du Québec comme comprenant, sur le plan local, le territoire des municipalités locales.

[51]  Abordons maintenant le point de discorde le plus chaudement débattu à l’audience, soit celui du partage de tout site cellulaire existant. À ce chapitre, la conclusion – implicite, il faut le dire – que TELUS satisfait toute exigence préalable de partage avec Rogers du site Caserne, s’appuie sur la preuve au dossier et constitue une issue acceptable. Dans son rapport final soumis à la fin de mai 2015, force est de conclure que l’ingénieur Gagnon n’émet aucune réserve concernant les données techniques et informations fournies par TELUS, et il est simplement trop tard aujourd’hui pour la Ville ou son expert de se plaindre de leur insuffisance.

[52]  Tout d’abord, il ne fait pas de doute que le réseau cellulaire de TELUS doit être planifié et déployé minutieusement sur le territoire selon divers paramètres techniques et certaines limitations technologiques, afin que la couverture et la capacité du réseau soient optimales. Or, selon le rapport final de l’expert mandaté par la Ville, l’ingénieur Gagnon, le site Mountainview (décrit comme la « Solution 1 ») constitue le meilleur scénario, soit celui qui offrira une couverture optimale cellulaire du territoire municipal. Il n’empêche, la Ville et TELUS ont également considéré la possibilité de mettre en place diverses solutions alternatives.

[53]  En 2015, la Ville a pu espérer, un bref moment, qu’en érigeant une nouvelle tour sur le site du garage et en partageant avec Rogers la tour du site Caserne, cela pourrait constituer une alternative à explorer. C’est la « Solution 8 » décrite dans le rapport de l’ingénieur Gagnon. Mais elle a été très tôt écartée.

[54]  À ce chapitre, dans un courriel du 2 juin 2015, pièce P-43, le Directeur général de la Ville, M. Daniel Desnoyers écrit :

Tel que mentionné lors de notre conversation téléphonique, le présent courriel a pour objet de vous confirmer notre demande d'évaluer la couverture du territoire d'Otterburn Park qui serait obtenue si Télus construisait une tour de télécommunication sur le site du garage municipal au 120 rue Bellevue et utilisait "en complément" la tour existante, qui est actuellement situé à Mc Masterville, soit de l'autre côté de la rivière mais" face", au territoire d'Otterburn Park. Cette tour est la propriété d'un de vos compétiteurs, mais nous ne savons pas lequel.

Cette demande découle des simulations préparées par l'expert M. Gagnon et déposée à la Ville. En se basant sur cette simulation, la couverture du territoire d'Otterburn Park serait équivalente à celle obtenue avec l'installation de deux (2) tours, soit une dans la zone agricole et l'autre sur le site du garage municipal. Si la couverture est semblable, cela aurait l'avantage "commun" d'éviter la construction d'une tour dans la zone agricole, donc économie pour Télus et augmentation de l'acceptabilité sociale car une seule tour serait construite (Cela éviterait d'éventuelles contestations des citoyens résidents en bordure de la zone agricole). Cela pourrait constituer une autre hypothèse, encore plus intéressante que celle de deux (2) tours.

[Je souligne]

[55]  Cependant, dans un courriel daté du 18 juin 2015, M. Michel Brosseau, gestionnaire immobilier de TELUS, répond promptement et catégoriquement par un « non » à la suggestion de la Ville d’utiliser le site Caserne. Cette option n’est pas envisageable pour les raisons suivantes :

Votre suggestion d’utiliser le site d'un compétiteur à McMasterville (« Caserne ») plutôt que notre site existant (« Fibrobec ») en complément d’un site de 29,5m au garage municipal aura pour conséquence de créer un trou de couverture majeur à McMasterville et ne contribuera pas de manière significative à augmenter la couverture à Otterburn Park. Vous comprendrez que pour ces raisons, nous ne sommes pas en mesure de retenir cette suggestion, car elle ne serait pas raisonnable pour vos voisins.

Alors si la priorité de la Municipalité est de diminuer la hauteur de la structure à être installée au garage municipale, c’est l’option d’une structure à 29,5m au garage municipal et une structure de 40m en terre agricole qui demeure la meilleure solution.

[56]  De fait, de septembre à novembre 2015, les parties essaient de s’entendre sur les termes et modalités d’un bail pour l’utilisation du site du garage, lequel sera maintenant combiné avec un deuxième site en terre agricole directement située sur le territoire de la Ville (il n’est donc plus question de partager la tour de Rogers au site Caserne). Or, comme condition essentielle à la signature du bail en question, la Ville exige que TELUS s’engage à ne pas construire cette deuxième tour en terre agricole pour deux ans. Naturellement, TELUS refuse. Le 16 novembre 2015, la Ville confirme son opposition, tout en réitérant son opposition générale à la construction d’une tour par TELUS sur l’ensemble du territoire de la municipalité (résolution 2015-11-370). C’est l’impasse. Dans une lettre datée du 26 février 2016, TELUS demande donc au ministère de résoudre l’impasse. Comme nous allons maintenant le voir, il y a suffisamment d’éléments de preuve au dossier permettant au ministère de conclure que les exigences prévues à la Circulaire CPC-2-0-03 sont satisfaites.

[57]  Le 19 octobre 2016, des représentants du ministre, de TELUS et de la Ville se sont rencontrés. Bien que toujours opposée à la construction d’une tour sur son territoire, la Ville se dit cependant prête à considérer une solution alternative. On convient alors de suspendre le processus de résolution. Le 9 novembre 2016, la Ville transmet à TELUS une liste de quelques quinze exigences afin qu’elle accepte que soit construit une tour sur le site du garage. La tour en question n’excédera pas 29,5 mètres de hauteur. En outre, la Ville exige que TELUS s’engage à ne pas construire une deuxième tour en territoire agricole de la Ville pour les 15 prochaines années! C’est inacceptable pour TELUS, qui considère « qu’avec ces conditions, la Ville cherche à régir et à dicter la façon avec laquelle TELUS doit planifier, déployer et exploiter son réseau, ce qui est inacceptable ». Le 24 novembre 2016, TELUS avise la Ville qu’elle va demander au ministère de reprendre le processus de résolution.

[58]  Qu’à cela ne tienne, de décembre 2016 à janvier 2017, les parties continuent néanmoins à négocier un bail pour le site du garage. Dans un courriel du 10 janvier 2017, la Ville, fait savoir à TELUS qu’« à moins d’indication contraire de votre part, […] le présent emplacement au 120, rue Bellevue remplace le site situé au 591, rue Mountainview ». De fait, le 13 janvier 2017, TELUS transmet à la Ville un projet de bail. Toutefois, le 30 janvier 2017, le conseil de Ville adopte la résolution 2017‑01‑018, qui refuse de conclure le bail en question, au grand dam de TELUS.

[59]  À partir de ce moment, la Ville propose une toute nouvelle option : qu’une seule tour sur le territoire municipal soit construite sur le site de la clairière qui est situé au centre du Boisé du Bosquet, pour ainsi l’isoler des résidences. Afin d’étudier cette option, la Ville contacte le MEQ afin d’obtenir son opinion. Le 7 avril 2017, le MEQ conclut qu’il serait préférable que la tour soit construite dans un endroit déjà perturbé afin de ne pas intervenir dans l’un des derniers milieux boisés d’importance de la Ville. De même, étant donné que cette option demanderait la création d’une route asphaltée jusqu’au cœur du parc, l’administration du Bosquet refuse cette option – refus qui sera formellement communiqué à TELUS le 17 mai 2017. Ne pouvant donc obtenir un bail sur le site du garage, et l’option de construire une tour au centre du parc du Bosquet ayant été écartée, TELUS revient au site initial, soit le 591, rue Mountainview, et demande au ministre de continuer le processus d’impasse et d’approuver le site Mountainview.

[60]  En l’espèce, force est de conclure que le ministère a bel et bien considéré les scénarios alternatifs avant de prendre une décision finale. À l’annexe C de la note de breffage du 28 mai 2018 (pièce P-38), on retrouve un tableau intitulé « Current Coverage and Alternative Sites Explored », tandis que l’annexe D de la note de breffage est le rapport de l’ingénieur Gagnon de mai 2015, qui conclut que le site Mountainview constitue la meilleure solution technique en termes de couverture cellulaire. La deuxième option, c’est la solution 8 combinant le site du garage et le site Caserne; celle-ci a cependant été écartée pour diverses raisons valables.

[61]  La pièce EL-22 comprend l’ensemble des documents compilés par le Directeur des opérations pour la détermination de l’impasse. Parmi ceux-ci, on retrouve ce qui apparaît être un brouillon de note de breffage où l’on discute de la faisabilité de la Solution 8 :

Deux scénarios auraient pu combler les besoins de couvertures du promoteur soit, un site situé au garage municipal de la ville utilisé en conjoncture avec un autre site et l'autre scénario, comprenant un seul site, situé au 591 Mountainview, sujet de la demande de résolution d'impasse. Le promoteur s'est vu refuser l'installation d'une structure au garage municipal par la Ville. Après avoir épuisé toutes les pistes de solutions possibles, le promoteur se retrouve donc qu'avec un seul propriétaire qui est prêt à héberger le système d'antennes sur son terrain privé (591 Mountainview). […]

En conclusion, la situation est qu'il n'y a pas d'autre endroit disponible pour l'installation du site à l'intérieur de la zone de recherche du promoteur qui pourrait combler le problème de couverture et de performance du réseau. Il n'y a aucune possibilité de partager des structures existantes en raison de l'absence de toute structure ayant la hauteur nécessaire au projet dans le voisinage immédiat. Les tours existantes les plus près sont à 1,5km de celle proposée et le promoteur y est déjà installé. Le promoteur a exploré d'autres sites alternatifs, néanmoins, il les a disqualifiés puisque les objectifs de couverture recherchés ne seront pas atteints et/ou les propriétaires fonciers approchés ont refusé d'héberger le pylône sur leurs terrains.

[Je souligne]

[62]  Dans les communications internes antérieures, il appert également que la Solution 8 a été évaluée par les agents spécialisés du ministère. Dans un courriel à TELUS du 5 décembre 2017, pièce EL-23, Philippe Tremblay, agent de gestion du spectre, écrit :

Bonjour à vous,

Nous avons quelques questions en lien avec le dossier d'impasse d'Otterburn Park :

- La Ville nous indique que vous n'avez pas répondu spécifiquement à savoir pourquoi le site de la caserne a été disqualifié. Pouvez-vous nous indiquer sous quelle communication écrite vous auriez répondu à cette question?

[63]  Le 6 décembre 2017, M. Tremblay réécrit à TELUS en indiquant qu’il a obtenu la réponse qu’il recherchait en regardant les documents fournis :

Bonjour Mme Jacob,

Tout d'abord, en analysant les documents qui furent initialement soumis par la Ville que vous nous avez fait parvenir hier, nous avons été en mesure de déduire que la Ville a déjà obtenu réponse au sujet du site « caserne » via le courriel envoyé le 18 juin 2015 de la part de Michel Brosseau à Daniel Desnoyers, directeur général de la Ville à l'époque.

[64]  Dans un courriel du 13 avril 2018, Mme Lander demande au Directeur des opérations pourquoi la tour du site Caserne ne pourrait pas être utilisée. Dans un courriel du 16 avril 2018, ce dernier lui répond clairement :

[La tour du site Caserne] ne fournirait pas une couverture adéquate à la portion est et nord-est d’Otterburn Park (la partie à droite du parc tel que mentionné). Telus est déjà installé dans une structure à moins de 700m de la tour Rogers (Tour Fibrobec), si Telus s'installe dans la tour de la caserne (appartenant à Rogers) il leurs [sic] faudra relocaliser les équipements de la tour Fibrobec et ceci causera des trous dans la couverture de McMasterville en plus de ne pas adresser les trous de couverture à l’est d’Otterburn Park. Cette solution a été évaluée par l’expert mandaté par la Ville (François Gagnon, Ph.D au scénario #8 de son rapport) et elle aurait pu fonctionner pour Otterburn Park si la Ville avait permis à Telus de s’installer au site du garage municipal, ce qu'elle a refusé.

[Je souligne]

[65]  En conclusion, bien que cette Cour puisse avoir sa propre opinion sur la valeur probante des réponses fournies en juin 2015 par TELUS à la Ville, cela ne rend pas pour autant la décision ministérielle déraisonnable en l’espèce. Deux conditions sont essentielles pour rendre possible la Solution 8 : 1) le site Caserne doit être techniquement utilisable pour TELUS; 2) la Ville doit permettre à TELUS d’installer une tour sur le site du garage. Or, selon la preuve au dossier, pour mettre en place la Solution 8, TELUS devra déplacer ses équipements sur le site Caserne, créant du même coup un trou de couverture cellulaire à McMasterville. De plus, ce déplacement d’équipements n’améliora pas significativement la couverture à Otterburn Park. Par conséquent, si la Ville préfère le site du garage au site Mountainview, la construction d’une deuxième tour sur le territoire d’Otterburn Park sera nécessaire. Étant donné le refus de la Ville de signer un bail pour le site du garage, il est donc tout à fait raisonnable pour le ministère de conclure que la Solution 8 n’est pas faisable en pratique. De plus, le site de la clairière a également été écarté. Il faut donc revenir à la Solution 1, soit au site Mountainview.

[66]  À tous égards, la Cour conclut que la décision en cause est raisonnable.

VIII.  L’équité procédurale

[67]  L’obligation d’agir avec équité est souple et variable, selon le contexte de la loi et les droits affectés. Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, la Cour suprême mentionne les cinq facteurs (non exhaustifs) suivants :

  • a) La nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

  • b) La nature du régime législatif et les termes de la loi régissant l’organisme;

  • c) L’importance de la décision pour les personnes visées;

  • d) Les attentes de la personne qui conteste la décision; et

  • e) Les choix de procédure que l’organisme fait lui-même.

[68]  Selon la Loi sur la radiocommunication, l’approbation de l’emplacement de tout système d’antennes est une décision purement administrative, alors que la discrétion ministérielle repose sur un nombre de considérations pertinentes laissées à l’appréciation du ministre. De plus, le ministère conserve tous ses pouvoirs d’enquête. Enfin, la décision finale du ministère ne peut pas faire l’objet d’un appel.

[69]  Cela dit, le processus de résolution d’impasse prévu à la Circulaire CPC-2-0-03 est de nature juridictionnelle ou arbitrale, dans la mesure où, suite à la demande d’intervention du promoteur ou d’une ARUS, le ministère est appelé à trancher de façon finale la question litigieuse. À ce chapitre, l’article 5 de la Circulaire CPC-2-0-03 prévoit que les parties ont l’occasion de mettre de l’avant leurs prétentions respectives.

[70]  Quant à l’importance de la décision tranchant l’impasse pour les personnes visées, il ne s’agit pas d’une décision qui affecte la vie ou les droits particuliers d’un individu. Il n’empêche, le projet de TELUS aura un impact sur l’aménagement du territoire municipal. Les intérêts de la Ville, comme ARUS, sont nécessairement mis en cause. Cependant, la Ville et ses résidents ne peuvent s’opposer à l’érection d’un pylône si le ministère est d’avis que cela améliorera la couverture en matière de radiofréquence sur le territoire municipal et que ceci répondra aux besoins technologiques actuels et futurs d’une entreprise de télécommunications (Rogers aux paras 66-69) (en autant, bien entendu, que la décision du ministère soit raisonnable, ce qui est le cas en l’espèce).

[71]  Quant au choix des procédures de l’organisme, il suffit ici de noter que celles-ci sont souples et conçues pour être efficaces et s’adapter à toutes les circonstances. De même, la Loi sur la radiocommunication accorde au ministre pleine latitude pour choisir la procédure pertinente, et c’est ce qu’il a fait dans la Circulaire CPC-2-0-03, bien que celle-ci ne soit pas un instrument juridique venant limiter l’exercice de la discrétion ministérielle.

[72]  Finalement, s’agissant des attentes légitimes, la Circulaire CPC-2-0-03 et la lettre du 12 juin 2017 créent l’expectative que le processus énoncé sera suivi et qu’il sera transparent. À cet égard, la Ville et ses résidents doivent pouvoir exprimer leurs préoccupations légitimes et faire connaître leurs préférences à l’entreprise de télécommunications avant qu’une décision finale ne soit rendue par le ministère en cas d’impasse.

[73]  Je reproduis ici intégralement le texte de la Circulaire CPC-2-0-03 sur le processus de résolution des litiges :

5. Processus de résolution des litiges

Le processus de résolution des litiges vise à résoudre officiellement, dans les meilleurs délais, toute impasse dans les discussions entre les parties.

Sur demande d'intervention écrite provenant d'une partie autre qu'un membre du public en général à propos d'une préoccupation raisonnable et pertinente, le Ministère exigera que les parties concernées fournissent et partagent toute information reliée au litige. Le Ministère peut également recueillir ou obtenir d'autres renseignements utiles et demander aux parties de fournir une nouvelle présentation, le cas échéant. Cette information permettra au Ministère :

· de rendre une décision finale sur la ou les questions en litige, puis d'en informer les parties; ou

· de suggérer aux parties qu'elles recourent à un autre processus de résolution des litiges afin d'en arriver à un accord final. Si les parties ne parviennent pas à trouver une solution mutuellement acceptable, l'une ou l'autre peut demander au Ministère de trancher la question.

Après résolution du litige, le promoteur pourra poursuivre le processus exposé dans le présent document, selon les exigences.

[Je souligne]

[74]  Au niveau du respect de l’équité procédurale dans le présent dossier, la Ville prétend que les suivis faits en novembre 2017 par le ministère quant à la position du MEQ ont créé l’attente légitime à l’effet que le ministère ne trancherait pas l’impasse tant qu’une évaluation environnementale en fonction des critères de la loi provinciale n’aurait pas été complétée. Je ne suis pas d’accord. Il est bien établi que pour créer des attentes légitimes, il doit s’agir d’« affirmations claires, nettes et explicites ». Ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, pour qu’une affirmation soit suffisamment précise, celle-ci doit être « suffisamment claire pour être susceptible d’exécution » dans un contexte de droit contractuel privé. (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 aux paras 68-69).

[75]  Sous réserve de ce qui est ci-après mentionné, il est également clair, selon la preuve au dossier, que le processus de consultation et d’échange d’informations prévu dans la Circulaire CPC-2-0-03 a été suivi. En particulier, la Ville a eu l’opportunité de faire des représentations écrites sur les sujets soulevés dans la lettre du 12 juin 2017 et de répliquer à la réponse de TELUS.

[76]  Cela dit, après le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, la Ville a appris qu’une rencontre avait eu lieu le 20 décembre 2017, en son absence, avec des représentants de TELUS. À cette réunion, on aurait notamment discuté de l’applicabilité constitutionnelle de la loi provinciale – ce qu’a confirmé Mme Lander dans son contre-interrogatoire. Dans une moindre mesure, on aurait également évoqué les « alternatives », et ce, dans le contexte du reproche plus général de TELUS à l’effet que la Ville utilisait des « tactiques dilatoires » pour retarder le projet.

[77]  Même en acceptant que la procédure choisie par le ministère pour résoudre l’impasse ait un caractère flexible et variable, la rencontre du 20 décembre 2017 est de nature à soulever des préoccupations légitimes concernant cette phase particulière du processus de résolution de l’impasse. D’ailleurs, la Ville doit aujourd’hui se fier aux déclarations de Mme Lander et à quelques notes manuscrites (pièce EL-21) pour savoir ce qui a vraiment été discuté. En acceptant de tenir cette rencontre exclusivement avec TELUS, le ministère a pu donner l’impression qu’il pouvait régler le litige avec une seule des deux parties, derrière des portes closes. Il s’agit clairement d’un bri à l’équité procédurale.

IX.  Aucun redressement utile dans les circonstances

[78]  Certes, il y a pu avoir un manquement à l’équité procédurale. Mais y a-t-il lieu d’annuler la décision contestée et de retourner le dossier pour redétermination?

[79]  Pour le PGC, toute violation à l’équité procédurale n’a pas un caractère déterminant, tandis que TELUS invoque la doctrine des mains propres. Selon TELUS, la Ville fait preuve depuis 2012 d’obstructionnisme et tente par tous les moyens d’empêcher la construction d’une tour sur son territoire, ce qui équivaudrait à un abus de droit, à défaut de conclure que la Ville est de mauvaise foi.

[80]  De l’avis de la Cour, il n’est pas nécessaire aujourd’hui de porter un jugement sur la conduite des parties, ce qui m’apparaît comme un exercice périlleux dans les circonstances (Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central inc c Administration de pilotage des Laurentides, 2018 CF 333 au para 53).

[81]  Sans parler d’abus de droit ou de mauvaise foi, d’autres considérations pertinentes entrent en jeu suivant les enseignements de la Cour suprême (voir Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada─Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202; Maple Lodge Farms Ltd c Canada (Agence d'inspection des aliments), 2017 CAF 45 aux paras 51-52).

[82]  De façon générale, sauf pour ce qui est de la rencontre du 20 décembre 2017, il n’y a pas eu de bris à l’équité procédurale et la Ville a amplement eu l’occasion de faire valoir ses arguments. Il s’est écoulé plus de sept ans depuis que TELUS a présenté son projet à la Ville. Le site Mountainview constitue la meilleure option technique selon l’expert de la Ville. Des consultations publiques sur le projet ont déjà eu lieu. L’opposition continue de la Ville et de ses citoyens au projet de site cellulaire n’est pas un motif valable en droit pour suspendre plus longtemps encore le projet, qui devra cependant être implémenté en conformité avec les mesures d’atténuation environnementale et visuelle auxquelles TELUS s’est engagée lors des consultations auprès des citoyens, de la municipalité, ainsi qu’envers le ministère.

[83]  En clair, s’agissant de la question de l’acceptabilité sociale du projet de TELUS, ce n’est pas un facteur que cette Cour peut prendre en considération dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la légalité d’une décision. L’opposition citoyenne s’adresse essentiellement à un choix de politique publique du gouvernement fédéral, c’est-à-dire la priorisation de la couverture cellulaire au détriment de certaines considérations environnementales ou d’urbanisme. En cas d’impasse, il revient au ministère de trancher ces questions litigieuses. Ce dernier n’a trouvé aucun motif d’intervention dans ce dossier. Il s’agit d’une issue acceptable.

[84]  Pour résumer, étant donné mes conclusions sur la raisonnabilité de la décision, considérant que la Ville et la population ont été consultées, que la Ville a pu faire part de ses préférences à plusieurs occasions, un nouveau processus de résolution de litige ne rendra pas soudainement tout scénario de site cellulaire alternatif au site Mountainview plus réalisable en l’espèce. De même, vu que l’applicabilité de la loi provinciale ne peut être débattue aujourd’hui devant cette Cour, le fait que la Ville ait ou non eu la possibilité de faire effectuer une expertise environnementale provinciale n’est pas un aspect déterminant dans le présent dossier. Il n’y a aucun redressement utile dans les circonstances.

[85]  En conséquence, dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’estime qu’il n’est pas opportun, dans les circonstances, de casser la décision contestée et de retourner le dossier au décideur en raison du fait que la Ville n’a pas été invitée à la rencontre du 20 décembre 2017.

[86]  Vu le résultat, la présente demande en contrôle judiciaire est donc rejetée avec dépens.


 

JUGEMENT au dossier T-1345-18

LA COUR STATUE que:

  1. L’intitulé de cause est amendépour supprimer la mention du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique à titre d’office fédéral;

  2. Les deux requêtes préliminaires sont rejetées sans frais; et

  3. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

En en blanc

« Luc Martineau »

blanc

Juge


 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1345-18

INTITULÉ :

VILLE D'OTTERBURN PARK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET TELUS COMMUNICATIONS INC. ET MINISTRE DE L’INNOVATION, DES SCIENCES ET DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE DU CANADA (ISDE) [L’intitulé a été amendé]

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 18-19 novembre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :

LE 9 décembre 2019

COMPARUTIONS :

Paul Wayland

Alexandre Lacasse

Pour la demanderesse

Michelle Kellam

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Mathieu Quenneville

Pour lA DÉFENDERESSE

TELUS COMMUNICATIONS INC.

Rebecca St-Pierre

Pour lA DÉFENDERESSE

TELUS COMMUNICATIONS INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dufresne Hébert Comeau

Montréal (Québec)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Prévost Fortin D’Aoust

Boisbriand (Québec)

Pour lA DÉFENDERESSE

TELUS COMMUNICATIONS INC.

 

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